Billet invité de
Marc Rameaux, qui vient de publier « Portrait de
l’homme moderne »
- Jean-Claude :
Mais enfin monsieur, ce n’est pas
logique ! Vous êtes contre l’union européenne, vous n’acceptez donc pas
l’économie de marché ! Vous me dites que si, mais vous ne devez pas savoir
ce qu’est une économie ouverte, de libre échange. C’est très important, vous
savez. La libre circulation des marchandises et du commerce assure la
prospérité de tous.
- Marc :
Désolé mais je suis un homme d’entreprise. Je
connais très bien le fonctionnement de l’économie de marché et j’en apprécie
les bons côtés, mais je ne mettrai pas en avant les mêmes que vous. L’énergie
et l’initiative à monter des projets et à les réaliser, c’est cela que je
retiendrai. Soit dit sans vous offenser, c’est probablement parce que je suis
plus proche du terrain que vous : vous faites voter des règles qui
orientent le marché dans le sens d’une dérégulation toujours accrue, mais ce
n’est pas vous qui le faites.
- Jean-Claude :
Ah, mais je ne l’oriente pas ! Il ne
faut surtout pas intervenir sur le marché. Davantage de dérégulation et
davantage de concurrence sont toujours bonnes, c’est ce à quoi je m’emploie
tous les jours ! La mise en concurrence permanente permet d’assurer le
meilleur prix pour les consommateurs, et nous fait vivre dans un monde ouvert,
fluide, mondialisé, où nous rencontrons toutes les cultures, n’est-ce pas
merveilleux ?
C’est un peu les Bisounours ou Disneyland
votre description de l’économie. Vous oubliez que l’économie reste une guerre,
dans laquelle l’écrasement de l’adversaire est le premier objectif. Mais
expliquez-moi une chose, si vous maintenez une concurrence sur tout, pour tout
le monde et en temps réel, comment comptez-vous inciter celui qui a trouvé une
innovation, qui prend des initiatives, à la mettre en œuvre ? Dans votre
monde de concurrence totale, il ne touchera rien ou presque rien des bénéfices
de son invention, car dans un monde de concurrence totale, l’on oblige à ce que
l’information soit partagée en temps réel. Ce ne sont donc pas les
entrepreneurs qui seront favorisés, mais les faussaires, ceux qui font
profession de récupérer le travail et le talent des autres.
- Jean-Claude :
Excusez-moi mais cela reste un peu théorique
pour moi ce que vous voulez dire. Pourriez-vous me donner un exemple ?
- Marc :
Oui bien sûr. Il y a quelques mois j’ai dû
piloter un appel d’offres entre quatre fournisseurs pour la réalisation de l’un
de mes produits. Nous avons mis ces fournisseurs en concurrence comme dans tout
appel d’offres, à partir d’un cahier des charges rédigé par mes soins. Ils
avaient 1 mois pour répondre, et nous avions ensuite 2 mois pour négocier avec
chacun des fournisseurs et juger de leur réponse sur les plans techniques,
d’organisation et de coûts.
L’un des fournisseurs a eu une idée brillante
pour répondre à ma demande. Plus brillante que les trois autres. Je me suis
pris alors le bec avec le département des achats sur la marche à suivre.
L’acheteur en charge me soutenait qu’il fallait communiquer tout de suite
l’idée du brillant fournisseur aux trois autres, afin d’attiser la concurrence
entre eux. Et que cela permettrait de négocier un meilleur prix, pour une
réponse de qualité plus élevée.
Je lui ai dit que c’était la dernière chose à
faire, car par la suite aucun d’eux ne serait encouragé à faire preuve
d’inventivité et d’innovation, si les autres allaient en récupérer les fruits
presque immédiatement après. Le raisonnement de mon acheteur ne tenait pas
compte des anticipations entre acteurs et du fait que son « optimisation »
ne marcherait qu’une fois, et qu’elle découragerait les fournisseurs par la
suite. Vous voyez que le mot « concurrence » ne veut rien dire en
soi, puisque s’opposaient là une concurrence sur les prix et une concurrence
sur la qualité, et qu’elles sont toutes deux antinomiques.
