mardi 18 novembre 2014

Les délires austéritaires de l’UMP et de Serge Grouard (billet invité)


Billet invité de l’œil de Brutus



Il est dorénavant convenu qu’en termes de politique économique et sociale, M. Hollande s’inscrit dans la lignée de son prédécesseur. Il nous fait du Sarkozy. En pire[i]. Or, dans la perspective d’un retour aux affaires en 2017, que nous propose l’UMP[ii] ? Du Hollande. En pire.

La tribune de Serge Gouard, le député-maire (UMP) d’Orléans, publiée le 27 octobre 2014 sur Figarovox en est une excellente illustration (à lire ici).

On n’ergotera pas des lustres sur le fait que M. Gouard semble ignorer que dettes, dépenses et recettes publiques ne sont pas des « morceaux » du PIB (on ne peut donc parler de dette publique en pourcentage du PIB) mais que le PIB est simplement un point de référence par rapport à ces éléments (on parle donc de pourcentage par rapport au PIB). Pour en savoir plus, on l’invitera à lire ceci. On lui rappellera aussi qu’historiquement les pays développés ont connu des situations bien plus critiques en termes de niveau d’endettement (notamment au sortir de la 2e guerre mondiale) et qu’aucun d’entre eux ne s’en est sorti à coups d’austérité comme il le promeut[iii]. Et aujourd’hui encore des pays comme le Japon (plus de 200% de dette publique par rapport au PIB) connaissent des niveaux faramineux d’endettement sans pour autant être confronté, pour l’instant, à des problèmes de financement de leur Trésor. Mais il faut dire également que le Japon a conservé la maîtrise de sa monnaie et préfère confier sa dette à ses propres ressortissants au lieu de poser sa tête sur le billot des marchés financiers.

Par ailleurs, comparer les niveaux de dépenses publiques (et parallèlement de prélèvements obligatoires) des différents pays en termes de pourcentage par rapport au (et non du …) PIB ne fait également pas grand sens. Cela revient à comparer des choux et des carottes car le périmètre n’est pas le même d’un pays à l’autre. Laurent Pinsolle a su très bien l’expliquer ici.

Passons le côté alarmiste de la tribune : la France, avec près de 200 milliards d’euros de bons du Trésor émis, « sera le deuxième emprunteur mondial en euros ». Oui. Et alors ? Rien d’étonnant à cela puisque la France est aussi la 2e économie de la zone euro ! Et M. Gouard se prive bien de préciser les autres lauréats de son concours : en tête l’Italie (de l’ordre de 240 milliards d’euros de dette émise) et juste derrière la France, la sacro-sainte Allemagne !

Nous serions donc, depuis 30 ans, lancés « dans la spirale infernale du déclin et de l'austérité ». Amère constat pour un membre d’un parti qui, sur ces trois dernières décennies, a occupé le pouvoir pendant 17 ans !

Mais que nous propose M. Gouard ? Rien de moins qu’un nouveau choc austéritaire de 100 à 140 milliards[iv], soit l’équivalent de 8 à 12% par rapport au PIB. Pourquoi ces chiffres ? Tout simplement pour nous porter à 50% de dépenses publiques par rapport (et non du …) du PIB. Pourquoi 50% ? Mystère ! Aucune étude économique ne corrobore un niveau de dépenses publiques à ne pas dépasser. Ceux qui s’y sont essayés, MM. Reinhart et Rogoff en tête, ont brutalement été renvoyés à leurs études par un simple … étudiant, et sont depuis la risée de l’intelligentsia économique[v]. Après celui des 3% de déficit publique et des 60% d’endettement issus des traités européens, nous avons donc un nouveau totem à adorer. Son origine importe peu : adorons, adorons cette nouvelle religion scientiste qui hausse des chiffres au niveau de l’Absolu économiciste !

Et comment donc, toujours selon M. Gouard, arriver à ce niveau de dépenses publiques ?

-       En simplifiant « le fonctionnement et la gouvernance de la sphère publique ». Certes, c’est vertueux en soi. Le problème est qu’hormis un petit milliard espéré en réduisant le nombre de parlementaires et en supprimant le Conseil économique, social et environnemental, M. Gouard fait peser cette économie espérée de l’ordre de 25 milliards d’euros sur les collectivités locales, sans détailler comment ! Les collectivités devront se serrer la ceinture. Ce n’est peut-être pas un mal en soi mais encore faudrait-il préciser comment ce serrage de ceinture (fusion des départements et des régions : oui mais selon quel périmètre ? quelles prérogatives ? quelles délégations ? quel service public ?) permettra de dégager 24 milliards d’économie.

