mercredi 15 juillet 2015

En finir avec les lieux communs sur la crise grecque (en vérité de l’euro) (billet invité)

Billet invité de l’œil de Brutus.



Ces derniers jours encore plus que les précédents (et peut-être moins que ceux qui arrivent), que n’a-t-on entendu de sottises dans les différents canaux médiatiques, tant de par les politiciens bien souvent idéologisés (mais pas toujours : l’idéologie sait être un paravent bien utile) que de par quelques (pseudos) journalistes laissant leur sens de l’analyse et de la critique à peu près au même niveau qu’une Marie-Antoinette prescrivant la brioche comme placebo à la faim du petit peuple.

Nonobstant ce qui semble bien être une capitulation en rase campagne[i] d’Alexis Tsipras face à la tyrannie eurocratique personnalisée par les Juncker, Schultz, Monti , Schäuble et autres Dijsselbloem, le présent billet a donc pour objet de tordre le cou à ces quelques canards boiteux qui hantent rédactions, ministères et « institutions » et dont l’équipement cérébral est de qualité proportionnellement inverse aux décibels émanant de leurs frustres gosiers.

1/ « Les Grecs sont des fainéants qui ne payent pas d’impôts ».

Cette assertion se démonte très aisément par un simple fait : le budget primaire (c’est-à-dire hors paiement de la dette) est à l’équilibre. Il est même le mieux équilibré de l’Union européenne ! Mais cela ne suffit pas pour les eurocrates néolibéraux : ils exigent que la Grèce produise des excédents (de 3,5% par rapport au PIB dès 2018 … quand on pense que le fameux seuil des -3% est repoussé d’année en année pour la France). En période de crise économique, de tels excédents ne peuvent que plomber la croissance et font donc, in fine, augmenter le ratio dette/PIB !

En pratique, en dehors d’un système fiscal contre-productif (mais on pourrait en dire tout autant de la France et de ses centaines de niches fiscales diverses et variées qui sont autant de refuges d’optimisation fiscale pour les plus aisés[ii]) mais au sujet duquel le gouvernement Tsipras a déjà initié de nombreuses réformes[iii], le véritable problème budgétaire de la Grèce est celui de la dette, que de toute façon ils n’auront jamais les moyens de payer (mais la France patauge dans une situation guère différente : lire La Rigueur jusqu’en 2055 !). C’est ce qu’Alexis Tsipras s’évertue à expliquer depuis six mois et que les eurocrates, tout accrochés à leurs dogmes de l’irréversibilité de l’euro et de l’austérité (les deux étant liés[iv]), refusent d’entendre.

2/ « L’Allemagne est égoïste »

Oui et non. En fait, pas vraiment. Une zone monétaire unifiée, pour être viable, exige, a minima, une union de transfert, c’est-à-dire des mécanismes de solidarité des zones les plus aisées et les plus compétitives vers les espaces en difficultés. Si ce n’est pas le cas, capital et, dans une moindre mesure lorsqu’il est confronté à la barrière de la langue, travail vont s’allouer au mieux offrant (la zone la plus compétitive), délaissant les espaces en difficultés. Les écarts ne font alors que croître, et les tensions politiques avec. C’est ce que nous connaissons aujourd’hui entre l’économie la plus compétitive de la zone euro (l’Allemagne) et celle qui l’est peut-être le moins (la Grèce). Rajoutons à cela, que ces deux économies ont des structures de fonctionnement interne (notamment vis-à-vis de la consommation et de l’inflation) radicalement différentes, ce qui accroît encore divergences et tensions. Sans union de transfert, la zone euro n’est pas viable (lire Comprendre la non-viabilité de la zone euro).

Cette union de transfert (qui est un pas, et pas des moindres, vers le fédéralisme) est, indirectement, ce que demande le gouvernement grec. Ainsi donc, le gouvernement Trispras est probablement le plus européiste du moment : c’est lui qui réclame le saut fédéral et les autres, en tout premier lieu l’Allemagne, qui le refusent ! Toutefois, le choix de la chancelière Merkel peut se comprendre : le coût pour l’Allemagne de cette union de transfert est évalué à la bagatelle de 200 milliards d’euros par an[v] ! A l’aune de ce chiffre, on ne peut que comprendre les réticences de nos voisins d’Outre-Rhin !

