Billet invité de Jean-Louis Porry, complément au débat
suscité par mon papier « A
quand l’interdiction du Roundup de Monsanto ? »
Contrairement aux annonces récurrentes de nouvelles
applications, la quasi totalité des plantes génétiquement modifiées -PGM-
utilisées dans l'agriculture appartiennent à la même génération que celles qui
ont été mises en marché à la fin du siècle dernier. Les gènes qui leur ont été
transférés leur confèrent des propriétés insecticides ou leur permettent de
résister à un herbicide. Il y a une confusion sur le terme de
"générations" d'OGM. Pour certains, on doit parler de "deuxième,
troisième... génération" dès que plus d'un caractère a été transféré, par
exemple la capacité de produire deux sortes de protéines insecticides, ce qui
leur confère un spectre de résistance plus large. Par exemple, le maïs TC 1507,
qui a défrayé la chronique, relève de cette catégorie (une propriété herbicide
et une propriété insecticide). En fait, de tels OGM ne présentent pas de
différences significatives avec la première génération, que ce soit pour leur
utilisation ou pour les méthodes de transgénèse utilisées. Il est préférable de
réserver ce terme à des OGM où les caractères introduits, souvent avec des
méthodes plus sophistiquées, modifient le comportement d'ensemble de la plante,
par exemple en lui permettant de résister à la sécheresse.
Bacillus thurigensis
est une bactérie présente dans tous les milieux et qui sécrète une protéine
toxique pour les larves de nombreux insectes. Il en existe plusieurs variétés
ciblant diverses familles d'insectes. Elle a été utilisée à partir des années
1950 pour produire un insecticide naturel, largement utilisé en agriculture
biologique.
OGM "anti-herbicides". Pour faciliter le
désherbage, on transfère à la PGM un gène inhibant l'action du produit
herbicide. Le plus connu des désherbants total que l'on peut alors épandre sans
risque pour la plante cultivée est le glyphosate, commercialisé sous la marque
Round-Up par Monsanto. L'avantage est de permettre des économies sur les
travaux d'entretien des parcelles cultivées, pouvant même aller jusqu'à des
cultures sans labour, ce qui est favorable à la conservation à long terme des
sols, mais avec une incitation à sur-doser l'herbicide pour assurer
l'élimination des adventices, avec contamination du sol et des cours d'eau. Il
y a un risque de toxicité pour les animaux à sang chaud du glyphosate, et surtout
des adjuvants qui lui sont associés dans le Round-Up, risque accru par son
utilisation exclusive, en vertu du vieil adage "c'est la dose qui fait le
poison". Enfin de nombreuses plantes sauvages développent maintenant des
résistances au glyphosate, suite à son emploi quasi exclusif dans certaines
zones.
Avantages vs inconvénients. Dans les pays
développés les avantages immédiats de l'utilisation des OGM sont annulés par
leurs inconvénients, surtout pour les PGM résistantes aux herbicides. Il faut
rajouter deux inconvénients structurels : leur utilisation conforte la
dépendance de l'agriculture vis-à-vis des fournisseurs de semences et de
pesticides (qui sont les mêmes dans le cas de Monsanto), et donc la
marchandisation de l'agriculture et de la production de nourriture ;
également et peut-être surtout, ils contribuent à conforter des systèmes
d'exploitation fondé sur la monoculture, alors que l'agriculture durable
devrait reposer sur des assolement élaborés, qui sont le meilleur moyen de
casser les cycles de reproduction des parasites, animaux ou végétaux
Si les OGM ne présentent pas une réelle utilité sociale
pour les pays du Nord, il n'en va pas de même dans les pays du Sud, notamment
pour l'utilisation de PGM dotées de propriétés insecticides. Même si ces
résultats ne seront pas durable, l'utilisation de ces semences a changé la vie
des petits producteurs de coton africains ou asiatiques qui pouvaient voir la
moitié de leur récolte détruite par le bollworm. De même ces PGM auraient pu
éviter la catastrophe écologique de la destruction de la mer d'Aral par les
pesticides épandus largo manu sur les champs de coton d'Asie centrale.
Enfin, il ne faut oublier l'intérêt de PGM dont les qualité nutritionnelles ont
été améliorées, par exemple le riz doré, auquel a été transféré le gène
de la jonquille permettant la synthèse du ß-carotène
afin de lutter contre les déficits en vitamine A qui affectent de nombreux pays
du Sud.
