Il y a
quatre ans, après
beaucoup d’hésitations, et sans enthousiasme (au point que certains
pensaient que je m’y opposais), j’avais
soutenu l’intervention en Libye. Quatre ans après, la
situation désastreuse du pays démontre que c’était une grave erreur, même
si certaines motivations étaient nobles.
Le chaos
libyen
Bien sûr, à
première vue, il
est difficile de ne pas vouloir soutenir des rebelles apparemment démocrates
qui veulent renverser un dictateur qui les oppriment et dont la victoire
pourrait se traduire par un bain de sang. C’est pour cette raison que,
malgré mon opposition de principe à toute ingérence, qui
est, comme le notait bien Jacques Sapir, toujours « l’ingérence du fort sur le faible », en pesant le pour et le
contre, j’avais
fini par soutenir cette intervention, alors que je m’étais opposé aux interventions
en Irak ou en Afghanistan et
que je me suis opposé ensuite à celle en Syrie. Jusqu’au début 2013, on a
pu croire que le pays en avait bénéficié, la
stabilité permettant la remontée de la production de pétrole.
Mais les
années ont passé, et comme
le rapporte encore une fois The Economist
dans un dossier accablant, la situation du pays est absolument calamiteuse.
La Libye n’est plus un pays uni, il a fait place, comme en Irak auparavant, à
une guerre tribale entre factions, qui font régner un climat de terreur entre
elles. Alors que 60% de la population avait voté lors des élections de 2012,
seulement 18% se sont déplacés deux ans plus tard. L’alliance, dont font partie
les islamistes, a pris le contrôle de l’Est du pays, faisant fuir le parlement
à 1300 kilomètres, à Tobrouk. Aujourd’hui, le
pays est coupé en deux entre l’Est qui avait porté la révolution de 2011 et
l’Ouest, un retour à la situation des années 1960…
Des
paradoxes de l’ingérence
Déjà que
l’on peut fortement contester les principes mêmes de l’ingérence, comme
l’avait fait brillamment Jacques Sapir, dans son livre « Le nouveau 21ème siècle »,
quand son bilan est bien plus mauvais en terme de victimes ou de conditions
matérielles, dès lors, l’idée
même d’ingérence semble complètement disqualifiée pour les années à venir et il
faudra s’en souvenir. Le sujet est d’autant plus piquant qu’il
y a quelques mois, on envisageait une intervention en Syrie quand
aujourd’hui, le visage présenté par une grande partie de l’opposition au régime
en place fait que ceux qui voulaient faire tomber Bachar El Assad, semblent
prêts à collaborer avec lui contre les terroristes islamistes.
La seule
chose qu’il faut espérer de ce triste épisode, c’est que nos dirigeants
comprennent que les
illusions de Bernard Kouchner et Bernard-Henri Lévy, même sans être dépourvues
d’humanisme, se sont fracassés sur le mur des réalités en Irak comme Libye et
disqualifient l’idée même d’ingérence.
L'agression de la Libye sous prétexte d'aider les civils victimes de la répression d'un régime dictatorial est un raisonnement de type néoconservateur dans la lignée de GW Bush et de l'agression de l'Irak en 2003. D'ailleurs ce sont les mêmes personnes qui se trouvent à la pointe de combat douteux inspirés des Droits de l'Homme parce qu'ils n'ont que des effets désastreux par ignorance, inculture ou préjugés idéologiques. C'est un clivage transversal à la gauche et la droite et aussi un impérialisme occidental de type néocolonial à dicter ou décider pour et à la place des peuples à faire eux-mêmes leur histoire.
RépondreSupprimerSapir a beau jeu de taxer d'ingérence l'occident et de donner son absolution à Poutine qui s'ingère en permanence et militairement.
RépondreSupprimerEn Syrie, les armées occidentales ne sont pas intervenues et c'est un massacre. La Libye aurait probablement suivi le même chemin que la Syrie. Dire que la Libye était un pays uni est une plaisanterie, la Libye était déjà un pays divisé en tribus que la rente des pétrodollars et la répression permettait d'amadouer. L'erreur a été de laisser ensuite les choses se dégrader sans accompagner la transition vers une stabilisation :
"On a critiqué l'engagement en Libye contre le régime du colonel Kadhafi sous prétexte qu'il aurait finalement déstabilisé la région. Pour ma part, moi qui ai vécu quelques temps dans Sarajevo assiégée, j'ai du mal à accepter l'inaction devant les massacres. Maintenant, on serait bien en peine de savoir ce qui se serait passé si on n'était pas intervenu. La vraie erreur a surtout consisté, selon moi, à ne pas intervenir après la chute de Kadhafi en essayant d'y aider à la normalisation de la situation."
http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2015/01/31/31002-20150131ARTFIG00075-colonel-michel-goya-la-guerre-la-france-et-moi.php
@anonyme
SupprimerJe suis d’accord avec vous. La situation en Lybie est certes pire aujourd’hui qu’elle était sous Kadhafi avant la guerre civile; si les armées Françaises et Britanniques et l’OTAN n’étaient pas intervenus, Kadhafi aurait continué à massacrer sa population et le nombre de morts, comme en Syrie, aurait continué à augmenter et aurait atteint des sommets très élevés. Peut-être que la France, le Royaume-Uni et les USA auraient dû plus utiliser la voie diplomatique et faire pression sur Kadhafi pour qu’il forme un gouvernement de coalition avec les rebelles ou qu’il organise des élections. De toute façon, le problème de la Lybie n’est pas simple.
EB.
La guerre continue en Syrie aussi parce que certains de nos alliés du Golfe, ainsi que la Turquie très probablement, soutiennent les groupes rebelles islamistes.
