Billet invité de Marc Rameaux, qui vient de
publier « Portrait de
l’homme moderne »
Conviction :
Je suis ministre de l’éducation nationale, et
je conçois une réforme remplaçant la fin de journée scolaire par des activités
éducatives, rythme conseillé par des pédagogues et chronobiologistes. J’ai posé
une action aux nobles desseins, et mon nom sera inscrit pour cela dans
l’histoire de l’éducation nationale.
Responsabilité :
Je comprends que se libérer à 16h ou payer
une nounou est déjà difficile pour la très grande majorité des gens, et que le
faire à 15h est proche de l’insurmontable. Mais pour cela il faut s’intéresser
à la vie quotidienne des hommes. Que les pédagogues et chronobiologistes sont
auto-proclamés et qu’ils appartiennent à un petit cénacle théoricien tournant
en boucle fermé depuis des années, imbibé d’idéologie du PS et non de remontées
du terrain. Je comprends qu’il n’est pas opportun de promouvoir une
réforme qui coûtera plusieurs centaines de millions d’euros dans un contexte de
déficit budgétaire déjà élevé de mon pays, surtout lorsque je n’ai rien prévu
du circuit de financement par les communes, dont beaucoup ne peuvent se le
permettre.
Conviction :
Je suis ministre de l’éducation nationale, et
je conçois une réforme (bis repetita placent, et je vais avoir des ennuis avec
Najat) abandonnant tous les apprentissages complexes et réservés aux hautes
classes sociales (classes bilingues, langues mortes, ..) afin de diminuer
l’élitisme et d’ouvrir l’éducation à un plus grand nombre. Je remanie les
programmes d’histoire en intégrant au passé de la France celui de toutes les
communautés qui sont venues s’y installer, y compris si elles sont issues de
civilisations autres que la mienne, afin que l’ensemble de ces communautés se
sente plus à l’aise dans mon pays, comme chez elles. Je gomme d’ailleurs tous
les aspects de ma propre histoire qui pourraient les choquer, voire même
j’anticipe leurs désirs en réécrivant une histoire qui aille dans leur sens. Je
suis couronné d’un grand sens de l’humanisme et de l’ouverture aux autres, qui
me confère une supériorité intellectuelle et morale sur mes détracteurs.
Responsabilité :
Je comprends que ma réforme aura l’effet
exactement inverse de celui souhaité. Les fondements de l’excellence sont et
resteront toujours les mêmes : maîtrise du langage, structuration de la
pensée, capacité à percevoir les nuances et les éléments différenciants d’un
discours. Ces fondamentaux étant intangibles, si mon enseignement ne les
dispense pas, seuls ceux qui sont nés dans des familles favorisées y auront
accès, par la transmission de classe sociale et par l’inscription dans des
écoles privées onéreuses qui elles, le dispenseront. J’admets que lorsque
l’école de la république dispensait ces fondamentaux, beaucoup plus d’enfants
de classes sociales défavorisées atteignaient un meilleur statut à l’âge adulte
par leur travail et par leur mérite, ce que les statistiques de mobilité
sociale prouvent maintenant depuis des dizaines d’années d’un ascenseur social
tombé en panne.
Je cesse de faire passer pour de l’humanisme
et de l’ouverture ce qui n’est que de la lâcheté, de céder à l’intimidation et
à la pression de communautés qui n’ont connu que la loi des caïds et qui veulent
modeler la société sur ces seuls rapports de force. Je comprends que c’est par
manque de cran et de fermeté que je n’ai pas défendu à chaque instant les
règles de ma république en faisant que force reste à la loi. Je cesse de
considérer comme parties intégrantes de la mienne des civilisations qui sont
autres, uniquement pour acheter une fausse paix et un faux calme fondés sur la
démission.
Je me remémore qu’il y a 30 ans dans mon
pays, l’on pouvait parfaitement enseigner l’Islam dans mes cours d’histoire,
non comme une partie de ma propre histoire, mais comme une civilisation autre.
Cela n’empêchait nullement d’enseigner tout ce que cette civilisation eut de
brillant, de Saladin à Averroès, et cela avait beaucoup plus de chances de
mettre à l’aise des communautés en mal de reconnaissance, en montrant l’apport
de leur civilisation tout en rappelant qu’elle n’était pas celle du pays qui
les accueillait.
