mardi 26 mai 2015

OGM : ni excès d'honneurs, ni excès d'indignité (billet)

Billet invité de Jean-Louis Porry, complément au débat suscité par mon papier « A quand l’interdiction du Roundup de Monsanto ? »



Contrairement aux annonces récurrentes de nouvelles applications, la quasi totalité des plantes génétiquement modifiées -PGM- utilisées dans l'agriculture appartiennent à la même génération que celles qui ont été mises en marché à la fin du siècle dernier. Les gènes qui leur ont été transférés leur confèrent des propriétés insecticides ou leur permettent de résister à un herbicide. Il y a une confusion sur le terme de "générations" d'OGM. Pour certains, on doit parler de "deuxième, troisième... génération" dès que plus d'un caractère a été transféré, par exemple la capacité de produire deux sortes de protéines insecticides, ce qui leur confère un spectre de résistance plus large. Par exemple, le maïs TC 1507, qui a défrayé la chronique, relève de cette catégorie (une propriété herbicide et une propriété insecticide). En fait, de tels OGM ne présentent pas de différences significatives avec la première génération, que ce soit pour leur utilisation ou pour les méthodes de transgénèse utilisées. Il est préférable de réserver ce terme à des OGM où les caractères introduits, souvent avec des méthodes plus sophistiquées, modifient le comportement d'ensemble de la plante, par exemple en lui permettant de résister à la sécheresse.

OGM "insecticides". Pour conférer aux PGM des propriétés insecticides, on leur transfère un gène provenant de Bacillus thurigensis (cf. encadré). L'avantage est d'éviter l'utilisation de pesticides de synthèse, notamment des organo-chlorés dont on connaît la nocivité, mais des formes d'insectes résistantes semblent apparaître assez rapidement, de même qu'est favorisée l'émergence d'autres ravageurs précédemment masqués par le parasite visé par la toxine Bt. L'effet sur des insectes utiles existe, mais est bien moindre que ce qui résulte des insecticides de synthèse ; par contre, les craintes liées au largage de toxine dans le sol par les racines des PGM subsistent, avec des effets à long terme sur la microfaune et la fertilité des sols ; les mêmes craintes d'effet à long terme existent en Amérique du Nord pour les milieux aquatiques dans les zones où l'usage du maïs Bt est généralisé, mais là encore sont moindres que celles liées aux produits de synthèse.

Bacillus thurigensis est une bactérie présente dans tous les milieux et qui sécrète une protéine toxique pour les larves de nombreux insectes. Il en existe plusieurs variétés ciblant diverses familles d'insectes. Elle a été utilisée à partir des années 1950 pour produire un insecticide naturel, largement utilisé en agriculture biologique.

OGM "anti-herbicides". Pour faciliter le désherbage, on transfère à la PGM un gène inhibant l'action du produit herbicide. Le plus connu des désherbants total que l'on peut alors épandre sans risque pour la plante cultivée est le glyphosate, commercialisé sous la marque Round-Up par Monsanto. L'avantage est de permettre des économies sur les travaux d'entretien des parcelles cultivées, pouvant même aller jusqu'à des cultures sans labour, ce qui est favorable à la conservation à long terme des sols, mais avec une incitation à sur-doser l'herbicide pour assurer l'élimination des adventices, avec contamination du sol et des cours d'eau. Il y a un risque de toxicité pour les animaux à sang chaud du glyphosate, et surtout des adjuvants qui lui sont associés dans le Round-Up, risque accru par son utilisation exclusive, en vertu du vieil adage "c'est la dose qui fait le poison". Enfin de nombreuses plantes sauvages développent maintenant des résistances au glyphosate, suite à son emploi quasi exclusif dans certaines zones.

Avantages vs inconvénients. Dans les pays développés les avantages immédiats de l'utilisation des OGM sont annulés par leurs inconvénients, surtout pour les PGM résistantes aux herbicides. Il faut rajouter deux inconvénients structurels : leur utilisation conforte la dépendance de l'agriculture vis-à-vis des fournisseurs de semences et de pesticides (qui sont les mêmes dans le cas de Monsanto), et donc la marchandisation de l'agriculture et de la production de nourriture ; également et peut-être surtout, ils contribuent à conforter des systèmes d'exploitation fondé sur la monoculture, alors que l'agriculture durable devrait reposer sur des assolement élaborés, qui sont le meilleur moyen de casser les cycles de reproduction des parasites, animaux ou végétaux

Si les OGM ne présentent pas une réelle utilité sociale pour les pays du Nord, il n'en va pas de même dans les pays du Sud, notamment pour l'utilisation de PGM dotées de propriétés insecticides. Même si ces résultats ne seront pas durable, l'utilisation de ces semences a changé la vie des petits producteurs de coton africains ou asiatiques qui pouvaient voir la moitié de leur récolte détruite par le bollworm. De même ces PGM auraient pu éviter la catastrophe écologique de la destruction de la mer d'Aral par les pesticides épandus largo manu sur les champs de coton d'Asie centrale. Enfin, il ne faut oublier l'intérêt de PGM dont les qualité nutritionnelles ont été améliorées, par exemple le riz doré, auquel a été transféré le gène de la jonquille permettant la synthèse du ß-carotène afin de lutter contre les déficits en vitamine A qui affectent de nombreux pays du Sud.

