Billet invité de l’œil de Brutus.
Notes de lectures de Dany-Robert Dufour, Le Divin marché, Denoël
2007.
Introduction
Le système néolibéral fait déjà
l'objet de nombreuses critiques, mais elles sont toutes fragmentées selon
l'origine de leurs auteurs : économistes, sociologues, historiens,
politologues, théoriciens de l'art, psychanalystes, etc. Or, ces critiques fragmentées
ne permettent d'avoir une vision globale des profonds changements qu'opère non
pas le néolibéralisme comme approche économique et sociale, mais le
postmodernisme en tant que son prolongement affectant l'ensemble des domaines
de la société humaine. C'est donc pour cela qu'il faut avoir recours à la
philosophie (page 16).
Ainsi, comme le constatait déjà
Pierre Bergounioux, le postmodernisme aboutit à une terrible déconstruction de
l'homme : « Conditionnés de la plante des pieds à la pointe des
cheveux par des multinationales de la bouffe et des fringues, de la musique en
boîte et de l'électronique, vecteurs de logos, de stigmates corporels, acquis
au langage cynique, ordurier du sous-prolétariat intellectuel que les groupes
financiers ont placé aux créneaux des médias, les innocents d'aujourd'hui
construisent une identité autre, aliénée, à peu près entièrement réifiée »
(page 19). En régime postmoderniste, Dieu n'a pas vraiment disparu, il a été
remplacé par le Divin Marché qui nous dit simplement : « jouissez ! »
(page 20). Dany-Robert Dufour (DDR) se propose donc ici d'en édifier les 10
commandements (page 21).
1er
commandement – Le rapport à soi : tu te laisseras conduire par
l’égoïsme
La famille est une victime
majeure de cette idéologie : l'individualisation, la privatisation et la
pluralisation ont été hautement destructeur pour la cellule sociale élémentaire
(page 33). L'égalité est devenue égalitarisme et les individus postmodernes
prétendent à l'égalité en toutes circonstances, y compris lorsque les
différences relèvent de conséquences naturelles comme celles qui s'imposent
entre hommes et femmes, pères et mères, parents et enfants. En pratique,
« la famille devient un simple groupement fonctionnel d'intérêts
économico-affectifs : chacun peut vaquer à ses occupations propres, sans
qu'il s'ensuive des droits et des devoirs spécifiques pour personne »
(page 34). La télévision accroît le phénomène de déconstruction de la famille
en tant que structure sociale traditionnelle : pour la satisfaction de
chaque membre du foyer, chacun dispose de se propre télévision ce qui entraîne
la disparition de toute discussion et de tout débat, ne serait-ce que sur le choix
du programme (page 36). Toutefois, la télévision en vient à fournir une famille
de substitution : tous ceux qui la regardent deviennent une grande famille
virtuelle de substitution (pages 40-44). Et cette nouvelle famille est d'autant
plus agréable qu'elle nous enlève les pénibles contraintes de l'autre, mais ce
n'est que pour nous soumettre à une autre autorité beaucoup plus
sournoises : « nous avons perdu les rapports d'autorité
insupportables de la famille réelle de naguère pour nous soumettre aux rapports
marchands purs et durs » (page 45). La généralisation de la télévision
dans tous les rapports de vie à en outre fait céder une barrière : celle
qui séparait l'économie des biens matériels de l'économie des biens spirituels,
ces derniers se trouvant eux-aussi de plus en plus soumis à la loi du Marché
(pages 42-43). C'est cette marchandisation à outrance qui fait que, comme
l'affirme Bernard Stiegler, nous
ne vivons pas dans une société d'individus libres et autonomes mais dans un
troupeau : « dire que nous vivons dans une société individualiste
est un mensonge patent, un leurre
extraordinairement faux (…). Nous vivons dans une société-troupeau »
(page 47) dont le leitmotiv est « Ne pensez pas, dépensez ! »
(page 48) et la passion démocratique pour l'égalité conduit bien à être tous
égaux, mais dans le troupeau (page 49).
Alors que l'égoïsme narcissique tend à enfermer l'individu dans une
terrible solitude à laquelle il remédie en s'enfermant dans le troupeau consumériste
accroché aux shows télévisés dans lequel il se trouve une nouvelle famille à
laquelle il peut « librement » s'identifier. Toutefois, « une
fois dans le troupeau « l'animal grégaire » souhaite toujours
exprimer son avis ». C'est pour cela que les communicateurs flattent
ses instincts, son égotisme et ses désirs (page 50). On se trouve alors dans
une paradoxale situation d' « égoïsme grégaire » (page
52). Ce phénomène contamine tous les secteurs de la Cité, jusqu'à la
peoplisation du politique, les élus venant s'afficher dans les émissions people
des Drucker, Fogiel et autres Ardisson. Le sociologue Michel Wieviorka a
également mis en exergue comment la candidature de Ségolène Royal à la
présidentielle de 2007 était un montage médiatique de toute pièce, peut-être
même plus ou moins orchestré par le camp de Nicolas Sarkozy (proche de nombreux
organes de presse) qui y voyait un adversaire facile à vaincre (position
incertaine dans l'appareil socialiste, impréparée, piètre oratrice, maladresses
à répétition). En effet, alors qu'elle est très peu connue du grand public,
Ségolène Royal est lancée par les médias people (Voici, VSD, closer) par une
série de photos en maillot de bain à l'été 2006. Puis un sondage sorti de nulle
part la positionne comme principale challenger de Nicolas Sarkozy et la presse
grand public n'a plus qu'à suivre le train (pages 53-54). Cela démontre comment
alors il est aisé de conduire, en sous-main, le troupeau là où on le veut, ainsi que le montre Edward
Bernays : « La manipulation consciente et intelligente des
habitudes et des avis des masses est un élément important de la société
démocratique. Ceux qui manœuvrent ce mécanisme caché de la société constituent
un gouvernement invisible qui est la vraie puissance régnante du pays. Nous
sommes régis, nos esprits sont moulés, notre goût formé, nos idées suggérées,
en grande partie par les hommes dont nos nous n'avons jamais entendu parler.