- Jean-Claude (après un silence) :
C’est intéressant ce que vous me dites là. Je
suis sûr que cela doit être faux parce que l’on m’a toujours enseigné qu’il
fallait tendre le plus possible vers la concurrence pure et parfaite, mais
c’est intéressant. Mais dites-moi, ce n’est pas un économiste qui a eu cette
idée ?
- Marc :
Euh si justement, et pas des moindres. Il
s’agit de Joseph Schumpeter, l’économiste qui a mis l’entrepreneur créatif au
centre de l’économie de marché. Il est reparti de l’analyse que les libéraux
classiques avaient faite de la liberté des échanges. Ceux-ci avaient été
fascinés par le fait qu’il n’y avait pas de procédure plus efficace que le
libre marché concurrentiel pour écouler des marchandises rapidement, en
s’entendant sur les prix et les volumes, car en laissant les acteurs négocier
de façon complètement libre, l’on convergeait spontanément vers le meilleur
rapport offre - demande entre vendeurs et acheteurs. S’il avait fallu organiser
de façon volontaire ce marché des prix et volumes, cela aurait été un travail
de titan et l’accord aurait été moins bon que celui obtenu pas les tâtonnements
successifs entre l’offre et la demande. Cela c’est la fameuse « main
invisible », qui régule spontanément le marché si vous laissez les
transactions se faire complètement librement : vous êtes en terrain connu.
Mais justement, ce que personne n’avait
remarqué, c’est que la « main invisible » n’est qu’un excellent
circuit de redistribution des richesses en ajustant la
production aux besoins, mais en aucun cas un facteur de création de richesses,
on dirait aujourd’hui création de valeur. Schumpeter en est venu ainsi au
concept que je vous ai expliqué : si la concurrence est appliquée en
permanence, elle détruit la création de valeur, car l’entrepreneur n’est jamais
incité à innover. Si au contraire on protège indéfiniment la création de valeur
de la concurrence, cela dégénère en monopole et en abus de position dominante,
une rente en quelque sorte. Schumpeter a introduit la notion de
« quasi-rente », un équilibre délicat entre les deux : il faut
que l’innovation de l’entrepreneur soit protégée suffisamment longtemps de la
concurrence pour qu’il en touche les fruits par une position privilégiée, mais
pas trop longtemps pour qu’il n’en abuse pas.
Création de valeur et concurrence sont deux
forces contradictoires. C’est leur mise en tension contradictoire qui crée de
la richesse bénéfique pour tous en économie, non l’application d’une seule des
deux. La concurrence est une façon efficace de « brûler » et consumer
la valeur pour en faire bénéficier tout le monde. Mais si on l’applique de
façon anarchique, elle est comme un feu qui embrase et détruit une forêt de
jeunes pousses, avant qu’elles aient eu le temps de devenir des arbres. Toutes
les grandes idées proviennent souvent de la mise en tension contradictoire de
deux principes pour lesquels il faut trouver un compromis, jamais d’un dogme
intangible – toujours plus de dérégulation – à appliquer de façon univoque.
- Jean-Claude :
Mais enfin je ne comprends pas !
Schumpeter m’a toujours été présenté comme le plus radical des partisans de
l’économie de marché, précisément parce qu’il défendait l’entrepreneur au plus
haut point ! Je ne connaissais pas le raisonnement que vous m’avez
proposé, je ne connais que la « destruction créatrice », qui indique
qu’il faut abandonner sans pitié et sans merci les activités en déclin, y
compris en sacrifiant les hommes qui y travaillent, pour reconvertir l’économie
en permanence. Même moi je ne serais pas allé aussi loin !
