Billet invité de l’œil de Brutus, suite du 1er
papier, du second
et du troisième
Les conditions d’un rassemblement
« Notre peuple porte de graves blessures, mais
il suffit d’écouter battre son cœur malheureux pour connaître qu’il entend
vivre, guérir, grandir. Le jour va venir où, rejetant les jeux stériles et
réformant le cadre mal bâti où s’égare la nation et se disqualifie l’Etat, la
masse immense des français se rassemblera sur la France. »
Charles de
Gaulle
Le « contenant » de ce
front (les forces politiques susceptibles de le constituer) étant défini,
demeure le plus important et ce qui lui est inéluctablement lié : son
contenu (son programme politique). Que l’on s’entende bien sur une
choses : la sortie de l’euro ne sera pas une partie plaisir, ni pour ceux
qui la mettront en œuvre, ni pour le peuple français qui devra en accommoder
son quotidien, et ce dès l’instant même où la décision sera prise … et
probablement même avant : 40 ans de renoncements face au monde de la
finance ont doté celle-ci d’un sérieux coup d’avance et les jeux d’anticipation
des marchés, alliés aux décisions unilatérales des institutions européennes (en
particulier de la BCE comme on a pu le constater en Grèce) initieront très
certainement les tourbillons spéculatifs dès que l’arrivée au pouvoir d’une
équipe souverainiste ne sera pas seulement actée mais simplement une
possibilité hautement envisageable.
Les conditions du premier acte
ont déjà fait l’objet d’une abondante littérature. On la retrouvera notamment
dans les écrits tant de Jacques Sapir que de Frédéric Lordon. Le fameux
« plan B » de Yanis Varoufakis en était une déclinaison. Il s’agira
essentiellement (mais pas exclusivement) de :
1. Réquisitionner la Banque de France afin
de se prévenir de toute crise de liquidités, quitte à émettre provisoirement de
la monnaie à contre-courant des prescriptions de la BCE. Ceci constituera une
violation flagrante des traités, à laquelle on pourra aisément rétorquer que
les institutions européennes, de la BCE à la Commission en passant par l’Eurogroupe
ne sont pas privés de les violer allégrement, notamment (mais pas
seulement) dans le cas de la crise grecque ;
2. Une
mise en place d’un contrôle strict des capitaux. Celui-ci pourra
progressivement être assoupli une fois la transition vers le retour au franc
effectuée. Les exemples chypriotes et grecs ont démontré que cette mesure ne
contenait pas de difficultés techniques[i].
3. Une
nationalisation de toutes les banques commerciales. Cette mesure permettra de
préserver l’épargne des Français. Par la suite, les activités bancaires devront
intégralement être séparées entre
activités de dépôts et activités d’investissements. Une part des nouvelles
banques qui en résultera pourra, bien évidemment, être re-privatisée. L’Etat
devra néanmoins conserver sous son contrôle :
a.
Une grande banque de dépôt publique permettant à
tout français, et tout résidant français, d’accéder à un service public
bancaire ;
b.
Plusieurs banques spécialisées (au moins une
pour l’agriculture, une pour l’industrie, une pour la recherche et la haute
technologie) permettant aux entreprises françaises de financer leurs
investissements à des coûts réduits et sécurisés.
4. Enfin,
une fois le retour au franc acté (ou tout autre nom que l’on voudra donner à
cette monnaie), une dévaluation par rapport à l’euro (s’il demeure, ce qui est
peu probable[ii])
Une fois ce premier acte passé,
on imagine déjà (notamment par le biais du point 3 ci-dessus) tout la liberté
d’action qui pourrait être offerte à la France. Cela n’est pas nouveau et était
déjà symétriquement signalé par Philippe Séguin, il y a plus de vingt
ans : "Mais le premier alibi de
tous nos renoncements, c'est indubitablement la construction européenne. Nous
ne pouvons rien faire, nous dit-on, puisqu'il faut harmoniser, Bruxelles en
ayant décidé ainsi. Nous ne pouvons pas réformer la fiscalité puisqu'il faut
soi-disant uniformiser les taux de T.V.A. Nous ne pouvons pas baisser les taux
d'intérêt puisqu'il nous faut soi-disant rester accroché au mark en vue de
l'union monétaire. Nous ne pouvons rien pour notre industrie puisque le
commissaire à la concurrence y fait obstacle. Nous ne pouvons rien faire pour
l'aménagement du territoire puisque nos marges de manœuvre sont mises à la
disposition de la Communauté. On voit bien l'avantage politique à transférer
sur Bruxelles ou sur les collectivités locales la responsabilité de ce que
l'État n'a plus le courage d'assumer. A commencer par l'impôt, dont on veut
bien désormais qu'il soit local ou même européen, pourvu qu'il ne soit pas
national et qu'il n'en soit pas tenu compte dans les statistiques de la politique
fiscale"[iii].