Supprimer@TheoNeo
SupprimerMerci pour l’info. La question que je me pose est : Les pays Européens et les USA ont-ils les moyens de faire pression sur Erdogan, afin que ce dernier arrête de soutenir les rebelles Islamistes en Syrie ?
EB.
Ils en auraient les moyens mais ils ne le souhaitent pas. Les Occidentaux n'ont pas perdu tout espoir de déboulonner Assad (objectif prioritaire d'Erdogan et des Frères musulmans) même si l'appartion imprévue du phénomène "Daech" a compliqué la donne.
SupprimerDans son dernier livre, Régis Debray reprend une citation de Lamartine, qui remet en question ses choix passés. Elle donne à réfléchir sur la persistance, sous des noms divers, du prétendu droit d'ingérence :
RépondreSupprimer"Je proclamai je ne sais quel prétendu droit de civilisation comme un droit absolu d'attenter aux nationalités établies, sans en rendre compte ni à Dieu ni aux hommes, en sorte qu'il suffirait à un peuple de se croire plus civilisé que ses voisins pour leur déclarer la guerre et pour les balayer de leur place sur le globe."
Comme quoi, Kouchner et BHL ne sont pas si nouveaux que ça...
Quoique certains prétendent, il ne s'agissait pas de déclarer la guerre au peuple libyen mais d'assister un peuple en danger de se faire massacrer. L'erreur c'est d'intervenir puis de tout laisser en plan tourner au chaos qui serait probablement arrivé avec Kadhafi.
SupprimerIl faudrait aussi arrêter cette propagande obscène qui consiste à nier que les révoltes en Libye, Syrie, Ukraine correspondent à une véritable exaspération des populations et qu'elles seraient le résultat de complots fomentés par la CIA.
L'intervention US en Irak en 2003 ne correspondait à une aucune menace de massacres imminents de la population par Saddam Hussein, car il n'y a avait tout simplement pas de mouvement insurrectionnel de masse à cette époque en Irak.
Il n'y avait donc aucune raison urgente d'intervenir en Irak.
Quand les Hutu massacraient les Tutsi, fallait il laisser faire au nom de la non ingérence ? S'en laver les mains en se cachant derrière le principe bien confortable de non-ingérence.
Quels sont les politiques qui ont fait la juste analyse de la situation en Libye et ont dès le départ exprimé leur opposition à cette intervention ?
RépondreSupprimer"La seule chose qu’il faut espérer de ce triste épisode, c’est que nos dirigeants comprennent que les illusions de Bernard Kouchner et Bernard-Henri Lévy, même sans être dépourvues d’humanisme, se sont fracassés sur le mur des réalités en Irak comme Libye et disqualifient l’idée même d’ingérence."
RépondreSupprimerQuand on entend les raisonnements des Hollande-Fabius qui ne se consolent visiblement pas de l'avortement de leur projet d'intervention directe contre Damas de l'été 2013 (qui aurait selon toute probabilité débouché sur un nouveau désastre), il est permis d'en douter.
S'il est vrai que la nation est le cadre naturel de la démocratie cette dernière ne peut pas marcher dans des pays qui ne sont pas de vraies nations comme l'Irak, la Syrie, la Libye, voire le Yémen. Cela met les islamistes en position de force parce que comme ils ne veulent pas de la démocratie ils peuvent se passer de la nation et s'appuyer sur les tribus ou les ethnies.
RépondreSupprimerD'ailleurs ces pays existent-ils encore ?
La démocratie en Afrique subsaharienne se heurte au même problème d'absence de tout sentiment national dans la population, conséquence du découpage aberrant des frontières par les anciennes puissances coloniales. Supporter bruyamment son équipe nationale de football suffit-il à faire un vrai patriote ? Et je ne parle même pas du citoyen.
Et ce n'est pas l'exemple de la Belgique, où la démocratie conduit lentement mais sûrement à la fin du pays, qui nous permettra de faire la leçon aux africains.
Ivan
En Europe, les frontières se sont construites en partie par des guerres. A l'intérieur de ces frontières, certaines oppositions se sont réglées par des guerres civiles.
RépondreSupprimerEt donc si on considère l'artificialité des frontières africaines, il n'y a rien de surprenant aux conflits armés.
De là, on pourrait se dire que le meilleur service à rendre à l'Afrique serait de laisser les populations qui la constituent se débrouiller seules. Aux prix de massacres peut-être. Mais on n'a pas fait autrement.
D'un autre côté, ce n'est peut-être pas dans l'intérêt de tout le monde de voir l'Afrique se développer.
@ Anonymes et EB
RépondreSupprimerLa Libye était plus unie il y a 5 ans qu’elle ne l’est aujourd’hui, même si cela couvait…
Sur les interventions, on a vu en Irak qu’une intervention au long court n’empêche pas un nombre colossal de victimes, qui se comptent en centaines de milliers depuis 2003. Malgré près de 10 ans de présence militaire, le nombre de morts n’a cessé de progresser. Ce n’est pas la présence militaire qui garantit la sécurité de la population car elle nourrit les fanatismes qui se fondent sur le rejet de l’intervention étrangère.
Et en Libye, on voit maintenant que l’intervention était sans doute une erreur. Il n’est pas du tout évident qu’il y aurait eu plus de victimes si on avait laissé faire.
@ L’ami
Je pense qu’il y a souvent derrière un souci humanitaire, mais il est démontré depuis 2001 que ces interventions n’apportent sans doute rien de bon à moyen terme
@ Marc-Antoine
Pas faux, encore que l’évolution au Moyen-Orient tempère certains…
@ Ivan
Pas faux, mais la vie commune peut permettre l’émergence d’un Etat
@ Bip
Si, car c’est la nouvelle frontière de la croissance des multinationales…