Ce faisant, l’Allemagne se trouve dans un véritable cul-de-sac. Elle a besoin de l’euro car cette monnaie (sous-évalué pour elle) est un véritable EPO pour son modèle économique néo-mercantiliste basé sur les exportations (modèle qui, au passage, vampirise les économies de ses « partenaires »)[vi]. Mais elle ne peut se permettre une union de transfert bien trop dispendieuse. Nul doute que dans quelque temps, le fragile « modèle » allemand, géant au pied d’argile, ne tardera pas à se lézarder (lire Le Modèle allemand en quelques chiffres). En attendant, Mme Merkel fait le choix de … ne pas choisir. Probablement en espérant que la tempête passera après elle …

4/ « Syriza est un mouvement d’extrême-gauche »

S’il est vrai que Syriza trouve sa (récente) genèse dans la mouvance d’extrême-gauche de l’échiquier politique grec, on ne peut guère trouver ni dans le programme initial ni dans les réalisations du gouvernement Tsipras de réels marquants d’extrême-gauche : aucunes nationalisations massives (une simple tentative – vite avortée – de coup d’arrêt aux privatisations initiées par les gouvernements précédents), aucune révolution fiscale visant à mettre grandement à contribution les plus nantis, aucuns programmes sociaux d’ampleur. Si l’on fait un saut d’un peu plus de de trois décennies en arrière et que l’on compare le programme de Syriza à celui de François Mitterrand, c’est bien ce dernier qui apparaît comme foncièrement marxiste ! Et pour le coup, le programme du parti d’Alexis Tsipras est bien plus proche de celui d’un … Valery Giscard d’Estaing ! En pratique donc, le positionnement de Syriza est bien plus assimilable à celui d’un centre-gauche, foncièrement européiste de surcroît (et c’est très probablement cet européisme qui l’a conduit au présent échec). A présenter ostensiblement Syriza comme un parti de la « gauche radicale », on perçoit bien combien la pensée néolibérale la plus extrême et la plus intransigeante est parvenue, en l’espace de ces trois dernières décennies, à être perçue comme une quasi-norme !

5/ « Syriza s’est allié avec l’extrême-droite »

Chez les éditocrates de bazars, Arnaud Le Parmentier (Le Monde) et Jean Quatremer (Libération) en tête, c’est un corollaire à l’axiome précédent : Syriza se serait allié avec quelques fascisants de l’autre bord pour former une coalition « rouge-brun ».  Point Godwin d’une pensée imbécile (mais peut-on à ce niveau encore parler de « pensée » ?) qui n’en est plus à une contradiction ni à un emplâtre près pour masquer la vacuité d’une idéologie qui ayant mené l’Europe au bord du gouffre ne demande plus qu’à l’y pousser. Car derrière rouge-brun, c’est, de bien entendu, « national-socialiste » qu’il faut comprendre. L’Europe (comprenez l’Union européenne : les idéologues nagent couramment en pleine confusion entre institutions, concepts, géographie, valeurs, histoires, etc.) s’étant supposément construite, après les horreurs nazies, pour faire la paix (on voit le résultat, par exemple ici, ou encore , ou encore par ici[vii]), tout forme de pensée un tant soit peu critique à l’égard de l’UE (comprenez l’Europe : on vous a dit que c’était la même chose, bon sang !) masque des relents nauséabonds de nostalgie du IIIe Reich (mais le gouvernement ukrainiens et ses nervis point du tout, puisque ce sont des amis de l’Europe, donc de la paix). CQFD. A ce compte-là, les trains ayant largement contribué aux réalisations de la barbarie nazie, les clients de la SNCF auront bientôt du souci à se faire. Les Nouveaux inquisiteurs veillent.