- Marc :
C’est la maladie du siècle, et nous en
reparlerons, de cesser de raisonner et de ne faire que
des associations d’images. Schumpeter est l’économiste glorifiant les
entrepreneurs, donc par association l’on en a fait le chantre du capitalisme et
de la concurrence sauvage. Cela montre que très peu l’ont lu
véritablement : l’on n’apprend plus que par des compilations et des
résumés qui font ce type de collage d’images, au lieu d’exposer des
raisonnements. Schumpeter a cessé d’être présenté comme le thuriféraire du
capitalisme sauvage dans les années récentes, car si l’on a cessé de raisonner,
on fait en revanche beaucoup de biographies.
Et l’on apprit qu’il considérait qu’il y avait
des choses très intéressantes chez Marx, à la grande horreur de ses collègues
libéraux. Egalement qu’il s’entendait très bien avec Keynes, et que les deux
hommes considéraient avec une malicieuse complicité comme de parfaits crétins
leurs collègues « classiques » enseignant l’équilibre général de
Walras comme seul moteur de l’économie. Enfin, qu’il avait étudié des cas dans
lesquels une situation de monopole pouvait être économiquement optimale. Cela
commençait à faire désordre pour le champion de l’économie de marché…
Actuellement, Schumpeter est rangé dans la
catégorie « inclassable » et « atypique », le propre des
esprits vraiment libres. On commence à s’apercevoir seulement maintenant qu’il
est le père des théories économiques à information asymétrique, et que cette
asymétrie de l’information n’est pas un simple résidu à éliminer pour ouvrir la
voie triomphale au marché « pur et parfait », mais que ce n’est ni
plus ni moins que le moteur même de l’économie ! Au passage, il montre aussi
qu’il y a une multitude de façons de comprendre « l’économie de
marché » et que celle de la concurrence sauvage n’est pas le capitalisme
des entrepreneurs mais celui des banquiers et des rentiers, qui sont les seuls
à en tirer leur épingle du jeu au détriment de tous les autres, y compris les
chefs d’entreprise.
- Jean-Claude :
Et la « destruction
créatrice » ?
- Marc :
Là encore, il a été extrêmement déformé.
Notamment il faut toujours lire l’ensemble des écrits d’un penseur pour le
comprendre, pas seulement les parties qui nous arrangent. C’est valable aussi
pour Adam Smith d’ailleurs, qui a écrit sur bien d’autres choses que « la
main invisible » et ne considérait pas « The wealth of nations »
comme son ouvrage principal.
Schumpeter a bien dit qu’il y avait des
cycles économiques d’expansion et de récession pour toute activité, et qu’il ne
fallait pas s’acharner à faire vivre une activité condamnée. Mais le grand
projet de Schumpeter, qu’il n’a jamais réalisé, était d’être capable de prévoir
et anticiper ces cycles, justement pour éviter leurs dégâts humains. De façon
imagée, si l’on assimile une crise ou un cycle économique à un tremblement de
terre, un capitaliste sauvage est celui qui dit qu’il est évidemment
regrettable qu’il y ait des tremblements de terre mais que l’on n’y peut rien,
qu’il faut accepter qu’ils fassent des milliers de morts et qu’il faut savoir en
faire notre deuil, parce que cela reste le meilleur des mondes possible. Un
marxiste planificateur dira qu’il faut interdire les tremblements de terre et
prétendra qu’il a les moyens de planifier pour en prendre le contrôle. Un schumpeterien
dira que les tremblements de terre sont inévitables, mais que rien n’interdit
de construire des bâtiments anti-sismiques, de placer des capteurs dans la
terre pour anticiper leur apparition, d’organiser des plans d’évacuation, etc.
Donc de savoir passer les crises en évitant les dégâts humains.
Cette grande œuvre était celle d’ « Economic
cycles », que l’histoire ne retint pas de Schumpeter, car il est vrai que
l’ambition était énorme et le reste aujourd’hui. Voilà pour ce qu’il en est
vraiment de la fameuse « destruction créatrice » !
