Billet invité de Vincent M
2/4 Pourquoi la décentralisation ?
Paris et le désert français
C’est le titre d’un livre, et d’un film, de l’immédiat
après-guerre, qui constatait que Paris prenait une place bien trop prédominante
dans le paysage national. Toutes les décisions étaient prises à Paris,
l’économie et la population s’y concentrait, alors que les campagnes se
vidaient. Il était urgent de lutter contre ce phénomène, et la solution
politique à ce phénomène a été la décentralisation, avec la création des
régions, et des transferts de compétence vers des élus locaux… Déjà à l’époque,
pour suivre le modèle allemand…
Plus de 60 ans après, force est de constater l’échec total
de ce plan : la région parisienne a cru bien davantage que ne le
craignaient les auteurs de l’ouvrage, et que la campagne s’est effectivement
désertifiée. Paradoxalement, les campagnes qui résistent à la désertification
sont celles qui réussissent à jouer de leur proximité avec une agglomération
dynamique pour attirer des personnes travaillant en ville (c’est le fameux
péri-urbain). C’est l’inverse de ce que préconisaient les auteurs du livre ;
pour eux, la richesse devait être créée dans les campagnes, et aller vers la
ville qui jouerait un simple lieu d’échange… Mais, si cette nostalgie du 19ème
siècle a quelque chose de sympathique, il faut bien reconnaitre que cette
conception de l’aménagement du territoire est morte.
De ce point de vue-là, il faut admettre que la politique de
décentralisation n’a joué le rôle qu’on attendait d’elle.
Certes, des métropoles de province se sont développées,
créant de grands bassins d’emploi, qui font heureusement de la concurrence à
Paris. Mais il est probable que ceux-ci se sont développés essentiellement
suite à des initiatives d’entreprises privées, ou de maires de ces communes. Ainsi,
des villes ayant connu un très fort développement, comme Nice, Grenoble, ou
Tours ne sont pas des capitales régionales, quand des capitales de régions,
comme Limoges, Poitiers, Châlons-en-Champagne, ou Amiens, n’ont pas connu le
développement qu’on aurait pu espérer…
Des régions, pour quoi faire ?
Outre la volonté de limiter le rôle de la capitale, comme
évoqué précédemment, l’idée principale est que les décisions sont mieux prises
quand elles sont prises au plus proche du terrain, et que l’Etat doit donc
déléguer les décisions prises à Paris, afin qu’elles puissent l’être
localement. Schématiquement, le fait que les décisions soient prises au plus
près de ceux qui en sont les destinataires devrait permettre de limiter les
rouages et les dépenses de fonctionnement inutiles, tout en offrant une réponse
mieux adaptée.
Ce principe semble de bon sens. Il est commun aux processus
de décentralisation (confier des missions à des élus locaux) et de
déconcentration (déplacer dans les territoires les services en charge de
celui-ci).
En plus de cet objectif, la décentralisation vise à favoriser
l’émergence d’une démocratie de proximité, c’est-à-dire à associer, via des
élus locaux, la population aux choix et aux orientations décidées localement.
Cette idée est également loin d’être aberrante.
Une organisation efficace du pays, qui évite les doublons,
les lourdeurs administratives, et facilite la prise de décision doit donc pour
chaque compétence, décider clairement si elle relève d’une compétence
nationale, d’une compétence locale d’ordre technique ou administratif, ou d’une
compétence locale nécessitant une participation des citoyens.
Vers une autonomie financière des collectivités locales ?
L’argent étant le nerf de la guerre, la question du
financement des politiques ne peut pas être séparée de celle de la
participation citoyenne à la décision politique.
En effet, tout citoyen doit pouvoir demander des comptes sur
l’utilisation de ses impôts. Le principe est que celui qui finance a un droit
de regard sur l’utilisation qui est faite de son argent.
Concrètement, ceux qui dépensent les impôts locaux doivent
être responsables de ces dépenses devant les électeurs de la
circonscription ; c’est le cas des élus locaux. Ceux qui dépensent de l’argent
collecté nationalement devraient être responsables devant la représentation
nationale ; c’est le cas du gouvernement et de son administration (y compris déconcentrée).
