Billet invité de Marc Rameaux, qui vient de publier « Portrait
de l’homme moderne », suite de la
1ère partie
L’usurpation économique
Le néo-libéral s’auto-décerne des
brevets de « réalisme » et « d’efficacité économique », à
travers notamment la notion de libre concurrence. Il n’admettra
éventuellement de freins aux forces du marché que celles qui viseraient à en
tempérer les dégâts humains, comme celui qui lâcherait une aumône lui donnant
bonne conscience, confortant un peu plus dans son esprit sa position de
« réaliste » par rapport à des « sentimentaux ».
C’est pourtant lui – comme le
note Georges Soros – qui peut être qualifié de naïf et d’irréaliste. Le
discours de la concurrence « pure et parfaite » n’est jamais tenu par
de véritables hommes d’entreprise, mais par ceux qui passent leurs temps entre
plateaux télé, presse creuse et cocktails mondains. Et bien entendu par les
membres de la commission européenne, qui parviennent à cumuler la bêtise des
trois précédents.
Ceux qui font le monde de
l’entreprise, qui conçoivent, agissent et produisent, savent comment l’économie
fonctionne véritablement. Et ce n’est en aucun cas le mode de la
« concurrence pure et parfaite ». L’économie de marché fonctionne –
cela est maintenant de plus en plus clair pour les économistes sérieux – selon
le mode de la concurrence monopolistique, un modèle qui n’a rien de
commun avec les rêveries idéologiques des néo-libéraux. En quoi la concurrence
monopolistique consiste-t-elle ? Elle suit un principe très simple, connu
depuis bien plus longtemps que nos économies modernes car il est au fondement
de tout art de la guerre : toute stratégie de combat consiste à obtenir un
temps d’avance sur l’adversaire. Transposée au monde économique, elle conduit
au schéma suivant, exposé par le grand Joseph Schumpeter :
·
Un entrepreneur introduit sur le marché une
innovation (pas seulement une innovation technologique, cela peut être un
nouveau service ou un nouveau canal commercial).
·
Cette protection de l’innovation est normale est
juste : il s’agit de la rétribution économique que perçoit un entrepreneur
pour sa prise d’initiative. Il est nécessaire que celui qui a pris un risque
économique en touche une rétribution, faute de quoi l’initiative serait
découragée. Dans un monde de concurrence « pure et parfaite », cette
rétribution n’existe plus. Celui qui innove voit son initiative récupérée et
dissoute par ses concurrents aussitôt qu’elle est apparue. Il n’y a donc plus
dans ce cas d’incitation à créer et innover. L’économie doit donc faire en
sorte de préserver pendant quelque temps un monopole de situation à celui qui a
pris une initiative, afin de récompenser sa création de valeur.
·
La protection ne doit pas durer indéfiniment,
faute de quoi elle dégénère en rente de situation et abus de position
dominante. C’est pourquoi Schumpeter parle de « quasi-rente » de
l’entrepreneur, par opposition à une rente complète. C’est seulement à ce stade
que la mise en concurrence doit intervenir et montrer son utilité. L’erreur des
néo-libéraux est de sauter l’étape précédente, indispensable à la création de
valeur.
·
Tout l’art de l’économie consiste ainsi à
ajuster finement le curseur entre le monopole de situation et la concurrence
totale. Pour être encouragée, l’initiative doit être protégée et récompensée
mais pas excessivement. L’économie obéit ainsi à deux forces
contradictoires : la création de valeur, et la mise en concurrence. Est-ce
si difficile à comprendre, même pour un néo-libéral ?
Le schéma de la concurrence
monopolistique, qui est celui de l’économie réelle et non de l’économie
fantasmée par les néo-libéraux, conduit à quelques conséquences pratiques, a
contrario de lieux communs tenus par les esprits faibles :
·
La concurrence n’est en rien créatrice de
valeur, elle est au contraire celle qui la détruit et la consomme. Elle a son
utilité, car c’est elle qui permet d’éviter les abus de position dominante. Et
elle est jusqu’à nouvel ordre le mécanisme le plus efficace de fixation des
prix et de réalisation des échanges entre acteurs économiques. Mais –
Schumpeter insiste sur ce point – elle ne produit rien en tant que tel. Et
détruit toute innovation et toute initiative si elle intervient préalablement à
toute action entrepreneuriale.
