Billet invité de l’œil de Brutus.
Ces derniers jours encore plus
que les précédents (et peut-être moins que ceux qui arrivent), que n’a-t-on entendu
de sottises dans les différents canaux médiatiques, tant de par les politiciens
bien souvent idéologisés (mais pas toujours : l’idéologie sait être un
paravent bien utile) que de par quelques (pseudos) journalistes laissant leur
sens de l’analyse et de la critique à peu près au même niveau qu’une
Marie-Antoinette prescrivant la brioche comme placebo à la faim du petit
peuple.
Nonobstant ce qui semble bien
être une capitulation en rase campagne[i]
d’Alexis Tsipras face à la tyrannie eurocratique personnalisée par les Juncker,
Schultz, Monti , Schäuble et autres Dijsselbloem, le présent billet a donc pour
objet de tordre le cou à ces quelques canards boiteux qui hantent rédactions,
ministères et « institutions » et dont l’équipement cérébral est de
qualité proportionnellement inverse aux décibels émanant de leurs frustres
gosiers.
1/ « Les Grecs sont des
fainéants qui ne payent pas d’impôts ».
En pratique, en dehors d’un
système fiscal contre-productif (mais on pourrait en dire tout autant de la
France et de ses centaines de niches fiscales diverses et variées qui sont
autant de refuges d’optimisation fiscale pour les plus aisés[ii])
mais au sujet duquel le gouvernement Tsipras a déjà initié de nombreuses
réformes[iii],
le véritable problème budgétaire de la Grèce est celui de la dette, que de
toute façon ils n’auront jamais les moyens de payer (mais la France patauge
dans une situation guère différente : lire
La Rigueur jusqu’en 2055 !). C’est ce qu’Alexis Tsipras s’évertue à
expliquer depuis six mois et que les eurocrates, tout accrochés à leurs dogmes
de l’irréversibilité de l’euro et de l’austérité (les deux étant liés[iv]),
refusent d’entendre.
2/ « L’Allemagne est
égoïste »
Oui et non. En fait, pas
vraiment. Une zone monétaire unifiée, pour être viable, exige, a minima, une
union de transfert, c’est-à-dire des mécanismes de solidarité des zones les
plus aisées et les plus compétitives vers les espaces en difficultés. Si ce
n’est pas le cas, capital et, dans une moindre mesure lorsqu’il est confronté à
la barrière de la langue, travail vont s’allouer au mieux offrant (la zone la
plus compétitive), délaissant les espaces en difficultés. Les écarts ne font
alors que croître, et les tensions politiques avec. C’est ce que nous
connaissons aujourd’hui entre l’économie la plus compétitive de la zone euro
(l’Allemagne) et celle qui l’est peut-être le moins (la Grèce). Rajoutons à
cela, que ces deux économies ont des structures de fonctionnement interne
(notamment vis-à-vis de la consommation et de l’inflation) radicalement
différentes, ce qui accroît encore divergences et tensions. Sans union de
transfert, la zone euro n’est pas viable (lire Comprendre
la non-viabilité de la zone euro).
Cette union de transfert (qui est
un pas, et pas des moindres, vers le fédéralisme) est, indirectement, ce que
demande le gouvernement grec. Ainsi donc, le gouvernement Trispras est
probablement le plus européiste du moment : c’est lui qui réclame le saut
fédéral et les autres, en tout premier lieu l’Allemagne, qui le refusent !
Toutefois, le choix de la chancelière Merkel peut se comprendre : le coût
pour l’Allemagne de cette union de transfert est évalué à la bagatelle de 200
milliards d’euros par an[v] ! A
l’aune de ce chiffre, on ne peut que comprendre les réticences de nos voisins
d’Outre-Rhin !
Ce faisant, l’Allemagne se trouve
dans un véritable cul-de-sac. Elle a besoin de l’euro car cette monnaie
(sous-évalué pour elle) est un véritable EPO pour son modèle économique
néo-mercantiliste basé sur les exportations (modèle qui, au passage, vampirise
les économies de ses « partenaires »)[vi].
Mais elle ne peut se permettre une union de transfert bien trop dispendieuse.
