Billet invité de l’œil de Brutus
Nota : n’étant
personnellement pas juriste de
formation, toute remarque d’un expert du Code Pénal sur le billet qui suit sera
évidemment bienvenue.
On ne s’éternisera par dans ce
billet sur les débats autour de la constitutionnalisation de l’état d’urgence
et de la déchéance de nationalité. Pour ce faire, on pourra se rapporter à
l’abondante littérature de Jacques Sapir sur le sujet[i].
On notera simplement la conclusion limpide et lapidaire
de la juriste Anne-Marie Le Pourhier : « la Constitution est devenue un
instrument de marketing et de communication politiques pour des candidats à la présidence de la
République ou des présidents en exercice qui veulent rehausser leur programme
ou leur bilan en laissant leur empreinte dans le « marbre constitutionnel ». La révision constitutionnelle fait ainsi
office de talonnettes juridiques pour des gouvernants en manque de hauteur
politique »[ii].
Mais ce n'est pas tout. Le corpus
juridique français est en effet d’une précision remarquable sur à peu près tout
(et parfois trop, mais pas sur le sujet qui nous intéresse ici). Notamment sur
les moyens de répression a priori
(c’est-à-dire ici avant que ne subvienne l’attentat) vis-à-vis de ceux qui se
déclarent ennemis de leur propre patrie.
Il suffit pour cela d’ouvrir le Livre
IV du Code Pénal.
L’article
411-4 précise ainsi que « Le
fait d'entretenir des intelligences avec une puissance étrangère, avec une
entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou avec leurs
agents, en vue de susciter des hostilités ou des actes d'agression contre la
France, est puni de trente ans de détention criminelle et de 450 000 euros
d'amende. Est puni des mêmes peines le fait de fournir à une puissance étrangère,
à une entreprise ou une organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou à
leurs agents les moyens d'entreprendre des hostilités ou d'accomplir des actes
d'agression contre la France ». L’Etat islamique (et toutes autres
organisations de la nébuleuse de l’islamisme radical) étant bel et bien une
organisation étrangère visant à susciter des actes d’agressions, toute
personne, de nationalité française ou pas, lui ayant fait allégeance ou collaborant
avec elle, sur notre sol ou en terre étrangère (i.e. : ayant à un moment
donné rejoint ses rangs en Syrie, en Irak, en Libye ou n’importe où ailleurs)
est susceptible d’être soumis à cet article. A ma connaissance, il semble bien
pourtant que nous attendions toujours le passage en jugement des « vétérans »
revenus de Syrie, tout comme les directives des ministères de l’Intérieur et de
la Justice demandant d’entamer des poursuites au titre de cet article. On
relèvera que l’article suivant (article 411-5 : « Le fait d'entretenir des intelligences avec
une puissance étrangère, avec une entreprise ou organisation étrangère ou sous
contrôle étranger ou avec leurs agents, lorsqu'il est de nature à porter
atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, est puni de dix ans
d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende ») offre la souplesse
d’engager des poursuites lorsque la collusion est moins manifeste.
Largement de quoi, donc, entamer
des poursuites contre tout islamiste activiste. Notons en supplément que le
Code Pénal ne s’arrête pas là. Il prévoit toute une série d’articles (les articles
411-6, 411-7 et 411-8) permettant de s’attaquer à tous ceux qui leur
apportent soutien en livrant, rendant accessible, recueillant, rassemblant ou
exerçant une activité ayant pour but de livrer à une « organisation étrangère ou sous contrôle
étranger ou à leurs agents des renseignements, procédés, objets, documents,
données informatisées ou fichiers dont l'exploitation, la divulgation ou la
réunion est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation »,
avec des peines allant jusqu’à quinze ans de réclusion et 225 000 euros
d’amende. A noter que la définition des « intérêts fondamentaux » est
suffisamment extensive pour que les actes terroristes auxquels nous sommes
confrontés puisse être considérés comme une atteinte à ces intérêts
fondamentaux : « Les intérêts
fondamentaux de la nation s'entendent au sens du présent titre de son
indépendance, de l'intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des
moyens de sa défense et de sa diplomatie, de
la sauvegarde de sa population en France et à l'étranger, de l'équilibre de
son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son
potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel » (article
410-1).
