Billet
invité de l’œil de Brutus
Il est dorénavant convenu qu’en termes de politique
économique et sociale, M. Hollande s’inscrit dans la lignée de son
prédécesseur. Il nous fait du Sarkozy. En pire[i]. Or, dans la perspective
d’un retour aux affaires en 2017, que nous propose l’UMP[ii] ?
Du Hollande. En pire.
La tribune de Serge Gouard, le député-maire (UMP)
d’Orléans, publiée le 27 octobre 2014 sur Figarovox
en est une excellente illustration (à lire ici).
Par ailleurs, comparer les niveaux de dépenses
publiques (et parallèlement de prélèvements obligatoires) des différents pays
en termes de pourcentage par rapport au (et non du …) PIB ne fait également pas
grand sens. Cela revient à comparer des choux et des carottes car le périmètre
n’est pas le même d’un pays à l’autre. Laurent Pinsolle a su très bien
l’expliquer ici.
Passons le côté alarmiste de la tribune : la
France, avec près de 200 milliards d’euros de bons du Trésor émis, « sera le deuxième emprunteur mondial en euros ».
Oui. Et alors ? Rien d’étonnant à cela puisque la France est aussi la 2e
économie de la zone euro ! Et M. Gouard se prive bien de préciser les
autres lauréats de son concours : en tête l’Italie (de l’ordre de 240
milliards d’euros de dette émise) et juste derrière la France, la sacro-sainte
Allemagne !
Nous serions donc, depuis 30 ans, lancés « dans la spirale infernale du déclin et de
l'austérité ». Amère constat pour un membre d’un parti qui, sur ces
trois dernières décennies, a occupé le pouvoir pendant 17 ans !
Mais que nous propose M. Gouard ? Rien de
moins qu’un nouveau choc austéritaire de 100 à 140 milliards[iv],
soit l’équivalent de 8 à 12% par rapport au PIB. Pourquoi ces chiffres ?
Tout simplement pour nous porter à 50% de dépenses publiques par rapport (et
non du …) du PIB. Pourquoi 50% ? Mystère ! Aucune étude économique ne
corrobore un niveau de dépenses publiques à ne pas dépasser. Ceux qui s’y sont
essayés, MM. Reinhart et Rogoff en tête, ont brutalement été renvoyés à leurs
études par un simple … étudiant, et sont depuis la risée de l’intelligentsia
économique[v].
Après celui des 3% de déficit publique et des 60% d’endettement issus des
traités européens, nous avons donc un nouveau totem à adorer. Son origine
importe peu : adorons, adorons cette nouvelle religion scientiste qui
hausse des chiffres au niveau de l’Absolu économiciste !
Et comment donc, toujours selon M. Gouard, arriver
à ce niveau de dépenses publiques ?
-
En simplifiant « le fonctionnement et la gouvernance de la
sphère publique ». Certes, c’est vertueux en soi. Le problème est
qu’hormis un petit milliard espéré en réduisant le nombre de parlementaires et
en supprimant le Conseil économique, social et environnemental, M. Gouard fait
peser cette économie espérée de l’ordre de 25 milliards d’euros sur les
collectivités locales, sans détailler comment ! Les collectivités devront
se serrer la ceinture. Ce n’est peut-être pas un mal en soi mais encore
faudrait-il préciser comment ce serrage de ceinture (fusion des départements et
des régions : oui mais selon quel périmètre ? quelles
prérogatives ? quelles délégations ? quel service public ?)
permettra de dégager 24 milliards d’économie.
-
En supprimant « des dispositifs aussi inefficaces que
coûteux ». Sont principalement visés l’aide au logement et la
formation professionnelle qui nécessiteraient une ample réorganisation. Le
constat est très probablement judicieux. On attend les propositions de
solution. On attend … Car du côté de la tribune de M. Gouard, rien. Certes, force
en effet est de constater que ces dispositifs sont tout sauf satisfaisants. Toutefois,
on ne pourra pas d’un trait de plume revoir les aides aux logements sans mettre
des milliers de familles à la rue. Pour ce faire, il faudrait, auparavant, que
l’Etat s’attelle à tenir une véritable politique de logement et dans ce domaine
la solution est connue de tous : il faut construire (et non pas faire
construire en permettant à des officines privées, ou mise sous la coupe réglée
de quelques potentats locaux, de s’adjuger de nouvelles rentes et de contrôler
le marché) et donc … dépenser plus ! Quant aux dispositifs de formation
professionnelle, encore faudrait-il s’attaquer à ceux qui les tiennent :
les partenaires sociaux (c’est-à-dire les syndicats mais aussi les
organisations patronales). Or, ceux-ci les exploitent telle, là aussi, une
véritable rente de situation. En s’abstenant de les nommer, M. Gouard signale
bien d’avance qu’il n’osera pas s’y attaquer de front. Il signe son échec. L’UMP
ne fera rien, comme elle n’a rien fait pendant les 17 années précitées où elle
a été aux responsabilités.