La sortie de l’euro libérera donc
de multiples leviers d’action, dans tous les domaines. Et il s’agira de les utiliser
au mieux et au plus vite. Or, cette
liberté d’action ne saurait faire l’objet d’improvisations, celles-ci étant à
même de faire resurgir les divisions internes à ce Front commun sitôt son
objectif premier (l’Acte 1) atteint. On pourra donc raisonnablement envisager
le programme commun sur les bases suivantes (non exclusives de toutes autres) qui,
elles aussi, transcendent les clivages gauche-droite :
1. Une
refonte intégrale de la fiscalité, avec pour axe une refondation complète de
l’impôt sur le revenu, supprimant les multiples niches fiscales et visant à le
rendre effectivement progressif (lire Pour
une réforme radicale de la fiscalité). Cette refonte s’accompagnera
inévitablement d’un fort durcissement de la répression de la fraude fiscale
(tant en matière pénale que financière) et de la suppression du monopole
d’initiative en matière de fraude fiscale aujourd’hui octroyé au seul ministre
du Budget.
2. Une
renégociation globale de la dette publique, sur la base d’une garantie sur le
capital et d’un moratoire sur les intérêts.
3. Une
refonte des pratiques démocratique qui passera nécessairement pas une
déprofessionnalisation de la politique, via notamment :
a.
Une interdiction stricte du cumul des mandats
rémunérés ;
b.
Une limitation de tous les mandats à deux
mandats consécutifs ;
c.
Une fixation d’âges seuils pour l’accès à tous
les mandats rémunérés (par exemple 35 ans – 65 ans) ;
d.
Une réorganisation complète de la
décentralisation visant à diminuer le nombre d’échelons territoriaux et à
rendre lisibles les compétences de chacun de ces échelons, tout en garantissant
l’égalité – notamment face à l’impôt – entre les citoyens quel que soit leur
lieu de résidence ;
e.
Un encadrement du rôle et de la constitution des
cabinets des élus et des ministres ;
f.
La suppression du concours externe de l’ENA et
un rehaussement des conditions d’ancienneté dans la fonction publique
(passage de 4 à 8 ans) pour l’accès à son concours interne ;
4. Un
grand Plan d’investissement dans la recherche, l’industrie et l’agriculture,
sous forme de participations d’Etat.
5. Une
grande réforme de la démocratie sociale sur la base de la suppression des
critères de représentativité des partenaires sociaux (hors résultats aux
élections professionnelles), d’une obligation de transparence des comptes des
partenaires sociaux et de l’élection d’un tiers des membres des Conseils
d’administration par le personnel de l’entreprise.
6. Une
réforme des subventions aux médias[iv] et l’interdiction
pour toute entité privée de posséder plus de deux organes de presse (chaînes de
télévision incluses).
7. Une
réinstauration d’une politique étrangère souveraine et indépendante, notamment
vis-à-vis des Etats-Unis et des monarchies arabes (Arabie Saoudite,
Qatar) ; intensification des projets de co-développement, tout
particulièrement avec les pays d’Afrique subsaharienne.
On se rendra évidemment compte,
qu’en sus même de la sortie de l’euro, ce programme heurte de plein fouet la
plupart des principes idéologiques de la technocratie européenne inscrits dans
le marbre des traités. Mais, nonobstant le fait même que l’objet de ce
« Front » serait de s’affranchir des tutelles extérieures et de
permettre aux Français de définir leur propre politique, il faudra conserver à
l’esprit que, n’étant pas la Grèce, si la France peut se faire sans l’Union
européenne, celle-ci ne sera plus grand-chose sans elle (et encore moins sans
un Royaume-Uni de plus en plus tenté de prendre le large). En imposant son
agenda politique et en allant au bras de fer avec une technocratie bruxelloise
qui ne représente qu’elle-même, la France (la vraie : celle qui émane du
peuple français) sera à mène soit de renverser les logiques idéologiques des
institutions européennes sur la base du principe de souveraineté nationale,
soit, cas éminemment plus probable, de prononcer la mort clinique d’une
construction qui est déjà en état cérébral végétatif afin de pouvoir
reconstruire autre chose sur la base
de ces mêmes principes de souveraineté.
[i] Lire Comment
l’euro vient de mourir, l’œil de Brutus, 02/042013.
[ii] Il est en effet
très peu probable, comme le signale Paul Krugman (« sans la France, il n’y a plus d’euro », Paul Krugman, New York
Times, 08/04/2013), que l’euro puisse survivre à un départ de la France.
L’ensemble des pays d’Europe du Sud, mais aussi probablement l’Irlande et la
Belgique, lui emboiteront le pas. Si une forme d’euro perdurait, elle ne serait
alors, encore plus qu’aujourd’hui, qu’un euro-mark dans les mains exclusives de
l’Allemagne, suivie docilement par ses satellites.
[iii] Philippe
Séguin, Discours à l'Assemblée nationale, 05/05/1992.