C'est un résultat logique de la manière de laquelle notre société démocratique
est organisée. » (page 56). Il ne s'agit pas pour autant de tomber
dans une paranoïa complotiste, en particulier contre les patrons des industries
culturelles, ceux-ci étant d'ailleurs tout autant pris par cette logique du
troupeau (et ne s'entendant pas forcément entre eux pour organiser cette
emprise) (page 56).
Mais cette insertion dans le
troupeau peut également entraîner une dramatique perte d'estime de soi qui peut
conduire, selon Bernard Stiegler, à des actes aussi désespérés que la tuerie de
Nanterre par Richard Durn (page 57). Ainsi, la modalité de la construction de
soi par les autres au sein de cette nouvelle « famille » ne vaut plus
que par la célébrité. Et même cette célébrité
s’en trouve déformée : les candidats des reality shows ne peuvent réussir que si le public peut s’identifier
à eux, singulier retour de la conformité de masse, tandis que par le passé
c’était l’élément singulier d’une personne, son trait distinctif par rapport
aux autres, qui pouvait faire sa célébrité (page 59). « Désormais, je suis célèbre lorsque je
réponds au plus vite et au mieux à ce que les autres veulent de moi »
(page 60).
A suivre le 2e commandement : Le rapport à l’autre
- tu utiliseras l’autre comme un moyen pour parvenir à tes fins.
Malheureusement je me demande si ce genre d'ouvrage est réellement pertinent. De nombreuses voix en effet (par exemple Madelin à plusieurs reprises sur BFMbusiness, ou Charles Gave), considérées habituellement comme "libérales", considèrent que nous ne sommes plus en régime capitaliste, mais dans une sorte d'URSS, où les planificateurs du GOSPLAN sont remplacés par les grandes banques centrales. Les principales sources de "profit" aujourd'hui proviennent de l'utilisation des liquidités prodiguées par ces BC dans des opérations spéculatives n'ayant plus rien à voir avec la production ou la consommation des quelques biens que ce soient. Dans un tel système il est complètement indifférent que la psychologie des foules soit telle ou telle, puisque tout se passe en dehors d'elles. Enfin, tant que le pouvoir réel leur échappe.
RépondreSupprimerEn fait, MM Madelin et Gave partagent effectivement le même constat d'échec du système actuel. Mais :
Supprimer1/ Leur approche est uniquement économique, quelque part ce sont, pour reprendre une expression de Jean-Pierre Chevènement des "économiscites".
2/ si je suis d'accord avec leur constat, je ne partage nullement les solutions qu'ils proposent. Ce qu'ils n'ont pas compris c'est que le libéralisme pur et parfait auquel ils aspirent non seulement n'existe pas mais dégénère rapidement en une situation d'accaparement du système par quelques uns (ce que nous connaissons aujourd'hui). La dérégulation a tous crans et la mis sous tutelle d'à peu près tout par des "autorités indépendantes" ne génèrent pas l' "ordre spontané", bien au contraire (sur ce point, comme le souligne Dany-Robert Dufour, on est dans le registre de la croyance, absolument pas dans une quelconque approche scientifique et/ou rationaliste). Or, ce que proposent MM Gave et Madelin, c'est justement encore plus de libéralisme. Ils sont dans la même impasse intellectuelle que le politburo de l'Union soviétique à la veille de la chute du Mur qui pensait que si le marxisme-léninisme ne fonctionnait pas, c'est qu'on était pas allé assez loin dans le marxisme-léninisme ...
Ces gens-là, Messieurs Madelin et Gave, ne représentent qu'eux-mêmes tant ce qu'ils disent est caricatural et que le libéralisme est une auberge espagnole où l'on trouve tout et son contraire. C'est une pensée née au 18è siècle qui n'est pas en mesure de prendre en charge la complexité du monde contemporain, ne propose pas de réponses pertinentes. De ce fait ils ont une vision du monde étriquée qui ne correspond à la réalité en effet ils ne peuvent pas voir que nous sommes dans un régime libéral-capitaliste parce qu'il ne correspond pas exactement à leurs analyses. Ce qui compte en ce moment c'est la rentabilité du Capital maximale au détriment de toute autre considération et les Banques centrales y contribuent. Pour les suivre il faudrait mettre en faillite toutes les banques mal gérées quelles que soient les conséquences. De plus ce qui compte c'est la capital FINANCIER qui est devenu totalement autonome, indépendant de toute autre considération de sa rentabilité maximale à court terme, peu importe les conséquences, en effet les Politiques se sont soumis et n'en sont plus que leurs mandataires assurés qu'ils sont que l'Etat, cet Etat qu'ils maudissent par ailleurs viendra à leur secours pour réparer leurs errements aux frais du contribuables. A cet égard la dette publique est "pain béni" pour eux.
SupprimerIl y a une impasse dans le billet invité :
RépondreSupprimerBravo pour l'allusion à la fumeuse "théorie du genre"... personne ne remet en question les vraies différences biologiques entre les hommes et les femmes...
A l'inverse, certains prennent les différences SOCIALES pour des différences naturelles.
Dommage que le raisonnement de l'auteur soit entaché par cette ineptie...
En quoi serait-ce une ineptie ?
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