Billet invité de l’œil de Brutus, suite du 1er
papier
C’est ainsi qu’en excluant à
priori tout rassemblement sur sa droite, la gauche radicale non seulement
s’interdit une véritable capacité de rassemblement du peuple autour d’objectifs
communs mais en plus, elle efface le
peuple dans une division de la souveraineté qui ne fait pas que
l’altérer : elle la dissout tout aussi sûrement que les traités européens,
imposés contre la volonté du peuple.
Dans un tel schéma et aux vues
des institutions en place, il serait absolument naïf d’espérer une victoire électorale massive de la
gauche radicale qui la mette suffisamment en position de force, c’est-à-dire
cumulant les pouvoirs exécutif et législatif, pour réaliser une sortie de
l’euro « par la gauche » et sous ses seuls hospices. Cet espoir d’une
gauche radicale seule aux rênes du pouvoir est tout aussi godiche que les
promesses d’ « Europe sociale » de l’autre gauche (celle de
droite) qui jure, croix de bois croix de fer, que l’on verra ce que l’on verra
mais lorsque les gouvernements de gauche seront enfin majoritaire dans l’UE,
celle-ci se préoccupera, enfin, des travailleurs[i].
A moins que la gauche de la gauche ne vive encore dans la lubie d’un Grand Soir
menée par une poignée de révolutionnaires professionnels. Mais là encore, il
est plus que probable que la résilience, tant des institutions que de
l’attachement de la société française à la démocratie, la mènera à l’impasse.
Ce constat vaut d’ailleurs, comme on le verra plus loin, tout autant pour
l’extrême-droite.
Reste donc à la gauche de la
gauche, d’une part, à se forger une position cohérente vis-à-vis de l’euro et
des questions européennes (l’euro-béatitude n’y a pas encore disparu, loin de
là) et surtout, d’autre part, à admettre une réalité crue : de par la
composition sociale (une large majorité de classes moyennes) et démographique
(une population âgée numériquement importante, électoralement plus mobilisée
que les jeunes et par nature majoritairement réticente à donner son soutien à
la gauche radicale) de la population française, elle n’est pas en condition de
rallier sous son seul étendard une majorité de Français. Sauf à attendre que
les politiques néolibérales achèvent de réduire les classes moyennes à l’état
de lumpenprolétariat. Ce qui en prend
franchement la tournure, mais d’ici là d’autres, à l’opposé du spectre, ne
manqueront pas, eux, de rafler la mise.
C’est par conséquent un choix
entre l’impuissance et le compromis (qui n’est pas la compromission). « Que m’importe, pourvu que la France soit
libre, que mon nom soit flétri » tonnait Danton[iv].
Si Frédéric Lordon, Jean-Luc Mélenchon et consors veulent conserver leurs mains
d’une blancheur immaculée, ils n’auront
pas de mains du tout. Si tenté qu’il y ait donc une réelle volonté de « renverser la table », l’alliance
avec des souverainistes « de droite » n’est pas une possibilité, mais
une nécessité. S’étant, pour quelques strapontins électoraux, amplement
acoquiné depuis des décennies avec un parti dit « socialiste » qui a
enfermé la France dans le carcan austéritaire[v],
qui œuvre méthodiquement à déconstruire l’Etat-providence et à brader la
souveraineté à des technocrates, la gauche de la gauche refuserait donc toute
alliance avec des forces politiques qui partagent son rejet de l’austérité et
sa volonté de rétablir les conditions d’exercice de la démocratie du simple
fait que quelques-uns ont cru bon de qualifier ces forces comme étant « de
droite » (qualificatif dont on se demande bien encore quelle peut être la
signification réelle) ?! On nagerait là alors, justement, en plein « confusionisme », en pleine humeur
factieuse, et ce, pour le plus grand bonheur de l’oligarchie européiste qui ne
parvient à régner (ou plus exactement à poursuivre le vil service de ses
maîtres financiers) que de par les multiples divisions de ses opposants !
Pour parvenir à ses objectifs
majeures (ou du moins à ce que l’on pourrait supposer être : fin de
l’austérité, préservation de l’Etat-providence et son apport pour les classes
populaires et la tranche basse des classes moyennes, refondation d’une
démocratie réelle), la gauche radicale ne pourra donc faire l’économie d’une
alliance transpartisane, sauf à se considérer comme une perpétuelle force
d’opposition. Cette perpétuelle opposition intellectuellement confortable,
moralement rassurante mais totalement improductive (sauf pour conserver
quelques postes d’élus …). Reste donc à estimer jusqu’à quel point de « la
droite » peut être poussé le curseur. Cette estimation de la limite du
curseur vaut d’ailleurs tant pour les forces de « la gauche de la
gauche » que pour toute autre force résolument attachée à la république et
à l’exercice démocratique de la souveraineté.
[i] Ce fut le
cas de 1998 à 2002 sous l’ère du triumvirat Blair-Jospin-Schröder. On connaît
le résultat …
[ii] Aux municipales
de 1947 ; 28,2% des voix et 182 députés aux législatives de 1946. Le Front
de Gauche aujourd’hui, combien de divisions ?
[iii] Aux
élections présidentielles de 1981, Georges Marchais n’obtient que 15% des voix.
Aux législatives de 1986, le PCF passe sous la barre des 10%. Aux
présidentielles de 1988, André Lajoinie s’effondre à 6,8%.
[iv] Cité par
Louis Barthou, Danton, Albin Michel, 1932, page 117.
[v] Lire Discours
de Jean-Marc Ayrault sur le TSCG, les mensonges d’un premier ministre,
l’œil de Brutus, 03/10/2012.
Second paragraphe : "sous ses seuls hospices", "auspices" eut été de bon aloi ^_^!
RépondreSupprimerOn dit et écrit "si tant est " et non pas si tenté....
RépondreSupprimerBravo pour cette mise au clair !
RépondreSupprimerHâte de lire vos prochains billets !
Olivier