Billet invité
de l'oeil de
Brutus
Suite
d'articles sur les nouveaux inquisiteurs et le terrorisme intellectuel
Le sujet tombe
sous le sens tant la construction européenne, par sa nature même, n’est qu’un
simple dérivé de l’économiscine néolibéral.
Il y a plus de
vingt de cela, à la veille du référendum sur le traité de Maastricht[i] (celui-là même qui allait porter les bases de l’euro
…), Philippe Séguin avait déjà anticipé les tréfonds anti-démocratiques de l’UE
telle qu’elle a finalement été imposée aux peuples : « le conformisme
ambiant, pour ne pas dire le véritable terrorisme intellectuel qui règne
aujourd'hui, disqualifie par avance quiconque n'adhère pas à la nouvelle
croyance, et l'expose littéralement à l'invective. Qui veut se démarquer du
culte fédéral est aussitôt tenu par les faiseurs d'opinion (...) au mieux pour
un contempteur de la modernité, un nostalgique ou un primaire, au pire pour un
nationaliste forcené tout prêt à renvoyer l'Europe aux vieux démons qui ont si
souvent fait son malheur »[ii]. Ce à quoi, lui donnant finalement mille fois raison
et avec une absence de retenue indigne d’un ancien premier ministre, Michel
Rocard répondait : « je suis persuadé que les jeunes nazillons qui se sont
rendus odieux à Rostock votent non à Maastricht »[iii].
Mike Godwin venait à peine d’énoncer sa théorie (en 1990), que M. Rocard s’y plongeait déjà à plein
tête (creuse).
Malgré son
échec patent et ses circonvolutions crisogènes, l’euro n’a guère entamé
l’édifice des croyances idéologiques des inquisiteurs néolibéraux. Comme le
note fort justement Frédéric Lordon, « qu’on ne puisse pas demander si la
Banque centrale doit être indépendante ou pas, si les budgets doivent être en
déficit ou pas, si les dettes contractées à la suite des désastres de la
finance privée doivent être remboursées ou pas, c’est une monstruosité
politique que seul l’européisme élitaire ne pouvait apercevoir"[vii]. C’est là toute la logique de l’idéologie européiste
que « la colorimétrie des demi-habiles ne connaissant que deux teintes,
toute mise en cause de l’Europe, fût-elle rendue au dernier degré de
néolibéralisme, est le commencement d’une abomination guerrière, toute entrave
au libre-échange est la démonstration manifeste d’une xénophobie profonde,
toute velléité de démondialisation l’annonce d’un renfermement autarcique, tout
rappel au principe de la souveraineté populaire la résurgence d’un nationalisme
du pire, tout rappel au principe de la souveraineté populaire en vue d’une
transformation social la certitude (logique) du … national-socialisme, bien sûr
! Voilà que quel fumier intellectuel prospère le commentariat européiste quand,
à bout d’arguments, il ne lui reste plus que des spectres à brandir »[viii].
Pour cause,
c’est une véritable « Funkpropaganda » médiatique[ix], pour reprendre l’expression de Jacques Sapir,
lui-même couramment victime de nos Torquemada et autres Attali[x] postmodernes[xi], qui se met en branle à toute attaque de l’édifice
totalisant européiste. Car, pour Jean-Marie Colombani, comme bien d’autres, «
une France du rejet de l’autre – aussi bien l’immigré que l’Européen, l’Arabe
ou le Juif – est en train de s’affirmer. C’est la France du repli identitaire
et du refus de l’euro »[xii].
Il y a du Alain Minc dans la tête du sieur Colombani : l’un comme l’autre en
sont au point Godwin de la rhétorique bien-pensante (et au point néant de la
pensée), en fantasmant sur la résurgence de la Bête à la moindre critique d’une
construction monétaire absurde, pourtant dénoncée par moult économistes de
renom. Citons Maurice Allais, Joseph Stiglitz, Amartya Sen, Paul Krugman,
Christopher Pissarides[xiii]
et même … Milton Friedman[xiv] ! Autant d’adeptes du « repli identitaire » et
du « rejet de l’Arabe et du Juif » ?
Il faut alors
préciser que l’exemple vient de haut, puisque, en ouverture de sa conférence de
presse du 14 janvier 2014, le président de la République lui-même s’exprimait
dans ces termes : « Je ne laisserai pas faire, au cours des
prochains mois, ceux qui veulent en terminer avec l’idée européenne. Pas
seulement en France, il y en a d’autres, parfois même aux gouvernements. Je ne
laisserai pas faire ceux qui veulent en terminer avec l’idée européenne ou ceux
qui veulent briser l’acquis communautaire, c’est-à-dire tout ce qui a été fait
depuis des générations et des générations. Je ne laisserai pas non plus
faire ceux qui veulent sortir de l’euro, qui pensent ainsi sauver la Nation
alors qu’ils la mettent en péril. Parce que notre avenir, c’est dans l’Europe…
»[xv].
Belle démonstration de stature et de hauteur de vue pour celui qui, en tant que
garant des institutions, de notre souveraineté et plus généralement de
l’intérêt supérieur le Nation, se devrait de se placer au-dessus des querelles
de parti ! Mais finalement rien d’étonnant à cette posture dogmatique et
idéologique lorsque l’on a un premier ministre qui ment ouvertement à la Nation
pour mieux solder sa souveraineté à des technocrates[xvi].
Et dans ces conditions, rien d’étonnant non plus, à ce que ses petits sbires se
lancent à la chasse aux détracteurs en interdisant purement et simplement la
tenue de débat sur les questions qui les gênent aux entournures (et celles-ci
sont larges), comme ce fut le cas, par exemple, lorsque le maire (PS) Bondy fit
annuler une conférence sur la sortie de l’euro[xvii].
