Vendredi, Voici a publié un cliché du président de la République
avec sa compagne à l’Elysée. Un nouvel épisode dans l’effarante
peoplisation de notre vie politique qui amène à se poser des questions sur le
très malsain laisser-faire qui règne au sujet de la violation de la vie privée.
Politique
ou people ?
Même s’il
n’en a pas été l’initiateur, certains dérapages ayant commencé il y a plusieurs
décennies, il faut
bien admettre que Nicolas Sarkozy a sans doute accéléré cette détestable
tendance, lui qui se comportait trop souvent comme le gagnant de la star
académie politique nationale. On se souvient de sa déclaration en pleine
conférence de presse concernant sa vie privée. Mais cette détérioration s’est
confirmée, pour ne pas dire amplifiée encore avec l’arrivée de François
Hollande, qui, s’il n’a sans doute pas mis autant en scène sa vie privée que
celui qu’il a battu en 2012, pâtit
des aléas de sa vie privée, étalés sur la place publique depuis le début
d’année, et
qu’il n’a pas toujours très bien gérée.
Bien sûr, on
pourrait dire que le président ne fait que récolter ce qu’il a semé. Sur
Europe 1, la rédactrice en chef de Voici a soutenu que les Français
auraient le droit de savoir. Mais où mettre la limite ? Comment la
fixer ? S’il faut s’en remettre à la déontologie des équipes de Voici, nous sommes mal partis car
celle-ci semble uniquement fonction des courbes de ventes et des profits
réalisés grâce aux scoops, probablement largement supérieurs au coût des
différents procès. La transparence n’est que le cache sexe de la quête de
profit et il est difficile de ne pas voir le risque orwellien de cette
dictature de la transparence, ainsi que la perturbation délétère qu’elle
provoque dans notre vie politique.
Que
faire ?
Voilà
pourquoi il faut absolument revoir la législation actuelle sur la protection de
la vie privée. Quel monde construisons-nous que ce monde où la vie privée peut
être violée à tout moment, que ce soit pour faire du profit, nuire, ou même par
simple désinvolture ? Nous devons remettre des limites pour éviter que ne
règne la loi de la jungle. Le premier exemple à donner consiste à sanctionner
lourdement les média qui gagnent leur vie en violant celle des personnes qu’ils
mettent sur leur couverture. Si les sanctions sont beaucoup plus lourdes que
cela leur rapporte, alors, des
affaires comme celle de la une de Voici
de cette semaine ne seront alors qu’un lointain mauvais souvenir, ce qui ne
serait pas un mal.
Le plus
effarant est que les unes de plus en plus fréquentes de la presse people sur la
classe politique ne créént pas plus de débat. Le laisser faire règne ici aussi,
alors qu’il représente, outre une violence pour les personnes dont la vie
publique est ainsi déballée, une distraction inquiétante pour ceux qui nous
gouvernent.
Ca dépasse le simple cadre politique. Le marché aime ce qui se vend. Rien ne se vend mieux que le divertissement et l'oubli. C'est à cela que servent les écrans. Rien n'est pire pour le marché que la pensée critique. Il faut dé-penser de sorte que d'autres puissent encaisser, et que tout soit oublié : la démocratie, le pouvoir, la répartition des richesses... tout cela ne doit plus faire débat. Cette peoplisation des politiques ne me semble être qu'une conséquence d'un mouvement bien plus inquiétant qui porte en lui la mort du sens critique. Le règne de la "pensée" technicienne, prenant le pas sur la culture générale, est un autre signe de ce qu'il faut bien appeler un processus de "décivilisation". Quelque chose d'autre, de bien plus grave, a lieu ; quelque chose de l'ordre de la néantisation de l'esprit. C'est la grande victoire de la marchandise et du capitalisme mondialisé sur tout le reste. C'est l'ère du "bof", de la renonciation à toute tentative de s'élever au-dessus de soi-même. Bof à l'infini, le regard figé sur le bout de ses baskets à 180€. Burgers, frites, coca, ciné, télé, chips et séries. Le marché veut faire de nous des ventres, et il y arrive. La peopolisation de la politique n'est qu'une des conséquences de cette idéologie du divertissement obligatoire chargée d'éteindre tout questionnement. Si tu veux que John et Ronda restent dans l'émission tape 1 sur ta télécommande. Autrefois (stoïciens, chrétiens, Vedas...) le "lâcher prise" s'entendait d'un cheminement intérieur ; aujourd'hui, on parle de "se lâcher", ce qui signifie jouir sans entrave. Ce qui entrave aujourd'hui, c'est l'esprit, et le marché n'aime pas ça. Le marché souhaite que nous lâchions l'esprit afin d'être des ventres, ce qui permet de faire des affaires en toute tranquilité.
RépondreSupprimerS'ils avaient une véritable alternative politique à proposer ils n’essaieraient pas de nous distraire avec leurs affaires privées.
RépondreSupprimerIvan
"Le laisser-faire qui règne au sujet de la violation de la vie privée".
RépondreSupprimerMais s'il n'y avait que là que régnait le laissez-faire ! Le problème est bien plus grave que cela : laissez-faire dans les finances, l'économie, le sociétal ... Et si on parlait des vrais problèmes d'aujourd'hui ? Le gouvernement français se prépare à proposer, "pour soutenir la croissance, un assouplissement des 35 heures et un gel des salaires pour une durée de trois ans." Il s'agit bien d'une contre-révolution conservatrice.
Demos