Billet invité de l'Oeil de Brutus
Moins connues que les négociations relatives au
traité transatlantique (également nommé TAFTA et TTIP, lire ici, là et là), celles qui devraient
accoucher du TISA (Trade in Service
Agreement) n’en sont pas moins fortement déterminantes sur l’avenir de nos
sociétés[i].
Comme ses frères et sœurs et dans ce qui est
maintenant une habitude en ère néolibérale post-démocratique, le TISA se
négocie dans la plus grande discrétion à l’abri des murs de l’ambassade
d’Australie en Suisse (!). Chaque citoyen en sera pourtant concerné au premier
chef. Cinquante Etats, dont les 28 membres de l’Union européenne tous
représentés par la Commission européenne, participent aux négociations[ii].
Pour comprendre le TISA, il faut bien en cerner
l’origine. En 1994, dès sa création l’Organisation mondiale du commerce (OMC)
se lance dans la négociation d’Accord Général sur le commerce des services
(AGCS) qui vise, déjà, à libéraliser tous les services (y compris, et surtout,
les services publics). Souhaitant préserver leurs marchés intérieurs des
prédations financières du Nord, les pays émergents (Russie, Chine, Brésil, Inde,
Afrique du Sud), qui ont bien retenu les leçons du capitalisme prédateur,
parviennent à susciter un large consensus des pays du Sud (90 Etats) pour faire
échouer l’accord.
Les procédés relèvent du même esprit que celui
relatif au traité transatlantique. Alors qu’elle a entamé les négociations
depuis plus d’un an, la Commission européenne finit par obtenir du Conseil des
ministres de l’Union européen un mandat
qui est conservé sous le sceau du secret. De leur côté, les Etats-Unis
exigent que leurs propositions soient classées « confidentielles », y
compris dans les cinq années qui suivront l’entrée en vigueur du TISA ou dans
les cinq années suivront la clôture des pourparlers si ceux-ci échouent.
Les objectifs sont toujours les mêmes :
accélérer les privatisations et empêcher définitivement toute velléité de
réappropriation des services publics par la collectivité, que celle-ci soit
locale, nationale ou supranationale. Le TISA ne devrait, en fait, être qu’une
simple reprise de son ancêtre AGCS. Les articles de celui-ci se suffisent à
eux-mêmes pour percevoir l’état d’esprit de ce type de négociations. Prenons
l’article 17-1[iii] :
« Chaque membre accordera aux
services et fournisseurs de services de tout autre membre, en ce qui concerne
toutes les mesures affectant la
fourniture de services, un traitement non moins favorable que celui qu’il
accorde à ses propres services similaires et à ses propres fournisseurs de
services similaires ». Concrètement, cela s’entend que dans le domaine
de l’Education, par exemple, en France, l’Etat devra accorder contrat aux
établissements étrangers qui s’établiraient sur le territoire national exactement
les mêmes aides et subventions que celles accordées aux établissements
scolaires publics ou sous, et ce quel que soient les programmes et méthodes
enseignés. Comme cela deviendra rapidement budgétairement intenable, il faut
entendre par cette mesure la mort pure et simple de l’éducation nationale. Mais
aussi de toute forme de service public, de la poste aux hôpitaux, en passant
par les services de l’eau et pourquoi pas tant qu’on y est, des services de
sécurité (police) !
En tout état de cause, tout cela se négocie
tranquillement dans notre dos, dans une indifférence quasi générale des médias
bien-pensants et d’un personnel politique censé préserver le bien commun[iv].
[i] Lire Raoul
Marc Jennar, Cinquante
Etats négocient en secret la libéralisation des services, Le Monde
diplomatique, septembre 2014. Les éléments ici relatés sont issus de la lecture
de cet article.
[ii] En sus des
28 de l’UE : Australie, Canada, Chili, Colombie , Corée du Sud, Costa
Rica, Etats-Unis, Hongkong, Islande, Israël, Japon, Liechtenstein, Mexique,
Norvège, Nouvelle-Zélande, Pakistan, Panama, Paraguay, Pérou, Suisse, Taïwan,
Turquie.
[iii] Cité par
Raoul Marc Jennar, ibid.
[iv] A noter que
dans le même temps, l’Union européenne négocie le même type d’accord avec les
Etats africains afin de pouvoir dépouiller sans scrupules les Africains de
leurs richesses naturelles tout en leur déversant nos produits manufacturés
sans droits de douanes. Le retour, en somme, des vieilles recettes coloniales.
Lire Jacques Berthelot, Le baiser de la
mort de l’Europe à l’Afrique, Le Monde diplomatique, septembre 2014.
Un jour, il faudra faire un immense procès de Nürnberg de tous ces traîtres.
RépondreSupprimerIl va aussi falloir que nous devenions plus radicaux, aussi radicaux que ces pourris qui gouvernent le monde.
SupprimerParmi toutes les vilénies, je reste poli, je considère que celle-ci : "les Etats-Unis exigent que leurs propositions soient classées confidentielles, y compris dans les cinq années qui suivront l’entrée en vigueur du TISA", est profondément stupéfiante.
Je n'arrive pas à comprendre pourquoi aucune réaction forte, structurée ne voit le jour.
Demos
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