En faisant
l’histoire de la dette, David Graeber éclaire également l’histoire
de la monnaie et démontre à quel point la
question monétaire est politique. Mais son livre vaut aussi pour l’étude
extrêmement fouillée, dans le temps et dans la géographie sur le rapport de
l’humanité à la dette.
Aux
origines de la dette
Le plus
incroyable, c’est la proximité des évolutions entre les pratiques de l’Asie,
l’Afrique, l’Europe ou l’Amérique. L’auteur décrit aussi les liens entre la
dette et l’esclavage dans des sociétés primitives et note que « tous les mouvements révolutionnaires du
monde antique ont eu le même programme : annulation des dettes et
redistribution des terres ». Cela concerne la Grèce et la Mésopotamie,
où les mauvaises récoltes poussaient les paysans dans le métayage, quand ce
n’était pas l’esclavage d’une partie de leur famille. Il raconte que « un des actes couramment accomplis pendant
l’annulation des dettes était la destruction, en grande cérémonie, des
tablettes sur lesquelles on avait tenu les comptes ». La pierre de
Rosette, par exemple, annonçait une amnistie des débiteurs et des prisonniers.
Il note le
changement radical de la société mésopotamienne, assez égalitaire entre homme
et femme il y a 6000 ans et que l’explosion de la dette, vers 1200 avant J-C a
poussé les femmes dans la prostitution et les harems ou les a affublées d’un
voile, interdit aux prostituées. Il note que Rome était une société esclavagiste
où 30 à 40% de la population était esclave et que « la toute première législation romaine en matière de dette autorisait
les créanciers à exécuter les débiteurs insolvables ». C’était aussi
une société très libérale, où il n’y avait aucune restriction où tout le monde
pouvait devenir esclave et où le maître pouvait affranchir qui il souhaitait.
L’effondrement de l’Empire Romain provoqua une quasi-disparition de
l’esclavage, au moment même où il disparaissait également en Inde et en Chine.
Cette disparition
concomitante vient au moment où les pièces de monnaie, largement répandues
depuis près d’un millénaire, avaient fini par presque disparaître, avec un
retour du crédit, que l’on ne peut pas voler, comme des pièces. C’est ce qui
domina pendant le Moyen-âge, avant un retour des monnaies métalliques au
tournant du deuxième millénaire. En revanche, la pratique des intérêts varie,
Babylone les acceptant, au contraire de l’Egypte.
De l’âge
axial au Moyen-Age
Il note que
l’Islam refuse le prêt avec intérêt, comme l’église catholique à l’origine, peu
encline au commerce, au contraire de l’Islam. En Europe, les rois menaient des
politiques monétaires très actives, réévaluant ou dévaluant leur monnaie par
rapport au système monétaire carolingien, qui continua à être utilisé jusqu’au
17ème siècle. Pour lui, « le
Moyen Age a été surtout celui de la transcandance, les religions devenant les
« instances dominantes ». L’Eglise catholique se distingue
malheureusement à cette époque par une violence encore plus grande que les
autres. En Chine, comme en Europe, le marchand n’est pas bien vu. Pour l’Islam
« le profit est la récompense du
risque ».
L’âge des
grands empires capitalistes
De 1450 à
1971, c’est le retour de l’or et de l’argent. Les prix s’envolent de 1500 à
1650, avec une baisse du salaire réel de 40%. La raison communément admise
serait l’afflux d’or et d’argent du Nouveau Monde, qui aurait provoqué un
effondrement de sa valeur. Sauf qu’en réalité, une grande partie de l’or a fini
en Inde et l’argent en Chine suite à l’abandon par la Chine du papier-monnaie
au miieu du 15ème siècle, qui a provoqué un manque d’argent. Malgré
les énormes quantités de métal du Nouveau Monde, l’Europe souffrait d’une
pénurie de pièces de monnaie et tous ces changements ont provoqué des batailles
politiques féroces pour profiter de cette réorganisation. Les indigènes
d’Amérique sont devenus des esclaves envoyés dans les mines, le commerce d’esclaves
devenant alors florissant.