J’admets que les communautés auxquelles
j’essaie de plaire et devant lesquelles je m’aplatis lâchement ne connaissent
d’ailleurs rien à Saladin ou Averroès, mais seulement la loi des caïds et des
gangs, un Islam rapide et mal digéré sur internet, une série de prêches
par des prédicateurs obscurantistes et arriérés, beaucoup plus ignares en
sciences et en connaissances générales que leurs prédécesseurs d’il y a 10
siècles, et que céder devant eux pour les amadouer ne fera que les exciter
davantage à faire régner leur loi. Je comprends en définitive que l’on ne
redonne pas confiance aux autres cultures en niant et en anéantissant la
sienne, et que seule l’affirmation de ses propres valeurs permet de rentrer
dans un dialogue fécond et sincère, n’excluant pas la critique féroce. Faute de
quoi, le dialogue maîtrisé cédera la place au rapport de force et à l’intimidation
territoriale.
Conviction :
Je suis haut fonctionnaire du ministère des
finances de Bercy. Ici s’élabore l’alchimie des règles économiques et
financières de la nation, que toutes les entreprises se doivent de suivre et
que le commun des mortels ne peut appréhender : il faut une formation
particulièrement élevée pour les concevoir et les édicter. Je jongle avec
habileté entre les subtils équilibres économiques et les leviers de prestations
sociales de l’Etat, en un mot je suis le démiurge de l’activité économique, qui
trace jusqu’aux possibilités données aux entreprises de mon pays : je suis
quelque part l’un de leurs maîtres.
Responsabilité :
Je vois clair en moi et en mon
institution : je sais que les entreprises croulent sous une inflation
réglementaire délirante, que moi-même je ne suis plus capable de maîtriser,
notamment parce que ces règles changent tous les mois. J’identifie cette
inflation réglementaire comme le problème n°1 de la création d’entreprises et
de l’entreprenariat en général, non une question de cadeaux fiscaux ou d’argent
à injecter. Je reconnais le schéma humain et psychologique de toute
bureaucratie : la génération sans fin de règles qui permet de justifier
son activité, de se sentir exister, indépendamment de toute utilité, en pur
circuit fermé. J’admets que cette inflation de règles n’est là que pour
conforter le pouvoir de roitelets auto-proclamés dans mon ministère
pléthorique, et que l’essentiel de leur travail est d’édicter de nouvelles
règles pour s’affirmer face aux autres départements, en ayant totalement perdu
de vue l’intérêt économique en dehors du ministère. J’accepte de ne pas me
voiler la face et de constater que ce sont dans ces départements qui génèrent
et justifient leur propre activité de façon artificielle que l’on trouvera le
plus de népotisme, de maîtresses placées à des postes clés, voire de franche
corruption, comme effets colatéraux inévitables de toute bureaucratie : le
désoeuvrement égotiste qui se fait passer pour de l’activité engendre toujours
de tels monstres.
Je comprends que le seul remède pour en
sortir est d’appliquer un principe de pollueur – payeur : que celui qui a
édicté une nouvelle règle sera responsable de réaliser lui-même toutes les
démarches qu’il a imposées au lieu de se contenter d’en surveiller
l’application par les forces vives de l’économie. J’inclus comme indicateur de
résultat et d’activité non le nombre de règles édictées à l’année mais le
nombre de démarches effectuées à la place d’entreprises pour les aider. Je
comprends qu’en application de ce principe, l’inflation de règlements se
dégonflera très vite.
Conviction :
Je promeus une réforme écologique bannissant
en pratique les voitures de la capitale, en interdisant certaines
motorisations, rendant de nombreuses voies impraticables, limitant la vitesse à
des allures qui ne peuvent plus être celle d’une automobile. J’inscris mon nom
au firmament de ceux qui ont lutté contre la pollution, rendu la ville plus
verte et moins stressante, développé un humanisme de la nature que je chante à
travers de nombreuses références culturelles.
Responsabilité :
Je m’aperçois qu’en dehors d’une toute petite
caste de privilégiés intra-muros qui peut se permettre de faibles déplacements
dans la journée, j’ai accru considérablement le stress et la fatigue d’une très
grande majorité de mes concitoyens, qui n’en peuvent plus de jongler entre
leurs contraintes professionnelles et personnelles. Je me rends compte
qu’existe un monde où les gens vont au travail, se déplacent éventuellement
entre plusieurs sites, accompagnent et vont chercher leurs enfants à l’école,
vont faire leurs courses.
