Billet invité de l’œil de Brutus
Suite des recensions
sur l’ouvrage de Dany-Robert Dufour, Le Divin Marché (Denoël 2007)
Dans l’histoire des hommes, l’art
s’est constamment inscrit dans la narration des Grands récits. Mais le postmodernisme récuse les Grands récits.
C’est alors qu’ « un jour,
l’art n’eut plus rien à représenter. Et nous, fûmes, un instant, enfin seuls »
(page 340).
Pour Dany-Robert Dufour, l’art
est là pour exprimer ce que les hommes n’ont encore jamais réussi à saisir par
leurs sens. Mais pour se faire, il faut néanmoins un minimum de code, une loi,
ne serait-ce que pour pouvoir la transgresser. S’il n’y a plus de loi, il n’y a
plus rien à transgresser (page 342).
On peut trouver dans le fameux
urinoir de Duchamp une multitude d’éléments artistiques : le statut de
l’objet industriel, le sens du geste créateur, l’évolution de l’art américain,
le sexe des objets, etc. Le geste de Duchamp a été repris à de multiples occasions,
sans que ses auteurs en perçoivent la portée : « depuis lors, ces créateurs ne cessent de défoncer la porte ouverte par
Duchamp. Plus ils nous montrent des objets qu’ils ont choisis parce qu’ils les
ont choisis et qu’ils sont libres de les choisir, plus ils nous montrent …
rien. Combien de gribouillages torturés ? Combien de photos intégralement
banales ? Combien d’installations faites de vieux vêtements, de tas de
charbon, de poupées démantibulées, de peignes édentés, d’étagères obliques, etc. ? ».
Par nature même, la reproduction de la subversion n’est plus de la subversion.
C’est pourtant ce qui est fait, et semble-t-il indéfiniment, avec le geste de
Duchamp. Ce qui prétend alors être subversif n’est en fait qu’une affligeante
banalité conformiste (pages 351-352).
Le pendant du postmodernisme
appliqué à l’art émerge véritablement dans les années 1960. Son crédo est
simple : cet anti-art clame qu’il n’y a pas de loi et que nous sommes
toutes artistes, bannissant ainsi toute forme d’ascèse, d’apprentissage
technique. L’art prend ainsi le tournant
libéral et se résume à une expression et une affirmation de soi sans
règles, à une défense de ses intérêts individuels (page 355). Mais
finalement cet anti-art qui exalte la liberté individuelle se fait très rapidement
intolérant, comme l’a souligné Jean Baudrillard puisqu’il s’agit de
« forcer les gens à donner de
l’importance et du crédit à tout cela, sous le prétexte qu’il n’est pas
possible que ce soit nul, et que ça doit cacher quelque chose. L’art
contemporain joue de cette incertitude, de l’impossibilité d’un jugement de
valeur esthétique fondé, et spécule sur la culpabilité de ceux qui n’y
comprennent rien, qui n’ont pas compris qu’il n’y avait rien à comprendre »
(page 359).
Lire également
A suivre, Le rapport à
l’art : tu enfonceras indéfiniment la porte déjà ouverte par Duchamp ! (9e
commandement du postmodernisme)
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