Quant aux faits précis dont il est ici question, ils sont on ne peut plus clairs : Syriza s’est allié avec l’ANEL (les Grecs indépendants), une formation politique née en 2012 d’une scission de membres souverainistes de Nouvelle démocratie (l’équivalent de l’UMP locale). Pour faire simple, Syriza s’est allié avec les équivalents d’Henri Guaino et Nicolas Dupont-Aignan. Un rapprochement entre chevènementistes et gaullistes en passe également de s’opérer en France. Rien ne bien vraiment « extrême-droite » dans tout ça, sauf à considérer la souveraineté – élément, rappelons-le pourtant consubstantiel de la démocratie – comme un extrémisme. Et c’est bien ce que font les européistes pour qui tout pensée hétérodoxe à leurs dogmes est forcément, foncièrement, radicalement, extrémistes.

6/ « Tsipras est la solde de Poutine »

Il eut été bien inspiré de l’être ! Car lorsque l’on voit l’odieux comportement des apprentis-tyrans bruxellois, il ne risquerait pas grand mal à changer de maître. D’autant plus que celui-ci, notamment – mais pas seulement – grâce à la force de frappe de 200 milliards de dollars la Banque asiatique d’investissement nouvellement créée[viii], est en mesure à la fois de mettre fin à l’agonie économique de la Grèce, tant en la soulageant d’une part de sa dette qu’en déclenchant des investissements qui mettraient fin à la cure d’austérité. Nul doute que c’est une hypothèse qui a été envisagée par le gouvernement Tsipras (en atteste ses rencontres avec le président russe) et que, pour celle-ci comme pour le « Grexit », il n’a pas osé franchir le pas. Il est en outre fortement probable – et cela a été très peu évoqué – qu’en arrière-fond des discussions entre les « institutions » (la Troïka simplement rebaptisée) et la Grèce se jouaient le prolongement, ou pas, des sanctions à l’encontre de la Russie. Celui-ci doit se décider dans les jours et requiert l’unanimité des membres de l’Union européenne. A elle seule, la Grèce (mais aussi d’autres pays proches de la Russie : Chypre et la Hongrie notamment) peut donc bloquer le prolongement des sanctions. C’était là un atout maître pour Alexis Tsipras. Mais il ne l’a probablement pris que comme un bluff, ce qu’ont bien perçu les autres protagonistes. Toutefois, cet atout n’est pas mort, loin de là. D’autant plus qu’en termes diplomatiques, Vladimir Poutine a déjà démontré qu’il disposait non seulement d’une analyse géopolitique nettement supérieure aux pâles technocrates européens mais aussi de la patience et de la ruse du loup qui frappe sa proie lorsqu’elle s’y attend le moins.

7/ « Cela fait 6 mois que la Grèce mène l’Europe en bateau et ne propose rien »

C’est peut-être la plus énorme contre-vérité émise dans le cadre de la crise grecque. Depuis son arrivée au pouvoir, Syriza n’a cessé de multiplier les propositions à l’égard de ses créanciers (lire par exemple celles émises avant le référendum). Et chacune de ces propositions a été retoquée (le plus souvent avec l’indélicatesse la plus vulgaire qui soit) par les « institutions » qui, tels les grands prêtes mayas réclamant toujours plus de sang, en rajoutaient systématiquement une couche supplémentaire d’austérité. Parallèlement, le gouvernement Tsipras a déjà mis en œuvre de nombreuses réformes, notamment en termes de lutte contre l’évasion et la fraude fiscale[ix]. Il est toutefois évident que ce ne sont pas ce genre de réformes qui vont avoir le goût de plaire à la Commission européenne, lorsque celle-ci a à sa tête l’ancien premier ministre d’un des plus grands paradis fiscaux de la planète qui y a, de plus, orchestré le détournement massif des revenus des multinationales, privant ainsi ses « partenaires » européens (et en pratique, vous et moi, simples contribuables) de ressources fiscales phénoménales[x].

Avec la conclusion de l’ « accord » du 13 juillet 2015, il est désormais évident que l’Union européenne ne voulait pas d’un accord avec la Grèce. Elle exigeait – et a, a priori, obtenu – une capitulation en rase campagne de Syriza afin que puisse s’accomplir la prophétie du même président de la Commission européenne selon laquelle « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités ».