-       En supprimant « des dispositifs aussi inefficaces que coûteux ». Sont principalement visés l’aide au logement et la formation professionnelle qui nécessiteraient une ample réorganisation. Le constat est très probablement judicieux. On attend les propositions de solution. On attend … Car du côté de la tribune de M. Gouard, rien. Certes, force en effet est de constater que ces dispositifs sont tout sauf satisfaisants. Toutefois, on ne pourra pas d’un trait de plume revoir les aides aux logements sans mettre des milliers de familles à la rue. Pour ce faire, il faudrait, auparavant, que l’Etat s’attelle à tenir une véritable politique de logement et dans ce domaine la solution est connue de tous : il faut construire (et non pas faire construire en permettant à des officines privées, ou mise sous la coupe réglée de quelques potentats locaux, de s’adjuger de nouvelles rentes et de contrôler le marché) et donc … dépenser plus ! Quant aux dispositifs de formation professionnelle, encore faudrait-il s’attaquer à ceux qui les tiennent : les partenaires sociaux (c’est-à-dire les syndicats mais aussi les organisations patronales). Or, ceux-ci les exploitent telle, là aussi, une véritable rente de situation. En s’abstenant de les nommer, M. Gouard signale bien d’avance qu’il n’osera pas s’y attaquer de front. Il signe son échec. L’UMP ne fera rien, comme elle n’a rien fait pendant les 17 années précitées où elle a été aux responsabilités.

-       En réduisant « les effectifs de la fonction publique ». Idée ici lumineuse de M. Gouard : faire passer les fonctionnaires aux 39 heures ! Notre cher député-maire semble donc ignorer que c’est déjà le cas pour une part non négligeable de la fonction publique (notamment dans les hôpitaux, l’armée, la police, la gendarmerie et, j’oserai même, à rebours de la bien-pensance érigée en propagande, pour nombre d’enseignants qui ne comptent pas leurs heures pour préparer leurs cours et s’occuper des élèves en difficultés). Escompte-t-il les faire passer aux 43 heures (et pourquoi pas 45 tant qu’on y est !), sans oublier que depuis maintenant 4 ans (et à priori au moins jusqu’en 2017), sous l’effet combiné des politiques de son parti et de son compère PS, la rémunération des fonctionnaires a été gelée[vi] ? Par la suite, M. Gouard nous profère un joli mensonge (au moins par méconnaissance du sujet, ce qui n’en est pas moins grave pour un élu national) : grâce à sa fabuleuse réforme nous aurions encore presque 2 fois plus de fonctionnaires que l’Allemagne (ah la si vertueuse Allemagne que l’on omet pourtant de citer plus haut …). Ce qui est absolument faux. Encore une fois, ce ne sont pas les mêmes périmètres qui sont comparés. Si l’on prend en compte les puissants Lander allemands (ce que ne fait probablement pas M. Gouard, qui, par contre, prend bien en compte les agents de nos propres collectivités), notre voisin d’outre-Rhin compte 4,9 millions d’agents publics (contre 5,2 millions en France, lire ici). Remarquons de plus que M. Gouard évalue une économie de 30 milliards d’euros en supprimant 600 000 postes de fonctionnaires. Soit un revenu but moyen par poste de fonctionnaire supprimé de 50 000 euros annuel (4166 euros mensuel). Il va falloir les trouver ces 600 000 postes avec un tel niveau de revenu ! Il y a donc fort à parier que ces « économies » escomptées sont, comme presque toujours, très largement surévaluées.

-       En réorganisant « la sécurité sociale et la dépense de santé ». On retrouve là toujours les mêmes antiennes : lutter contre la fraude (estimée à 20 milliards, sans préciser que l’immense majorité de cette fraude provient non pas de particuliers mais d’entreprises – pas un mot par contre sur la fraude et l’évasion fiscales), la retraite à 65 ans (ce qui est déjà le cas pour la plus grande partie de la population depuis la réforme initiée par Nicolas Sarkozy et prolongée par M. Hollande), la suppression de l’aide médicale d’Etat (sans se poser la question des conséquences sanitaires désastreuses que pourrait à avoir cette mesure, y compris pour la population qui ne serait pas directement concernée mais soumise par la suite à de bien plus forts risques de pandémies – on se passera de commentaires sur le côté humain et humaniste de la chose : les petits comptables n’ont pas ce genre de préoccupations) et enfin, cerise sur le gâteau, une nouvelle carte hospitalière (alors que les hôpitaux sont d’ores et déjà soumis à de très fortes tensions et ont dû ces dernières années fermer de très nombreux services en générant de véritables déserts médicaux). Pas un mot par contre sur le coût exorbitant de la privatisation progressive des domaines de la santé (de la privatisation de pans entiers à l’intérieur même des hôpitaux[vii] à l’essor débridé des assurances santé privées, encouragé en cela par MM Hollande et Sarkozy à qui Axa & Cies peuvent dire un grand merci[viii]).

