Billet invité d’Eric Juillot, dont j’ai chroniqué le livre « La déconstruction européenne », qui suit le premier volet, puis le second et le
troisième
L’inconnue allemande
Que veut l’Allemagne ? Que
souhaite-t-elle pour elle et pour ses « partenaires » à l’intérieur
de l’UE et de la zone euro ? Les débats à ce sujet sont dominés par
l’incertitude. De solides arguments peuvent accréditer l’idée d’une Allemagne à
la visée hégémonique, renouant pour la 1ère fois depuis 1945 avec
une volonté de puissance d’autant plus grande qu’elle se cantonne à la sphère
économique et que la cause européiste peut habilement servir à la dissimuler.
Mais il est également possible de voir dans l’Allemagne une puissance qui a
consenti beaucoup d’efforts, accepté des concessions significatives depuis 2010
pour sauver l’euro et secourir les Etats confrontés à de terribles difficultés
financières. Cette idée est parfaitement défendable, mais elle peut être
exploitée par les contempteurs d’une Allemagne hégémonique. Car en s’engageant
financièrement pour l’euro, l’Allemagne s’arroge unilatéralement le droit
d’imposer une politique économique uniforme, d’inspiration allemande, à la
totalité de la zone.
L’Allemagne refuse viscéralement
désormais toute idée d’intégration européenne accrue, notamment sous sa forme
financière. Les contreparties qu’elle est prête à imposer aux autres pays en
échange de son éventuelle solidarité financière sont si destructeur
économiquement et politiquement pour eux qu’ils ne pourraient pas durablement
s’y soumettre.
Avec l’euro, l’Allemagne n’a pas
renoncé à sa monnaie : elle l’a partagée avec ses voisins. Que cette
monnaie leur nuise ou leur profite, c’est à eux de le dire et à eux d’en tirer
les conséquences. Les quelques concessions que l’Allemagne accepte lorsqu’il
s’agit d’innover institutionnellement pour sauver l’euro sont des concessions
de surface grâce auxquelles elle peut en profondeur imposer ses croyances
monétaires à l’extérieur. Car, en effet, l’Allemagne dispose de croyances
monétaires, quand la France par exemple en a si peu qu’elle a abandonné sa
monnaie, et c’est parce que ses croyances
ne sont pas négociables que Berlin est conduit, volontairement ou non, à
germaniser l’euroland. Dans la configuration actuelle, tout concourt à cette
germanisation : la soumission des pays d’Europe du Sud, la démission de la
France et, peut-être donc, la volonté de puissance de l’Allemagne. Quelles que
soient les intentions allemandes, une telle configuration est particulièrement
malsaine car elle place ce pays dans une situation nécessairement hégémonique,
elle le voue à la domination continentale aussi bien économiquement (car l’euro
est pour lui un avantage comparatif d’un genre nouveau) que géopolitiquement.
L’économisme primaire et morbide de la construction européenne aboutit ainsi,
en fin de parcours, à la résurgence du géopolitique dans sa dimension hiérarchisante
et conflictuelle que le projet européen était censé évacuer.
L’Allemagne est de ce point de vue
prise au piège, elle aussi, du processus communautaire, tout comme le sont les
autres pays. Si elle souhaite vraisemblablement dominer économiquement, c’est
sans doute malgré elle qu’elle est entrainée vers la domination géopolitique,
un type de domination qu’elle a toujours viscéralement refusé depuis 1945, au
grand soulagement du continent.
Tout est possible cependant, y
compris le pire, dans le cadre de l’euro. Cette monnaie soumet en effet
l’Allemagne à la tentation de la domination, et il lui est moins facile d’y
résister aujourd’hui qu’il y a soixante ans, puisque des décennies de
participation à la construction européenne lui ont permis de réintégrer le
champ de la normalité politique. Une Allemagne libérée de sa culpabilité historique peut
paradoxalement être tentée par une perspective hégémonique, et ce d’autant plus
facilement que celle-ci s’exercerait au nom de « l’Europe », et
qu’elle serait acceptée par ses partenaires vassalisés.
Une telle situation n’est bonne ni
pour l’Allemagne, ni pour l’Europe, et lorsqu’elle sera mise à jour,
c’est-à-dire lorsque l’européisme qui maintient aujourd’hui les esprits dans la
confusion aura disparu, personne heureusement ne pourra s’en satisfaire, et
l’euro, qui en est la cause, disparaitra, au grand soulagement de tous.
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En tentant d’opérer sa mue politique, l’UE se rend coupable d’une usurpation qui scelle
son échec et la condamne à la disparition, car elle ne dispose pas de la
légitimité intrinsèque qui lui permettrait de se faire accepter. En
conséquence, la contrainte qu’elle impose n’est que domination pure, non
consentie par des peuples dont elle se fait ainsi l’ennemie irréductible.