David
Graeber conte les horreurs de cette colonisation et montre le rôle des
pyramides de dettes dans les comportements les plus choquants. Il parle de la
politique de péonage : « décréter
des impôts élevés, prêter de l’argent à intérêt à ceux qui nepouvaient pas les
payer, puis exier le remboursement de ces prêts par le travail ». Pour
lui, « l’Eglise s’est montré intransigeante
à l’égard de l’usure (pour) une question de rivalité morale. L’argent a
toujours le potentiel de devenir lui-même un impératif moral. Permettez-lui de
s’étendre, et il pourra vite devenir une morale si impérative que toutes les
autres paraîtront futiles en comparaison ». Il note que les créditeurs
pouvaient tenir les rois, malgré le défaut.
Il rappelle
que Luther est devenu populaire « par
des campagnes féroces contre l’usure » et de Calvin, qui défendait
« un taux d’intérêt raisonnable (en
général 5%) n’était pas un péché, du moment que les prêteurs agissaient de
bonne foi, ne faisaient pas du prêt d’argent leur activité exclusive et
n’espoitaient pas les pauvres ». Il dénonce « le communisme des riches » qui
« savaient faire bloc quand cela
comptait réellement (…) une force puissante dans l’histoire de l’humanité ».
Dans les
années 1690, la montée du prix de l’argent créa un débat passionné sur la
monnaie, le Trésor anglais proposant de réémettre les pièces avec un poids
inférieur de 20 à 25%, pratique courante de l’époque. Mais John Locke a alors
convaincu Isaac Newton, directeur de la Monnais de faire l’inverse et rappeler
les pièces pour « les refrapper à
leur valeur exacte ». Cela créa une déflation, des famines et des
troubles. En outre, les débuts de la spéculation (avec la bulle de la tulipe en
1637) ont fait de l’or et l’argent des garde-fous contre les dangers des
nouvelles formes de monnaie crédit.
Il rapporte
le cas de « la Banque royale de John
Laws en France, (…) (qui) s’était développée si vite qu’en quelques années elle
avait absorbé l’ensemble des compagnies françaises de commerce colonial et
l’essentiel de la dette de lla couronne de France en émettant son propre
papier-monnaie, avant de s’évaporer totalement en 1721. (…) En Angleterre, on
prohiba la création de nouvelles compagnies par actions ; en France, on
mit entièrement hors la loi le papier-monnaie fondé sur la dette de l’Etat ».
La fin du
crédit traditionnel
Il décrit la
transformation du monde, avec l’abandon du système de crédit traditionnel, qui
liait les communautés locales et sa subsitution par un marché immédiat. Il
rappelle, comme
le fait Pierre-Noël Giraud, que « dans
ce monde, la confiance était tout. La monnaie était pour l’essentiel de la
croissance ». Pour lui « l’histoire
du capitalisme, c’est plutôt l’histoire de la conversion d’une économie du
crédit en économie de l’intérêt ». Et cette économie a été très
violente. Il rapporte qu’au 17ème siècle, un mauvais payeur pouvait
être pendu. Avec quelques accents anti-Etat que je ne partage pas, pour lui,
« la criminalisation de la dette a
donc été celle du fondement même de la société humaine ». Mais ce
climat a fait « qu’au 18ème
siècle, la notion même de crédit aux particuliers avait acquis mauvaise
réputation : prêteurs et emprunteurs étaient tenus pour également
suspects ».
Il note que
les historiens ont souvent oublié « les
systèmes complexes de crédit populaire », faisant « comme s’il allait de soi que l’or et
l’argent avaient toujours servi de monnaie ». Il note que la confiance
a posé des limites à la dévaluation en Angleterre. De manière lumineuse,
l’auteur conclut « on a vu
clairement que l’on pouvait créer de la monnaie en disant tout simplement
qu’elle était là ; mais on a vu aussi que, lorsque cette opération avait
lieu dans le monde amoral du marché concurrentiel, il était presque inévitable
qu’elle aboutisse à des arnaques et à toutes sortes d’escroqueries »,
poussant à un retour du lien à l’or et l’argent. Il note aussi le glissement
introduit par la création de la Banque d’Angleterre avec le fait que « la monnaie n’était plus une dette due au
roi, mais une dette due par le roi ».
