Même
si on peut contester le lien fait par Todd entre Charlie et le débat sur
l’inégalité, outre ses conclusions sur la tonalité générale des
manifestations du 11 janvier (hystériques,
instaurant un devoir de blasphème ou islamophobes), Todd approfondit la
question de l’inégalité dans notre société d’une manière intéressante et qui
mérite l’attention, une partie à sauver dans ce livre.
Des
plaques tectoniques démographiques
Même
si on refuse son interprétation inégalitaire de Charlie, Todd met le doigt
sur un véritable enjeu de nos sociétés : l’explosion
des inégalités et sa relative acceptation par les citoyens. Il reboucle
avec son analyse des débats européens en évoquant les 70% de « oui » des
classes supérieures à Maastricht, phénomène accentué en 2005. Poursuivant
la thèse du mystère Français, il note « que le vote ‘oui’ avait aussi une forte dimension religieuse (…) c’est
le vote d’électeurs venus du catholicisme mais qui l’avaient déjà abandonné qui
a fait basculer la France ». Pour lui, nous sommes passés du « dieu unique à la monnaie unique (…) c’est le reflux de la religion
qui a conduit à son remplacement par une idéologie », parce que
« l’incroyant se définissait comme
un libre-penseur, un évadé de prison théologique, heureux de sa liberté
retrouvée », la déchristianisation laisse donc un vide pour les laïcs,
rempli par l’Europe.
Toujours
dans la continuation du mystère Français, Il évoque le « glissement vers la gauche de l’électorat
catholique de droite ». Pour lui, « n’est-il pas vraisemblable que les catholiques zombies, en s’intégrant
au PS, plutôt que de se convertir à l’égalitarisme des régions centrales, ont
déposé au cœur de la gauche leur bagage mental inégalitaire ? (…) Le
PS devient peut-être au fond plus insensible, plus dur aux faibles que ne
l’était la droite conservatrice ». Todd poursuit son analyse en
évoquant le groupe des MAZ : classes Moyennes, personnes Agées,
catholiques Zombies, « qui accepteraient
un fantastique durcissement interne de la société ». Reprenant des
statistiques de l’INSEE, il rappelle que 57% de la population appartient aux classes
populaires, 42% aux classes moyennes (17% supérieures) et 1% aux classes supérieures.
Enfin, la France compte 32% de retraités parmi les 15 ans et plus.
Pour lui, ce
groupe accepte un fort niveau de chômage, alors qu’aux USA, au moins, le plein
emploi est un objectif essentiel. Mais ici, il cède à certain tropisme étasunien.
On peut objecter que le niveau des salaires n’est pas le même, rappeler
la très forte baisse du pouvoir d’achat des classes populaires outre-Atlantique
depuis quatre décennies, le fait que les inégalités sont bien plus élevées,
et que le plein emploi est relatif (avec
la baisse du taux de participation au marché de l’emploi). Pour lui, l’Etat
social profite d’abord aux classes moyennes, prétendument accablées d’impôt.
Puis, il dit que « le phénomène
Charlie a favorisé l’effondrement des oppositions internes aux classes
moyennes, fusionné en quelque sorte la droite et la gauche et révélé le manque
de substance idéologique de la gauche de la gauche ». Mais il
s’agit d’un phénomène bien plus ancien, que l’on peut faire remonter à
1983, la libéralisation économique des années Mitterrand, les débats européens,
Jospin à Matignon ou le
virage eurolibéral de Hollande. On ne voit pas en quoi Charlie aurait joué
le moindre rôle dans cette évolution.
