samedi 14 février 2015

Les conséquences politiques de l’euro 4ème partie (billet invité)

Billet invité d’Eric Juillot, dont j’ai chroniqué le livre « La déconstruction européenne », qui suit le premier volet, puis le second et le troisième



L’inconnue allemande

Que veut l’Allemagne ? Que souhaite-t-elle pour elle et pour ses « partenaires » à l’intérieur de l’UE et de la zone euro ? Les débats à ce sujet sont dominés par l’incertitude. De solides arguments peuvent accréditer l’idée d’une Allemagne à la visée hégémonique, renouant pour la 1ère fois depuis 1945 avec une volonté de puissance d’autant plus grande qu’elle se cantonne à la sphère économique et que la cause européiste peut habilement servir à la dissimuler. Mais il est également possible de voir dans l’Allemagne une puissance qui a consenti beaucoup d’efforts, accepté des concessions significatives depuis 2010 pour sauver l’euro et secourir les Etats confrontés à de terribles difficultés financières. Cette idée est parfaitement défendable, mais elle peut être exploitée par les contempteurs d’une Allemagne hégémonique. Car en s’engageant financièrement pour l’euro, l’Allemagne s’arroge unilatéralement le droit d’imposer une politique économique uniforme, d’inspiration allemande, à la totalité de la zone.

En fait, il est impossible à l’heure actuelle, dans le brouillard des événements, de trancher entre ces deux thèses de l’Allemagne européenne ou de l’Allemagne allemande. Quelques observations s’imposent cependant, au titre, beaucoup plus facile à discerner, de ce que l’Allemagne ne veut pas et ne voudra jamais, quand bien même ses partenaires se soumettraient totalement à ses exigences.

L’Allemagne refuse viscéralement désormais toute idée d’intégration européenne accrue, notamment sous sa forme financière. Les contreparties qu’elle est prête à imposer aux autres pays en échange de son éventuelle solidarité financière sont si destructeur économiquement et politiquement pour eux qu’ils ne pourraient pas durablement s’y soumettre.

Avec l’euro, l’Allemagne n’a pas renoncé à sa monnaie : elle l’a partagée avec ses voisins. Que cette monnaie leur nuise ou leur profite, c’est à eux de le dire et à eux d’en tirer les conséquences. Les quelques concessions que l’Allemagne accepte lorsqu’il s’agit d’innover institutionnellement pour sauver l’euro sont des concessions de surface grâce auxquelles elle peut en profondeur imposer ses croyances monétaires à l’extérieur. Car, en effet, l’Allemagne dispose de croyances monétaires, quand la France par exemple en a si peu qu’elle a abandonné sa monnaie, et c’est parce que ses croyances  ne sont pas négociables que Berlin est conduit, volontairement ou non, à germaniser l’euroland. Dans la configuration actuelle, tout concourt à cette germanisation : la soumission des pays d’Europe du Sud, la démission de la France et, peut-être donc, la volonté de puissance de l’Allemagne. Quelles que soient les intentions allemandes, une telle configuration est particulièrement malsaine car elle place ce pays dans une situation nécessairement hégémonique, elle le voue à la domination continentale aussi bien économiquement (car l’euro est pour lui un avantage comparatif d’un genre nouveau) que géopolitiquement. L’économisme primaire et morbide de la construction européenne aboutit ainsi, en fin de parcours, à la résurgence du géopolitique dans sa dimension hiérarchisante et conflictuelle que le projet européen était censé évacuer.

L’Allemagne est de ce point de vue prise au piège, elle aussi, du processus communautaire, tout comme le sont les autres pays. Si elle souhaite vraisemblablement dominer économiquement, c’est sans doute malgré elle qu’elle est entrainée vers la domination géopolitique, un type de domination qu’elle a toujours viscéralement refusé depuis 1945, au grand soulagement du continent.

Tout est possible cependant, y compris le pire, dans le cadre de l’euro. Cette monnaie soumet en effet l’Allemagne à la tentation de la domination, et il lui est moins facile d’y résister aujourd’hui qu’il y a soixante ans, puisque des décennies de participation à la construction européenne lui ont permis de réintégrer le champ de la normalité politique. Une Allemagne libérée de sa  culpabilité historique peut paradoxalement être tentée par une perspective hégémonique, et ce d’autant plus facilement que celle-ci s’exercerait au nom de « l’Europe », et qu’elle serait acceptée par ses partenaires vassalisés.

Une telle situation n’est bonne ni pour l’Allemagne, ni pour l’Europe, et lorsqu’elle sera mise à jour, c’est-à-dire lorsque l’européisme qui maintient aujourd’hui les esprits dans la confusion aura disparu, personne heureusement ne pourra s’en satisfaire, et l’euro, qui en est la cause, disparaitra, au grand soulagement de tous.


