Billet invité de l’œil de Brutus
Suite des recensions
sur l’ouvrage de Dany-Robert Dufour, Le Divin Marché (Denoël 2007)
Lire également
Le
2e commandement (Le
rapport à l’autre, tu utiliseras l’autre comme un moyen pour parvenir à tes
fins).
Depuis la Renaissance, les hommes
ont progressivement exclu Dieu d’à peu près tous les champs sociaux :
Machiavel l’a sorti de la politique, Newton de la physique, Kant de la
métaphysique, Darwin de la question de l’apparition de l’homme, Freud de nos
rêves et de nos passions et Nietzsche d’a peu près tout (pages 108-109). Or, à
l’inverse, on peut constater que plus l’homme sort de la religion, plus il a
besoin de Dieu (page 109) ! C’est qu’en fait Dieu n’a pas cessé
d’exister : « Dieu existe au
moins dans la tête des hommes » (page 110). Nietzsche ne disait
d’ailleurs rien de moins : « Dieu
est mort ; mais à la façon dont sont faits les hommes, il y aura peut-être
encore pendant des milliers d’années des cavernes où l’on montrera son ombre.
Et nous, il nous faudra encore vaincre son ombre ! » (page 110).
L’homme, pour compléter son
incomplétude, aurait ainsi un besoin vital de référence à un Absolu qui le
dépasse (et le complète !) : Totem, Nature, Cosmos, Esprits, Dieu
unique, Peuple, Race, Prolétariat, etc. (page 118-119). L’athéisme parfait est
donc un leurre : « il leur
arrive même de croire qu’ils sont de parfaits athées parce qu’ils ont tué le
dieu précédent, mais c’est simplement qu’ils ne savent pas encore qu’ils
viennent d’en installer un nouveau qu’ils se préparent à adorer. »
(page 118). L’homme ne se révolte contre un dieu que pour mieux venir se
prosterner devant un autre dieu qui prend sa place. Max Weber faisait ainsi de
l’histoire humaine une « guerre des
dieux ». « L’homme veut du
maître – ne serait-ce que pour s’en plaindre » (page 119). Freud
appelait ainsi hystérie cette tendance à vouloir d’un maître pour s’en
plaindre. L’histoire (ou même « l’hystoire » selon le néologisme de
Lacan) ne consisterait qu’à vouloir en changer (page 119). Ce n’est pas
vraiment « le roi est mort, vive le roi ! » mais « Dieu est mort, vive dieu ! »
(page 120).
Pour revenir aux réflexions sur
le Marché, Adam Smith, qui fut aussi
théologien, n’a fait que créer une nouvelle religion (page 123). « Le Marché présente en effet les attributs
mêmes de la divinité : il possède l’omnipotence pourvu qu’on le laisse
vraiment jouer et il se présente comme le lieu même de la vérité – on dit même
que le Marché serait la seule vraie réalité dans le monde de fiction des hommes »
(page 125)[i].
Toutefois la religion du Marché pose un problème : elle ne propose pas de
solution à la néoténie en proposant un dieu sans passé, sans avenir, sans Grand
récit[ii].
« Le Marché, ce dieu postmoderne
appliqué à ne pas fournir de l’origine, est pour cette raison même capable de
concentrer sur lui la haine des dieux qui échappent encore à son influence.
Certes, le monde est en voie de globalisation, mais il existe encore de vastes
zones prémodernes. Entre ces deux zones pré- et postmodernes, c’est à une
nouvelle guerre de religions que nous assistons. Les religions prémodernes
savent bien que si elles ne réussissent pas à détruire par tous les moyens
possibles le Marché, c’est le Marché qui les détruira. On assiste donc à une
radicalisation des religions prémodernes au titre desquelles il faut notamment
compter ces pans de l’Islam prêts à en découdre avec le Marché et ses
incarnations (la société occidentale, les multinationales, etc.) (page 132).
Nous ne sommes donc plus sans Dieu, mais avec « un peu trop de dieux se livrant à des
guerres épouvantables » (page 133). Certains parviennent d’ailleurs à
un formidable recyclage : le marxisme-léninisme chinois, par exemple, se
muant en « market-léninisme ».
Néanmoins, le Marché ne peut qu’échouer car il laisse l’homme sans réponse face
au questionnement essentiel et primordial de son origine (page 133). Aussi
s’emploie-t-il à fournir des ersatz comme avec le New Age bouddhiste, le
néoévangélisme, certains intégrismes ou fondamentalismes apparaissant hors de
leurs milieux d’origine. Mais ces religions relookées ne servent que de « béquille au Marché » (page 134)
dans une dichotomie simpliste : le Marché pour les choses sérieuses et une
néoreligion pour les névrosés qui ne parviennent pas à s’en contenter. Dans
tous les cas, le besoin des hommes pour l’infini et l’Absolu est réduit à la
portion congrue (page 135).
A suivre, le 4e commandement : Le rapport au
transcendental : tu ne fabriqueras pas de Kant-à-soi visant à te soustraire à
la mise en troupeau.
Intéressant, même si on ne peut pas s'empêcher, comme le veut la mode, de s'en prendre aux religions : « la religion n’est pas seulement une maladie infantile, mais surtout une maladie constitutive de l’homme ».
RépondreSupprimerll suffirait pourtant de remplacer le mot "religion" par le mot "idolâtrie" pour se rendre compte que Dany-Robert Dufour ne fait que reprendre l'analyse judéo-chrétienne déjà développée dans la Bible.
Le fait même de voir les religions comme "infantiles" dénote ce qu'on a toujours connu sous le terme "d'esprit fort", c'est-à-dire de personnes se mettant elles-mêmes à la place de Dieu pour se permettre de juger les autres comme des inférieurs. Savoir apprécier les sagesses qui ne sont pas la sienne devrait pourtant passer pour une plus grande preuve d'ouverture et d'intelligence que de les mépriser.
Guadet