mercredi 22 avril 2015

L’Europe : Funkpropaganda et blablabla (billet invité)

Billet invité de l'oeil de Brutus




Le sujet tombe sous le sens tant la construction européenne, par sa nature même, n’est qu’un simple dérivé de l’économiscine néolibéral.

Il y a plus de vingt de cela, à la veille du référendum sur le traité de Maastricht[i] (celui-là même qui allait porter les bases de l’euro …), Philippe Séguin avait déjà anticipé les tréfonds anti-démocratiques de l’UE telle qu’elle a finalement été imposée aux peuples : « le conformisme ambiant, pour ne pas dire le véritable terrorisme intellectuel qui règne aujourd'hui, disqualifie par avance quiconque n'adhère pas à la nouvelle croyance, et l'expose littéralement à l'invective. Qui veut se démarquer du culte fédéral est aussitôt tenu par les faiseurs d'opinion (...) au mieux pour un contempteur de la modernité, un nostalgique ou un primaire, au pire pour un nationaliste forcené tout prêt à renvoyer l'Europe aux vieux démons qui ont si souvent fait son malheur »[ii]. Ce à quoi, lui donnant finalement mille fois raison et avec une absence de retenue indigne d’un ancien premier ministre, Michel Rocard répondait : « je suis persuadé que les jeunes nazillons qui se sont rendus odieux à Rostock votent non à Maastricht »[iii]. Mike Godwin venait à peine d’énoncer sa théorie (en 1990), que M. Rocard s’y plongeait déjà à plein tête (creuse).

Mais le dernier des gaullistes qu’était Philippe Séguin n’avait encore rien vu. Les débats qui précéderont le référendum sur la Constitution européenne, pendant lesquels la quasi-totalité des médias feront activement campagne pour le oui, marqueront à jamais la République du sceau de l’anathème des apologues intégristes. On a ainsi pu voir un Michel Rocard, encore lui, clamer haut et fort qu’il « ne respecte pas les défenseurs du « non » au traité constitutionnel qui se prétendent pro-européens »[iv]. Le Monde, soi-disant quotidien de référence, emboîtait le pas pour rapidement atteindre le point Godwin : « Un non au référendum serait pour la France et l’Europe la plus grande catastrophe depuis les désastres engendrés par l’arrivée de Hitler au pouvoir »[v]. Et Jean-Marie Cavada d’atteindre le sommet de la bêtise « godwinesque » politico-journalistique en tonitruant que « ceux qui font la fine bouche devant la Constitution européenne (devraient) avoir en mémoire les photos d’Auschwitz »[vi].

Malgré son échec patent et ses circonvolutions crisogènes, l’euro n’a guère entamé l’édifice des croyances idéologiques des inquisiteurs néolibéraux. Comme le note fort justement Frédéric Lordon, « qu’on ne puisse pas demander si la Banque centrale doit être indépendante ou pas, si les budgets doivent être en déficit ou pas, si les dettes contractées à la suite des désastres de la finance privée doivent être remboursées ou pas, c’est une monstruosité politique que seul l’européisme élitaire ne pouvait apercevoir"[vii]. C’est là toute la logique de l’idéologie européiste que « la colorimétrie des demi-habiles ne connaissant que deux teintes, toute mise en cause de l’Europe, fût-elle rendue au dernier degré de néolibéralisme, est le commencement d’une abomination guerrière, toute entrave au libre-échange est la démonstration manifeste d’une xénophobie profonde, toute velléité de démondialisation l’annonce d’un renfermement autarcique, tout rappel au principe de la souveraineté populaire la résurgence d’un nationalisme du pire, tout rappel au principe de la souveraineté populaire en vue d’une transformation social la certitude (logique) du … national-socialisme, bien sûr ! Voilà que quel fumier intellectuel prospère le commentariat européiste quand, à bout d’arguments, il ne lui reste plus que des spectres à brandir »[viii].