Nul doute que dans quelque temps, le fragile « modèle » allemand,
géant au pied d’argile, ne tardera pas à se lézarder (lire Le
Modèle allemand en quelques chiffres). En attendant, Mme Merkel fait le
choix de … ne pas choisir. Probablement en espérant que la tempête passera
après elle …
4/ « Syriza est un mouvement
d’extrême-gauche »
S’il est vrai que Syriza trouve
sa (récente) genèse dans la mouvance d’extrême-gauche de l’échiquier politique
grec, on ne peut guère trouver ni dans le programme initial ni dans les
réalisations du gouvernement Tsipras de réels marquants d’extrême-gauche :
aucunes nationalisations massives (une simple tentative – vite avortée – de coup
d’arrêt aux privatisations initiées par les gouvernements précédents), aucune
révolution fiscale visant à mettre grandement à contribution les plus nantis,
aucuns programmes sociaux d’ampleur. Si l’on fait un saut d’un peu plus de de
trois décennies en arrière et que l’on compare le programme de Syriza à celui
de François Mitterrand, c’est bien ce dernier qui apparaît comme foncièrement
marxiste ! Et pour le coup, le programme du parti d’Alexis Tsipras est
bien plus proche de celui d’un … Valery Giscard d’Estaing ! En pratique
donc, le positionnement de Syriza est bien plus assimilable à celui d’un
centre-gauche, foncièrement européiste de surcroît (et c’est très probablement
cet européisme qui l’a conduit au présent échec). A présenter ostensiblement Syriza
comme un parti de la « gauche radicale », on perçoit bien combien la
pensée néolibérale la plus extrême et la plus intransigeante est parvenue, en
l’espace de ces trois dernières décennies, à être perçue comme une
quasi-norme !
5/ « Syriza s’est allié avec
l’extrême-droite »
Chez les éditocrates de bazars, Arnaud
Le Parmentier (Le Monde) et Jean Quatremer (Libération) en tête, c’est un
corollaire à l’axiome précédent : Syriza se serait allié avec quelques
fascisants de l’autre bord pour former une coalition
« rouge-brun ». Point
Godwin d’une pensée imbécile (mais peut-on à ce niveau encore parler de
« pensée » ?) qui n’en est plus à une contradiction ni à un
emplâtre près pour masquer la vacuité d’une idéologie qui ayant mené l’Europe
au bord du gouffre ne demande plus qu’à l’y pousser. Car derrière rouge-brun,
c’est, de bien entendu, « national-socialiste » qu’il faut
comprendre. L’Europe (comprenez l’Union européenne : les idéologues nagent
couramment en pleine confusion entre institutions, concepts, géographie,
valeurs, histoires, etc.) s’étant supposément construite, après les horreurs
nazies, pour faire la paix (on voit le résultat, par exemple ici,
ou encore là,
ou encore par
ici[vii]),
tout forme de pensée un tant soit peu critique à l’égard de l’UE (comprenez
l’Europe : on vous a dit que c’était la même chose, bon sang !)
masque des relents nauséabonds de nostalgie du IIIe Reich (mais le gouvernement
ukrainiens et ses nervis point du tout, puisque ce sont des amis de l’Europe,
donc de la paix). CQFD. A ce compte-là, les trains ayant largement contribué
aux réalisations de la barbarie nazie, les clients de la SNCF auront bientôt du
souci à se faire. Les
Nouveaux inquisiteurs veillent.
Quant aux faits précis dont il
est ici question, ils sont on ne peut plus clairs : Syriza s’est allié
avec l’ANEL (les Grecs indépendants), une formation politique née en 2012 d’une
scission de membres souverainistes de Nouvelle démocratie (l’équivalent de
l’UMP locale). Pour faire simple, Syriza s’est allié avec les équivalents d’Henri
Guaino et Nicolas Dupont-Aignan. Un
rapprochement entre chevènementistes et gaullistes en passe également de
s’opérer en France. Rien ne bien vraiment « extrême-droite » dans
tout ça, sauf à considérer la souveraineté – élément, rappelons-le pourtant consubstantiel de la démocratie
– comme un extrémisme. Et c’est bien ce que font les européistes pour qui tout
pensée hétérodoxe à leurs dogmes est forcément, foncièrement, radicalement,
extrémistes.
6/ « Tsipras est la solde de
Poutine »
Il eut été bien inspiré de l’être !
