Billet invité de l’œil de Brutus.
Le 6 décembre 1978, Jacques Chirac faisait publier le communiqué que je
vous propose ci-après et qui restera dans l’histoire comme « l’appel de
Cochin ».
En préparation des élections européennes qui se préparaient alors (juin
1979), ce texte a très probablement été écrit par Pierre Juillet et
Marie-France Garaud. Dans les fais, une fois élu 20 ans plus tard, Jacques
Chirac suivra une politique diamétralement opposée et, sous prétexte de son
hospitalisation de l’époque (il avait un accident de voiture début décembre
1978) désavouera ses conseillers qui auraient profité de sa faiblesse du moment
…
C’est probablement, entre autres, ce qui fera dire à Marie-France Garraud
s’adressant au patron du RPR : « je vous
croyais de marbre dont on fait les statues ; vous n’êtes que de la faïence dont
on fait les bidets »[i].
A l’aune de ces lignes, ô combien d’actualités en ces temps de crise
perpétuelle de l’Union européenne, on mesure combien, hormis quelques très
rares fulgurances (le refus de la guerre en Irak), M. Chirac est passé à côté
de l’Histoire et comment son gaullisme était finalement de façade et non de
fond. Que n’a-t-il suivi cette grande inspiration de décembre 1978 !
L’Europe que nous attendions et désirions, dans laquelle pourrait
s’épanouir une France digne et forte, cette Europe, nous savons depuis hier
qu’on ne veut pas la faire.
Tout nous conduit à penser que, derrière le masque des mots et le jargon
des technocrates, on prépare l’inféodation de la France, on consent à l’idée de
son abaissement.
En ce qui nous
concerne nous devons dire NON.
En clair, de
quoi s’agit-il ? Les faits sont simples, même si certains ont cru gagner à
les obscurcir.
L’élection
prochaine de l’Assemblée européenne au suffrage universel direct ne saurait
intervenir sans que le peuple français soit directement éclairé sur la portée
de son vote. Elle constituera un piège si les électeurs sont induits à croire
qu’ils vont simplement entériner quelques principes généraux, d’ailleurs à peu
près incontestés quant à la nécessité de l’organisation européenne, alors que
les suffrages ainsi captés vont servir à légitimer tout ensemble les
débordements futurs et les carences actuelles, au préjudice des intérêts
nationaux.
1. Le
gouvernement français soutient que les attributions de l’Assemblée resteront
fixées par le traité de Rome et ne seront pas modifiées en conséquence du
nouveau mode d’élection. Mais la plupart de nos partenaires énoncent l’opinion
opposée presque comme allant de soi et aucune assurance n’a été obtenue à
l’encontre de l’offensive ainsi annoncée, tranquillement, à l’avance. Or le président de la République
reconnaissait, à juste raison, dans une conférence de presse récente, qu’une
Europe fédérale ne manquerait pas d’être dominée par les intérêts américains.
C’est dire que les votes de majorité, au sein des institutions européennes, en
paralysant la volonté de la France, ne serviront ni les intérêts français, bien
entendu, ni les intérêts européens. En d’autres termes, les votes des 81
représentants français pèseront bien peu à l’encontre des 329 représentants de
pays eux-mêmes excessivement sensibles aux influences d’outre-Atlantique.
Telle est bien
la menace dont l’opinion publique doit être consciente. Cette menace n’est pas
lointaine et théorique : elle est ouverte, certaine et proche. Comment nos
gouvernants pourront-ils y résister demain s’ils n’ont pas été capables de la
faire écarter dans les déclarations d’intention ?
2.
L’approbation de la politique européenne du gouvernement supposerait que
celle-ci fût clairement affirmée à l’égard des errements actuels de la
Communauté économique européenne. Il est
de fait que cette Communauté — en dehors d’une politique agricole commune,
d’ailleurs menacée — tend à n’être, aujourd’hui, guère plus qu’une zone de
libre-échange favorable peut-être aux intérêts étrangers les plus puissants,
mais qui voue au démantèlement des pans entiers de notre industrie laissée sans
protection contre des concurrences inégales, sauvages ou qui se gardent de nous
accorder la réciprocité. On ne saurait demander aux Français de souscrire ainsi
à leur asservissement économique, au marasme et au chômage. Dans la mesure
où la politique économique propre au gouvernement français contribue pour sa
part aux mêmes résultats, on ne saurait davantage lui obtenir l’approbation
sous le couvert d’un vote relatif à l’Europe.
3. L’admission
de l’Espagne et du Portugal dans la Communauté soulève, tant pour nos intérêts
agricoles que pour le fonctionnement des institutions communes, de très
sérieuses difficultés qui doivent être préalablement résolues, sous peine
d’aggraver une situation déjà fort peu satisfaisante. Jusque-là, il serait
d’une grande légèreté, pour en tirer quelque avantage politique plus ou moins
illusoire, d’annoncer cette admission comme virtuellement acquise.
4. La politique européenne du gouvernement ne
peut, en aucun cas, dispenser la France d’une politique étrangère qui lui soit
propre. L’Europe ne peut servir à camoufler l’effacement d’une France qui
n’aurait plus, sur le plan mondial, ni autorité, ni idée, ni message, ni
visage. Nous récusons une politique étrangère qui cesse de répondre à la
vocation d’une grande puissance, membre permanent du Conseil de sécurité des
Nations unies et investie de ce fait de responsabilités particulières dans
l’ordre international.
C’est pourquoi nous disons NON.
NON à la politique de la supranationalité.
NON à l’asservissement économique.
NON à l’effacement international de la France.
Favorables à
l’organisation européenne, oui, nous le sommes pleinement. Nous voulons, autant
que d’autres, que se fasse l’Europe. Mais une Europe européenne, où la France
conduise son destin de grande nation. Nous
disons non à une France vassale dans un empire de marchands, non à une France
qui démissionne aujourd’hui pour s’effacer demain.
Puisqu’il
s’agit de la France, de son indépendance et de l’avenir, puis qu’il s’agit de
l’Europe, de sa cohésion et de sa volonté, nous ne transigerons pas. Nous
lutterons de toutes nos forces pour qu’après tant de sacrifices, tant
d’épreuves et tant d’exemples, notre génération ne signe pas, dans l’ignorance,
le déclin de la patrie.
Comme toujours
quand il s’agit de l’abaissement de la France, le parti de l’étranger est à
l’œuvre avec sa voix paisible et rassurante. Français, ne l’écoutez pas. C’est
l’engourdissement qui précède la paix de la mort.
Mais comme
toujours quand il s’agit de l’honneur de la France, partout des hommes vont se
lever pour combattre les partisans du renoncement et les auxiliaires de la
décadence.
Avec gravité et
résolution, je vous appelle dans un grand rassemblement de l’espérance, à un
nouveau combat, celui pour la France de toujours et l’Europe de demain.
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