Néanmoins,
Todd pose le débat nécessaire de savoir comment
notre société accepte l’augmentation des inégalités. Il cite alors Karl
Polanyi : « Permettre au
mécanisme de marché de diriger seul le sort des êtres humains et de leur milieu
naturel, et même en fait, du montant et de l’utilisation du pouvoir d’achat, cela
aurait pour résultat de détruire la société. Car la prétendue marchandise qui a
nom ‘force de travail’ ne peut être bousculée, employée à tort et à travers, ou
même laissée inutilisée, sans que soit affecté l’individu qui se trouve être le
porteur de cette marchandise particulière (…) Dépouillés de la couverture
protectrice des institutions culturelles, les êtres humains périraient, trop
exposés à la société ; ils mourraient, victimes d’une désorganisation
sociale aiguë, tués par le vice, la perversion, le crime et l’inanition ».
S’appuyant
sur ses travaux sur les systèmes familiaux, il affirme que « la France de l’inégalité ne pèse pas plus
lourd qu’autrefois, mais son fond anthropologique est bien adapté au mouvement
actuel de l’histoire », ce qui expliquerait son plus grand dynamisme
économique (visible à l’Ouest). Il poursuit en notant que « l’inégalitarisme franc de l’Allemagne ou du
Japon n’est pas la tolérance pour l’inégalité du monde anglo-saxon »
et que « le Nord inégalitaire,
protestant ou non, reprend son avance historique sur le Sud égalitaire ».
Il dénonce l’hyperindividualisme contemporain, paroxystique à Paris, une forme
de « pathologie de la liberté »
et note que « la verticalisation
éducative maximale de l’Ile de France permet à chacune des strates de vivre
repliée sur elle-même, de devenir en quelque sorte un territoire, susceptible
lui-même de se fragmenter » dans une synthèse de Généreux et Giully.
Même
s’il mêle Charlie de manière abusive à mes yeux à la montée des inégalités,
Todd propose une analyse intéressante des mouvements souterrains qui
pousseraient notre société vers plus d’inégalités. Il poursuit aussi son
analyse de notre classe politique, sur laquelle je reviendrai demain.
Source :
« Qui est Charlie ? »,
Emmanuel Todd, Seuil
Non, ça a l'air de rester très con(fus).
RépondreSupprimerLe Japon est un pays très égalitaire dans sa mentalité, en tout cas dans le sens qui semble l'intéresser de l'inégalité des revenus (et après c'est lui qui vient nous casser les pieds avec l'individualisme...).
L'Allemagne met plus l'accent que la France sur le groupe, à la fois groupe ethnique et groupe de décision...
Quant aux catholiques du PS, il se fout du monde, pour un parti qui a toujours fait du catholicisme sa bête noire et sa tête de Turc.
Ce Todd n'a pas l'air d'être très sérieux, il ne faut manifestement pas croire tout ce qu'il raconte.
N'inversons pas les causes et les effets.
SupprimerLe catholicisme est fièrement l'ennemi de tout système égalitaire, le catholicisme est par définition fièrement l'ennemi des valeurs de gauche !
Normal, que la VRAIE gauche ne soit pas tendre avec la tyrannie chrétienne (quelle qu'elles soient : protestante, catho, mormone, anglicane, etc).
Les US ont fait baisser le chômage avec des emplois moins rémunérés que les emplois précédemment perdus, c'est une dévaluation interne en quelque sorte.
RépondreSupprimerLes syndicats allemands sont bien plus puissants qu'en France, où le patronat, type MEDEF, n'en fait qu'à sa tête comme la vieille aristocratie française inégalitaire de 1789.
@LH,
RépondreSupprimerJ'avoue mon interrogation sur la notion de "catholique zombie", ne sachant pas à quoi elle correspond.
De quelles personnes s'agit-il ? Ont-elles été interrogées selon un protocole particulier permettant de faire émerger leur "zombitude".
La notion de catholique zombie a-t-elle elle même reçue une définition précise ?
De quelle réalité peut-on véritablement rendre compte lorsque l'on produit une analyse à propos d'individus mis, tel un précipité, en un chiffre sur une feuille de papier à un moment T ?
Qu'en est-il de la scientificité de la notion discutée ? Combien de personne ont été auscultées, interrogées, étudiées, et qu'on t-elle déclarées précisément ?