- Jean-Claude :
Ah non ! De toutes façons c’est bien moi
qui représente l’économie de marché, et celle-ci est unique : elle est
bien le sens de l’histoire. Comme le disait Jack Welch, l’ancien patron
emblématique de General Electric, « le marché est plus grand que nos
rêves » !
- Marc :
Moi je trouve cela très triste de vivre en
une seule dimension. Je ne crois pas que l’on soit à la fin de l’histoire mais
à son début : nous manquons d’imagination sur les manières d’organiser la
société, et nos descendants nous regarderons avec un peu de pitié, comme nous
regardons aujourd’hui les hommes primitifs qui travaillaient au silex.
Et pour ce qui est des rêves et de
l’imagination, c’est bien cela que Schumpeter a valorisé : il a compris
que le succès en économie provenait toujours d’un facteur extérieur à
l’économie, qu’à elle toute seule elle tournait en rond et se dégradait. Si
Steve Jobs avait respecté les règles de l’économie de marché il n’aurait jamais
fait d’Apple ce qu’elle est aujourd’hui : il n’a jamais cessé de violer
les règles de votre économie « pure et parfaite ».
@MR,
RépondreSupprimerPour moi il n'y a pas d'ordre spontanée dans les sociétés humaines. Il s'agit-là d'une construction a postériori. Cet ordre est exposé et perçu par un individu conceptualisant, posé qu'il est à un point donné de l'espace et du temps. Vous êtes rationnel et logique dans vos schémas de pensée voilà tout, et rendez ainsi compte non de la Raison mais d'une conceptualisation traduisant la cohérence propre d'un certain ordonnancement des choses que votre entendement modèle et perçoit.
La main invisible quant à elle n'est qu'une expression. Et "Les pensées sans intuition sont vides; les intuitions sans concepts sont aveugles" comme disait l'autre.
Je ne vois aucun éléments démontrant concrètement l'existence d'une Force économique organisatrice et spontanée des sociétés humaines. La position me parait d'autant plus impossible que nous ne sommes pas des sociétés de fourmis ou d'abeilles, mais des êtres fondamentalement métaphysiques.
Ce qui pourrait éventuellement être constaté dans le pur monde physique (abeille, fourmis...), matériel, animal, ne saurait nous être applicable ; tout cela renforce ma conviction selon laquelle l'économie réifie tout ce qu'elle touche, reste l'expression d'une pure vision matérialiste militante du monde. La concurrence est faite pour les espèces, l'Homme lui s'en affranchi.
Marcel Mauss dans son essai sur le don, a bien indiqué, à l'issue de ses observations d'anthropologue, que les sociétés humaines étaient fondées sur le cylce du don - ce qui nous change des cycles économiques et de l'agencement le plus aimable possible de la concurrence.
Avec la main invisible nous avons là, pour moi, l'expression d'un mythe païen, matérialiste, une sorte de religion naturelle, voire une sorte d'animisme.
J'ai toujours pensé que "l'ennemi" idéologique principal du libéralisme était le christianisme. La question est ainsi de savoir si l'on peut être chrétien et soutien actif de l'économie libérale.
Qu'en pensez-vous ?
L'innovation est possible en raison de l'existence des brevets, ce que n'aiment pas du tout les ultra-libéraux, et de l'existence de l'inertie très importante des grosses multinationales bureaucratiques qui sont très lentes à réagir et souvent très conservatrices. C'est pourquoi Jobs ou Gates ont pu prospérer.
RépondreSupprimerLe don de Mauss est loin d'être bisounours et entraine la quasi-obligation de contre-dons parfois bien plus contraignants et aliénants que l'échange de monnaie contre biens ou services.