8/ « Les contribuables européens ne doivent plus payer pour les Grecs ».

Encore faudrait-il qu’ils l’aient fait auparavant ! Dès 2010 (et probablement avant), l’insolvabilité de la Grèce était une évidence. Les différents plans qui ont été initiés depuis n’ont jamais eu pour objet de restaurer cette solvabilité. Il s’agissait bien de permettre le dégagement des actifs grecs pour les banques privées qui avaient de manière bien hasardeuses prêter (et spéculer) au gouvernement grec (lorsque, à l’instar de Goldman Sachs – qui comptait à l’époque parmi ses « honorables » dirigeants l’actuel président de la Banque Centrale européenne … - elles ne sont pas allé jusqu’à lui expliquer comment truquer ses comptes[xi] !). Tous ces plans n’ont permis qu’une chose : permettre aux banques de transformer leurs créances privées en créances publiques à la charge des Etats (une fois de plus !). Le montant des « aides » à la Grèce qui a pu être réellement utilisé par le gouvernement grec est évalué à à peine 10% du total[xii] !

Le nouveau « plan » sorti par la technocratie européenne en ce 13 juillet n’est qu’un simple prolongement des plans précédents : la dette grecque, pourtant chaque jour plus insoutenable, ne sera pas renégociée (tout juste pourra-t-elle, éventuellement, être un peu étalée dans le temps mais ceci au bon vouloir des créanciers et selon leur propre évaluation de l’obéissance aveugle qui leur est due du gouvernement grec[xiii]) et les 50 milliards d’euros débloqués par le MES[xiv] iront pour moitié recapitaliser les banques grecques, pour un quart rembourser les emprunts déjà existant et pour seulement le dernier quart au gouvernement grec (et encore : sous réserve de sa bonne discipline vis-à-vis des tyrans bruxellois et francfortois …)[xv].




[i] Lire :
Capitulation, Jacques Sapir, russeurope, 13-juil-15.
La défaite de la Grèce, la défaite de l'Europe, Romaric Godin, La Tribune, 13-juil-15.
[iv] Lire La défaite de la Grèce, la défaite de l'Europe, Romaric Godin, La Tribune, 13-juil-15.
[v] L’Europe aux périls de l’Euro, Jacques Sapir, russeurope, 12-juil-15.
[vi] « La zone euro permet à l’Allemagne de dégager des excédents considérables (de 7 à 9 % du PIB par an). Chaque année, elle accumule donc des droits de tirages sur la production future du reste du monde sous la forme d’investissements ou de prêts : cette dynamique, lorsqu’elle devient aussi importante, génère des rapports inégaux structurels — et, en réaction, une demande de libération ». Cédric Durand : « Les peuples, contre les bureaucrates et l’ordre européen », Les Crises, 12-juil-15.
[vii] Le cas de l’Ukraine est particulièrement éloquent sur le double langage de l’européisme. On se réfèrera, entre autres, à :
Pendant ce temps là en Ukraine…, Olivier Berruyer, Les Crises, 22-janv-15.
Peut-on sauver l’accord de Minsk?, Jacques Sapir, russeurope, 14-févr-15.
[viii] Lire La fin de l’après-guerre?, Jacques Sapir, russeurope, 28-avr-15.
[xii] Lire :
Dette grecque : préparez vos oreilles, les révélations vont faire mal !,                   Coralie Delaume, L'Arène nue, 15-juin-15.
[xiii] Lire La défaite de la Grèce, la défaite de l'Europe, Romaric Godin, La Tribune, 13-juil-15.
[xiv] Mécanisme européen de stabilité.
[xv] Lire Capitulation, Jacques Sapir, russeurope, 13-juil-15.

2 commentaires:

  1. Si vous n'aviez pas éprouvé le besoin de démontrer que le FN est d'extrême droite en comparant les comparses de Tsipras avec le bien pensant Dupont Aignan, je vous aurais volontiers suivi...mais la vous êtes dans la méthode Coué...la droite alliée à Tsipras c'est l'équivalent du FN et non du folklorique DA

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    1. Quels éléments vous permettent d'assimiler ANEL au FN ?

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