-
En réduisant « les effectifs de la fonction publique ».
Idée ici lumineuse de M. Gouard : faire passer les fonctionnaires aux 39
heures ! Notre cher député-maire semble donc ignorer que c’est déjà le cas
pour une part non négligeable de la fonction publique (notamment dans les
hôpitaux, l’armée, la police, la gendarmerie et, j’oserai même, à rebours de la
bien-pensance érigée en propagande, pour nombre d’enseignants qui ne comptent
pas leurs heures pour préparer leurs cours et s’occuper des élèves en
difficultés). Escompte-t-il les faire passer aux 43 heures (et pourquoi pas 45
tant qu’on y est !), sans oublier que depuis maintenant 4 ans (et à priori
au moins jusqu’en 2017), sous l’effet combiné des politiques de son parti et de
son compère PS, la rémunération des fonctionnaires a été gelée[vi]
? Par la suite, M. Gouard nous profère un joli mensonge (au moins par
méconnaissance du sujet, ce qui n’en est pas moins grave pour un élu
national) : grâce à sa fabuleuse réforme nous aurions encore presque 2
fois plus de fonctionnaires que l’Allemagne (ah la si vertueuse Allemagne que
l’on omet pourtant de citer plus haut …). Ce qui est absolument faux. Encore
une fois, ce ne sont pas les mêmes périmètres qui sont comparés. Si l’on prend
en compte les puissants Lander allemands (ce que ne fait probablement pas M.
Gouard, qui, par contre, prend bien en compte les agents de nos propres
collectivités), notre voisin d’outre-Rhin compte 4,9 millions d’agents publics
(contre 5,2 millions en France, lire ici). Remarquons de plus que
M. Gouard évalue une économie de 30 milliards d’euros en supprimant
600 000 postes de fonctionnaires. Soit un revenu but moyen par poste de
fonctionnaire supprimé de 50 000 euros annuel (4166 euros mensuel). Il va
falloir les trouver ces 600 000 postes avec un tel niveau de revenu !
Il y a donc fort à parier que ces « économies » escomptées sont,
comme presque toujours, très largement surévaluées.
-
En réorganisant « la sécurité sociale et la dépense de santé ».
On retrouve là toujours les mêmes antiennes : lutter contre la fraude
(estimée à 20 milliards, sans préciser que l’immense majorité de cette fraude
provient non pas de particuliers mais d’entreprises – pas un mot par contre sur
la fraude et l’évasion fiscales), la retraite à 65 ans (ce qui est déjà le cas
pour la plus grande partie de la population depuis la réforme initiée par
Nicolas Sarkozy et prolongée par M. Hollande), la suppression de l’aide
médicale d’Etat (sans se poser la question des conséquences sanitaires
désastreuses que pourrait à avoir cette mesure, y compris pour la population
qui ne serait pas directement concernée mais soumise par la suite à de bien
plus forts risques de pandémies – on se passera de commentaires sur le côté
humain et humaniste de la chose : les petits comptables n’ont pas ce genre
de préoccupations) et enfin, cerise sur le gâteau, une nouvelle carte
hospitalière (alors que les hôpitaux sont d’ores et déjà soumis à de très
fortes tensions et ont dû ces dernières années fermer de très nombreux services
en générant de véritables déserts médicaux). Pas un mot par contre sur le coût
exorbitant de la privatisation progressive des domaines de la santé (de la
privatisation de pans entiers à l’intérieur même des hôpitaux[vii]
à l’essor débridé des assurances santé privées, encouragé en cela par MM
Hollande et Sarkozy à qui Axa & Cies peuvent dire un grand merci[viii]).
L’ensemble est donc d’un conformisme néolibéral
affligeant. Après plus de 30 ans d’échec, l’UMP continue donc à se diluer dans
les lieux communs de la pensée néolibérale. 30 ans de dérégulations
financières, de privatisations, de libre-échangisme à tous crins. Et leurs
corolaires : accumulation de rentes indues et capitalisme de connivence.