L’ensemble est donc d’un conformisme néolibéral affligeant. Après plus de 30 ans d’échec, l’UMP continue donc à se diluer dans les lieux communs de la pensée néolibérale. 30 ans de dérégulations financières, de privatisations, de libre-échangisme à tous crins. Et leurs corolaires : accumulation de rentes indues et capitalisme de connivence. Et l’UMP, comme le PS, est incapable d’en tirer les leçons. Le PS et l’UMP fonctionnent exactement comme la nomenklatura du politburo à la veille de la chute finale de l’Union soviétique : si le marxisme-léninisme ne porte pas ses fruits, c’est que l’on n’est pas allé assez loin dans le marxisme-léninisme. Il en est de même aujourd’hui avec le néolibéralisme et son idéologie-mère sur le Vieux continent : l’européisme béat.

En idéologue béat, donc, M. Gouard n’a probablement jamais entendu parler du multiplicateur de la dépense publique[ix]. En période de crise – telle que nous la connaissons – pendant laquelle les acteurs de l’économie (ménages et entreprises) contractent leurs dépenses, si l’Etat en fait de même il en accroît les phénomènes dépressifs. Dans le contexte actuel, les réductions de dépenses publiques seront, à minima (et probablement plus du fait de l’effet d’entrainement) autant de croissance économique en moins. Cela, même le dogmatique Fonds monétaire international le reconnaît. Réduire les dépenses publiques de 100 à 140 milliards d’euros entrainera donc une réduction d’autant du produit intérieur brut (soit donc à strict minima une chute de l’ordre de 8 à 12% du PIB !), sinon plus. Et avec pour conséquence des rentrées fiscales moindres. Et donc un accroissement des déficits publics. Et donc une nouvelle excuse pour une nouvelle saignée austéritaire. Et ainsi de suite tant que nous aurons ces Diafoirus économiques aux commandes. Dans le strict registre de la dépense publique, la question n’est pas tant de dépenser moins mais de dépenser mieux (et il y aurait de quoi faire[x] !). Mais sur ce point l’UMP est inaudible. Et pour cause : elle n’a rien à proposer.

Alors, bien évidemment, notre modèle d’Etat-providence repose sur une croissance relativement importante que nous ne semblons plus en mesure de tenir. Rien pourtant n’interdit de sortir du modèle de croissance productiviste et matérialiste que l’on s’échine à maintenir coûte que coûte, pour le grand bienfait des multinationales et des inégalités et pour le grand malheur des peuples et de l’écologie. Rien n’interdirait, en effet, de penser un modèle de développement et de croissance (et non de décroissance, autre totem vendu aux peuples pour excuser leur désespoir et éponger, en victime expiatoire, les crimes de leur oligarchie qui, elle, continuera dans tous les cas à bien vivre) basé sur la culture, l’éducation, la santé, l’écologie et les productions locales. Mais pour en arriver là, il faudra mettre à bas tous ces principes érigés en dogmes par l’oligarchie néolibérale. Car dans le carcan de la compétitivité internationale à tous prix, un tel modèle ne pourrait faire que long feu. Sa mise en place exigera en effet une remise en cause complète de toutes les foutaises du marché commun (et soi-disant libre – libre pour les forts, oppressif pour les faibles), de la banque centrale indépendante (des citoyens mais pas de la finance globalisée), du libre-échange, des privatisations et autres litanies ineptes que l’on nous vend en boucle depuis 30 ans.

Autre élément qu’omettent, bien sciemment M. Gouard, son parti et son alter-égo dit « de gauche » : il est une manière simple, hors le défaut généralisé ou partiel, de sortir de la spirale de la dette. Cette solution a été pratiquée par à peu près tous les Etats surendettés depuis des siècles : accepter une inflation maîtrisée en recourant à la monétisation de la dette publique par la banque centrale. Keynes appelait cela l’euthanasie des rentiers. Les rentiers d’aujourd’hui sont la finance mondialisée. Et ils ont de bien dociles serviteurs : leurs « amis » du PS et de l’UMP (et ne vous leurrer pas : le fond de commerce du FN étant l’opportunisme à tous crins[xi], il aurait tôt fait, une fois au pouvoir ou en passe d’y accéder, de se trouver de puissants amis aux conseils d’administration de Goldman Sachs ou de BNP-Paribas).