Je vois qu’au lieu d’essayer de supprimer les
voitures, ce qui est irréaliste économiquement et dans la vie quotidienne, je
fais un acte écologique cent fois plus efficace en élargissant les voies
rapides et en les aménageant pour en fluidifier le trafic. Je tiens compte des
rapports qui existent depuis des années montrant que les embouteillages
quotidiens de l’A86 en île de France coûtent plusieurs milliards d’euros par an
de carburant parti en fumée et d’heures non travaillées, génèrent une pollution
sans commune mesure avec la circulation courante dans Paris intra-muros, pèsent
sur la santé et le moral de mes concitoyens par le stress engendré. Je prends des
mesures énergiques de construction et d’aménagement de ces axes routiers,
actuellement réduits parfois à deux voire une voie à certains endroits, ce qui
est beaucoup moins « hype » que de communiquer sur une ville verte,
mais d’une bien plus grande efficacité écologique.
J’admets que mes projets partant en guerre
contre la présence de voitures en ville étaient mus essentiellement par la
valorisation de mon image personnelle et par l’entretien de bonnes relations
avec la petite caste qui m’entoure, vivant dans des conditions privilégiées
leur permettant de n’en avoir pas besoin. Je réinvestis les bénéfices
considérables faits en réaménageant les axes qui portent l’essentiel du trafic
quotidien des forces vives de ma région, pour aménager de nouveaux espaces
verts dans la ville, en veillant à ce que piétons et automobilistes coexistent
harmonieusement.
Conviction :
Je suis président d’un conseil général, d’un
conseil départemental, ou d’une communauté de communes. Je permets de
décentraliser l’état et de mettre en place une gestion plus proche de mes
concitoyens. Je romps avec la tradition jacobine et centralisatrice de la
France, pour irriguer localement mon pays de nouvelles initiatives. Je suis un
bienfaiteur de l’aménagement du territoire.
Responsabilité :
Je sais pertinemment qu’une grande partie de
l’argent de la décentralisation est perdu en doublons entre régions et
départements (18,5 Milliards d’euros), doublons permettant de
« caser » des relations, de la famille ou des relations intimes (cf
plus haut l’objectif de toute bureaucratie de se créer son propre travail). Je
sais que les communautés de commune ont également permis de multiplier les
postes honorifiques bien payés et en nécessitant pas trop de travail, la
distribution de ces postes pouvant se faire entre amis.
J’ai un peu honte et je proteste lorsque je
vois que la communauté d’agglomération de Seine Défense qui regroupe les
communes de Puteaux et Courbevoie a nommé 14 vice-présidents sur 48 membres, et
que je sais pertinemment que la loi prévoit une généreuse indemnité (2508 euros
mensuels bruts) pour les vice-présidents et non pour les simples conseillers,
me renseignant utilement sur les motivations de ceux qui ont fait don de leur
personne au bien collectif.
Je sais pertinemment ce que signifie la
multiplication de ronds-points de toute évidence inutiles en si grand nombre,
aux abords d’une ville. De même que je n’ignore pas comment s’obtient la
décision d’implantation d’un supermarché. Je cesse de minimiser le pouvoir
local que l’argent de la décentralisation a permis, afin de se livrer à de
petites affaires en cercle fermé. Je cherche à supprimer les doublons et à
mettre fin aux pratiques de népotisme et de clientélisme. Je n’accuse pas de
populisme ceux qui révèlent factuellement ces pratiques : il ne faut pas
inverser les responsabilités et cesser les pratiques qui donnent prise aux
soupçons et aux sentiments populistes.
Tous mes remerciements au grand Max Weber.
Excellent article... En France, il n'existe pas de politicard capable de prendre en compte les réalités sociales et géographiques à toutes les échelles, notamment l'échelle individuelle et l'échelle métrique.
RépondreSupprimerLes préoccupations que vous évoquez, ils les éludent, préférant des graâôônds raisonnements abstraits et des généralités macro-économiques, seules données dignes d'intérêt à leurs yeux (les préoccupations des ménagères, ils les méprisent comme "populistes", "poujadistes", "égoïstes" et à "courte vue").
C'est de ces faux-zintellectuels que la France crève. Toutefois, les vrais experts en aménagement, eux, ont appris depuis longtemps à faire de la mésologie en appréhendant la réalité dans toute sa complexité et en considérant les habitants comme les premiers experts en aménagement...