L’européisme meurt donc sous nos yeux,
en dépit de l’acharnement thérapeutique de ses derniers partisans, peu nombreux
mais omniprésents dans l’espace médiatique, la technostructure et la sphère
politique. Cet acharnement est vain, il ne fait que prolonger son agonie. Il
est en outre préjudiciable puisqu’il autorise cette idéologie mortifère à
rendre un ultime mauvais service aux peuples, en recouvrant et en dissimulant
autant qu’il le peut la résurgence du politique dans sa dimension conflictuelle
entre les Etats européens. Il empêche de saisir ce qui se joue aujourd’hui dans
les relations entre ces Etats, tout comme il sert de paravent honorable à la
dureté de ces relations. Si en surface, les décisions implacables sont prises
au nom de « l’Europe », il est évident qu’elles sont souterrainement
déterminées par ce que les Etats puissants veulent imposer, et par ce que les
moins puissants sont obligés d’accepter du fait de leur soumission par « l’Europe ». Sans l’européisme, qui peut croire que les innombrables
mesures de politique économique qui aliènent et vassalisent tout en prétendant
sauver auraient été mises en œuvre ? Associée à la collégialité des prises
de décision et à leur sophistication technocratique, cette idéologie produit
des effets déresponsabilisants qui rendent acceptable ce qui devrait passer
pour ignoble et scandaleux.
Ce n’est pas, à rebours du fidéisme
européiste, plus mais moins d’Europe qui sortira le continent de l’ornière
économique et qui l’éloignera du péril inhérent à la résurgence inavouée du
politique. Seule en effet la vérité crue du rapport de force entre Etats, sans
faux-semblant et sans propagande irénique, pourra contraindre ces derniers à la
modération, et cela d’autant plus que la disparition de l’Europe communautaire
rendra à nouveau chaque peuple libre et responsable de son destin, avec tout le
respect et toute l’estime que l’exercice responsable de cette liberté recouvrée
par chacun suscitera dans l’esprit de tous. Rien n’est plus propice aujourd’hui
au discours méprisant à propos des « PIGS » que l’idée que les
peuples concernés sont un fardeau pour les autres parce que ceux-ci sont
contraints par le droit et l’économie à les soutenir. Si l’on admet par
ailleurs que ces pays sont appauvris et maintenus artificiellement dans un
système qui les détruit méthodiquement, on perçoit aisément à quel désastre
peut conduire le triomphe de l’idéologie. En se rendant coupable d’une grave
altération de la souveraineté de chaque Etat sans disposer de quoi que ce soit
qui pourrait s’y substituer, l’UE a remplacé la coopération souhaitable entre
ces Etats par une coordination forcée qui débouche sur une situation
d’impuissance collective en lieu et place d’un pouvoir décuplé par l’union.
Sortir de cette impuissance suppose de sortir de l’UE, d’en finir avec la
malédiction et le sortilège de l’européisme, pour renouer avec l’Histoire,
c’est-à-dire avec le sens et la foi dans l’avenir.
Dans l’immédiat, l’euro est une
aberration monétaire et un danger géopolitique, qui divise les peuples au lieu
de les rassembler. Il est à l’origine d’une mécanique funeste qui précipite la
fin du projet européen – ce qu’il n’y a pas lieu de regretter au regard de sa
faible utilité concrète - et qui suscitera à un moment ou un autre la
réactivation d’un nationalisme hideux chez les peuples qu’il aura trop
longuement humilié. Prévenir une telle dérive suppose donc d’en finir au plus
tôt avec lui. Gageons que nos dirigeants sauront bientôt, après des années de
tergiversations, faire preuve de la lucidité historique et du courage politique
que nous en sommes en droit d’attendre d’eux. S’ils laissent l’infernale
machine européenne s’emballer jusqu’à son explosion finale, alors ils auront
failli devant l’Histoire.
La quatrième partie est aussi forte que les trois premières. Elle ne laisse aucune illusion. Mais l'appel au sens des responsabilités de nos politiciens suppose que la "construction européenne" reposait sur un mouvement endogène des européens. Or il y a de bonnes raisons de penser que les Etats-Unis d'Amérique en ont été le véritable promoteur et que l'actuelle "impuissance collective" des européens n'est pas pour leur déplaire. Vouloir sortir du carcan européen revient donc à affronter directement les Etats-Unis. Je ne le vois pas pour tout-de-suite!
RépondreSupprimerGrandiloquent et inutile, ce billet.
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