dimanche 3 mai 2015

Eric Zemmour se raconte un roman

Après avoir étudié les aspects intéressants de l’analyse d’Eric Zemmour, puis rapporté sa misogynie, qui verse parfois dans une vision de la société plus proche de la Préhistoire que de l’après-guerre, il faut noter un autre aspect étonnant chez ce féru d’histoire, ces nombreux arrangements avec la vérité.



Entre progressisme et Tea Party

Bien sûr, une partie de l’analyse économique du Suicide Français rejoint les analyses des alternatifs. Il met en parallèle Jean-Claude Trichet à sa nomination à la tête de la BCE « I am not French » avec Christopher Soames, ancien commissaire britannique, pour qui : « dans une organisation internationale, il faut toujours mettre un Français car ils sont les seuls à ne pas défendre les intérêts de leur pays ». Il note que le patron de la BCE est 15% mieux payé que le président de la Commission et les commissaires 25% mieux payés que le chancellier Allemand ou le président Français. Enfin, pour lui « les consommateurs français profitaient à plein des baisses de prix ; ils ne se rendaient pas compte que les satisfactions qu’ils tiraient en tant que consommateur plombaient la feuille de paie du salarié, et menaçaient l’emploi du chômeur en puissance qu’ils étaient ».

Mais il dit aussi que « la France a laissé filé les coûts salariaux », ce qui n’a de sens que si la politique de régression sociale est une norme. Il récidive en disant qu’« en France, le SMIC fut revalorisé massivement, de coup de pouce en coup de pouce, à l’occasion de chaque élection présidentielle ». Pour rappel, Jacques Chirac avait accordé un coup de pouce de 2% en 1995 et François Hollande, de 0,6% en 2014, ce qui est d’autant moins fort qu’il faudrait prendre en compte les gains de productivité. Enfin, il dénonce un système social « aux couches épaisses, étouffantes, financées à coup d’endettement public » avec l’accent des Tea Party qui contraste avec des tonalités parfois plus sociales. C’est d’autant plus étrange que nous ne sommes pas si endettés et que nous ne dépensons pas tant que cela.

Recalé en histoire économique

Puis il avance que nos déficits viendraient d’un manque d’épargne, d’un excès de consommation, alors qu’ils viennent d’un libre-échange dévastateur. Il affirme imprudemment que « la France, comme l’Amérique, est en déficit extérieur car elle a désappris l’épargne. Et en particulier l’épargne publique » alors que notre pays a un fort taux d’épargne des ménages et que l’Etat n’épargne pas. Il affirme aussi que « du 19ème siècle jusqu’à la reconstruction d’après 1945, le capitalisme avait privilégié l’épargne et l’investissement, mettant en avant les tempéraments austères et économes (…) La fin de la parité entre le dollar et l’or a enterré les efforts déployés au cours de tout le XXe siècle pour rétablir l’ordre et la stabilité du XIXe siècle », ce qui est totalement infirmé par les nombreuses bulles spéculatives qui éclatent jusqu’en 1929, le 19ème siècle n’ayant pas été un modèle de stabilité, avec de nombreuses crises financières.

Il s’égare complètement sur la fameuse loi de 1973 : « c’était l’article 25 de la loi de 1973 qui interdisait à l’Etat de se refinancer gratuitement auprès de la Banque de France, comme il l’avait fait depuis l’après-guerre et sous le Général de Gaulle (…) il fallait adopter le modèle américain (…) La loi de 1973 était le produit de son temps ». Non seulement il n’y a pas d’équivalent aux Etats-Unis, mais en outre, il a été démontré que cet article ne remonte pas à 1936 et que cette loi n’a pas du tout joué le rôle que certains lui attribuent encore, malgré les précisions apportées par plusieurs experts.

Le gaullisme, réinventé et critiqué

Eric Zemmour place le Général de Gaulle comme la figure tutélaire de notre histoire : « la France était en train de mourir mais ne le savait pas encore. Elle n’existerait plus sans le Général de Gaulle ». Mais sa présentation du grand homme fait souvent fausse route. Il voit en lui un homme du 19ème siècle. Etrange pour un homme qui a théorisé l’utilisation des chars, voyait dès 1940 comment finirait la guerre, et qui a su accompagner l’évolution de la société, ce que Zemmour lui reproche d’ailleurs : « il avait lui-même sapé son œuvre de rétablissement en laissant les femmes, avec la fameuse loi Neuwirth autorisant la pilule en 1967 s’emparer du feu sacré de la procréation ».

Sur l’Algérie, il soutient que « De Gaulle choisit donc le progrès économique et social contre la grandeur impériale et la profondeur géostratégique (…) Il privilégia la jouissance hédoniste pour enterrer l’héroïsme chevaleresque ; le matérialisme consumériste à rebours d’une vision sacrificielle de l’existence » tout en disant, sans se rendre compte de la contradiction, que « jeune, de Gaulle, qui n’avait pas attendu Samuel Huntington pour théoriser le choc de civilisations », à rebours de tout le message qu’ll a transmis. Plus ridicule encore, il soutient qu’après 1968, « De Gaulle vira gauchiste. Il rêva d’autogestion » alors que ces écrits des années 1940 démontrent qu’il y pensait depuis longtemps. Il soutient même que « La gauche put dès lors enclencher l’opération de récupération du Général », dont on cherche encore les traces alors que François Mitterrand a construit la gauche contre le gaullisme.