Car lorsque l’on voit l’odieux comportement des apprentis-tyrans bruxellois, il
ne risquerait pas grand mal à changer de maître. D’autant plus que celui-ci,
notamment – mais pas seulement – grâce à la force de frappe de 200 milliards de
dollars la Banque asiatique d’investissement nouvellement créée[viii],
est en mesure à la fois de mettre fin à l’agonie économique de la Grèce, tant
en la soulageant d’une part de sa dette qu’en déclenchant des investissements
qui mettraient fin à la cure d’austérité. Nul doute que c’est une hypothèse qui
a été envisagée par le gouvernement Tsipras (en atteste ses rencontres avec le
président russe) et que, pour celle-ci comme pour le « Grexit », il
n’a pas osé franchir le pas. Il est en outre fortement probable – et cela a été
très peu évoqué – qu’en arrière-fond des discussions entre les
« institutions » (la Troïka simplement rebaptisée) et la Grèce se
jouaient le prolongement, ou pas, des sanctions à l’encontre de la Russie.
Celui-ci doit se décider dans les jours et requiert l’unanimité des membres de
l’Union européenne. A elle seule, la Grèce (mais aussi d’autres pays proches de
la Russie : Chypre et la Hongrie notamment) peut donc bloquer le
prolongement des sanctions. C’était là un atout maître pour Alexis Tsipras.
Mais il ne l’a probablement pris que comme un bluff, ce qu’ont bien perçu les
autres protagonistes. Toutefois, cet atout n’est pas mort, loin de là. D’autant
plus qu’en termes diplomatiques, Vladimir Poutine a déjà démontré qu’il
disposait non seulement d’une
analyse géopolitique nettement supérieure aux pâles technocrates européens
mais aussi de la patience et de la ruse du loup qui frappe sa proie lorsqu’elle
s’y attend le moins.
7/ « Cela fait 6 mois que la
Grèce mène l’Europe en bateau et ne propose rien »
C’est peut-être la plus énorme
contre-vérité émise dans le cadre de la crise grecque. Depuis son arrivée au
pouvoir, Syriza n’a cessé de multiplier les propositions à l’égard de ses
créanciers (lire par exemple celles
émises avant le référendum). Et chacune de ces propositions a été retoquée (le
plus souvent avec l’indélicatesse la plus vulgaire qui soit) par les
« institutions » qui, tels les grands prêtes mayas réclamant toujours
plus de sang, en rajoutaient systématiquement une couche supplémentaire
d’austérité. Parallèlement, le gouvernement Tsipras a déjà mis en œuvre de
nombreuses réformes, notamment en termes de lutte contre l’évasion et la fraude
fiscale[ix].
Il est toutefois évident que ce ne sont pas ce genre de réformes qui vont avoir
le goût de plaire à la Commission européenne, lorsque celle-ci a à sa tête
l’ancien premier ministre d’un des plus grands paradis fiscaux de la planète
qui y a, de plus, orchestré le détournement massif des revenus des
multinationales, privant ainsi ses « partenaires » européens (et en
pratique, vous et moi, simples contribuables) de ressources fiscales
phénoménales[x].
Avec la conclusion de
l’ « accord » du 13 juillet 2015, il est désormais évident que
l’Union européenne ne voulait pas d’un accord avec la Grèce. Elle exigeait – et
a, a priori, obtenu – une capitulation en rase campagne de Syriza afin que
puisse s’accomplir la prophétie du même président de la Commission européenne
selon laquelle « il ne
peut y avoir de choix démocratique contre les traités ».
8/ « Les contribuables
européens ne doivent plus payer pour les Grecs ».
Encore faudrait-il qu’ils l’aient
fait auparavant ! Dès 2010 (et probablement avant), l’insolvabilité de la
Grèce était une évidence. Les différents plans qui ont été initiés depuis n’ont
jamais eu pour objet de restaurer cette solvabilité. Il s’agissait bien de permettre
le dégagement des actifs grecs pour les banques privées qui avaient de manière
bien hasardeuses prêter (et spéculer) au gouvernement grec (lorsque, à l’instar
de Goldman Sachs – qui comptait à l’époque parmi ses « honorables »
dirigeants l’actuel président de la Banque Centrale européenne … - elles ne
sont pas allé jusqu’à lui expliquer comment truquer ses comptes[xi] !).
Tous ces plans n’ont permis qu’une chose : permettre aux banques de
transformer leurs créances privées en créances publiques à la charge des Etats
(une fois de plus !). Le montant des « aides » à la Grèce qui a
pu être réellement utilisé par le gouvernement grec est évalué à à peine 10% du
total[xii] !