Pour introduire cette culture dans les affaires publiques, il faudrait virer toute la fausse élite formatée et la remplacer par des vrais aménagistes quotidiennement préoccupés des détails qui concernent les ménagères... ce n'est pas gagné... Et pourtant, cette vraie élite existe.
Merci pour l'appréciation. Oui, c'est une grande faiblesse française que de confondre la force de conception avec une soi-disant "hauteur" qui n'est que la morgue aristocratique d'une "élite" décatie et incompétente.
SupprimerIl faut reconnaître cet avantage aux anglo-saxons : un "doer" est un terme positif outre-manche et outre-atlantique, tandis qu'un "exécutant" est un terme péjoratif chez nous. C'est pourtant très souvent dans l'exécution que les vrais concepteurs se révèlent. La France n'a achevé qu'à moitié sa révolution, et reste snobée par les faits du prince, par les "élites" aussi incompétentes qu'imbues d'elles-mêmes.
La véritable élite en France est constituée des premiers échelons d'encadrement. Ce sont eux qui connaissent la réalité concrète, tout en ayant une longueur de vue bien supérieure à celle du haut encadrement, précisément parce qu'elle tient compte de paramètres essentiels et parce qu'ils sont beaucoup moins tenus par la courte vue de la course à la carrière. Il s'agit de refaire passer au premier plan la compétence vis-à-vis du simple arrivisme.
Je vous demanderais de ne pas confondre les aspect séculiers des cultures "arabes" et les islams (oui, y'a plusieurs islamS).
RépondreSupprimerN'attribuons pas à l'islam (ou les islamS) des mérites qui ne sont pas les siens.
C'est justement quand le religieux est devenu dominant chez les arabes, que les sciences sont mortes.
L'islam n'a rien de brillant.
Le christianisme non plus. Bien sûr.
N'attribuons pas tous à la religion. Merci.
Surtout quand la science, par ex, est parfaitement interdite par les religions judéo-chrétienne.
pour rappel : étudier la nature, c'est défier "dieu" ; c'est de l'arrogance...
Supprimeret secundo : quand on met en pratique la croyance que tout ce que l'on a besoin de savoir est dans le coran...
Ben on voit ce que ça donne chez les "arabes".
Ils ont un peu fait le chemin à l'envers, ils sont parti des Lumières pour aller se vautrer dans l'obscurantisme.
En Europe, c'est au fur et à mesure que le christianisme perdait en influence, que la science a pû éclore.
Au Moyen-Orient, c'est au fur et à mesure que l'islam(s) devenai(en)t de plus en plus prégnant et dominant que les sciences se sont éteintes.
Pour info, le caïdat est l'équivalent à peu près d'un préfet à l'origine.
Je ne dis pas que les lumières qui ont éclot en terre islamique pendant la période du moyen-âge sont un produit direct de l'Islam.
SupprimerJe dis que cela montre qu'il n'y a pas d'incompatibilité absolue entre le fait d'être un pays de culture et de religion musulmane et la possibilité des lumières, afin d'éviter d'essentialiser la critique de l'Islam, comme le font certains qui estiment que c'est une religion entraînant nécessairement l'arriération.
Ceci n'empêche en rien d'être attaché au principe du sécularisme, et d'exiger que les religions n'aient pas de prétention au pouvoir politique, au fait de dire le droit, ou à l'exploration des connaissances. Ces éléments ne sont pas le produit des religions, il faut juste vérifier que la pratique d'une religion est compatible ou non avec eux.
Je suis également moins radical que vous ne pouvez l'être dans l'opposition tranchée que vous faites entre religions et développement des lumières, même si je comprends et respecte votre point de vue : la spiritualité a contribué aux lumières, c'est un ensemble constitué des arts, des sciences, des lettres et de la vie spirituelle qui a pu entretenir le développement d'une civilisation. A condition en revanche, de faire une distinction stricte entre l'exploration raisonnée de la connaissance et la vie spirituelle. La pratique des deux n'est pas incompatible dans un même homme, s'il sait clairement à quel moment il se trouve dans l'une ou l'autre de ces pratiques.
Quand l'eau se retire, elle laisse à découvert la boue et de drôles de bestioles visqueuses en costume-cravate. Beurk !
RépondreSupprimerDemOs
Oui, je n'aurai pas la patience d'attendre la marée pour chasser ces répugnantes bestioles !
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