Entre réalité arrangée et excès

A force de penser que tout est lié, Eric Zemmour finit par écrire une histoire qui semble s’éloigner de plus en plus de la réalité, l’important étant de trouver une cohérence, même imaginée, aux évènements, quitte à prendre de grosses libertés avec la réalité. Il tombe également dans des excès ridicules. La première ligne du livre « La France, l’homme malade de l’Europe » est assez ridicule car si notre pays est en crise, il n’est pas celui qui va le plus mal. N’est-il pas très excessif de faire de « Cohn-Bendit, l’icône de la nation » ? Si la situation est difficile aujourd’hui, il tombe trop souvent dans un noir et blanc qui manque furieusement des nuances que cet amateur d’histoire devrait pourtant connaître.

Ainsi, il décrit une « déconstruction joyeuse, savante et obstinée des moindres rouages qui avaient édifié la France, histoire d’une dépossession absolue », mais pourquoi parler « des moindres rouages » ? Tout ce qui est excessif n’est-il pas insignifiant ? Evoquer la « colonisation des esprits » provoquée par Dallas est tout aussi excessif. Et n’exagère-t-il pas en parlant de « la décapitation par Mai 68 de la structure hiérarchique qui donnait sa colonne vertébrale à la société française » ou quand il dit que « cette victoire (de 1998) fut dérobée, subtilisée, transformée, transfigurée un soir d’été, par nos élites politiques, intellectuelles et médiatiques et devint un formidable objet de propagande » ?

Finalement, Natacha Polony a très bien décrypté ce livre en soulignant qu’une de ses principales carences est sa « pensée binaire ». Pire, à force de vouloir servir sa lecture de l’histoire de notre pays, il finit par tordre l’histoire pour qu’elle colle à sa vision sans nuance des choses, ce sur quoi je reviendrai demain.

Source : « Le suicide français », Eric Zemmour, Albin Michel


Suite demain

11 commentaires:

  1. "La première ligne du livre « La France, l’homme malade de l’Europe » est assez ridicule car si notre pays est en crise, il n’est pas celui qui va le plus mal."

    ça dépend de quoi il parle. S'il s'agit d'économie il a tort, s'il s'agit de mentalités il a plutôt raison. Une grande partie de la presse, y compris à droite, est occupée à taper sur la France, plus ou moins sournoisement.

    Voyez encore ici :

    http://www.lepoint.fr/invites-du-point/francois-kersaudy/kersaudy-l-accession-d-hitler-au-pouvoir-l-histoire-interdite-02-05-2015-1925705_1931.php

    où l'on veut à tout prix mouiller la France dans l'accession d'Hitler au pouvoir, alors que l'extrême droite et l'extrême gauche allemande n'avaient nul besoin de nous pour faire des putsch (Kapp en 1920, tentative des communistes en 1922, assassinats dont celui de Rathenau...) et alors que la France a été occupée trois ans par les Allemands suite à 1871 sans se lancer dans le fascisme.

    Et c'est en permanence la même chose, avec un dénigrement de l'histoire de France, de ses institutions, ou même de sa pertinence face à l'Europe, qui n'existent pas ailleurs.

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  2. L'Allemagne pratique la politique de la France dans l'entre 2 guerres :

    Ayant unilatéralement décrété, sans aucune concertation avec les autres grandes puissances, l’augmentation massive de ses réserves d’or de 7 à 27 % entre 1927 et 1932, ayant de ce fait très substantiellement contribué à assécher l’approvisionnement en or sur les marchés mondiaux, la France fut donc directement responsable de la spirale déflationniste gigantesque qui devait s’abattre sur l’ensemble des nations développées de l’époque. La déflation – principal traumatisme de la Grande Dépression – aurait ainsi pu être évitée si la Banque de France avait maintenu ses ratios aurifères de 1927. C’est donc cette accumulation frénétique de métal jaune de la part de la France qui a attisé la pression déflationniste globale, alors que le maintien de ses réserves d’or à leurs niveaux préalables à la Grande Dépression n’aurait pas altéré la corrélation historique entre prix à la consommation et à la production d’une part et quantités d’or détenues par les banques centrales d’autre part. Léon Blum, Président du Conseil, sortit finalement la France de l’étalon-or en 1936, mais le mal était fait.

    http://www.michelsanti.fr/leurope-face-a-ses-vieux-demons/

    Si les performances économiques de la France ne sont pas si mauvaises, en revanche son moral est dans les chaussettes :

    La France, par contre, ne fait guère un bon score : 6 575 selon le rapport ce qui ne lui permet d'avoir que la 29 ème place... et surtout ce qui la place loin derrière les principaux pays de l'Union Européenne.

    http://www.economiematin.fr/news-classement-pays-heureux-suisse-france-world-happiness-report

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  3. Dans les années qui viennent, un million de migrants vont rentrer dans les pays européens.