Concernant les dangers que présenteraient la consommation d'OGM pour la santé humaine, aucun n'a été vraiment prouvé. Un autre argument concerne les dangers pour la biodiversité ; ces dangers sont réels, mais ne sont pas plus importants que ceux résultant de l'utilisation de variétés de plantes améliorées selon les méthodes traditionnelles de sélection. Par contre, on peut considérer que le principe de précaution se justifie : si un effet nocif se manifeste un jour, pour la santé ou pour l'environnement, il sera sans doute trop tard pour y remédier, surtout si la plante cultivée concernée est voisine d'espèces sauvages où le gène défectueux aura été transféré.

Le plus grand inconvénient est que l'introduction des OGM est un élément important vers la main mise de quelques multinationales sur le secteur agroalimentaire à travers la brevetabilité du vivant.

OGM et faim dans le monde. On ne peut pas suivre l'argumentation des défenseurs des OGM selon laquelle ils seraient indispensables à la lutte contre la faim dans le monde. La réponse à ce problème n'est pas de nature technique -la crise alimentaire de 2008 a été causée par la spéculation plus que par des récoltes insuffisantes-, mais de nature socio-économique et repose sur une régulation des marchés, la protection des cultures vivrières dans les pays du Sud et la possibilité pour ces pays de mettre en œuvre des politiques visant à la souveraineté alimentaire. La relance annoncée de la Révolution Verte (cf. encadré) grâce aux OGM n'aurait que des résultats limités, compte tenu de la réduction des marges de progrès disponibles par rapport à 1960. Par contre elle accentuerait les effets négatifs de la première révolution verte, notamment pour la dépendance vis-à-vis du marché et des fournisseurs d'intrants.

Révolution verte. Politique d'intensification de l'agriculture des pays en développement, conçue au Mexique avec l'appui des USA et mise en œuvre à grande échelle en Inde et en Asie du Sud-Est dans les années 1960 à 1980. Cette politique est fondée sur l'utilisation de variétés de céréales à haut rendement, sur l'utilisation d'intrants (engrais minéraux et pesticides) ainsi que sur le développement de l'irrigation. Elle a entraîné un accroissement notable de la production qui a accompagné la croissance de la population pendant cette période. Elle s'est également accompagné d'effets négatifs (pollutions, dégradation des sols) qui compromettent la durabilité de ces résultats et elle a induit une dépendance vis à vis du marché et des fournisseurs d'intrants avec un bouleversement des systèmes agraires et un exode rural massif vers les bidonvilles des métropoles du Sud.

Où sont les nouveaux OGM ? Le fait que l'on reste toujours à cette première génération et que de nouveaux OGM qui pourraient présenter un réel intérêt restent à l'état de promesse non tenues mérite réflexion. Ces "OGM du futur" pourraient permettre d'accroître la production agricole en mettent en valeur de nouvelles surfaces (plantes résistant à la sécheresse ou tolérant à la salinité du soi, céréales pouvant fixer l'azote atmosphérique comme les légumineuses, donc pouvant se passer des engrais azotés).

Pour expliquer qu'ils restent à l'état de promesse, on peut avancer que ces modifications du comportement global de la plante relèvent de technique de transgénèse plus fines que les méthodes utilisées pour la première génération d'OGM. On peut également penser que l'évaluation des PGM de la deuxième génération est nettement plus longue que pour la première génération et diminue l'intérêt commercial en réduisant le délais pendant lequel le brevet est utilisable. On comprend alors que les multinationales préfèrent rester sur des OGM dont la technique de production est bien maîtrisée et qui assurent des retours économiques lucratifs.

La conclusion est que le développement scientifique ne peut être assuré par le secteur privé, sous peine de voir apparaître des biais. La recherche public devrait se re-saisir de la question, sous réserve qu'elle ne se laisse pas abuser par le "tropisme vers le fondamentalisme" justement relevé par Chevènement dans un de ses derniers ouvrages. Concernant la fixation de l'azote atmosphérique, on peut aussi rappeler que la disponibilité de céréales ainsi modifiées heurterait directement les intérêts des fabricants d'engrais et des pétroliers qui leur fournissent les matières premières.
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De façon plus générale, on peut également s'interroger sur le rejet quasi religieux suscité par les OGM dans une large frange de l'opinion publique. Il y a toujours eu des opposants à la nouveauté, pour de multiples raisons, mais l'écho que ces opposants rencontrent maintenant a peu de précédent, sur la question des OGM comme sur d'autres (nanotechnologies...). Ce rejet s'étend même à des développements incontestablement utiles, comme le montre la controverse sur le riz doré.