Du point de vue des élus locaux, cela signifie que, s’ils
veulent mener une politique à l’échelle de leur circonscription, en étant
responsable de cette politique devant les citoyens, il faut également qu’ils
soient responsables devant les citoyens du coût de cette politique. La
situation aberrante où certains élus locaux réclament des moyens à l’Etat pour
mener des politiques dont ils veulent conserver la responsabilité a quelque
chose d’aberrant…
Les missions des régions correspondent-elles à des compétences locales ?
Regardons, dans la pratique, quelles sont les « compétences » des régions : les transports, l’enseignement, la formation professionnelle, et l’action économique.
-
Les transports (5 milliards)
Le rôle des régions en matière de transport consiste, en
gros, à toucher de l’argent de l’Etat, et à le donner à la SNCF afin de faire
fonctionner les TER. C’est ainsi que sur chaque TER est inscrit le nom de la
région qui l’a financée… avec l’argent de l’Etat.
Et après, c’est à la SNCF de les utiliser. C’est ainsi que
j’ai déjà vu des « TER Pays de Loire » en gare de Dijon, ou des « TER
Rhône-Alpes » en gare de Nantes… Pourquoi ? A l’évidence, parce que
le transport ferroviaire (en dehors des métros, tramways…) est, en France, intrinsèquement
un réseau national. Et quel que soit le découpage que l’on adopte, l’efficacité
économique commande que le parc matériel ne soit pas géré au niveau des
régions…
On voit mal en quoi la décentralisation joue ici un rôle
important, l’argent passant par les régions pour revenir à une gestion
nationale. Ici, clairement, il serait plus rationnel et plus économe de confier
ces activités à une instance nationale.
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L’enseignement (5 milliards)
Les régions assurent la maitrise d’ouvrage des lycées,
c’est-à-dire l’entretien, les réparations, et la construction des bâtiments. Les
départements font la même chose pour les collèges. Et dans les deux cas, il
s’agit ici encore d’une simple redistribution de l’argent fournit par l’Etat.
Il s’agit ici à l’évidence de tâches d’administration et de gestion courante,
qui ne nécessitent pas la présence de politiques. Mais de plus, cela introduit
une complexité incroyable : la gestion d’un collège / lycée doit faire
l’objet de conventions entre le Conseil Général, le Conseil Régional, et
l’Académie, qui est l’utilisateur du bâtiment. Il semblerait bien plus sage de confier
l’ensemble de ces taches à une académie, dont l’autonomie pourrait sans doute
être renforcée vis-à-vis de son ministère de tutelle…
-
La formation professionnelle (4 milliards)
La seule chose dont on soit certains, c’est que la formation
professionnelle en France a un fonctionnement incompréhensible, extrêmement
onéreux et inefficace… Si le fait de confier ce poste à des politiciens
régionaux était la bonne solution, la situation de la formation professionnelle
en France serait bien meilleure. Si on retirait cette compétence aux régions,
on a tout lieu de penser que cela ne pourrait qu’en améliorer la gestion…
-
L’action économique (3 milliards)
Dans une France où l’économie était historiquement planifiée
par l’Etat, cela avait à
l’évidence de confier la planification économique d’un échelon territorial à
des élus de ce territoire. Mais, qu’on s’en félicite ou qu’on le regrette,
l’Etat s’est désengagé de toute planification, et le tissu industriel est
composé d’entreprises tellement grandes qu’elles sont devenues multinationales,
et qu’on nous explique que la France, voire même l’Europe, sont trop petites
pour mettre en place une quelconque planification.
Quel est donc réellement le rôle d’action économique des
régions ? En matière économique, les missions décentralisées concernent
essentiellement le tourisme, l’image des territoires, et les aménagements
locaux. Mais, s’agissant du tourisme ou de l’image des territoires, comme on
l’a vu, les régions ne correspondent à aucune réalité historique ou
géographique, et ne sont donc pas adaptées. Elles sont de plus trop grosses
pour traiter des questions d’aménagements locaux.
N’est-il pas aberrant, avec des régions actuelles, que le
tourisme dans les Hautes-Alpes soit géré à Marseille, le tourisme dans les
Cévennes cogéré entre Lyon et Montpellier, etc. On contrevient clairement au
principe de proximité, qui veut que les décisions concernant un territoire
soient prises dans celui-ci.