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 En tentant d’opérer sa mue  politique, l’UE se rend coupable d’une usurpation qui scelle son échec et la condamne à la disparition, car elle ne dispose pas de la légitimité intrinsèque qui lui permettrait de se faire accepter. En conséquence, la contrainte qu’elle impose n’est que domination pure, non consentie par des peuples dont elle se fait ainsi l’ennemie irréductible.

L’européisme meurt donc sous nos yeux, en dépit de l’acharnement thérapeutique de ses derniers partisans, peu nombreux mais omniprésents dans l’espace médiatique, la technostructure et la sphère politique. Cet acharnement est vain, il ne fait que prolonger son agonie. Il est en outre préjudiciable puisqu’il autorise cette idéologie mortifère à rendre un ultime mauvais service aux peuples, en recouvrant et en dissimulant autant qu’il le peut la résurgence du politique dans sa dimension conflictuelle entre les Etats européens. Il empêche de saisir ce qui se joue aujourd’hui dans les relations entre ces Etats, tout comme il sert de paravent honorable à la dureté de ces relations. Si en surface, les décisions implacables sont prises au nom de « l’Europe », il est évident qu’elles sont souterrainement déterminées par ce que les Etats puissants veulent imposer, et par ce que les moins puissants sont obligés d’accepter du fait de leur soumission par « l’Europe ». Sans l’européisme,  qui peut croire que les innombrables mesures de politique économique qui aliènent et vassalisent tout en prétendant sauver auraient été mises en œuvre ? Associée à la collégialité des prises de décision et à leur sophistication technocratique, cette idéologie produit des effets déresponsabilisants qui rendent acceptable ce qui devrait passer pour ignoble et scandaleux.

Ce n’est pas, à rebours du fidéisme européiste, plus mais moins d’Europe qui sortira le continent de l’ornière économique et qui l’éloignera du péril inhérent à la résurgence inavouée du politique. Seule en effet la vérité crue du rapport de force entre Etats, sans faux-semblant et sans propagande irénique, pourra contraindre ces derniers à la modération, et cela d’autant plus que la disparition de l’Europe communautaire rendra à nouveau chaque peuple libre et responsable de son destin, avec tout le respect et toute l’estime que l’exercice responsable de cette liberté recouvrée par chacun suscitera dans l’esprit de tous. Rien n’est plus propice aujourd’hui au discours méprisant à propos des « PIGS » que l’idée que les peuples concernés sont un fardeau pour les autres parce que ceux-ci sont contraints par le droit et l’économie à les soutenir. Si l’on admet par ailleurs que ces pays sont appauvris et maintenus artificiellement dans un système qui les détruit méthodiquement, on perçoit aisément à quel désastre peut conduire le triomphe de l’idéologie. En se rendant coupable d’une grave altération de la souveraineté de chaque Etat sans disposer de quoi que ce soit qui pourrait s’y substituer, l’UE a remplacé la coopération souhaitable entre ces Etats par une coordination forcée qui débouche sur une situation d’impuissance collective en lieu et place d’un pouvoir décuplé par l’union. Sortir de cette impuissance suppose de sortir de l’UE, d’en finir avec la malédiction et le sortilège de l’européisme, pour renouer avec l’Histoire, c’est-à-dire avec le sens et la foi dans l’avenir.


Dans l’immédiat, l’euro est une aberration monétaire et un danger géopolitique, qui divise les peuples au lieu de les rassembler. Il est à l’origine d’une mécanique funeste qui précipite la fin du projet européen – ce qu’il n’y a pas lieu de regretter au regard de sa faible utilité concrète - et qui suscitera à un moment ou un autre la réactivation d’un nationalisme hideux chez les peuples qu’il aura trop longuement humilié. Prévenir une telle dérive suppose donc d’en finir au plus tôt avec lui. Gageons que nos dirigeants sauront bientôt, après des années de tergiversations, faire preuve de la lucidité historique et du courage politique que nous en sommes en droit d’attendre d’eux. S’ils laissent l’infernale machine européenne s’emballer jusqu’à son explosion finale, alors ils auront failli devant l’Histoire.

2 commentaires:

  1. La quatrième partie est aussi forte que les trois premières. Elle ne laisse aucune illusion. Mais l'appel au sens des responsabilités de nos politiciens suppose que la "construction européenne" reposait sur un mouvement endogène des européens. Or il y a de bonnes raisons de penser que les Etats-Unis d'Amérique en ont été le véritable promoteur et que l'actuelle "impuissance collective" des européens n'est pas pour leur déplaire. Vouloir sortir du carcan européen revient donc à affronter directement les Etats-Unis. Je ne le vois pas pour tout-de-suite!

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  2. Grandiloquent et inutile, ce billet.

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