Le nouveau « plan »
sorti par la technocratie européenne en ce 13 juillet n’est qu’un simple
prolongement des plans précédents : la dette grecque, pourtant chaque jour
plus insoutenable, ne sera pas renégociée (tout juste pourra-t-elle,
éventuellement, être un peu étalée dans le temps mais ceci au bon vouloir des
créanciers et selon leur propre évaluation de l’obéissance aveugle qui leur est
due du gouvernement grec[xiii]) et les
50 milliards d’euros débloqués par le MES[xiv]
iront pour moitié recapitaliser les banques grecques, pour un quart rembourser
les emprunts déjà existant et pour seulement le dernier quart au gouvernement
grec (et encore : sous réserve de sa bonne discipline vis-à-vis des tyrans
bruxellois et francfortois …)[xv].
[i] Lire :
Capitulation,
Jacques Sapir, russeurope, 13-juil-15.
La
défaite de la Grèce, la défaite de l'Europe, Romaric Godin, La Tribune,
13-juil-15.
[ii] Sur le
sujet, lire Pour
une réforme radicale de la fiscalité.
[iii] Grèce
: le gouvernement Tsipras a-t-il vraiment refusé de réformer ?, Romaric
Godin, La Tribune, 09-juil-15.
[iv] Lire La
défaite de la Grèce, la défaite de l'Europe, Romaric Godin, La Tribune, 13-juil-15.
[v] L’Europe aux périls de l’Euro,
Jacques Sapir, russeurope, 12-juil-15.
[vi] « La zone euro permet à l’Allemagne de dégager
des excédents considérables (de 7 à 9 % du PIB par an). Chaque année, elle
accumule donc des droits de tirages sur la production future du reste du monde
sous la forme d’investissements ou de prêts : cette dynamique, lorsqu’elle
devient aussi importante, génère des rapports inégaux structurels — et, en
réaction, une demande de libération ». Cédric Durand : « Les
peuples, contre les bureaucrates et l’ordre européen », Les Crises,
12-juil-15.
[vii] Le cas de
l’Ukraine est particulièrement éloquent sur le double langage de l’européisme.
On se réfèrera, entre autres, à :
Pendant ce
temps là en Ukraine…, Olivier Berruyer, Les Crises, 22-janv-15.
Peut-on
sauver l’accord de Minsk?, Jacques Sapir, russeurope, 14-févr-15.
[INCROYABLE]
L’ambassadeur ukrainien en ALLEMAGNE ne voit pas trop de problèmes à utiliser
des combattants néo-nazis… ,
Olivier Berruyer, Les Crises, 20-févr-15.
Libye,
Ukraine, Grèce : «L'Europe c'est la paix... et le chaos tout autour»,
Coralie Delaume, Figarovox, 22-avr-15.
[viii] Lire La fin de l’après-guerre?, Jacques
Sapir, russeurope, 28-avr-15.
[ix] Grèce
: le gouvernement Tsipras a-t-il vraiment refusé de réformer ?, Romaric
Godin, La Tribune, 09-juil-15.
[x] Lire LuxLeaks
: au moins notre évasion fiscale est "made in Europe" !, David
Nemtanu, Marianne, 20-nov-14.
[xi] La
Grèce, dossier noir de l'ancien VRP du hors-bilan chez Goldman Sachs, Marc
Roche, Le Monde, 31-oct-11.
[xii]
Lire :
Dette
grecque : préparez vos oreilles, les révélations vont faire mal !, Coralie
Delaume, L'Arène nue, 15-juin-15.
Grèce
: le grand concours des âneries apocalyptiques commence !, Coralie Delaume,
L'Arène nue, 29-juin-15. Un
coup d’État financier contre Athènes, par Vicky Skoumbi (+ Entraide), Vicky
Skoumbi, Les Crises, 29-juin-15.
[xiii] Lire La
défaite de la Grèce, la défaite de l'Europe, Romaric Godin, La Tribune, 13-juil-15.
[xiv] Mécanisme
européen de stabilité.
[xv] Lire Capitulation, Jacques Sapir,
russeurope, 13-juil-15.
Si vous n'aviez pas éprouvé le besoin de démontrer que le FN est d'extrême droite en comparant les comparses de Tsipras avec le bien pensant Dupont Aignan, je vous aurais volontiers suivi...mais la vous êtes dans la méthode Coué...la droite alliée à Tsipras c'est l'équivalent du FN et non du folklorique DA
RépondreSupprimerQuels éléments vous permettent d'assimiler ANEL au FN ?
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