Ces "catholiques zombies" se sont eux-mêmes constitués en un groupe se revendiquant tel ?
A partir de quand est-on un catholique zombie ? Est-ce pour l'éternité ? Un catholique zombie peut-il devenir non-zombie à un moment donné ? Comment cela se passe t-il exactement ?
"MAZ : classes Moyennes, personnes Agées, catholiques Zombies, « qui accepteraient un fantastique durcissement interne de la société »"
RépondreSupprimerMort de rire
Comment passer à côté de ce qui saute aux yeux
Les inégalités en France ne sont plus de classes mais ethniques
Une inégalité est toujours une inégalité de classe. Parce qu'on va créer un système qui attribue une classe inférieure à quelqu'un en fonction de son sexe (les femmes), ou de sa couleur de peau (ou de son ethnie réelle ou supposée) ; ou une classe inférieure à cause de son handicap ; ou une classe inférieure (parce que soit-disant "refuse de travailler", préfère être assisté).
SupprimerLowcarber, vous voulez tout voir à travers votre prisme des différences ethniques réelles ou supposées...
Croyez-vous donc que les immigrés se voient comme une seule ethnie ? entre les Wolofs et les Toucouleurs, et les Bembaras ? (qui sont pour vous tous des Noirs -une seule ethnie-, mais pas à leurs propres yeux ; il existe des rivalités de territoires ou d'hégémonie, et des conflits racistes entre eux ; et mêmes des rivalités de classes d'origine qui perdurent après l'immigration ; des conflits ou des frictions d'ordre religieux)...
Décidément, ce Todd n'est pas bien futé... il manque de connaissances historiques de base !
RépondreSupprimerComme si la droite catholique traditionnelle avait été "douce" avec les pauvres... et n'avait pas traditionnellement largement accepté les inégalités sans scrupules !
Et ne parlons pas de la bêtise de la monnaie unique qui remplace le "dieu unique", non mais ! vraiment, Todd n'est pas un intellectuel brillant, pour ne pas poser un jugement plus severe.
Finalement, c'est Todd qui a une pensé très religieuse, ou quoi ?
@ Anonyme 8h43
RépondreSupprimerQuand Todd dit égalitaire ou inégalitaire, c’est par rapport au traitement d’une fratrie à travers son prisme d’analyse des systèmes familiaux. Les familles Japonaises devaient privilégier les aînés. Et sur le PS, vous manquez de nuance. Il y a un courant catho de gauche dont Jacques Delors est le représentant
@ Anonyme 9h13
C’est juste
@ Anonyme 9h51
Il faut que vous alliez sur les liens concernant « Le mystère français », son livre écrit avec Hervé le Bras, où il montre l’influence posthume du catholicisme dans les régions où la pratique est resté forte plus longtemps.
@ Lowcarber
Cette théorie est intéressante (même si je doute quelque peu du Z). Les inégalités me semblent bien plus liées à la classe
@ Abd_Salam
Je pense qu’il pousse les raisonnements loin pour essayer de trouver la vérité. S’il voit dans de Gaulle la droite catholique traditionnelle (ce qui n’est pas impossible, même si incomplet), alors, il n’a pas tort. Son point sur l’Europe n’est pas inintéressant, même s’il faut remettre en perspective avec une analyse plus multfactorielle.
Il faut déjà savoir qu'il existe plusieurs droites catholiques traditionnelles...
SupprimerCelle à laquelle semblait appartenir De Gaulle est la moins pire... c'est la droite qui pense qu'on ne peut pas lutter contre les inégalités, mais qu'on peut aider les pauvres.
C'est le poids politique des communistes à la libération qui ont pu obliger la droite catholique "à la sauce De Gaulle" à aller très loin dans la remise en question des inégalités ! à agir concrètement contre les causes des inégalités.
Les droites catholiques (et les droites laïques) ont toujours cette fâcheuse manie de trouver que les choses ne peuvent pas être changées... faut faire avec.
