Avec
« Le suicide français », il
a signé un grand succès littéraire, qui a fait couler beaucoup d’encre. Si
on peut saluer le succès d’un livre qui va contre la pensée dominante, son
analyse est forcément bien plus complexe que ne le suggère la plupart de ses
critiques, comme de ses amateurs.
L’étonnant
surmoi marxiste de Zemmour
Natacha
Polony, qui
a sans doute signé une des meilleures critiques de ce livre, note que que
ce livre est plus complexe qu’il n’y paraît. En effet, Eric Zemmour se fait
parfois, à la grande surprise, quasi marxiste. Le voici qui soutient que
« la machine idéologique infernale
ne se grippera plus : toute réduction - même la moins justifiée même la
moins légitime – des avantages sociaux se parera des atours de la réforme
tandis que la défense des acquis sociaux par ses bénéficiaires sera diabolisé
sous le terme de conservatisme » ! Il dénonce les entreprises du
CAC 40, dont la moitié des capitaux, trois quarts du chiffre d’affaire et 85% de
la croissance sont étrangers. Il
souligne que PSA a paradoxalement moins délocalisé que Renault, dont les
effectifs en France ont fondu de moitié de 1986 à 2005.
Pour lui,
« c’est en fait le summum de la
lutte des classes. Après avoir dépouillé de leur outil de travail les
prolétaires made in France, on les traite de ‘racistes’ s’ils osent défendre
leur mode de vie boulversé par la destruction de leur cadre, de leurs repères,
de leurs références, jusqu’à leur modeste tranquillité ». Citant
Martin Hirsch qui rapporte un dialogue avec Louis Schweitzer sur les raisons
pour lesquelles les riches ne donnaient pas plus, l’ancien patron avait répondu :
« Et bien, mon cher ami, je vais
vous expliquer quelque chose. Les biens qui nous intéressent augmentent encore
plus vite. Drouot, cela augmente, les montres de collection, cela prend de la
valeur, l’immobilier aussi. En fait, on ne se rend pas compte quand on n’y est
pas confronté, mais les biens qui intéressent les gens fortunés connaissent une
forte inflation ». Il cite aussi Larry Summers qui dénonce ces « élites sans patrie qui ont fait allégeance à
la mondialisation économique et à leur propre prospérité plutôt qu’aux intérêts
de la nation où elles vivent ».
Et dans un
curieux écho à la
polémique sur la proximité entre le FN et le PCF des années 1970, il cite
Georges Marchais, en janvier 1981 : « Quand aux patrons et au gouvernement français, ils recourent à
l’immigration massive comme on pratiquait autrefois la traite des Noirs pour se
procurer une main d’œuvre d’esclaves modernes, surexploitée et sous-payée (…)
C’est pourquoi nous disons : il faut arrêter l’immigration sous peine de
jeter de nouveau travailleurs au chômage ». Il rappelle qu’ « en 1846, Auguste Mimerel, filateur à
Roubaix, fondait la première organisation patronale française. Il posait deux
grands principes : 1, il faut qu’une permanente menace de chômage pèse sur
l’ouvrier pour contenir ses revendications 2, il faut laisser entrer la main
d’œuvre étrangère pour contenir les salaires » et dénonce l’alliance
entre les patrons libéraux et les associations libertaires.
Une
critique intéressante de la société
Il s’élève
contre « nos élites bhlisées
reprennent l’ancien cosmopolitisme aristocratique du XVIIIè siècle et de
Coblence, mais y ajoutent une utilisation redoutable du régime de Vichy et de
la collaboration pour jeter l’opprobre sur toute notion de patriotisme,
d’attachement à la terre natale, de sollicitude pour les plus pauvres ».
Il cite Rousseau : « Défiez-vous
de ces cosmopolites qui vont chercher loin dans leurs livres des devoirs qu’ils
dédaignent de remplir autour d’eux (…) L’essentiel est d’être bon aux gens avec
qui l’on vit ». Il souligne le racisme d’une certaine élite contre le
peuple : « Pour la première fois,
dans les années 1970, les jeunes révoltés ne s’en prennent pas seulement aux
classes supérieures, mais aussi aux classes populaires » et cite Globe, l’éphémère hebdomadaire de BHL et
Bergé, pour qui : « Bien sûr,
nous sommes résolument cosmopolites. Bien sûr, tout ce qui est terroir, béret,
bourrées, binious, bref franchouillard ou cocardier, nous est étranger, voire
odieux ».
Il note que
« l’informatique encourage une
décentralisation, une dispersion du pouvoir de décision contraire à notre
tradition (…) le capitalisme à l’ère informatisée redevient une jungle où
règne a loi du plus fort, un monde hobbesien de la guerre de tous contre tous.
