Billet invité de l’œil de Brutus
Suite des recensions
sur l’ouvrage de Dany-Robert Dufour, Le Divin Marché (Denoël 2007)
Lire également
Le 2e
commandement (Le rapport à l’autre, tu utiliseras l’autre comme un moyen pour
parvenir à tes fins).
Le 3e
commandement (Le rapport à l’Autre, tu pourras vénérer toutes les idoles de ton
choix, pourvu que tu adores le Dieu suprême, le Marché !)
Le 4e
commandement (Tu ne fabriqueras pas de Kant-à-soi visant à te soustraire à la
mise en troupeau).
Le 5e
commandement (Le rapport au politique, tu combattras tout gouvernement et tu
prôneras la bonne gouvernance)
Le 6e
commandement (Le rapport au savoir : tu offenseras tout maître en position de
t’éduquer).
« On le sait depuis les Grecs : parler, c’est aussi et surtout
« musiquer ». C’est être capable de convertir la passion qu’on subit
en une forme expressive, si possible pour soi et, éventuellement, pour les
autres. » (page 242).
Comme pour tout ce qui génère du
lien social et/ou s’approche de près ou de loin d’une institution, le
postmodernisme s’est efforcé de déconstruire le langage, à commencer, bien sûr,
par la grammaire. Les générativistes
(notamment Noam Chomsky) prétendent ainsi que toutes les langues du monde
partagent certaines propriétés structurelles de fond (page 246). De cela, on
pourrait donc en déduire qu’inconsciemment la grammaire est en chacun d’entre
nous et ne résulte nullement de prescriptions édictées par des gardiens des
règles (page 247). Pour confirmer cette théorie, ses défenseurs ne
s’intéressent nullement à la production d’énoncés mais uniquement aux
mécanismes que le locuteur applique intuitivement pour construire ces énoncés
(page 248). Finalement, c’est comme si l’on mettait sur le même plan les
premiers pas d’un enfant et la danse des plus grands ballets (page 249). Cette
manière d’approcher la langue est finalement une complète négation de la
culture.
En conséquence de quoi, dès que
l’on émet l’idée que la langue « fout le camp », les réponses des
postmodernistes sont stéréotypées d’avance (pages 250-251) :
-
La langue, et la grammaire, ne peut
« foutre le camp » puisqu’elle siège dans la tête de chacun d’entre
nous.
-
La langue et la grammaire ne sont de toute façon
ni plus ni moins qu’un marché.
La conséquence de cette
idéologie, c’est qu’on tourne ici encore résolument le dos à l’idée de
l’émancipation du peuple par son élévation dans la langue et la culture.
« Ce qu’il faut désormais défendre, c’est l’ignorance »
(page 252).
Dans un étrange aveuglement
d’économisme, Bourdieu soutient ainsi que tout, y compris et surtout ce qui a
rapport au registre symbolique, doit être soumis aux logiques de marchés, seule
solution selon lui pour s’affranchir des dominations exercées par de petits
groupes. Bourdieu semble ainsi complètement ignorer que le marché est lui aussi
le lien de rapports de forces, et même de rapports de forces sauvages et
aboutissant bien souvent … au contrôle par un groupe restreint. Il omet
également l’importance du rapport au sens pour l’être humain (page 256).
De manière encore plus étonnante,
les postmodernistes ignorent que les nazis avaient la même approche de la
langue et ont prétendu créer une nouvelle langue basée sur l’ignorance (page
260).
Dany-Robert Dufour s’attache
ensuite à donner une description, en six caractéristiques, de ce qu’est une novlangue :
1/ Dans la novlangue, on comprend moins bien ce qui est articulé.
Ainsi relève-t-on cet élément étonnant : malgré les énormes progrès de la
technique, les dialogues des films récents ne sont pas forcément plus audibles
que ceux des années 1950, bien au contraire (pages 264-265).
2/ La novlangue tend à faire disparaître l’élément neutre de la
langue française en féminisant à outrance tout ce qui peut avoir une fonction
neutre (page 266), méprisant ainsi le non-rapport entre le genre grammatical et
le genre naturel qui prouve que la langue est avant tout une convention (page
267).
3/ La novlangue technicise la langue (page 268) dans le
but de supprimer tout espace de nuance et ce afin de satisfaire au mieux les
nécessités de précisions contractuelles inhérentes au marché (page 269). Cette
technicisation et cette inclusion dans la logique de marché ont une
conséquence : si un auteur classique n’est pas compris des élèves, c’est
qu’il ne s’exprime pas clairement et donc qu’il doit être retiré du programme
(page 273).
4/ La novlangue tend à faire disparaître toute relation à l’autorité.
Exemple typique : le coach, accompagnateur sans référence hiérarchique,
qui remplace le maître (pages 274-275). « La novlangue remplace l’instituteur par l’accompagnateur du savoir »
(page 276).
5/ La novlangue veut détruire la grammaire de l’ancienne langue (page
277). Un petit exemple : les Français ne savent plus distingue le ici du
là. On entend ainsi couramment « je suis là » alors que l’on ne peut
qu’être ici (page 285) !
Il ne s’agit néanmoins pas de
rejeter toute forme de transgression. Mais pour transgresser, encore faut-il
savoir ce que l’on transgresse ! Pour reprendre l’exemple de la grammaire,
il est effectivement possible de construire de grandes œuvres qui déchirent les
barrières de la grammaire, mais pour cela il faut déjà connaître la grammaire –
pour pouvoir en jouer et en déjouer – et s’attacher au travail poétique.
