Billet invité de l’œil de Brutus
« Ô drapeau de Wagram ! ô pays de Voltaire !
Puissance, liberté, vieil honneur militaire,
Principes, droits, pensée, ils font en ce
moment
De toute cette gloire un vaste abaissement.
»
Victor Hugo, Les Châtiments.
Il y a quelques jours, Laurent
Pinsolle publiait un article sur l’état actuel de la Libye et les
conséquences du droit d’ingérence. C’est également l’occasion de se remémorer
un autre territoire, complètement oublié des médias : la
Bosnie-Herzégovine.
Un pays à la dérive
En 1995, les accords de Dayton
mettent fin (provisoirement : 4 ans plus tard aura lieu la guerre du
Kosovo) à la guerre issue de la dislocation de l’ex-Yougoslavie. Ils instituent
de fait un Etat pluriethnique, composé d’une fédération d’Etat, eux-mêmes basés
sur l’homogénéité ethnique. Ces mêmes accords instituent de manière transitoire
un poste de Haut représentant en Bosnie-Herzégovine, placé sous l’autorité du
Conseil de sécurité des Nations Unies. Sauf que presque 20 ans plus tard, la
« transition » perdure et la fonction de Haut représentant est
toujours en place. Celui-ci a même, en violation des accords initiaux,
considérablement accru ses pouvoirs puisqu’il cumule l’ensemble des
prérogatives exécutives, se transformant de facto en techno-autocrate. Il peut
ainsi annuler n’importe quelle décision prise par les instances politiques
bosniennes ou imposer les siennes. Ce dont il ne se prive pas. Le
« Prince » a ainsi, unilatéralement, décidé de la mise en place de
plaques d’immatriculation communes, d’un passeport unique, d’une monnaie
alignée sur l’Euro, d’une loi sur la citoyenneté, des couleurs du drapeau ou
encore de révocations de plusieurs responsables locaux pourtant
démocratiquement élus. La guerre menée au nom du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes a donc, paradoxalement, accouchée d’un régime politique (ou plutôt
apolitique, puisque pris étymologiquement le mot « politique » n’a
ici plus de sens) complètement autocratique, soumis au fait du
« Prince », sorte de « bien aimé leader » de la communauté
internationale, étranger au pays de surcroit (le titulaire actuel, Valentin
Inzko, est autrichien ; son prédécesseur, Miroslav Lajcak était slovaque).
A côté de cela, la Russie de Vladimir Poutine passe pour une douce démocratie.
Par ailleurs, la terre d’origine
de Zlatan Ibrahimovic reste soumise à de très fortes tensions, pas seulement
ethniques (les Serbes réclament toujours leur rattachement à la Serbie voisine
et les nationalistes croates sont en constante progression) mais aussi sociales :
dans l’indifférence presque complète de nos médias nationaux des
manifestations, parfois très violentes et durement réprimées, se succèdent
depuis le début de l’année. Le système électoral mis en place est foncièrement
discriminatoire puisqu’il contraint les candidats à déclarer leur appartenance
ethnique (bosniaque, croate ou serbe), au point d’en attirer les foudres de la
Cour européenne des Droits de l’Homme[i]. Le chômage
demeure très élevé (27%
en 2013) et la corruption endémique, seules les perfusions financières de
l’Union européenne et du FMI évitent probablement l’effondrement.
Presque 20 ans après, l’échec de
la « communauté internationale » est patent.
Un dangereux précédent
La responsabilité de l’Allemagne
Deux décennies après, le rôle de l’Allemagne dans
l’éclatement de la Yougoslavie n’est pas très souvent analysé. Il est pourtant
primordial. En effet, alors que le conflit début à peine, le 21 décembre 1991, l’Allemagne
reconnaît unilatéralement l’indépendance de la Croatie et de la Slovénie,
accordant ainsi sa légitimité au conflit. A ce moment, elle est le seul pays à
le faire. Quatre jours plus tard (25 décembre 1991), la Yougoslavie a cessé
d’exister et sombre dans le chaos. Non pas qu’il n’y avait aucune légitimité à
ce que les républiques de l’ancienne Yougoslavie accède à l’indépendance, mais
la décision de l’Allemagne, prise sans concertation avec ses partenaires
traditionnels, a précipité les évènements alors qu’une reconnaissance globale
des nations européennes après négociations des conditions d’accès à l’indépendance
et de traitement des minorités aurait, bien plus probablement, permis une
sortie à la fois plus apaisée et plus pérenne du conflit.
Cette décision allemande doit
également être remise dans ce contexte de l’époque. Nous sommes deux ans après
la chute du Mur de Berlin et un an après la réunification. Cette décision
annonce de fait le retour de l’Allemagne dans le jeu des relations
internationales, alors que jusqu’à alors la RFA était cantonnée, guerre froide
et passif du 2e conflit mondial obligent, à un rôle diplomatique
vassalisé aux Etats-Unis et, à un degré moindre, à la France et au Royaume-Uni.