Nul doute,
cependant, que ces postures, ces intransigeances, ces dénis de démocratie, ces
anathèmes outranciers finissent, à la longue, par se monter contre-productifs
et en ouvrent les yeux à ceux qui, encore récemment, se faisaient défenseur
d’une construction européenne qui a fini par trahir les peuples et la
démocratie. C’est ainsi que Joseph Macé-Scaron (journaliste à Marianne), qu’on
ne pourra certes pas mettre au rang des eurosceptiques en diable, en arrive à
ce constat désabusé : « Autrefois, le « sérieux » était, disait-on du côté
des défenseurs de l’Union européenne. Ils alignaient les chiffres, brandissaient
les directives. Aujourd’hui, quand on reprend les menaces, les sarcasmes, les
mises en garde… on finit par se demander si curieusement et furieusement le
populisme n’a pas fini par changer de camp »[xviii].
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[i] Sur le sujet, lire Europe : « avec Maastricht, on rira beaucoup plus » !, Coralie Delaume, L'Arène nue, 18-mars-15.
[ii] Philippe Séguin, Discours à l'Assemblée nationale,
05/05/1992.
[iii] 17 septembre 1992.
[iv] Michel Rocard, Le Monde, 22 septembre 2004, cité par
Anne-Cécile Robert, Labyrinthe social-démocrate, Manière de
voir, août 2012.
[v] Le directeur du Monde en 1992 à propos du référendum
sur Maastricht, cité par Serge Halimi, ibid.
[vi] cité par Serge Halimi, ibid.
[vii] Frédéric Lordon, Pour une monnaie commune sans l’Allemagne (ou avec, mais pas à la
francfortoise), Blog Le Monde diplomatique, 25/05/2013
[viii] Frédéric Lordon, La Malfaçon, monnaie européenne et
souveraineté démocratique, Les Liens qui libèrent 2014, page 227
[ix] FUNKPROPAGANDA! Les Echos et l’Euro, Jacques Sapir,
russeurope , 23-oct-13.
[x] Lire Le Terrorisme intellectuel de Jacques Attali, L’œil de Brutus, 27/01/2012.
[xi] À TOUS ET TOUTES…, Jacques Sapir, russeurope, 11-nov-13 ; Saloperies…, Jacques Sapir, Marianne, 04-févr-14.
[xii] Jean-Marie Colombani, Direct Matin, 03/02/2014
[xiii] Lire, entre autres :
Toujours plus de Nobel d’économie euro-critiques !, Laurent Pinsolle, Gaulliste libre, 11/06/2013.
Euro : le changement d’avis d’un prix Nobel* d’économie, Laurent Pinsolle, Gaulliste libre, 15/12/2013.
[xiv] Lire son interview de 1996 sur le site Les Crises : [Reprise] Un entêtement suicidaire, par Milton Friedman 1/2 [1996], Les Crises, 13-févr-15.
[xv] Sur le sujet, lire De la liberté en Hollandie, l’œil de
Brutus, 08/03/2014.
[xvi] Lire Discours de Jean-Marc Ayrault sur le TSCG : les mensonges d’un premier
ministre, l’œil de Brutus, 03/10/2012.
[xvii] Lire Faut-il avoir peur de sortir de l’Euro … et de rétablir le Franc ?, François Asselineau, Forum démocratique, 14/02/2014.
Comment peut-on se dire "pro-européen" et soutenir les institutions et le fonctionnement actuels de l'Europe ? C'est précisément parce que je me sens profondément européen que je suis écœuré.
RépondreSupprimerEuropéen au sens de Danthès, le héros tragique et brillant de Romain Gary dans Europa qui montrait que l'Europe telle que nous la fantasmons n'a jamais existé que dans nos têtes. Qu'elle est une idée de culture et de civilisation que l'on peut chérir, la représentation d'un idéal humaniste dont l'on doit s'inspirer. Mais son essence même est détruite par les mensonges des petits gris néolibéraux de Berlin, Bruxelles et Bercy.
Tentative d'illustration par une petite fable : https://cincivox.wordpress.com/2015/01/19/lenlevement-deurope-par-les-cabris/
Cincinnatus
https://cincivox.wordpress.com/
Dans l'Union Européenne, il n'y a pas que la Grèce.
RépondreSupprimerNeuf pays de l'Union Européenne sont en faillite.
La Grèce, l’Italie, le Portugal, l’Irlande, Chypre, la Belgique, l’Espagne, la France, le Royaume-Uni sont en faillite.
Chiffres Eurostat publiés le mardi 21 avril 2015 :
1- Médaille d’or : Grèce. Dette publique de 317,094 milliards d’euros, soit 177,1 % du PIB.
2- Médaille d’argent : Italie. Dette publique de 2134,920 milliards d’euros, soit 132,1 % du PIB.
3- Médaille de bronze : Portugal. Dette publique de 225,280 milliards d’euros, soit 130,2 % du PIB.
4- Irlande : dette publique de 203,319 milliards d’euros, soit 109,7 % du PIB.
5- Chypre : dette publique de 18,819 milliards d’euros, soit 107,5 % du PIB.
6- Belgique : dette publique de 428,365 milliards d’euros, soit 106,5 % du PIB.
7- Espagne : dette publique de 1033,857 milliards d’euros, soit 97,7 % du PIB.
8- France : dette publique de 2037,772 milliards d’euros, soit 95 % du PIB.
9- Royaume-Uni : dette publique de 1600,862 milliards de livres sterling, soit 89,4 % du PIB.
http://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/6796761/2-21042015-AP-FR.pdf/7466add3-3a70-4abb-9009-bc986a5d2c0a