Et cette situation va s’aggraver avec le nouveau découpage. Tours
pourrait ainsi devoir développer aussi bien l’attractivité de la cathédrale de
Chartres, que le port de la Rochelle, ou la vallée de la Dordogne !
A l’évidence, vis-à-vis de l’action économique, les régions
ne sont pas à la bonne échelle : trop petites pour des politiques industrielles,
et trop grosses pour des politiques locales…
Bref, aujourd’hui, sur les 4 domaines de compétence des
régions, les 3 principaux ne relèvent clairement pas de compétences locales, et,
pour le dernier, l’échelle régionale semble mal adaptée.
Les vrais partisans de la décentralisation objecteront qu’on
pourrait parfaitement dissoudre l’essentiel du ministère de l’éducation
nationale, pour régionaliser les programmes d’enseignement, ainsi que le
recrutement et les carrières des enseignants… En finançant cela par des impôts
locaux. Idem pour la formation professionnelle.
Mais est-ce cela que les français attendent ? Des
collèges et lycées richement dotés en Ile de France, mais sans-le-sou dans le
centre de la France ? Des programmes différents, qui seront
nécessairement, à moyen terme, plus ou moins prestigieux, entre les différentes
régions ? Non, clairement, une telle politique heurte trop de front le
profond sentiment égalitaire des français. Et c’est peut être ici aussi que se
trouve une réelle différence entre la France et l’Allemagne. Une telle
politique, inconcevable en France, est à l’œuvre de l’autre côté du Rhin, pour
le plus grand bonheur des allemands…
Si aucun des domaines de compétence des régions n’apporte
d’intérêt
Une décentralisation qui n’est pas sans coûts !
Comme toujours quand on crée des assemblées d’élus, cela
implique de nombreuses dépenses : outre les salaires des élus, il y a ceux
de leurs collaborateurs. Et il y a aussi toutes les dépenses auxquelles
poussent ces élus, pour pouvoir montrer à leurs électeurs à quoi ils ont servi.
C’est ce qu’on appelle l’électoralisme, et la France est assez spécialiste de
la question.
Mais, au-delà de ces sources d’inefficacité, les ouvrages
ont été nombreux à être publiés ces dernières années, pour dénoncer les
gaspillages des collectivités locales. Qu’il s’agisse de fonctionnaires
territoriaux contractuels recrutés par copinage, de services très mal gérés,
souffrant d’inactivité chronique, etc. les collectivités locales ne brillent
pas par leur bonne gestion. Au contraire, elles semblent même bien plus
dispendieuses que la fonction publique d’Etat !
Je ne résumerai pas ici ces nombreux ouvrages. Mais je me
permettrais d’ajouter un exemple de ce qui me semble être un gaspillage,
insuffisamment critiqué :
Régulièrement, au titre de l’attractivité économique de leur
territoire, des régions font de la publicité pour leur région dans une autre
région de France. Outre que, si toutes les régions jouent ce jeu, c’est un jeu
à somme nulle… Mais à coût important pour le contribuable, au seul profit des
annonceurs et sociétés de publicité. De plus, on ne peut pas ne pas penser dans
certains cas à de pures opérations électoralistes, visant à promotion
personnelle de certains présidents de région à forte personnalité médiatique…
Bref, supprimer les régions, purement et simplement, serait une grosse source d’économie. La formation professionnelle, les transports, et la gestion des lycées seraient avantageusement traitée par des administrations d’Etat, notamment déconcentrées. La seule fonction réellement pertinente à déléguer à des élus locaux est la politique de valorisation des territoires et de développement du tourisme.
Les conseils généraux font-ils mieux ?
Du point de vue du clientélisme, de l’inefficacité de
l’administration, et des gaspillages, il semblerait qu’ils fassent aussi bien
que les régions !