« Alors que mal la trahir permet aux
troupeaux égo-grégaires de s’assembler par le simple fait que chacun partage
alors avec tous la conviction de se croire hors du troupeau » (page
288). Le même paradoxe se retrouve dans la mode :
chacun veut se démarquer en portant quelque chose d’excentrique, mais à la fin,
si tout le monde est excentrique, plus personne ne l’est (page 288).
Finalement, cet anticonformisme
de façade n’en devient qu’un terrible conformisme (sur le sujet, voire également Henri Hude) et génère une manière de
parler qui rend impropre l’expression de la pensée et du débat (pages 290-291).
6/ La novlangue correspond à une dévalorisation des registres logiques et à
la valorisation du registre du coup gagnant (page 292) : c’est tout
simplement la victoire de la communication sur le débat d’idées.
A suivre, le 8e commandement : Le rapport à la loi : tu
violeras les lois sans te faire prendre.
Une langue est en effet un système de convention, et en français, la convention est que le masculin -qui n 'est pas neutre par définition- a été élevé au rang de norme, donc de "neutre".
RépondreSupprimerDans notre belle langue, il n'y a pas de neutre ! absolument pas. Il y a toujours un féminin et un masculin y compris pour les objets !
Le français ne fait pas partie des langues qui ont un "genre" neutre.
En français, on doit bien évidemment toujours accordé au féminin ou au masculin. C'est pour des questions historiques que l'on n'a pas féminiser certains termes -beaucoup de métiers et de postes n'étant jamais occupés par des femmes- ; c'est aussi le résultat d'une réforme qui fait que le féminin a été véritablement banni !
Banni, contrairement au fonctionnement naturel du français qui veut que l'on féminise évidemment les titres et qualificatifs quand on parle d'une femme.
En bon français, l'expression "madame le ministre" est correct, mais cela signifie que l'on veut dire "je m'adresse au ministère" comme si les institutions fonctionnaient de manière totalement objective et indépendamment des contingences humaines.
En bon français, "madame la ministre" signifie : je m'adresse à la personne de sexe féminin qui est ministre.
et non, en bon français "Madame la ministre" est l'épouse du ministre.
SupprimerLorsque vous dites "j'ai vu un loup" ou "j'ai vu une hyène", vous ne savez rien du sexe de l'animal que vous avez vu. L'accord grammatical qui en découle est une convention linguistique, car vous les employez bien dans un sens neutre. De la même manière, une chaise n'a en soi absolument rien de plus féminin qu'un tabouret ...
Quand on parle de "Madame le ministre", on s'adresse effectivement bien à la personne qui tient la fonction, "le ministre" étant ici une fonction neutre. C'est justement faire injure aux femmes que de féminiser abusivement le terme : cela sous-entend qu'elle ne tienne pas la fonction de la même manière que les hommes (idem, réciproquement, pour les sage-femmes) !
Plusieurs éléments ne collent pas à votre interprétation des genres en Français. Plutôt que de dire que le masculin est devenu un neutre, ce qui est bizarre, on peut voir plutôt que le neutre tient lieu de masculin. Le féminin n'est pas banni mais utilisé au contraire pour marquer la différence.
SupprimerLe sexe des personnes qui exercent une fonction n'influent pas sur le genre de la fonction puisque une estafette ou une sentinelle étaient toujours des hommes.
Et le masculin n'a pas été érigé en norme puisqu'on parle de "une personne".
Guadet
P.S. : Ne plus savoir utiliser correctement le "ici" ou le "là" ou bien encore le "là-haut" remonte à bien avant l'invention de la novlangue...
RépondreSupprimerManifestement, alors, vous avez mieux étudié le sujet que Dany-Robert Dufour ...
Supprimeren êtes-vous si sûr ?
Pour ma part, j'ai le souvenir enfant (et je ne suis pas très vieux) d'avoir été systématiquement repris par mes maîtres sur ce genre de fautes de langue. Non seulement, j'ai l'impression que ce n'est plus le cas, mais en plus lorsque je le fais on me regarde comme un extra-terrestre ...
Je suis heureux de voir noter la tendance "à faire disparaître l’élément neutre". En effet, rappelons qu'il n'y a pas vraiment de masculin en Français puisque seul le féminin est marqué. Dans le contexte d'une indifférenciation entre l'homme et la femme appelé "parité", il aurait été normal d'étendre le domaine du neutre en supprimant le féminin. L'évolution de la grammaire aurait dès lors complété et illustré la fin des discriminations envers les femmes.
RépondreSupprimerPourquoi alors fait-on la démarche inverse ? Il y a sans doute de l'irrationnel là-dedans, mais aussi, plus ou moins inconsciemment, la volonté de refaçonner le passé pour qu'il colle à l'idée de l'oppression des femmes par les hommes. En effet, tout ce qui traitait de l'homme en général peut être présenté comme rejetant les femmes de l'humanité.
En fac d'histoire, mon professeur de méthodologie nous a cité Élisabeth Badinter pour donner l'exemple d'un contre-sens total dans la compréhension d'un texte ancien. Il s'agissait, dans un ouvrage destiné à des femmes, du passage : "Il ne faut pas nourrir trop voluptueusement ses enfants". En se trompant sur le sens ancien du vocabulaire et en voulant faire dire au texte ses propres préjugés, elle comprenait qu'on voulait culpabiliser les femmes du plaisir de donner le sein, alors qu'il s'agissait simplement de dire : "Il ne faut pas gâter ses enfants".
Guadet