Concernant les dangers que présenteraient la consommation
d'OGM pour la santé humaine, aucun n'a été vraiment prouvé. Un autre argument
concerne les dangers pour la biodiversité ; ces dangers sont réels, mais
ne sont pas plus importants que ceux résultant de l'utilisation de variétés de
plantes améliorées selon les méthodes traditionnelles de sélection. Par contre,
on peut considérer que le principe de précaution se justifie : si un effet
nocif se manifeste un jour, pour la santé ou pour l'environnement, il sera sans
doute trop tard pour y remédier, surtout si la plante cultivée concernée est voisine
d'espèces sauvages où le gène défectueux aura été transféré.
Le plus grand inconvénient
est que l'introduction des OGM est un élément important vers la main mise de
quelques multinationales sur le secteur agroalimentaire à travers la
brevetabilité du vivant.
OGM et faim dans le monde. On ne peut pas suivre
l'argumentation des défenseurs des OGM selon laquelle ils seraient
indispensables à la lutte contre la faim dans le monde. La réponse à ce
problème n'est pas de nature technique -la crise alimentaire de 2008 a été
causée par la spéculation plus que par des récoltes insuffisantes-, mais de
nature socio-économique et repose sur une régulation des marchés, la protection
des cultures vivrières dans les pays du Sud et la possibilité pour ces pays de
mettre en œuvre des politiques visant à la souveraineté alimentaire. La relance
annoncée de la Révolution Verte (cf. encadré) grâce aux OGM n'aurait que des
résultats limités, compte tenu de la réduction des marges de progrès
disponibles par rapport à 1960. Par contre elle accentuerait les effets
négatifs de la première révolution verte, notamment pour la dépendance
vis-à-vis du marché et des fournisseurs d'intrants.
Révolution verte.
Politique d'intensification de l'agriculture des pays en développement, conçue
au Mexique avec l'appui des USA et mise en œuvre à grande échelle en Inde et en
Asie du Sud-Est dans les années 1960 à 1980. Cette politique est fondée sur
l'utilisation de variétés de céréales à haut rendement, sur l'utilisation
d'intrants (engrais minéraux et pesticides) ainsi que sur le développement de
l'irrigation. Elle a entraîné un accroissement notable de la production qui a
accompagné la croissance de la population pendant cette période. Elle s'est
également accompagné d'effets négatifs (pollutions, dégradation des sols) qui
compromettent la durabilité de ces résultats et elle a induit une dépendance
vis à vis du marché et des fournisseurs d'intrants avec un bouleversement des
systèmes agraires et un exode rural massif vers les bidonvilles des métropoles
du Sud.
Où sont les nouveaux OGM ? Le fait que l'on
reste toujours à cette première génération et que de nouveaux OGM qui
pourraient présenter un réel intérêt restent à l'état de promesse non tenues
mérite réflexion. Ces "OGM du futur" pourraient permettre d'accroître
la production agricole en mettent en valeur de nouvelles surfaces (plantes
résistant à la sécheresse ou tolérant à la salinité du soi, céréales pouvant
fixer l'azote atmosphérique comme les légumineuses, donc pouvant se passer des engrais
azotés).
Pour expliquer qu'ils restent à l'état de promesse, on
peut avancer que ces modifications du comportement global de la plante relèvent
de technique de transgénèse plus fines que les méthodes utilisées pour la
première génération d'OGM. On peut également penser que l'évaluation des PGM de
la deuxième génération est nettement plus longue que pour la première
génération et diminue l'intérêt commercial en réduisant le délais pendant
lequel le brevet est utilisable. On comprend alors que les multinationales
préfèrent rester sur des OGM dont la technique de production est bien maîtrisée
et qui assurent des retours économiques lucratifs.
La conclusion est que le développement scientifique ne
peut être assuré par le secteur privé, sous peine de voir apparaître des biais.
La recherche public devrait se re-saisir de la question, sous réserve qu'elle
ne se laisse pas abuser par le "tropisme vers le fondamentalisme"
justement relevé par Chevènement dans un de ses derniers ouvrages. Concernant
la fixation de l'azote atmosphérique, on peut aussi rappeler que la
disponibilité de céréales ainsi modifiées heurterait directement les intérêts
des fabricants d'engrais et des pétroliers qui leur fournissent les matières
premières.
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De façon plus générale, on peut également s'interroger sur
le rejet quasi religieux suscité par les OGM dans une large frange de l'opinion
publique. Il y a toujours eu des opposants à la nouveauté, pour de multiples
raisons, mais l'écho que ces opposants rencontrent maintenant a peu de
précédent, sur la question des OGM comme sur d'autres (nanotechnologies...). Ce
rejet s'étend même à des développements incontestablement utiles, comme le
montre la controverse sur le riz doré.