Il note que
la monnaie a quelque chose de magique, rapportant une citation attribuée (sans
doute à tort) à Lord Josiah Charles Stamp, directeur de la Banque
d’Angleterre : « le système
bancaire moderne fabrique de la monnaie à partir de rien. Ce processus est
peut-être le tour de passe-passe le plus stupéfiant jamais inventé. La banque a
été conçue dans l’iniquité et elle est née dans le péché. Les banquiers
possèdent la terre ; si on la leur prend mais qu’on leur laisse le pouvoir
de créer le crédit, d’un trait de plume ils créeront assez de monnaie pour la
racheter ». Il note que la spéculation est finalement apparue avant
les usines et le travail salarié, notant qu’elle fait sans doute partie de
l’essence du capitalisme, donnant des exemples effarants du 18ème
siècle, avec la bulle des Mers du Sud notamment ou des arnaques incroyables.
Pour lui, « le papier-monnaie était
la monnaie de la dette, la monnaie de la dette était la monnaie de la guerre,
et cela n’a pas changé ». Pour lui « c’est le scandale secret du capitalisme : à aucun moment il n’a
été organisé essentiellement autour d’une main-d’œuvre libre ».
Avec ce
livre, David Graeber signe une réflexion politique essentielle sur la monnaie,
la dette et l’économie. Même s’il va assez loin dans certaines conclusions, que
je ne partage pas toutes, son analyse de la situation actuelle est extrêmement
enrichissante. J’y reviendrai dans quelques jours.
Source :
David Graeber, « Dette : 5000 ans d’histoire », Les Liens qui
Libèrent
Ce qui est encourageant, c'est qu'on en parle de plus en plus. Ce pouvoir exorbitant qu'ont les banquiers de creer de l'argent ex nihilo commence à être connu de tous. Pour nombre d'entre eux, la surprise est de taille et on commence à voir poindre un certain mécontentement. On commence à réaliser qu'on a vraiment été pris pour des imbéciles.
RépondreSupprimer"les Etats ont fini à cette époque par imposer une religion d’Etat"
RépondreSupprimerDans l'antiquité, il n'y a jamais aucune séparation entre la religion et l'administration publique, entre la religion et le pouvoir. L'idée d'une séparation possible entre une vie publique et une vie spirituelle est récente et a commencé à être introduite par le Christianisme. Fonctions politiques et religieuses ne pouvaient pas être séparées, en Égypte et en Mésopotamie comme à Athènes ou à Rome et partout dans le monde.
Prétendre le contraire - que la religion d'État serait une invention de la fin de l'antiquité - est une absurdité historique qui jette malheureusement le soupçon sur la rigueur de ce livre.
Guadet
@ Laurent Herblay
RépondreSupprimerVous êtes extraordinaire, ce n’est pas en répétant des dizaines de fois que l’émission de monnaie ne doit pas être faite par les banques privés mais par les banques centrales que aller faire avancer le schmilblick.
Enoncer quelque chose, même, avec conviction, n’en fait pas pour autant une réalité.
Ce que vous dites ne repose sur aucune logique.
Pourquoi ?
Vous ne cesser de confondre monnaie et monétisation. Avec un peu de logique il devient facile de comprendre vos erreurs.
Il n’y a jamais eu, au début, la dette : donc la dette ne peut être monétisation, puisque une dette à pour finalité d’être monétisable et ce qui est monétisable ne peut être monétisation.
Explication :
Il y a d’abord l’emprunt qui n’est pas une monétisation mais un prêt de monnaie conjoint à un engagement de remboursement de cette monnaie. Avec le remboursement avec de la monnaie : vous monétiser la dette, comme vous monétiser un bien ou un service avec la monnaie dans votre portefeuille.
Vous ne pouvez pas prétendre que le bien ou le service est monétisation puisque ce sont eux qui sont monétiser avec de la monnaie.
Quand vous monétiser un bien ou un service vous abreuvez en monnaie des individus actifs ou inactifs pour qu’ils puissent à leur tour monétiser d’autres biens ou d’autres services ou monétiser une dette (rembourser l’emprunt) puisque avec la monnaie de l’emprunt vous aviez déjà monétisé un bien ou un service.
Celui qui reçoit de la monnaie, en monétisant sa production de bien ou de service, peut épargner cette monnaie mais il arrête le circuit économique.
Pour ne pas arrêter le circuit économique : l’épargne doit devenir l’emprunt d’un autre.
Epargne et l’emprunt doivent s’équilibrer et toute production de monnaie pour un emprunt (en vu d’acquérir un bien ou un service) quel qu’en soit l’émetteur doit être équilibré par un remboursement de monnaie provenant de la monétisation (achat avec de la monnaie) d’un bien ou un service produit.