Une violence de type féodal ressurgit ». D’ailleurs, « les nouveaux féodaux régionaux,
départementaux et municipaux, enhardis par leur fraiche légitimité et enivrés
par leur nouveau pouvoir, firent couler le béton dans hôtels administratifs
couvetn somptuaires. Des budgets de communication faramineux chantèrent la
gloire du roitelet-soleil ». Il prend position pour le cumul des
mandats, dont l’interdiction « couperait
le lien entre les provinces et Paris. La France redeviendrait cet agrégat
inconstitué de peuples désunis dénoncé par Mirabeau » et cite
Pompidou : « Il y a eu déjà
l’Europe des régions ; ça s’appelait le Moyen âge ; ça s’appelait la
féodalité ».
Il offre une
chronique politique intéressante et saignante, notamment à propos de Jacques
Chirac : « en 2002, à peine
réélu, Chirac annonça les trois priorités de son quinquennat : lutte
contre le cander, lutte contre l’insécurité routière et insertion des
handicapés ; des objectifs dignes d’un président de conseil général ».
Il note que « dès 1996, la France
réintégrait 36 des 38 comités de l’OTAN », préparant la décision de
réintégration du commandement militaire de Nicolas Sarkozy. Cruel, il reprend
les citations des partisans de Maastricht, qui promettaient plus d’emplois et
de prospérité, tout en conservant la maîtrise du budget… Il juge sévèrement la
performance de Philippe Séguin face à François Mitterrand, jugeant que « l’argumentaire trop rationnel refusant les
effets de manche et la mauvaise foi, ôtèrent sans doute au camp du non les
quelques milliers de voix qui lui manquèrent pour faire basculer le
destin » et conclut « cette
campagne de Maastricht se révéla la dernière de la démocratie française ».
Mais ce
faisant, on distingue ici les limites de ce livre. S’il raconte bien une
histoire, il le fait sans nuance et en se complaisant dans des excès et
jugements sommaires (la campagne de Maastricht n‘ayant pas été la dernière de
notre démocratie), ce sur quoi je reviendrai dans les prochains jours.
Source :
« Le suicide français »,
Eric Zemmour, Albin Michel
Suite demain
Ce ne serait pas mal Zemmour en fait. On m'avait pourtant laissé penser qu'il défendait Pétain. Pétain qui se faisait passer pour patriote mais qui a vendu la France à l'Allemagne, qui voulait remettre ces paresseux de Français au travail, dans une politique de collaboration qui vous expliquait que la France, c'était fini, que l'avenir était dans une Europe unifiée où l'Allemagne donnerait le ton.
RépondreSupprimerOn ne comprend plus où se placent les gens ! Il n'y a que des aveugles guidant des aveugles.
Guadet
@LH,
RépondreSupprimer"S’il raconte bien une histoire, il le fait sans nuance"
J'avoue ne pas comprendre. Ce qui n'est pas votre avis manque de nuance ? Zemmour développe une analyse historique et politique. Une fois encore... les mots et leur sens... ce que vous appelez nuance est un désaccord idéologique et politique... j'ai pour ma part le sentiment que cette exigence de nuance dérive en premier lieu du même et éternel discours moral. Vous m'indiquerez si je me trompe. Zemmour a produit un excellent ouvrage, dans une langue précise et parfaitement nuancée.
ps : peut-on indiquer par ailleurs qui est ce maître des nuances - des élégances ? - dans l'espace public et au nom de qui il dispose ? Merci !
Laurent,
RépondreSupprimerTon article et les citations d'Eric Zemmour ne font que confirmer que les dominants, que certains appellent à tort les "élites", empêchent tout débat, toute analyse dans ce pays grâce à leur mainmise sur la culture (cf. la réforme des programmes scolaires) et les médias. Les socialauds sont les fossoyeurs de la République et de nos valeurs.
Il faut absolument les mettre au dehors au plus tôt.
DemOs
@ Guadet
RépondreSupprimerJe vais consacrer 4 papiers pour résumer ce livre de 500 pages. Ce premier papier recensait les aspects positifs de son analyse. Les suivants, à partir de demain, seront beaucoup moins tendres. Il y a beaucoup d’aspects extrêmement gênants dans ce livre.
@ Anonyme
Comme je l’indique, je traiterai cet aspect dans les prochains papiers. Ce n’est pas l’objet de celui-là. Rendez-vous demain, dimanche et lundi.
@ Démos
C’est vrai sur le débat. Mais attention sur ce livre : Natacha Polony en a produit un jugement que je partage très largement.