Et en particulier, concernant les droites catho, il faut bien comprendre que "aider les pauvres" ; ce n'est pas remettre en question l'organisation de la société. Ce n'est pas sortir les pauvres de la pauvreté... en tout cas, certainement pas par une action de l'Etat.
Pour les droites catho, il s'agit de donner un bout de pain en plus... pas de reconnaitre que les nantis abusent de leur position dominante.
P.S. : sans oublier des facteurs liés au contexte, De Gaulle avait face à lui des riches apauvris par la guerre, et qui s'étaient plus ou moins compromis avec l'occupant...
SupprimerBref, Todd fait d'une frange des catho tradi une généralité, en oubliant le rôle des communistes à la Libération, et d'autres causes "multifactorielles"...
"Quand Todd dit égalitaire ou inégalitaire, c’est par rapport au traitement d’une fratrie à travers son prisme d’analyse des systèmes familiaux. Les familles Japonaises devaient privilégier les aînés. Et sur le PS, vous manquez de nuance. Il y a un courant catho de gauche dont Jacques Delors est le représentant"
SupprimerTodd le définit peut-être ainsi, mais il en tire toutes sortes de conséquences qui, au Japon, ne sont clairement pas vérifiées. C'est une société très égalitaire du point de vue des revenus. Donc sa théorie ne tient pas la route, n'en déplaise aux groupies...
Quant au PS, je sais bien qu'il y a des cathos de gauche, comme aussi Meirieu. Mais c'est comme les poissons volants, ce n'est pas la majorité du genre. Et surtout, ce sont ce qu'on appelle des idiots utiles. (Des cons, pour faire court).
On ne voit pas en quoi Charlie aurait joué le moindre rôle dans cette évolution.
RépondreSupprimerEn effet, le rapport est tout sauf évident. Tout ce qu'on peut dire est que CH a accompagné la décadence morale de la France et notamment l'explosion de la pornographie sur internet désormais accessible à tous (y compris aux plus jeunes).
Ah, maintenant Charlie Hebdo est responsable de la pornographie sur internet...
SupprimerC'est marrant, cette manière de faire de ceux que l'on n'aime pas -parce qu'on ne les aime pas-, les responsables de tout ce qui ne va pas dans la société... remarquez, ça doit être tentant !
SupprimerCela dit, entre une société hyper-moraliste (comme la France tradi) et la société actuelle, c'est juste que dans un cas -la traditionnelle-, on fait comme si certains problèmes n'existaient pas !
Cool ! l'hypocrisie hyper-moraliste et donc puritaine qui consiste à nier les problèmes de prostitution, de pédophilie, ben ça permet ensuite de dire que ça n'existait pas quand la société était sous le joug des extrémistes qui confondent moralisme et morale.
Vos "remarques" à l'emporte-pièce montrent que vous ne savez pas lire : j'ai dit que CH avait accompagné l'explosion de la pornographie (historiquement, la première interdiction de CH était pour "pornographie"). En 2014, 18 milliards de vidéos pornos ont été été visionnées sur internet et l'industrie de la pornographie est florissante. Le dernier gouvernant à s'être attaqué à la diffusion de la pornographie est Charles Pasqua (en 1987). Depuis, tous les gouvernements ont renoncé à la combattre quand ils ne l'encouragent pas.
Supprimer@ Abd_Salam
RépondreSupprimerLe gaullisme, ce n’était pas que l’aide des pauvres. Cela allait bien au-delà : certains propos du Général sur les excès du capitalisme seraient digne d’un Mélenchon des bons jours aujourd’hui. Et avec la participation, il souhaitait justement un partage équitable. Mais le gaullisme, ce n’était pas la droite
@ Anonyme 20h42
Vos arguments sont plus courts que ceux de Todd (qui restent critiquables dans ce livre)
Répondrez-y, grand sorcier, si vous maitrisez les "arguments" de Todd...
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