Et l’UMP, comme le PS, est incapable d’en tirer les leçons. Le PS et l’UMP
fonctionnent exactement comme la nomenklatura du politburo à la veille de la
chute finale de l’Union soviétique : si le marxisme-léninisme ne porte pas
ses fruits, c’est que l’on n’est pas allé assez loin dans le
marxisme-léninisme. Il en est de même aujourd’hui avec le néolibéralisme et son
idéologie-mère sur le Vieux continent : l’européisme béat.
En idéologue béat, donc, M. Gouard n’a probablement
jamais entendu parler du multiplicateur de la
dépense publique[ix]. En période de crise –
telle que nous la connaissons – pendant laquelle les acteurs de l’économie
(ménages et entreprises) contractent leurs dépenses, si l’Etat en fait de même
il en accroît les phénomènes dépressifs. Dans le contexte actuel, les
réductions de dépenses publiques seront, à minima (et probablement plus du fait
de l’effet d’entrainement) autant de croissance économique en moins. Cela, même
le dogmatique Fonds monétaire international le reconnaît. Réduire les dépenses
publiques de 100 à 140 milliards d’euros entrainera donc une réduction d’autant
du produit intérieur brut (soit donc à strict minima une chute de l’ordre de 8
à 12% du PIB !), sinon plus. Et avec pour conséquence des rentrées
fiscales moindres. Et donc un accroissement des déficits publics. Et donc une
nouvelle excuse pour une nouvelle saignée austéritaire. Et ainsi de suite tant
que nous aurons ces Diafoirus économiques aux commandes. Dans le strict
registre de la dépense publique, la question n’est pas tant de dépenser moins
mais de dépenser mieux (et il y aurait de quoi faire[x] !).
Mais sur ce point l’UMP est inaudible. Et pour cause : elle n’a rien à
proposer.
Alors, bien évidemment, notre modèle
d’Etat-providence repose sur une croissance relativement importante que nous ne
semblons plus en mesure de tenir. Rien pourtant n’interdit de sortir du modèle
de croissance productiviste et matérialiste que l’on s’échine à maintenir coûte
que coûte, pour le grand bienfait des multinationales et des inégalités et pour
le grand malheur des peuples et de l’écologie. Rien n’interdirait, en effet, de
penser un modèle de développement et de croissance (et non de décroissance,
autre totem vendu aux peuples pour excuser leur désespoir et éponger, en
victime expiatoire, les crimes de leur oligarchie qui, elle, continuera dans
tous les cas à bien vivre) basé sur la culture, l’éducation, la santé,
l’écologie et les productions locales. Mais pour en arriver là, il faudra
mettre à bas tous ces principes érigés en dogmes par l’oligarchie néolibérale.
Car dans le carcan de la compétitivité internationale à tous prix, un tel
modèle ne pourrait faire que long feu. Sa mise en place exigera en effet une
remise en cause complète de toutes les foutaises du marché commun (et
soi-disant libre – libre pour les forts, oppressif pour les faibles), de la
banque centrale indépendante (des citoyens mais pas de la finance globalisée), du
libre-échange, des privatisations et autres litanies ineptes que l’on nous vend
en boucle depuis 30 ans.
Autre élément qu’omettent, bien sciemment M.
Gouard, son parti et son alter-égo dit « de gauche » : il est
une manière simple, hors le défaut généralisé ou partiel, de sortir de la
spirale de la dette. Cette solution a été pratiquée par à peu près tous les
Etats surendettés depuis des siècles : accepter une inflation maîtrisée en
recourant à la monétisation de la dette publique par la banque centrale. Keynes
appelait cela l’euthanasie des rentiers. Les rentiers d’aujourd’hui sont la
finance mondialisée. Et ils ont de bien dociles serviteurs : leurs « amis »
du PS et de l’UMP (et ne vous leurrer pas : le fond de commerce du FN
étant l’opportunisme à tous crins[xi], il aurait
tôt fait, une fois au pouvoir ou en passe d’y accéder, de se trouver de
puissants amis aux conseils d’administration de Goldman Sachs ou de
BNP-Paribas).
[i] Et pas
seulement sur les questions économiques et sociales. Ainsi des relations
internationales : au moins l’atlantisme assumé de Nicolas Sarkozy était-il
compensé par un fort activisme, certes pas toujours à bon escient, qui
permettait à la France de conserver une place et une stature internationales.
Avec François Hollande et Laurent Fabius, suivisme (en Irak, en Ukraine et sur
la question israélo-palestinienne), amateurisme (sur la Syrie) et absence de
cohérence (on combat un jour ceux que l’on soutenait la veille) sont devenus les
principales lignes de fond d’une politique internationale qui décrédibilise la
France, probablement comme jamais depuis la 2e guerre mondiale.