La déstabilisation induite par le libéralisme sauvage fait
que nos contemporains ne considèrent plus que le progrès scientifique et
technique aille de pair avec le progrès économique et social. Seul le retour à
un ordre social plus juste permettra de rétablir la confiance dans le progrès.
Merci pour cet article. Par contre, j'ai toujours du mal à saisir la justification du principe de précaution, surtout qu'il est rappelé que la conception des OGM ne diffère pas fondamentalement des méthodes de sélection traditionnelles ou des processus "naturels" de mutation/sélection. Si on a pas constaté de problème majeur depuis l'apparition de ces derniers, on voit mal pourquoi il en serait autrement pour les OGM.
RépondreSupprimerEn sélection traditionnelle, on combine des gènes provenant du pool génétique de l'espèce végétale concernée ou d'espèces voisines et interfécondes ; les risques d'apparition d'une combinaison indésirable et qui ne se serait jamais manifesté dans la nature sont nuls. Avec les OGM, les gènes introduits viennent d'ailleurs et n'ont pas pu être testés par la nature dans les périodes passées : le risque d'apparition d'une combinaison indésirable avec les gènes de la plante modifiée sont certes faibles, mais non-nuls.
SupprimerMerci pour ces précisions. Savez-vous si l'on a déjà été confronté à ce type de combinaison indésirable à partir d'OGM ?
SupprimerPas à ma connaissance, mais il est évident que ce genre d'accident sera occulté le plus longtemps possible.
SupprimerMerci pour cet article. Il est utile que des spécialistes puissent donner des informations sur ces sujets virant effectivement au passionnel.
RépondreSupprimer"La déstabilisation induite par le libéralisme sauvage fait que nos contemporains ne considèrent plus que le progrès scientifique et technique aille de pair avec le progrès économique et social. Seul le retour à un ordre social plus juste permettra de rétablir la confiance dans le progrès."
C'est vrai, et cela peut d'ailleurs s'étendre à des innovations non risquées comme par exemple le Google Car (et les pertes d'emplois que cela risque d'entrainer).
Mais en même temps ce n'est pas la seule raison, car la contestation avait commencé avant que le libéralisme ne commence à toucher l'Europe.
On peut le voir dans le traitement des scandales sanitaires des années 1980, où soit il y avait un réel problème mais mal présenté dans la presse, soit le problème est en grande partie imaginaire (cas du nuage de Tchernobyl, où Pellerin avait diffusé les informations en temps et en heure, contrairement aux caricatures de Libé).
Merci pour ce billet, aussi factuel, que modéré, deux qualités rares de nos jours.
RépondreSupprimerLes mutations par rayonnement X datent du début du XX ème siècle, et les mutations par rayonnement gamma datent de depuis le début du vivant, ces mutations sont quasi aléatoires et n'ont pas provoqué de catastrophes.
RépondreSupprimerDepuis les débuts de l’agriculture, il y a environ 10000 ans, les cultivateurs ont, sans le savoir, mis à profit la mutagénèse spontanée. Ils sélectionnaient dans leurs champs les plantes qui leur paraissaient les plus prometteuses et s’en servaient pour obtenir la génération suivante. La plupart de ces améliorations étant dues à des mutations, elles se transmettaient à la descendance. C’est ainsi qu’au fil des temps, les espèces cultivées ont été considérablement améliorées du point de vue agronomique et alimentaire. Il en est de même pour les animaux d’élevage. En arrachant des variétés obtenues par mutagénèse spontanée (comme Clearfield), les « faucheurs volontaires » balaient donc allègrement 10000 ans d’histoire de l’agriculture et de savoir-faire paysan ! C’est le retour au paléolithique, avant l’invention de l’agriculture.
RépondreSupprimerhttp://www.lespiedsdansleplat.me/ogm-caches-des-relents-ideologiques-alarmants/
Il faut quand même savoir que c’est grâce à ces mutations accumulées depuis des millénaires que l’humanité a pu se nourrir et se développer. Prenons simplement les cas du blé et du maïs, les céréales les plus emblématiques, avec le riz, de l’alimentation humaine et animale. La culture du blé, au néolithique, donnait un rendement de 2 à 3 quintaux à l’hectare, elle en donne maintenant plus de 80 dans de bonnes conditions. Quant au maïs, il n’existe tout simplement pas à l’état sauvage. On sait maintenant que le maïs était déjà cultivé il y au moins 8700 ans au Mexique, mais il a été littéralement « fabriqué » par les premiers paysans à force de sélection de caractères héréditaires, donc de mutations, à partir d’un ancêtre sauvage, probablement la teosinte, qui n’a qu’une assez vague ressemblance avec lui, comme le montre la photo ci-dessous.
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