@Anonyme23 août 2015 10:32
SupprimerQuid du libéralisme ? Bisounours, ou guerre économique perpétuelle ? Les USA c'est le pacifisme économique ? Quels sont les chiffres de la pauvreté au USA et en Angleterre ? Et combien de travailleurs pauvres au paradis du libéralisme ? Que donne le total travailleurs pauvres, chômeurs indemnisés, pauvres ? Ca semble faire, au bas mot, 150 millions d'américains - sauf erreur.
Merci pour ces questions intéressantes. L'auto-organisation n'est pas une construction de l'esprit, c'est devenu maintenant une thèse scientifique très efficace de description de nombreux phénomènes :
RépondreSupprimerhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Auto-organisation
Si je suis troujours prêt à combattre le néo-libéralisme, je rappelle souvent que l'on ne peut nier ces phénomènes sans que leur existence ne nous revienne en boomerang. Le premier gouvernement Mitterrand (celui du gouvernement Mauroy) avait tenté de nier ces forces de marché : leur réponse n'eut rien d'une vue de l'esprit. Ils durent faire très rapidement machine arrière, car la France perdait part de marché après part de marché. J'en appelle donc à une politique économique interventionniste, mais tenant compte du fait que les mécanismes de marché existent. Sans quoi, l'on est dans la position du marxiste que je décris dans mon texte, qui veut interdire les tremblements de terre.
Concernant le christianisme, il faut tout de même rappeler Sa parole (je suis chrétien, d'où la majuscule) : "Rendez à César ...". L'ordre spirituel et l'ordre matériel sont deux dimensions différentes. Je pense donc qu'il n'est pas possible d'opposer christianisme et libéralisme comme vous le faites, car une théorie économique et une religion ne peuvent être placés sur le même plan de comparaison.
Le christianisme se prononce en revanche sur l'ordre temporel s'il estime que celui-ci détruit ses valeurs. Dans ce cas je vous rejoins effectivement, mais ceci n'a rien de nouveau : il s'agit de la doctrine sociale de l'église, codifiée depuis des décennies, et rappelée par les différents papes, quelles que soient leur couleur politique. Par exemple les célèbres encycliques de JP II : "Centesimus annus" et "Veritatis splendor" qui sont des attaques lapidaires contre le néo-libéralisme et l'idée de l'homme qui en découle.
Là où nous différons sans doute, mais je crois que nous en avons déjà discuté, est que je considère que ce qui s'appelle "libéralisme" aujourd'hui est une usurpation dogmatique et éprise de pouvoir absolu, en complète trahison du libéralisme historique. Le christianisme est selon moi pleinement compatible avec le libéralisme historique, notamment parce que tous deux placent la liberté et la conscience individuelle de tout homme au coeur de leur vision, et totalement incompatible avec le néo-libéralisme qui fait de l'homme un automate de l'avidité, et interdit avec une brutalité stupéfiante toute réflexion autre que la sienne.
Marc
@MR
SupprimerEn effet, pour moi liberté et conscience individuelle sont les acquis de la philosophie grecque et de l'amour chrétien. Le libéralisme, dont je ne croix (je ne corrige pas mon lapsus crois et croix, il me va) pas à un stade pur et originel - c'est aujourd'hui qu'il est lui-même, et hier contenu par les règles de la société traditionnelle - idéal, n'a, me semble t-il, rien ajouté à la définition de ces notions qui le précèdent de très loin. Le libéralisme reste pour moi ce moment de basculement vers une société dominée par la marchandise et l'accumulation capitalistique, portant par lui-même ses valeurs propres et ses temples, marchands. Le libéralisme est du monde. Quant à l'auto-organisation, il s'agit bien de l'auto-organisation des choses - on en revient aux abeilles et aux fourmis. J'ajoute enfin que sur le plan de l'organisation sociale les libéraux définissent la liberté comme non-entrave là où il faudrait la définir comme non-domination. Pour moi le libéralisme est toujours un ordre de domination, plus ou moins atténué en son principe selon les auteurs de cette idéologie.
Cordialement.