C’est que nous appelons l’économie réelle : c’est à dire, la circulation en parallèle des biens et des services, avec la circulation, en sens inverse, de la monnaie. Dans l’économie réelle toutes circulations de monnaie qui ne soit pas la contre partie de la circulation d’un bien ou d’un service sont proscrites.
Dans l’économie réelle l’équilibre épargne/dette est primordial.
Toutes nos crises proviennent de ce défaut d’équilibre soit par le fait des emprunteurs qui empruntent pour rembourser l’emprunt précédent ou des épargnants qui, sous pressions psychiques ou réglementaires, ne remettent pas leurs épargnes dans le circuit de l’économie réelle mais dans des circuits parallèles où les épargnants se plument et se déplument entre eux.
Si ce qui est énoncé ici n’est pas la réalité : ce n’est pas en le disant milles fois que vous en ferez la démonstration.
Si vous voulez contredire ces réalités il vous faut les argumenter.
Unci TOÏ-YEN
@ Cliquet
RépondreSupprimerLe débat finira tôt ou tard par reprendre
@ Guadet
Merci pour cette précision
@ Un Citoyen
Ce que je contredis, c’est ce que vous dites sur le troc, pas ce que vous dites là
@ Laurent Herblay
SupprimerVos appréciations ne se limitaient pas au troc.
Voir vos deux dernières appréciations
Votre obsession (sur le troc probablement) qui ne repose sur aucun élément factuel disqualifie tout ce que vous dites.
Ce que vous dites ne repose sur rien, notamment le troc.
Aujourd’hui vous dites n’être en contradiction que sur ma conception du troc.
J’en suis fort aise. Mais nous n’avons aucune différent sur le troc puisque je dis : ‘’avant il y avait le troc’’ et c’est une réalité que vous ne pouvez contester.
La dette est apparue plus tard et la monnaie bien plus tard il y a 5000 ans environ.
Si au moins aujourd’hui nous sommes somme d’accord sur le sens de la monétisation qui n’a de lien avec la monnaie que dans le besoin de la monnaie pour monétiser un bien ou un service ou une dette. C’est un consensus qui permet d’avancer vers une vision plus réaliste de l’économie.
C’est que nous appelons l’économie réelle : c’est à dire, la circulation en parallèle des biens et des services, avec la circulation, en sens inverse, de la monnaie. Dans l’économie réelle toutes circulations de monnaie qui ne soit pas la contre partie de la circulation d’un bien ou d’un service sont proscrites.
Dans l’économie réelle l’équilibre épargne/dette est primordial.
Toutes nos crises proviennent de ce défaut d’équilibre soit par le fait des emprunteurs qui empruntent pour rembourser l’emprunt précédent ou des épargnants qui, sous pressions psychiques ou réglementaires, ne remettent pas leurs épargnes dans le circuit de l’économie réelle mais dans des circuits parallèles où les épargnants se plument et se déplument entre eux.
Voila pourquoi aujourd’hui, en additionnant :
-- les monétisations pour les ‘’efforts et compétence’’ (temps d’activité) des producteurs, plus
-- les monétisations pour ‘’des temps d’inactivité’’ de retraités, chômeurs, malades ou autres, plus
-- les monétisations pour nos ‘’dépenses mutuelles et collectives’’ :
nous obtenons les 100% du prix à payer pour acquérir nos consommations.
Pour avancer il serait alors bon d’acter des consensus sur cette vision réaliste.
Je viens de remarquer une réponse de IVAN qui confirme ma vision.
Anonyme6 avril 2015 22:29
La théorie selon laquelle le troc a précédé la monnaie qui a précédé le crédit et la dette nous vient des philosophes et des économistes.
Quand les archéologues ont mis leur nez là-dedans ils ont découvert que l'instrument de commerce le plus ancien était la dette. La monnaie est apparue ultérieurement, qui a permis de "monétiser la dette"
Et le troc ? Il faut croire qu'il n'était pas assez pratique pour qu'on l'utilise, même avant l'invention de la monnaie.
Ivan
Quand Ivan dit ‘’Il faut croire qu'il n'était pas assez pratique pour qu'on l'utilise…’’n’est qu’une interprétation sans fondement.
N’y a-t-il pas plus de probabilité qu’il y est eu avant : - une échange d’un lapin contre un arc et une flèche, avant que l’un donne un lapin à l’autre et lui dise tu devras me le rendre ou me donner une peau d’ours ?
Unci TOÏ-YEN