·
L’asymétrie de l’information n’est pas une
impureté résiduelle qu’il faudrait éradiquer pour atteindre le paradis
néo-libéral de la « concurrence pure et parfaite ». L’asymétrie de
l’information est le moteur même de l’économie, son cœur créateur de valeur, le
carburant de l’initiative et de l’inventivité. Et ceci est inscrit dans les
lois de toute stratégie de combat : la prise de l’initiative et du temps
d’avance est la première loi de l’art de la guerre.
·
Une phase de protection de l’initiative
entrepreneuriale est indispensable, afin que l’entrepreneur puisse toucher la
« quasi-rente » en récompense de son mérite. Cette phase de
protection nécessite une intervention dans l’économie. Sans intervention,
l’économie converge naturellement vers l’un des deux attracteurs qui sont sa
forme « naturelle » : la concurrence absolue, qui décourage
l’initiative car aboutit à copier instantanément toute innovation ou l’entente
oligarchique entre quelques trusts ayant réussi à tuer toute concurrence de
nouveaux entrants. L’économie saine est un équilibre entre ces deux pôles
extrêmes.
·
Les Etats-Unis sont l’une des nations les plus
interventionnistes et les plus protectionnistes du monde. Et il n’y a pas lieu
de leur en tenir rigueur : le succès économique des USA provient de leur
pragmatisme qui les a conduits à comprendre profondément les ressorts de l’art
de la guerre, et par conséquent de bien se garder d’appliquer les recettes
néo-libérales pour eux-mêmes : Faussant en permanence le jeu concurrentiel
sur l’échiquier mondial, subventionnant massivement leurs entreprises, opposant
des barrières réglementaires de tous ordres aux pays concurrents, attaquant
enfin judiciairement des concurrents potentiels, les USA appliquent
parfaitement la stratégie de combat de la concurrence monopolistique,
c’est-à-dire l’inverse de ce que prônent les néo-libéraux.
Cerise sur le
gâteau, la seconde loi de l’art de la guerre – après la prise d’initiative –
est de communiquer massivement pour persuader l’ennemi d’appliquer une
stratégie qui le mène à sa perte. Ainsi les Etats-Unis tiennent un discours
néo-libéral à destination de tous les autres pays du monde, mais se gardent de
l’appliquer un seul instant à eux-mêmes. L’usage de leurres et de camouflages
est essentiel en art de la guerre, et le discours néo-libéral en est l’une des
formes les plus abouties. Seule la commission européenne ainsi que quelques
esprits superficiels et creux peuvent s’y laisser prendre.
En définitive, les néo-libéraux
ne sont en rien des personnes lucides venant ramener le monde à ses dures
réalités. Ils se recrutent parmi les journalistes bavards et creux, les
pseudo-économistes et intellectuels n’ayant jamais eu à travailler en
entreprise ni mener à bien un projet, ou parmi ces instances abstraites telles
que la commission européenne, d’hommes d’appareil et de lobbying en lieu et
place de vrais entrepreneurs. Ils vivent dans un monde artificiel de
commissions et assemblées formelles, de plateaux-télé, d’hôtels luxueux et
impersonnels, qui formatent leur vision du monde. Ils n’ont jamais été au cœur
d’une production concrète, ni subi l’épreuve du feu d’un projet d’entreprise à
mener à bien. Un néo-libéral est en définitive, l’inverse complet d’un
entrepreneur, c’est une sorte de petit idéologue fade et arrogant, qui décamperait
face à toute épreuve réelle. Les vrais « durs », les vrais
combattants du monde économique, et ceux qui le connaissent réellement, sont
ceux qui pratiquent tous les jours la concurrence monopolistique, celle qui
consiste à conserver son temps d’avance en faussant le jeu concurrentiel, par
la force de la volonté et de l’intervention humaine. Le néo-libéral est un
usurpateur économique, ne faisant pas avancer l’esprit d’entreprise et
d’initiative, mais en récupérant les fruits à travers les seuls mécanismes
financiers.
Pitié !
RépondreSupprimerLe terme "digital" est un mot anglais... en français, on dit "numérique". Nos esprits sont colonisés par l'anglais !
Désolé, j'espère que nos esprits ne sont pas colonisés, en revanche l'anglais a bel et bien colonisé le métier du numérique ! Le fait que nous devrions lancer un moteur de recherche concurrent à Google mériterait un article à soi tout seul.
SupprimerEt pas seulement les métiers du numérique...
SupprimerL'article in extenso est disponible ici :
RépondreSupprimerhttp://le-troisieme-homme.blogspot.fr/2015/04/v-behaviorurldefaultvmlo.html
Il comporte une fin sur la notion de "protectionnisme", qui est un terme à revisiter.
Merci. Publication de la 4ème partie demain et de la conclusion dimanche
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