[iv] Sur ce
point les propositions de Pierre Rimbert (Projet pour une
presse libre, Pierre Rimbert, Le Monde diplomatique, dec-14) offre des
pistes qui méritent amplement d’être étudiées.
@L'OdB
RépondreSupprimerLes conditions sont pourtant simples :
1. ne rien attendre de forces ou structures qui activent l'éparpillement du vote souverainiste
2. s'en remettre au peuple et à lui seul, lequel a déjà choisi ce front de libération qui recueille d'ores et déjà 30% des suffrages
Concernant les mesures démocratiques à prendre, je proposerais:
RépondreSupprimer-la suppression de la Cour de Justice de la République
-la suppression du Conseil Constitutionnel
Je pense qu'il faut aller plus loin concernant les médias et démocratiser la direction de l'audiovisuel public, avec une instance des programmes élue au suffrage universel ou tirée au sort.
Je pense également que la dérive politicienne actuelle mérite un grand débat sur les biais du système représentatif actuel et sur les mécanismes d'une meilleure intégrité des élus et d'un meilleur contrôle populaire.
La Cour de Justice de la République est une nécessité pour éviter que les élus ne se retrouvent tous les 4 matins devant la barre d'un tribunal pour se justifier de la moindre fadaise sortie par des opposants qui en abuseraient pour paralyser son action. Par contre, son fonctionnement doit être complètement révisé.
SupprimerIdem pour le Conseil constitutionnel : c'est un garde-fou nécessaire mais son fonctionnement est à revoir.
Je suis entièrement d'accord sur la mise en place d'un meilleur contrôle populaire mais j'ai du mal à en trouver des applications concrètes. Je pense - mais ma réflexion n'est pas aboutie - à la création d'une Assemblée - remplaçant le Séant - nommée, tout ou partie, par tirage au sort, sans pouvoir législatif mais ayant possibilité - sous conditions à déterminer - de démettre les élus. Qu'en pensez-vous ?
La cour de Justice de la République est une cour d'exception qui a pour objectif réel d'étouffer les affaires incriminant les hauts responsables de l'Etat. François Hollande lui même reconnaissait qu'il y avait des "soupçons légitimes de partialité" et avait comme promesse de la dissoudre.
SupprimerElle est composée étonnament de 12 parlementaires et de seulement 3 magistrats. L'ensemble votant à bulletin secret bien entendu.
Selon le Figaro, sur 12 saisies de la CJR, le résultat est atterrant 6 non-lieux, 3 relaxes, 3 prisons avec sursis OU dispense de peine (sic).
Dernier exemple en date, le non-lieu concernant la responsabilité de Christine Lagarde dans le choix biaisé de l'arbitrage Tapie.
L'argument du non-harcèlement judiciaire des ministres ne tient pas devant les faits. Supprimons-là et voyons si vraiment nos "honorables" serviteurs de l'Etat font l'objet d'une avalanche de soupçons infondés. Alors on avisera!
Il faut rétablir la confiance. Les politiciens l'ont perdu. C'est leur problème de la reconquérir...
Vous ne pouvez pas réfuter d'un revers de la main l'argument du non-harcèlement judiciaire puisque, justement, la Cour de justice de la République fait que ce harcèlement ne peut pas exister. Or, étant donné la judiciarisation qu'a pris notre société, il y a fort à parier que sans la Cour, ce harcèlement existerait. Et qui plus est renforcerait le pouvoir de l'argent : l'opposant fortuné aurait les moyens de harceler le pouvoir, pas le non fortuné.
SupprimerC'est donc bien dans son fonctionnement qu'il y a un problème. Et là je vous rejoins à 100% : la forme d'auto-contrôle des politiques par eux-mêmes que prend la Cour est profondément choquante. C'est bien cela qui doit être révisé. Pour les crimes et délits commis en opérations, les militaires bénéficient eux aussi d'une juridiction particulière. Cela ne semble pas déranger grand monde. Et pour cause, cette juridiction est composée de magistrats et juge selon les mêmes critères de droit. Tout le contraire donc de la Cour de justice de la République qui, pour le coup, représente effectivement une juridiction d'exception et une entrave, de taille, à l'état de droit. Rien n'empêcherait cependant de la constituer de magistrats, et non de politiques, tout en lui offrant des conditions d'exercice particulières (notamment en termes de recevabilité de la plainte) qui éviteraient le harcèlement.
Il manque un point important dans cette liste : une politique de réindustrialisation par notamment nationalisation d'Arcelor-Mittal et d'Alstom pour reconstruire un secteur énergétique vital en train de passer sous contrôle US. Le secteur bancaire nationalisé servira à distribuer du crédit bon marché aux entreprises surtout celles stratégiques.
RépondreSupprimerJe suis entièrement d'accord. cela est indissociable de mon 4/ que je n'ai pas voulu détailler pour ne pas trop m'étendre.
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