[i] Et pas seulement sur les questions économiques et sociales. Ainsi des relations internationales : au moins l’atlantisme assumé de Nicolas Sarkozy était-il compensé par un fort activisme, certes pas toujours à bon escient, qui permettait à la France de conserver une place et une stature internationales. Avec François Hollande et Laurent Fabius, suivisme (en Irak, en Ukraine et sur la question israélo-palestinienne), amateurisme (sur la Syrie) et absence de cohérence (on combat un jour ceux que l’on soutenait la veille) sont devenus les principales lignes de fond d’une politique internationale qui décrédibilise la France, probablement comme jamais depuis la 2e guerre mondiale.
[ii] Les positions des différents ténors de l’UMP, de Nicolas Sarkozy à François Fillon en passant par Alain Juppé ou Bruno Lemaire, ne variant que de quelques minuscules iotas sur le sujet. Ceci confirmant bien que l’UMP, à l’instar du PS (mais aussi du FN), n’est qu’une machine décérébrée, dont l’absence d’idée n’a d’égal que le défaut de vision, au service de quelques égos.
[iii] Malgré ses fameuses réformes Hartz, il y a maintenant 10 ans, le niveau d’endettement public de la si vertueuse Allemagne est encore de l’ordre de 80% par rapport au PIB.
[iv] A croire qu’au sein de l’UMP il y a un challenge à celui qui lancera le plus gros chiffre à la volée.
[v] Lire Un pas de plus vers le précipice, Jacques Sapir, russeurope, 20-avr-13.
[vi] De 2002 à 2014, combiné à l’effet de l’inflation, un fonctionnaire, à grade constat, a donc vu s’éroder son pouvoir d’achat de la bagatelle de 12% ! cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Point_d%27indice_salarial_en_France
[vii] Ainsi lorsque vous allez consultez un même spécialiste dans le même hôpital ses honoraires peuvent varier du simple au double (voire au triple) selon qu’un jour il officie en tant que salarié de l’hôpital et que le lendemain il œuvre (dans les mêmes locaux et avec le même matériel public !) pour son propre compte !
[ix] Lire également Quelques commentaires sur le rapport du FMI “World Economic Report”, octobre 2012 (II), Jacques Sapir, Russeurope, 14-oct-12 ; Le FMI et l’aveu de François Hollande sur la croissance, Jacques Sapir, russeurope, 20-févr-13 ;  Le mensonge d’Hollande, Jacques Sapir, russeurope, 16-juil-14.
[x] Logement, éducation, recherche, santé, énergies, défense … etc. Autant de dépenses non seulement utiles mais nécessaires et qui, de plus, auraient à termes une forte rentabilité pour l’économie du pays et donc pour les finances publiques. Mais à cela, le PS et l’UMP préfèrent la tiers-mondisation de la France.
[xi] Il suffit de voir comment il  y a encore moins de 10 ans le programme économique du FN était foncièrement ultralibéral et libre-échangiste et comment il le demeure encore à certaines échelles locales lorsqu’il s’agit de convaincre quelques notables du coin. Sur le sujet lire « On veut des Polonais et des Marocains ! », Philippe Baqué, Le Monde diplomatique, sept-14. 

3 commentaires:

  1. Fin 14-18, 180% de dettes, d’innombrables destructions matérielles et disparitions d'individus en âge de travailler. La situation actuelle est très éloignée d'une telle catastrophe.

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  2. la mentalité des hommes n'était pas la même ... le peuple était travailleur et aimait son pays ??

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    1. Je ne suis pas sûr que le peuple français ait tant changé que cela. Quand je vois comment des millions de Français triment dans des boulots pas toujours très valorisants (prenez le RER parisiens en début de soirée vers 21-22h et regardez autour de vous... ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres). Les 35 heures sont un mythe pour beaucoup d'entre eux :
      - Les cadres, bien sûr ;
      - mais aussi nombre de travailleurs indépendants et professions libérales ;
      - nombre d'employés qui n'ont pas vraiment le choix, soit par conscience professionnelle soit parce que c'est le seule possibilité pour eux de conserver leur emploi. ça ne concerne par que le privé : cf. les secteurs de la fonction publique évoqués dans cet article ;
      - et surtout, à tous ceux qui sont obligés de cumuler plusieurs emplois (souvent des petits boulots) pour s'en sortir. J'ai connu une femme de ménage (éduquant seule ses 4 enfants) qui faisait jusqu'à 60 heures par semaine ...

      Par contre, j'ai beaucoup plus de doutes sur le patriotisme et le sens de l'intérêt général de nos dirigeants (et pas seulement politiques) ... Sur le sujet, je conseille vivement la lecture de L'Orque (http://loeildebrutus.over-blog.com/2014/09/l-orque-de-la-meritocratie-a-l-usurpation-du-merite.html ).

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