La déstabilisation induite par le libéralisme sauvage fait que nos contemporains ne considèrent plus que le progrès scientifique et technique aille de pair avec le progrès économique et social. Seul le retour à un ordre social plus juste permettra de rétablir la confiance dans le progrès.

9 commentaires:

  1. Merci pour cet article. Par contre, j'ai toujours du mal à saisir la justification du principe de précaution, surtout qu'il est rappelé que la conception des OGM ne diffère pas fondamentalement des méthodes de sélection traditionnelles ou des processus "naturels" de mutation/sélection. Si on a pas constaté de problème majeur depuis l'apparition de ces derniers, on voit mal pourquoi il en serait autrement pour les OGM.

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    1. En sélection traditionnelle, on combine des gènes provenant du pool génétique de l'espèce végétale concernée ou d'espèces voisines et interfécondes ; les risques d'apparition d'une combinaison indésirable et qui ne se serait jamais manifesté dans la nature sont nuls. Avec les OGM, les gènes introduits viennent d'ailleurs et n'ont pas pu être testés par la nature dans les périodes passées : le risque d'apparition d'une combinaison indésirable avec les gènes de la plante modifiée sont certes faibles, mais non-nuls.

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    2. Merci pour ces précisions. Savez-vous si l'on a déjà été confronté à ce type de combinaison indésirable à partir d'OGM ?

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    3. Pas à ma connaissance, mais il est évident que ce genre d'accident sera occulté le plus longtemps possible.

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  2. Merci pour cet article. Il est utile que des spécialistes puissent donner des informations sur ces sujets virant effectivement au passionnel.

    "La déstabilisation induite par le libéralisme sauvage fait que nos contemporains ne considèrent plus que le progrès scientifique et technique aille de pair avec le progrès économique et social. Seul le retour à un ordre social plus juste permettra de rétablir la confiance dans le progrès."

    C'est vrai, et cela peut d'ailleurs s'étendre à des innovations non risquées comme par exemple le Google Car (et les pertes d'emplois que cela risque d'entrainer).
    Mais en même temps ce n'est pas la seule raison, car la contestation avait commencé avant que le libéralisme ne commence à toucher l'Europe.
    On peut le voir dans le traitement des scandales sanitaires des années 1980, où soit il y avait un réel problème mais mal présenté dans la presse, soit le problème est en grande partie imaginaire (cas du nuage de Tchernobyl, où Pellerin avait diffusé les informations en temps et en heure, contrairement aux caricatures de Libé).

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  3. Merci pour ce billet, aussi factuel, que modéré, deux qualités rares de nos jours.

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  4. Les mutations par rayonnement X datent du début du XX ème siècle, et les mutations par rayonnement gamma datent de depuis le début du vivant, ces mutations sont quasi aléatoires et n'ont pas provoqué de catastrophes.

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  5. Depuis les débuts de l’agriculture, il y a environ 10000 ans, les cultivateurs ont, sans le savoir, mis à profit la mutagénèse spontanée. Ils sélectionnaient dans leurs champs les plantes qui leur paraissaient les plus prometteuses et s’en servaient pour obtenir la génération suivante. La plupart de ces améliorations étant dues à des mutations, elles se transmettaient à la descendance. C’est ainsi qu’au fil des temps, les espèces cultivées ont été considérablement améliorées du point de vue agronomique et alimentaire. Il en est de même pour les animaux d’élevage. En arrachant des variétés obtenues par mutagénèse spontanée (comme Clearfield), les « faucheurs volontaires » balaient donc allègrement 10000 ans d’histoire de l’agriculture et de savoir-faire paysan ! C’est le retour au paléolithique, avant l’invention de l’agriculture.

    http://www.lespiedsdansleplat.me/ogm-caches-des-relents-ideologiques-alarmants/

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  6. Il faut quand même savoir que c’est grâce à ces mutations accumulées depuis des millénaires que l’humanité a pu se nourrir et se développer. Prenons simplement les cas du blé et du maïs, les céréales les plus emblématiques, avec le riz, de l’alimentation humaine et animale. La culture du blé, au néolithique, donnait un rendement de 2 à 3 quintaux à l’hectare, elle en donne maintenant plus de 80 dans de bonnes conditions. Quant au maïs, il n’existe tout simplement pas à l’état sauvage. On sait maintenant que le maïs était déjà cultivé il y au moins 8700 ans au Mexique, mais il a été littéralement « fabriqué » par les premiers paysans à force de sélection de caractères héréditaires, donc de mutations, à partir d’un ancêtre sauvage, probablement la teosinte, qui n’a qu’une assez vague ressemblance avec lui, comme le montre la photo ci-dessous.

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