La reconnaissance unilatérale de la Slovénie et de la Croatie annonce de plein
pied le retour de la puissance germanique en Mitteleuropa. Quelque part, elle préfigure
également l’autoritarisme ordo-libéral allemand en Europe tel que nous le
voyons aujourd’hui à travers les questions monétaires européennes ou au sein
des institutions bruxelloise.
La responsabilité de la France
Mais il ne s’agit pas de faire de l’Allemagne un bouc
émissaire récurrent de tous les malheurs européens. Car l’Allemagne, fidèle à
la Realpolitik, ne fait que jouer le jeu de ses
intérêts et de sa puissance (au besoin en
jouant au passager clandestin). Et si elle le peut, c’est que la France est
aux abonnés absents. Car, tout au long du conflit yougoslave, si elle a bien
envoyé ses soldats faire courageusement ce qu’ils pouvaient dans des missions
ineptes, sa voix a été bien peu audible, hors les coups de communication à la
François Mitterrand, débarquant, sous l’œil des caméras (bien sûr) un beau
matin dans Sarajevo bombardé pour repartir quelques heures plus tard sans avoir
obtenu grand-chose de concret.
Le caractère inaudible de la voix
de la France depuis 20 ans, hors
l’épisode de la guerre d’Irak de 2003n, une bien triste habitude et sans doute
une cause profonde du drame européen d’aujourd’hui. Et ce n’est certes pas avec
des excités opportunistes manière Sarkozy ou des timorés idéologisés manière
Hollande que l’on retrouvera la voix de la France, pourtant si indispensable à
la marche de l’Europe, si ce n’est du monde : « Que nous le voulions ou non, nous sommes une nation mondiale,
c'est-à-dire une nation en respiration avec le monde, qui inspire et irrigue
l’histoire mondiale depuis de longs siècles. Notre indépendance nationale,
notre quête d’universel, notre effort de dépassement sont d’ores et déjà des
pages de l’histoire mondiale. Pis, nos renoncements sont un affaiblissement
pour les forces de la liberté et du progrès dans le monde »[iii].
Or, cette absence de France ne
laisse augurer qu’un terrible recommencement comme nous le rappellent ces mots
d’Eugène Ionesco écrits en 1940 : «
Le désastre dont nous souffrons atrocement est dû à la faute de la France.
Fatiguée, elle n’était plus présente dans le monde, elle ne croyait plus à la
nécessité de sa présence et de sa mission. La Bête s’est ruée sur l’Esprit
malade. Ce qui se passe depuis vingt ans dans le monde n’est que le symbole et
le commencement de ce qui pourrait se passer si la France ne peut plus marquer
sa présence. Et ce serait la punition du monde de l’avoir assassinée. Mais le
monde peut-il vraiment assassiner son âme ? Je ne pourrai vivre dans un monde
où il n’y aurait plus de France, dans un corps vide. Je n’ai qu’une patrie,
c’est la France, car la seule patrie est celle de l’Esprit »[iv].
Ou, plus simplement, pour reprendre les mots du général de Gaulle :
« Il y a un pacte vingt fois séculaire entre
la grandeur de la France et la liberté des autres »[v].
[i] Les Juifs,
entre autres, ne peuvent ainsi pas se présenter aux élections (CF. La
Bosnie encore condamnée par la CEDH, The Times of Israël, 15/07/2014). Saint-BHL,
qu’on a vu à l’époque de la guerre si agité, comme à son accoutumée, pour
sauver la Bosnie est allé promener sa chemise immaculée sur d’autres théâtres
que, bien souvent, à l’instar de la Libye, il a laissé dans des états tous
aussi piteux, si ce n’est pire.
[ii] 77% des
Serbes de Bosnie seraient favorables à rattachement à la Serbie.
[iii] Dominique
de Villepin, Notre Vieux pays.
[iv] Lettre à
Alphonse Dupront, 1940.
[v] Cité par
André Malraux, Les Chênes qu’on abat.
Je ne suis pas sûr que mettre en épigraphe une citation de Victor Hugo qui exalte l'un des épisodes où la France a le plus foulé la liberté des autres peuples et nations soit du meilleur goût en l'occurrence...
RépondreSupprimerIl n'y a que la première exclamation qui fasse référence à l'épopée napoléonienne.
SupprimerEn outre, à cette époque tous les autres peuples d'Europe étaient gouvernés par des monarchies autocratiques. On peut trouver bien des arguments pour condamner les guerres napoléoniennes, mais certes pas qu'à cette époque la France "foulait" la liberté des autres peuples !
