« Il y a deux manières de conquérir et
asservir une nation. L’une est pas l’épée, l’autre par la dette ».
John Adams
Billet invité de l’œil
de Brutus
L’Allemagne
a-t-elle la mémoire courte ?
En 1945,
l’humanité entière aurait pu vouer une haine féroce au pays qui avait engendré
la barbarie nazie et pris une part prépondérante, deux fois en moins de 30 ans,
à la mise à feu et à sang de la planète entière[i]. Les Alliés vainqueurs
auraient pu dépecer l’Allemagne, comme l’avait réclamé sans l’obtenir, 25 ans
plus tôt, Georges Clemenceau lors des négociations de Versailles.
Ils n’en firent
rien. Bien au contraire. L’Allemagne, comme toute l’Europe détruite, bénéficia
des largesses, certes intéressées mais tout de même indispensables à la
reconstruction, du Plan Marshall. Mieux encore, par les accords de Londres
(1953), ces mêmes Alliés offrirent une fantastique ristourne sur la dette
allemande afin, là aussi, de relancer l’économie germanique[ii]. Quarante ans plus tard, encore une fois et contrairement à bien des
idées reçues, les Européens furent, une fois supplémentaire, amplement mis
à contribution pour financer la réunification allemande[iii].
Mais l’économie
n’est pas tout. De la gestion tumultueuse de l’après-guerre aux soubresauts de
la Guerre froide en passant par la crise des euromissiles ou l’extraordinaire
geste du général de Gaulle lors du traité de l’Elysée, l’Allemagne n’a jamais
été abandonnée.
Et pourtant,
derrière le paravent de la technocratie européiste et avec la complicité honteuse de la France – ou
tout du moins de ceux qui sont censés la représenter – l’Allemagne impose un
diktat honteux à un peuple qui, lui, n’a pas été vaincu par les armes. Un
peuple qui n’a déclaré la guerre à personne. Un peuple qui n’a organisé aucune
extermination de masse. Un peuple dont le seul tort aura été d’avoir laissé trop
longtemps à sa tête une clique ploutocratique qui l’a pillé, avec, au passage,
l’aimable complicité des banques européennes, au premier rang desquelles les
officines allemandes et françaises[iv] et, l’ayant même probablement aidé à truquer ses comptes, l’ancien
employeur de l’actuel patron de … la Banque centrale européenne[v]. Un peuple qui, en portant Syriza à sa tête, a eu le tort, le grand
tort, probablement l’impardonnable tort, de vouloir dégager cette
ploutocratie !
Il ne s’agit pas
de faire porter aux Allemands ad vitam aeternam les crimes de leurs pères. Mais
il ne s’aurait s’agir tout autant de faire porter au peuple grec les fautes des
partis[vi] qui l’ont gouverné pendant trente ans, et ce avec toute la
complaisance des autres gouvernements européens. Car, en condamnant la jeunesse
grecque à l’austérité à vie (le FMI lui-même estime que dans 30 ans la dette grecque ne sera toujours pas viable ![vii]), c’est de cela dont il s’agit. L’Allemagne, et ses complices,
réinventent l’esclavage pour dette.
Cette Allemagne moraliste qui ferait bien de se remémorer les paroles de
l’un de ses propres philosophes, Karl Jasper : « Tout peuple est responsable des actes commis
par son gouvernement. Mais cette responsabilité politique n’entraîne pas
automatiquement une responsabilité morale, celle-ci relevant du domaine de la
conscience individuelle. On ne peut pas inculper d’un crime un peuple tout
entier. Moralement, c’est seulement l’individu qui peut être jugé … il ne peut
donc y avoir, en dehors de la culpabilité politique, aucune culpabilité
collective d’un peuple »[viii]. Ou
encore, de l’un de ses anciens chanceliers, Helmut Schmidt : « Nous autres Allemands n’avons pas réalisé seuls notre considérable
performance de reconstruction des six dernières décennies. Cela n’aurait pas
été possible sans l’aide des vainqueurs de l’Ouest, ni sans notre encadrement
par l’Union européenne et l’Alliance atlantique, ni sans l’aide de nos voisins,
ni sans l’effondrement du bloc de l’Est et la fin de la dictature communistes.
Nous autres Allemands avons des raisons d’être reconnaissants. Et le devoir
d’honorer la solidarité reçue en étant solidaires de nos voisins … Dans la
recherche de solutions (à la crise actuelle), nous ne devons pas ériger notre
ordre économique et social, notre système fédéral, notre conception du budget
et des finances en modèles ou références à adopter, mais les présenter à titre
d’exemples, parmi d’autres possibilités »[ix].
Aujourd’hui, peut-être plus que
jamais, l’Allemagne réalise cette sombre prophétie du germaniste Charles Andler
(en 1915) : « Les Etats-Unis
d’Europe se réaliseraient par l’intérêt de tous ou par la contrainte ultérieure
imposée aux plus faibles et, en tout cas, sous l’hégémonie de l’Allemagne »[x].
En ce début du XXe siècle, un conseiller du Kaiser constatait alors que
« (Le Kaiser Guillaume II) se
considère déjà comme le directeur de la politique des Etats-Unis d’Europe »[xi].