Sur l'unité du libéralisme :
Supprimerhttp://www.journaldumauss.net/?Jean-Claude-Michea-avec-le-MAUSS
http://www.dailymotion.com/playlist/x1a200_tichthay_michea-l-empire-du-moindre-mal/1#video=x4ec7p
Merci pour ces liens intéressants. Liberté et conscience individuelle appartiennent pour moi au fonds commun de toute l'humanité. La Grèce démocratique du Vème siècle avant J.C. et le christianisme les ont brillamment exprimés, mais ils n'en sont pas non plus les inventeurs : ils existent depuis que l'humanité existe, et d'autres civilisations que la nôtre à d'autres moments de l'histoire les ont également exprimés.
SupprimerDonc bien entendu, le libéralisme né au XVIIIème siècle n'en est en rien le dépositaire. En revanche, le libéralisme historique a fait progresser ces valeurs dans la mesure où il a édicté des conditions pratiques d'organisation de la société pour qu'elles puissent être respectées.
Les réflexions du premier libéralisme ont été morales, politiques et sociales avant que d'être économiques. Les analyses de Michea sont intéressantes, mais celles de Karl R. Popper le sont tout autant, et c'est à la vision de ce dernier que je m'attache.
Concernant l'auto-organisation, les abeilles et les fourmis ne sont pas des "choses" ! Il y a une distance considérable entre le vivant et le non-vivant. Et l'auto-organisation touche toutes les espèces vivantes, des plus simples aux plus évoluées. La fourmilière est souvent citée comme cas d'école simple à comprendre, car d'autres facteurs ne viennent pas interférer avec l'auto-organisation. Mais ces forces agissent dans toute société, y compris la société humaine : les jeux territoriaux et les stratégies pour les préserver sont communs à l'ensemble du vivant.
Bien entendu, la conscience humaine ne se résume pas à ces jeux, Dieu merci, sans quoi il faudrait jeter à la poubelle tous les ouvrages de philosophie et ne plus regarder que "Games of Thrones" comme l'alpha et l'omega de toute philosophie morale. Mais il est illusoire de penser que l'être humain n'est pas soumis lui aussi à la pression de ces déterminismes, dont il faut tenir compte dans le jeu social et politique.
Marc
@MR
Supprimer"Concernant l'auto-organisation, les abeilles et les fourmis ne sont pas des "choses""
Elles sont juridiquement des choses et non des personnes, et ne seront jamais en aucun cas des personnes, sauf bien sûr validation des thèses antispécistes dont on ne saurait affirmer qu'elles se posent dans le droit fil de l'humanisme, lequel est chrétien par définition.
Ne pas les reconnaître au titre de personnes n'indique pas par ailleurs qu'elle sont des objets, mais bien des choses ; que ces choses en tant que vivant sont dignes de respect, mais ce n'est pas méconnaître leur dignité que d'indiquer qu'elles ne sont pas membre de la société humaine et des droits attachés à la personnes, notant d'ailleurs qu'elles appartiennent à leur propres sociétés animales.
Pour ma part, je ne fais pas partie des sociétés animales, partant du principe que je suis un être métaphysique.
« Excepté l'homme, aucun être ne s'étonne de sa propre existence ; c'est pour tous une chose si naturelle, qu'ils ne la remarquent même pas. La sagesse de la nature parle encore par le calme regard de l'animal ; car, chez lui, l'intellect et la volonté ne divergent pas encore assez, pour qu'à leur rencontre, ils soient l'un à l'autre un sujet d'étonnement. Ici, le phénomène tout entier est encore étroitement uni, comme la branche au tronc, à la Nature, d'où il sort ; il participe, sans le savoir plus qu'elle-même, à l'omniscience de la Mère Universelle. - C'est seulement après que l'essence intime de la nature (le vouloir vivre dans son objectivation) s'est développée, avec toute sa force et toute sa joie, à travers les deux règnes de l'existence inconsciente, puis à travers la série si longue et si étendue des animaux; c'est alors enfin, avec l'apparition de la raison, c'est-à-dire chez l'homme, qu'elle s'éveille pour la première fois à la réflexion ; elle s'étonne de ses propres œuvres et se demande à elle-même ce qu'elle est. Son étonnement est d'autant plus sérieux que, pour la première fois, elle s'approche de la mort avec une pleine conscience, et qu'avec la limitation de toute existence, l'inutilité de tout effort devient pour elle plus ou moins évidente. De cette réflexion et de cet étonnement naît le besoin métaphysique qui est propre à l'homme seul. » (Shopi - Le monde comme volonté...).