    La plupart de ces migrants viendront du sud et ils traverseront la Mer Méditerranée.

    L’espace Schengen comprend les territoires des 26 États européens qui ont mis en œuvre l'accord de Schengen et la convention de Schengen signés à Schengen (Luxembourg), en 1985 et 1990.

    Carte de l'espace Schengen :

    En bleu : espace Schengen ; en vert : futurs membres.

    http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/63/Schengen_Area.svg

    L'espace Schengen est un grand espace de libre-circulation.

    Un étranger qui traverse la Mer Méditerranée, qui parvient à pénétrer en Italie, peut ensuite remonter vers le nord et passer en France.

    C'est une catastrophe pour la France.

    La France doit rompre avec ces trente années de libre-circulation.

    La France doit reprendre le contrôle de ses frontières.

    Vite.

    Avant qu'il ne soit trop tard.

    Dimanche 3 mai 2015 :

    Au large de l'Italie, 3 700 migrants secourus en une seule journée.

    http://www.francetvinfo.fr/monde/europe/naufrage-a-lampedusa/video-au-large-de-l-italie-3-700-migrants-secourus-en-une-seule-journee_893477.html

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  4. Si vous avez quelque chose à démontrer faites le...mais pour le moment vous critiquez sans aucun argument...si ce n'est votre acidité...c'est un peu léger...

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  5. Au sujet du " suicide français"

    extrait du livre de Léon Poliakov : "bréviaire de la haine" calmann-levy , copyright 1951 , préface de Mauriac , page 201 :

    " Du sort relativement plus clément des Juifs de France , Vichy fut en fait le facteur prépondérant".
    la thèse de Poliakov rejoint celle de Zemmour.

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  6. "Mais il dit aussi que « la France a laissé filé les coûts salariaux », ce qui n’a de sens que si la politique de régression sociale est une norme."

    A partir du moment où on fait le choix de l'euro et du libre-échange, augmenter les salaires implique faillites ou délocalisations massives d'entreprises.


    "Il récidive en disant qu’« en France, le SMIC fut revalorisé massivement, de coup de pouce en coup de pouce, à l’occasion de chaque élection présidentielle ». Pour rappel, Jacques Chirac avait accordé un coup de pouce de 2% en 1995 et François Hollande, de 0,6% en 2014, ce qui est d’autant moins fort qu’il faudrait prendre en compte les gains de productivité."

    Si on compare à l'Allemagne sur la même période, c'est effectivement "massif"...


    De ce que j'en comprends (pas lu le livre), cette position est tout-à-fait justifiée. Lui a l'air d'être contre l'euro et contre le libre-échange.
    Mais à partir du moment où le choix a été fait de l'euro et du libre-échange, il dit à ceux qui ont fait ce choix d'être cohérents. Et de mener une politique économique qui tient compte de la réalité. Notamment de la politique de déflation salariale allemande.

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  7. Ce pauvre Zemmour ne fait que du marketing, il a un public de simples d'esprits comme Bip et ses livres se vendent comme des petits pains :

    « Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie, mais complexe »

    Alexis de Tocqueville

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    1. Merci d'illustrer avec votre citation comment l'euro et les politiques libre-échangistes sont parvenues à s'imposer. C'est sans doute une partie de la réponse.


      Une autre citation de Tocqueville qui pourrait expliquer pourquoi ces politiques sont menées :

      « Préoccupés du seul soin de faire fortune, les hommes n’aperçoivent plus le lien étroit qui unit la fortune particulière de chacun d’eux à la prospérité de tous »


      ps : tant qu'on en est aux citations, j'aurais pu résumer ce que je pensais être de la position de Zemmour (que je partage) par celle-ci de Talleyrand :

      « Je pardonne aux gens de n’être pas de mon avis, je ne leur pardonne pas de n’être pas du leur. »

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  8. @ Anonymes

    On peut prendre le problème comme on le veut, mais rien ne montre que la France est le pays qui va le plus mal d’Europe. Cette affirmation introductive ne repose sur rien et démontre l’excès de ce livre.

    Merci pour les rappels historiques

    @ Axel

    Sans aucun argument. Vous avez lu beaucoup de critiques de ce livre aussi détaillée, avec autant de citations, et reconnaissant les points positifs du livre (cf 1er pays)

    @ Bip

    Pas d’accord ici car il ne précise pas le contexte et les termes sont largement excessifs de toutes les façons. Je pense surtout qu’il n’est pas cohérent, ni rigoureux. Notre pays n’a pas laissé filé les coûts salariaux. Et parler de revalorisations massives du SMIC alors qu’il a à peine progressé plus que le SMIC est ridicule.

    Belles citations de Tocqueville

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  9. premier commentaire "censuré", bon ; citer Tocqueville, sorte d"inventeur du libéralisme, dans un site se réclamant du Gaullisme me semble étrange. Le syndrome Che 2002 en marche.

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  10. Je n'ai pas censuré le moindre commentaire. Ces citations de Tocqueville sont de belles citations. Ce n'est pas parce qu'il est un père du libéralisme qu'il faudrait ne pas le voir.

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