Pour cause, c’est une véritable « Funkpropaganda » médiatique[ix], pour reprendre l’expression de Jacques Sapir, lui-même couramment victime de nos Torquemada et autres Attali[x] postmodernes[xi], qui se met en branle à toute attaque de l’édifice totalisant européiste. Car, pour Jean-Marie Colombani, comme bien d’autres, « une France du rejet de l’autre – aussi bien l’immigré que l’Européen, l’Arabe ou le Juif – est en train de s’affirmer. C’est la France du repli identitaire et du refus de l’euro »[xii]. Il y a du Alain Minc dans la tête du sieur Colombani : l’un comme l’autre en sont au point Godwin de la rhétorique bien-pensante (et au point néant de la pensée), en fantasmant sur la résurgence de la Bête à la moindre critique d’une construction monétaire absurde, pourtant dénoncée par moult économistes de renom. Citons Maurice Allais, Joseph Stiglitz, Amartya Sen, Paul Krugman, Christopher Pissarides[xiii] et même … Milton Friedman[xiv] ! Autant d’adeptes du « repli identitaire » et du « rejet de l’Arabe et du Juif » ?

Il faut alors préciser que l’exemple vient de haut, puisque, en ouverture de sa conférence de presse du 14 janvier 2014, le président de la République lui-même s’exprimait dans ces termes : « Je ne laisserai pas faire, au cours des prochains mois, ceux qui veulent en terminer avec l’idée européenne. Pas seulement en France, il y en a d’autres, parfois même aux gouvernements. Je ne laisserai pas faire ceux qui veulent en terminer avec l’idée européenne ou ceux qui veulent briser l’acquis communautaire, c’est-à-dire tout ce qui a été fait depuis des générations et des générations. Je ne laisserai pas non plus faire ceux qui veulent sortir de l’euro, qui pensent ainsi sauver la Nation alors qu’ils la mettent en péril. Parce que notre avenir, c’est dans l’Europe… »[xv]. Belle démonstration de stature et de hauteur de vue pour celui qui, en tant que garant des institutions, de notre souveraineté et plus généralement de l’intérêt supérieur le Nation, se devrait de se placer au-dessus des querelles de parti ! Mais finalement rien d’étonnant à cette posture dogmatique et idéologique lorsque l’on a un premier ministre qui ment ouvertement à la Nation pour mieux solder sa souveraineté à des technocrates[xvi]. Et dans ces conditions, rien d’étonnant non plus, à ce que ses petits sbires se lancent à la chasse aux détracteurs en interdisant purement et simplement la tenue de débat sur les questions qui les gênent aux entournures (et celles-ci sont larges), comme ce fut le cas, par exemple, lorsque le maire (PS) Bondy fit annuler une conférence sur la sortie de l’euro[xvii].

Nul doute, cependant, que ces postures, ces intransigeances, ces dénis de démocratie, ces anathèmes outranciers finissent, à la longue, par se monter contre-productifs et en ouvrent les yeux à ceux qui, encore récemment, se faisaient défenseur d’une construction européenne qui a fini par trahir les peuples et la démocratie. C’est ainsi que Joseph Macé-Scaron (journaliste à Marianne), qu’on ne pourra certes pas mettre au rang des eurosceptiques en diable, en arrive à ce constat désabusé : « Autrefois, le « sérieux » était, disait-on du côté des défenseurs de l’Union européenne. Ils alignaient les chiffres, brandissaient les directives. Aujourd’hui, quand on reprend les menaces, les sarcasmes, les mises en garde… on finit par se demander si curieusement et furieusement le populisme n’a pas fini par changer de camp »[xviii].