Tout comme la France napoléonienne était elle-même autocratique... Elle cumulait. D'ailleurs, cet argument des autocrates était déjà utilisé par Napoléon pour justifier certaines de ses conquêtes - comme en Espagne, où on a vu à quel point ces aprioris se sont écrasés sur le mur des réalités.
SupprimerEt j'ajouterai d'ailleurs, pour terminer, que l'argument du mauvais gouvernement (ou du gouvernement inique) a par la suite été utilisé à maintes reprises pour justifier toutes les invasions. On peut difficilement dire que les États-Unis ont menti pour leurs invasions : des pays comme l'Irak ou l'Afghanistan étaient certes peu démocratiques... mais le résultat est bien pire. On ne peut pas le critiquer chez les autres et l'approuver chez nous.
SupprimerC'est bien ce que je dis : nulle question de liberté des peuples dans des guerres qui opposent des autocraties ... :) du moins à compter de 1804 car la France napoléonienne ne devient vraiment autocratique qu'à la fin du Consulat.
SupprimerEt pour revenir sur la liberté des peuples, demandez donc à des Italiens, des Polonais ou à des Allemands ce qu'ils pensent de Napoléon vis à vis de leur unification et, justement, de la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes. Et nous pourrions également parler du Code civil, pris en exemple dans une bonne partie de l'Europe.
Les Polonais, en effet, doivent à Napoléon d'avoir existé dans la période. Pour les Italiens et les Allemands, c'est plus partagé : avoir été envahis par Napoléon a forgé leur conscience nationale, mais cette dernière s'est précisément renforcée dans la lutte contre la Grande Armée. En Allemagne, c'est très net : une bataille comme celle de Leipzig, en 1813, est marquante pour le pays car elle représente un premier triomphe national contre un occupant...
SupprimerLe fait que le Code Civil ait été imité dans une bonne partie de l'Europe n'enlève rien au fait que la France napoléonienne n'a pas été exactement un synonyme de liberté quand elle a constitué un empire européen. Nul ne nie que Napoléon ait été un grand stratège et un administrateur de talent (même si certaines de ses décisions, comme la constitution d'une Banque de France privée, ont été désastreuses). Mais en quoi cela est-il incompatible avec le fait d'avoir été un envahisseur ?
Certains peuples ont d'ailleurs pris une part active en tant que tels dans la lutte contre une armée d'invasion, se battant d'ailleurs ouvertement pour un ordre ancien. C'est à nouveau le cas typique de l'Espagne - mais je reconnais que c'est un cas assez méconnu en France car il continue à gêner aux entournures.
Je le confirme, donc : ce n'est pas ce que vous disiez... :)
Dans la coalition internationale qui intervient actuellement pour tuer dans l’œuf l’état islamique et sauver les populations chrétiennes, la France est dignement représentée par :
RépondreSupprimer-une brigade parachutiste larguée depuis plusieurs jours aux abords de Mossoul … ;
-deux escadrilles de Rafales et Mirage 2000 qui apportent l’appui feu nécessaire aux Paras et désorganisent les mouvements erratiques de l’ennemi … ;
-un groupe aéronaval composé d’un porte-avions (le Charles De Gaulle , un deuxième- le Charles Martel- se prépare pour la relève à Toulon* ), de deux BCP** (Bateau de Commandement et de Projection qui débarqueront leurs troupes soit à Beyrouth, soit à Lattaquié, soit Iskenderun : au total 10 hélicoptères Tigre, 20 hélicoptères de transport NH90, 26 chars Leclerc, 450 fantassins) et leurs frégates et sous-marins d’accompagnement …
En somme, des forces à l’image d’une Armée Française en cohérence avec la politique étrangère de la France. A l’opposé de la politique militaire des gouvernements précédents : des illuminés, des ‘va-t-en guerre’ de minuit moins cinq ! qui avaient tramé, depuis plus de trente ans, la déliquescence des armes françaises à la faveur de l’internationalisme et de l’européisme sournois.
L’opinion publique approuve.
Depuis les dernières élections- 20xx- elle a compris :
-que la France doit recouvrer son indépendance dans la mondialisation furieuse,
-que le Peuple Français doit réaffirmer sa souveraineté sans tenir compte de l’UE totalitaire, impuissante et bientôt moribonde.
aaaah !
Une explosion me fait sursauter …
Non, c’est la porte de la véranda, mal fermée, qui claque dans un courant d’air.
Au loin un orage menace.
bof ! pas grand chose. Il va pleuvoir … tant mieux, je n’aurais pas besoin d’arroser mon jardin ; c’est toujours çà d’pris.
Un rêve.
Je me rendors …
CASTELIN Michel- 15 août 2014
* un troisième est en construction : le Valmy.
** le Brennus et le Jeanne D’Arc.