[ii] Les
positions des différents ténors de l’UMP, de Nicolas Sarkozy à François Fillon
en passant par Alain Juppé ou Bruno Lemaire, ne variant que de quelques
minuscules iotas sur le sujet. Ceci confirmant bien que l’UMP, à l’instar du PS
(mais aussi du FN), n’est qu’une machine décérébrée, dont l’absence d’idée n’a
d’égal que le défaut de vision, au service de quelques égos.
[iii] Malgré ses
fameuses réformes Hartz, il y a maintenant 10 ans, le niveau d’endettement
public de la si vertueuse Allemagne est encore de l’ordre de 80% par rapport au
PIB.
[iv] A croire
qu’au sein de l’UMP il y a un challenge à celui qui lancera le plus gros
chiffre à la volée.
[v] Lire Un pas de plus vers le précipice,
Jacques Sapir, russeurope, 20-avr-13.
[vi] De 2002 à
2014, combiné à l’effet de l’inflation, un fonctionnaire, à grade constat, a
donc vu s’éroder son pouvoir d’achat de la bagatelle de 12% ! cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Point_d%27indice_salarial_en_France
[vii] Ainsi
lorsque vous allez consultez un même spécialiste dans le même hôpital ses
honoraires peuvent varier du simple au double (voire au triple) selon qu’un
jour il officie en tant que salarié de l’hôpital et que le lendemain il œuvre
(dans les mêmes locaux et avec le même matériel public !) pour son propre
compte !
[viii] Lire, par
exemple, http://www.les-crises.fr/le-parisien-mutuelles-le-patient-va-souffrir/
[ix] Lire
également Quelques commentaires
sur le rapport du FMI “World Economic Report”, octobre 2012 (II), Jacques
Sapir, Russeurope, 14-oct-12 ; Le FMI et l’aveu de François
Hollande sur la croissance, Jacques Sapir, russeurope, 20-févr-13 ; Le mensonge d’Hollande, Jacques
Sapir, russeurope, 16-juil-14.
[x] Logement,
éducation, recherche, santé, énergies, défense … etc. Autant de dépenses non
seulement utiles mais nécessaires et qui, de plus, auraient à termes une forte
rentabilité pour l’économie du pays et donc pour les finances publiques. Mais à
cela, le PS et l’UMP préfèrent la tiers-mondisation de la France.
[xi] Il suffit
de voir comment il y a encore
moins de 10 ans le programme économique du FN était foncièrement ultralibéral
et libre-échangiste et comment il le demeure encore à certaines échelles
locales lorsqu’il s’agit de convaincre quelques notables du coin. Sur le sujet
lire « On veut
des Polonais et des Marocains ! », Philippe Baqué, Le Monde diplomatique, sept-14.
Fin 14-18, 180% de dettes, d’innombrables destructions matérielles et disparitions d'individus en âge de travailler. La situation actuelle est très éloignée d'une telle catastrophe.
RépondreSupprimerla mentalité des hommes n'était pas la même ... le peuple était travailleur et aimait son pays ??
RépondreSupprimerJe ne suis pas sûr que le peuple français ait tant changé que cela. Quand je vois comment des millions de Français triment dans des boulots pas toujours très valorisants (prenez le RER parisiens en début de soirée vers 21-22h et regardez autour de vous... ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres). Les 35 heures sont un mythe pour beaucoup d'entre eux :
Supprimer- Les cadres, bien sûr ;
- mais aussi nombre de travailleurs indépendants et professions libérales ;
- nombre d'employés qui n'ont pas vraiment le choix, soit par conscience professionnelle soit parce que c'est le seule possibilité pour eux de conserver leur emploi. ça ne concerne par que le privé : cf. les secteurs de la fonction publique évoqués dans cet article ;
- et surtout, à tous ceux qui sont obligés de cumuler plusieurs emplois (souvent des petits boulots) pour s'en sortir. J'ai connu une femme de ménage (éduquant seule ses 4 enfants) qui faisait jusqu'à 60 heures par semaine ...
Par contre, j'ai beaucoup plus de doutes sur le patriotisme et le sens de l'intérêt général de nos dirigeants (et pas seulement politiques) ... Sur le sujet, je conseille vivement la lecture de L'Orque (http://loeildebrutus.over-blog.com/2014/09/l-orque-de-la-meritocratie-a-l-usurpation-du-merite.html ).