Mais pour ce qui est de l’adéquation entre leurs fonctions
et le besoin de faire appel à une administration décentralisée… Regardons un
peu. Les compétences des conseils généraux sont :
-
L’aide sociale, qui consiste à prendre des
décisions d’ordre administratif, et à distribuer aux personnes qui en ont
besoin les allocations sociales auxquelles elles ont droit. L’Etat fournissant
l’argent aux conseils généraux, et fixant le montant de ces prestations, et
décidant des critères devant conduire à l’action des conseils généraux, on voit
mal où est le rôle de l’élu,
-
L’entretien de la voirie (ex-DDE, qui était un
service déconcentré de l’Etat) ; là encore, il s’agit de redistribuer de
l’argent de l’Etat à d’anciens services de l’Etat, pour entretenir les routes…
Cela ne nécessite sans doute pas non plus de décision politique majeure !
-
Les transports locaux, notamment les transports par
autocar, et transports scolaires : ici, l’aspect local est évident, et la
pertinence de confier cette mission à des élus se justifier beaucoup plus
facilement…
-
La gestion administrative des collèges, de même
que les régions s’occupent des lycées… Même réponse : une administration
regroupant l’ensemble des compétences des lycées et collèges serait sans doute
bien plus efficace !
-
Subventions culturelles (bibliothèques, musées,
valorisation du patrimoine…) : ici, le rôle d’élus local semble se
justifier totalement,
-
Le développement du tourisme : idem
-
Le « développement local », qui
consiste à subventionner des communes ou des associations… Derrière ce poste se
trouve pour beaucoup des dépenses clientélistes, visant à aider ceux qui ont
aidé lors des élections… Le supprimer ne serait que source d’économies
salutaire !
En résumé, les compétences qui relèvent pertinemment d’élus
locaux sont :
-
La gestion des transports publics locaux, par
autocar, bus, métro, ou tramway,
-
La politique de développement culturel et
touristique.
On note au passage que le tourisme est un doublon entre
département et région…
Bref, cette liste peut naturellement être discutée,
complétée. Mais le principe doit rester qu’il faut se poser la question fondamentale suivante : quelles
sont réellement les compétences qui nécessitent une décision politique prise au
plus près des citoyens, par des élus locaux, responsable devant les citoyens
locaux qui financeront ces politiques ?
Si cette question est posée honnêtement aux français, il y a
fort à parier qu’ils auront bien plus tendance à retirer des compétences aux
régions et conseils régionaux qu’à leur en confier davantage…
Mais détruire ne fait pas une politique. Si la
décentralisation des dernières décennies a été un échec –tout le monde
s’accorde à peu près dessus- peut-on simplement la balayer d’un revers de main,
en disant, il suffit de revenir en arrière ? Non, car les raisons
fondamentales qui avaient poussé à cette décentralisation demeurent. Et il faut
pouvoir y trouver une solution.
Et, pour trouver cette solution, on essayait de raisonner
autrement ; de prendre le problème à l’envers ?
Et si on se demandait : quelles sont réellement les
compétences qui nécessitent une décision politique prise au plus près des
citoyens ? Quels sont les choix stratégiques pour les territoires, pour
lesquels Paris n’a aucune légitimité à décider ?
Et, une fois d’accord sur les compétences à déléguer
localement, on envisageait d’en déduire un découpage cohérent avec ces
compétences, qui permettre réellement aux élus locaux d’exercer leur rôle au
plus près des citoyens, dans un périmètre ayant réellement un sens du point de
vue des compétences qu’on veut lui confier ?
C’est ce que je me propose d’examiner, en partant sur des
hypothèses qui me semblent raisonnables, en termes de compétences à
décentraliser.
Et il ne faudra pas oublier de regarder ce qui peut être
fait pour répondre à la légitime demande des français, qui a été à l’origine
des politiques de décentralisations, à savoir : comment éviter que tout
soit décidé à Paris, et que tout tourne toujours autour de Paris ?
Suite demain
Suite demain
Gilbert Perrin Je ne crierai jamais assez fort "BRAVO les TONDUS".... Depuis des années et des années, bien avant HOLLANDE, j'ai dit et répété que le seul moyen pour obtenir justice et égalité entre tous les travailleurs : c'était la GREVE des CHARGES et IMPOTS .... Vous y êtes je m'en réjouis, TENEZ LE COUP, allez jusqu'au bout, l'ETAT ne peut rien faire SI CE N'EST DE CEDER .... IL CEDERA !!! FELICITATIONS
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