Un siècle plus tard, Angela Merkel aurait pris la place du Kaiser et rien
n’aurait changé ?
Il y a pourtant une peu plus de
50 ans celui qui fut probablement le dernier grand président américain se
portait au secours d’un Berlin menacé par les divisions soviétiques et, face à
des Allemands craignant pour la liberté, clamait à la face du monde « All free men, wherever they may live, are
citizens of Berlin, and, therefore, as a free man, I take pride in the words « Ich
bin ein Berliner » !»[xii].
Aujourd’hui, alors que l’Europe
pourrait être sur le point d’entamer sa troisième autodestruction en un siècle,
que c’est l’honneur de tout un peuple qui est bafoué, que c’est sa jeunesse que
l’on condamne à une pénitence éternelle, que la démocratie est écrasée sous la
botte de technocrates bornés, de politiciens médiocres et de financiers
cupides, que c’est la liberté qui est enfermée dans la geôle de la créance
perpétuelle, chaque homme libre doit pouvoir, de son cœur, de son âme, de son
intelligence, de sa fierté, clamer : Ich bin ein Grieche/ Είμαι μια
ελληνικά !
[i] Sur les
responsabilités du pangermanisme dans les deux guerres mondiales, lire en
particulier Jean-Pierre Chevènement, 1914-2014 l’Europe sortie de
l’Histoire ?, Fayard 2013
[ii] Lire Allemagne-Grèce
: deux poids, deux mesures – L’annulation de la dette allemande en 1953…, Olivier Berruyer, Les Crises, 26-juin-15.
[iii] Refuser
de payer pour les Grecs ? On a bien payé pour l'Allemagne...., Coralie
Delaume, L'Arène nue, 06-juil-15.
[iv] On
a renfloué la Grèce pour sauver les banques françaises et allemandes" !,
Emmanuel Lévy, Marianne, 05-mars-15.
[v] La
Grèce, dossier noir de l'ancien VRP du hors-bilan chez Goldman Sachs, Marc
Roche, Le Monde, 31-oct-11.
[vi] Partis dont
les crimes sont, au passage, sans commune mesure avec ceux de la barbarie
nazie.
[vii] Cf. IMF: austerity measures would still
leave Greece with unsustainable debt, The Guardian, 30/06/2015.
[viii] La
Question de la culpabilité, cité par Jean-Pierre Chevènement, ibid., page 146.
[ix] discours du
04/09/2011 lors d’un rassemblement du SPD, cité par Jean-Pierre Chevènement, ibid., page 254
[x] Charles
Andler, Le Pangermanisme continental sous Guillaume II de 1888 à 1914
(publié en 1915), cité par Jean-Pierre Chevènement, ibid., page 93.
[xi] Amiral Von
Müller (conseiller du Kaiser pour la Marine), cité par Jean-Pierre Chevènement,
ibid., page 94
[xii] Ce
discours de JFK avait très probablement été, au moins en partie, inspiré par un
discours tenu quelque mois plus tôt par le général de Gaulle pour la jeunesse
allemande (http://www.charles-de-gaulle.org/pages/l-homme/dossiers-thematiques/de-gaulle-et-le-monde/de-gaulle-et-l-allemagne/documents/discours-devant-la-jeunesse-allemande--ludwigsburg--9-septembre-1962.php
). Après le vulgaire du blouson doré de Neuilly, quelle misère, quelle
médiocrité, quel pathétique esprit de « synthèse » (molle) que l’on
trouve aujourd’hui dans le fauteuil du général ! Les mots de Maurice Druon
trouvent en fait, quelle que soit l’époque, écho dans les couloirs de
l’Elysée : « Les tragédies de
l’Histoire révèlent les grands hommes mais ce sont les médiocres qui provoquent
les tragédies ».
Il faut être un peu plus exhaustif, les allemands de l'ouest ont aussi énormément payé d'impôts pour la réunification. La Bavière se plaint régulièrement de trop payer encore pour les Land pauvres.
RépondreSupprimerLa Grèce a bénéficié de fonds structuraux, et pas qu'un peu :
"La Grèce a reçu depuis son adhésion en 1981 une moyenne de 3 milliards d’euros par an d’aide européenne."
http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/01/24/l-argent-europeen-poumon-de-l-economie-grecque_4562822_3234.html#tU3TkbFDBgzuOk71.99
Présenter Kennedy comme un "grand président" est quelque peu naïf alors que fils à papa à la moralité douteuse, il a surtout commis des bourdes géopolitiques et a failli déclencher une guerre nucléaire avec l'URSS.
RépondreSupprimerCette fameuse phrase de Kennedy hante encore tous les communicants americanolâtres en mal d'inspiration, comme l'a montré le mouvement d'après l'attentat de Charlie Hebdo.
RépondreSupprimerIl y a certainement beaucoup de critiques à faire à l'Allemagne, mais le vrai problème de la zone euro, c'est l'euro, cette monnaie mal fichue. L'UE dresse les peuples les uns contre les autres. La priorité est d'en sortir. Cultiver les rancoeurs n'avance à rien.
RépondreSupprimer