On peut également renvoyer à Pic de la Mirandole - De la dignité de l'Homme.
J'ai bien peur qu'en validant l'existant de phénomène d'auto-organisation au niveau des sociétés humaines vous ne validiez les principes des libertariens, dont le libéralisme économique est un des postulats essentiels par lesquelles ils expliquent l'essence même d'une juste organisation des sociétés humaines.
Michéa a parfaitement démontré la thèse de l'Unité des libéralisme postulant au final l'exclusion de tout surplomb des valeurs propres à un Etat et à une nation démocratique, lesquelles valeurs sont de fait entrées par l'ordre de prescription du marché sous la forme de la civilisation libérale (publicité, marketing, prescription d'un mode de vie libéral). Bref, ce que les libéraux jetaient par la porte revenait, et avec quelle charge, ordre, de prescription - l'idéologie du marché, travaille, achète consomme et tais-toi, renonce surtout à l'ordre politique - par la fenêtre.
Il n'y a pas de bon libéralisme, il y a le libéralisme, avec les valeurs qui sont les siennes. On ne peut disjoindre libéralisme politique, culturel, et économique, c'est la même chose, ce compris les débordements qu'il porte en terme de production d'inégalités.
"Notamment il faut toujours lire l’ensemble des écrits d’un penseur pour le comprendre, pas seulement les parties qui nous arrangent."
RépondreSupprimerC'est ce que n'a pas fait un "marxiste planificateur" ou c'est ce qu'il a fait et alors la pensée de Marx est totalement délirante, si on croit votre image où le marxiste planificateur tient la position la plus absurde possible, ou c'est que vous n'avez pas fait ?
"De façon imagée, si l’on assimile une crise ou un cycle économique à un tremblement de terre, un capitaliste sauvage est celui qui dit qu’il est évidemment regrettable qu’il y ait des tremblements de terre mais que l’on n’y peut rien, qu’il faut accepter qu’ils fassent des milliers de morts et qu’il faut savoir en faire notre deuil, parce que cela reste le meilleur des mondes possible. Un marxiste planificateur dira qu’il faut interdire les tremblements de terre et prétendra qu’il a les moyens de planifier pour en prendre le contrôle. Un schumpeterien dira que les tremblements de terre sont inévitables, mais que rien n’interdit de construire des bâtiments anti-sismiques, de placer des capteurs dans la terre pour anticiper leur apparition, d’organiser des plans d’évacuation, etc. Donc de savoir passer les crises en évitant les dégâts humains."
L'histoire de l'URSS ou de la Chine populaire sous Mao regorgent d'anecdotes qui avalisent mon image du tremblement de terre. Cf par exemple la politique du "grand bond en avant" de Mao, qui s'est soldée par des millions de mort.
SupprimerVous avez en revanche raison de souligner que ce n'est pas à Marx qu'il faut imputer cela, ni à son oeuvre qui est bien plus fine que toutes les caricatures qui en ont été faites, d'où l'appréciation de Schumpeter, que je mentionne dans mon article.
Il y a une différence énorme entre l'oeuvre de Marx et le marxisme. Vous savez sans doute que sur la fin de sa vie, Marx avait déclaré à Paul Lafargue "moi, je ne suis pas marxiste". Il devait commencer à anticiper les contresens puis les monstruosités que l'on allait commettre en son nom.