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[i] Sur le sujet, lire Europe : « avec Maastricht, on rira beaucoup plus » !, Coralie Delaume, L'Arène nue, 18-mars-15.
[ii] Philippe Séguin, Discours à l'Assemblée nationale, 05/05/1992.
[iii] 17 septembre 1992.
[iv] Michel Rocard, Le Monde, 22 septembre 2004, cité par Anne-Cécile Robert, Labyrinthe social-démocrate, Manière de voir, août 2012.
[v] Le directeur du Monde en 1992 à propos du référendum sur Maastricht, cité par Serge Halimi, ibid.
[vi] cité par Serge Halimi, ibid.
[vii] Frédéric Lordon, Pour une monnaie commune sans l’Allemagne (ou avec, mais pas à la francfortoise), Blog Le Monde diplomatique, 25/05/2013
[viii] Frédéric Lordon, La Malfaçon, monnaie européenne et souveraineté démocratique, Les Liens qui libèrent 2014, page 227
[ix] FUNKPROPAGANDA! Les Echos et l’Euro, Jacques Sapir, russeurope , 23-oct-13.
[x] Lire Le Terrorisme intellectuel de Jacques Attali, L’œil de Brutus, 27/01/2012.
[xi] À TOUS ET TOUTES…, Jacques Sapir, russeurope, 11-nov-13 ; Saloperies…, Jacques Sapir, Marianne, 04-févr-14.
[xii] Jean-Marie Colombani, Direct Matin, 03/02/2014
[xiii] Lire, entre autres :
Toujours plus de Nobel d’économie euro-critiques !, Laurent Pinsolle, Gaulliste libre, 11/06/2013.
Euro : le changement d’avis d’un prix Nobel* d’économie, Laurent Pinsolle, Gaulliste libre, 15/12/2013.
[xiv] Lire son interview de 1996 sur le site Les Crises : [Reprise] Un entêtement suicidaire, par Milton Friedman 1/2 [1996], Les Crises, 13-févr-15.
[xv] Sur le sujet, lire De la liberté en Hollandie, l’œil de Brutus, 08/03/2014.
[xvii] Lire Faut-il avoir peur de sortir de l’Euro … et de rétablir le Franc ?, François Asselineau, Forum démocratique, 14/02/2014.

[xviii] Le populisme eurobéat, Joseph Macé-Scaron, Marianne, 10-mai-14.

2 commentaires:

  1. Comment peut-on se dire "pro-européen" et soutenir les institutions et le fonctionnement actuels de l'Europe ? C'est précisément parce que je me sens profondément européen que je suis écœuré.
    Européen au sens de Danthès, le héros tragique et brillant de Romain Gary dans Europa qui montrait que l'Europe telle que nous la fantasmons n'a jamais existé que dans nos têtes. Qu'elle est une idée de culture et de civilisation que l'on peut chérir, la représentation d'un idéal humaniste dont l'on doit s'inspirer. Mais son essence même est détruite par les mensonges des petits gris néolibéraux de Berlin, Bruxelles et Bercy.
    Tentative d'illustration par une petite fable : https://cincivox.wordpress.com/2015/01/19/lenlevement-deurope-par-les-cabris/

    Cincinnatus
    https://cincivox.wordpress.com/

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  2. Dans l'Union Européenne, il n'y a pas que la Grèce.

    Neuf pays de l'Union Européenne sont en faillite.

    La Grèce, l’Italie, le Portugal, l’Irlande, Chypre, la Belgique, l’Espagne, la France, le Royaume-Uni sont en faillite.

    Chiffres Eurostat publiés le mardi 21 avril 2015 :

    1- Médaille d’or : Grèce. Dette publique de 317,094 milliards d’euros, soit 177,1 % du PIB.

    2- Médaille d’argent : Italie. Dette publique de 2134,920 milliards d’euros, soit 132,1 % du PIB.

    3- Médaille de bronze : Portugal. Dette publique de 225,280 milliards d’euros, soit 130,2 % du PIB.

    4- Irlande : dette publique de 203,319 milliards d’euros, soit 109,7 % du PIB.

    5- Chypre : dette publique de 18,819 milliards d’euros, soit 107,5 % du PIB.

    6- Belgique : dette publique de 428,365 milliards d’euros, soit 106,5 % du PIB.

    7- Espagne : dette publique de 1033,857 milliards d’euros, soit 97,7 % du PIB.

    8- France : dette publique de 2037,772 milliards d’euros, soit 95 % du PIB.

    9- Royaume-Uni : dette publique de 1600,862 milliards de livres sterling, soit 89,4 % du PIB.

    http://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/6796761/2-21042015-AP-FR.pdf/7466add3-3a70-4abb-9009-bc986a5d2c0a

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