L’article
411-11 (ainsi que les
articles 421-2-4, 422-1,
422-2)
permet quant à lui de cibler les recruteurs : « Le fait, par promesses, offres, pressions, menaces ou voies de fait, de
provoquer directement à commettre l'un des crimes prévus au présent chapitre,
lorsque la provocation n'est pas suivie d'effet en raison de circonstances
indépendantes de la volonté de son auteur, est puni de sept ans
d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende ». Et pourtant, combien
de prosélytes fondamentalistes ont été mis sous les verrous au titre de cet
article de loi ?
L’article
411-5 permet de compléter les peines par des interdictions des droits
civiques, civils et de famille, des interdictions d’exercer dans la fonction
publiques, d’exercer une profession commerciale ou industrielle (notamment de
direction) et d’interdictions de séjour.
En clair (et l’on pourrait
continuer longuement à détailler les articles du Livre IV du Code Pénal), le
pouvoir exécutif a dans ses mains un arsenal juridique robuste et exhaustif
pour lutter en amont des actes
terroristes contre les émanations de l’Etat islamique et autres groupes
djihadistes. Il ne lui suffit que d’appliquer et faire appliquer la Loi (et non
la modifier à tour de bras, encore moins lorsqu’il s’agit de la Constitution).
Mais l’application de la Loi pour la préservation du Bien commun semble être à
mille lieux des préoccupations réelles d’une classe politicienne
essentiellement marquée du sceau de la médiocrité (sans parler de
l’in-exemplarité et de la corruption rampante qui gangrène une bonne part de
ses membres) et tournée vers un unique objectif : sa réélection et le
maintien de ses petites prébendes. Il faudra savoir s’en souvenir en 2017.
En sus des éléments purement
juridiques de lutte contre le terrorisme, c’est également tout le modèle de
société néolibéral mis en place depuis quatre décennies (dérégulations
frontalières, financières, pénales, scolaires, éducatives, médiatiques,
économiques, monétaires, etc. – lire 40
ans de dérégulations …) qui a permis la naissance du monstre qui désormais
nous attaque en notre cœur. Mais de ces quatre décennies d’échecs, de ces
multiples dérégulations qui doivent être remis en cause, il n’est nullement
question ni dans les actes ni dans les intentions de cette même classe
politicienne (bien au contraire puisqu’il s’agit d’aller encore plus loin :
si les dérégulations n’ont pas fonctionnées, c’est que nous ne sommes pas allé
assez loin dans la dérégulation …, n’est-ce pas M. Macron ?). De cela
aussi, il faudra s’en souvenir en 2017.
[i] Cf. Jacques Sapir, Forfaitures
?, Russeurope, 23/12/2015.
Jacques Sapir, Déchéances
?, Russeurope, 24/12/2015.
Jacques Sapir, Déchéance
et déchéances, Russeurope, 25/12/2015.
Jacques Sapir, Constitutionnalisation
?, Russeurope, 23/12/2015.
Lire également :
Anne-Marie Le Pourhier, Etat
d’urgence : une révision constitutionnelle parfaitement inutile,
Marianne, 29/12/2015 ;
Bertrand Mathieu, Etat
d’urgence : une révision constitutionnelle pour quoi faire ?, Le
Figaro, 29/12/2015.
[ii] Anne-Marie
Le Pourhier, Ibid.
Bref, on nous impose une dérégulation qui a pour but de faire "exploser" nos sociétés, elle fait œuvre de terrorisme!
RépondreSupprimerIl fait aucun doute que la "proposition" de déchéance de nationalité... est un coup de com' de la part de Hollande.
RépondreSupprimerÇa occupe l'espace médiatique, ça fait beaucoup de bruit dans l'espace public... mais au final, rien.
Hollande fait marche arrière, c'est clownesque, et 85% des francais tombent dans le panneau en approuvant cette déchéance de nationalité.
RépondreSupprimerhttp://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/021595316936-decheance-de-nationalite-les-habits-neufs-du-recul-1189389.php#
Intéressant billet, il complète ceux de Sapir sur ce sujet. Il confirme aussi ce qu'on ne savait déjà que trop, que ce ne sont pas les lois qui manquent, mais bien la volonté de les appliquer.
RépondreSupprimerIl existe presque toujours, y compris dans les situations les plus pitoyables, des raisons de ressentir de la surprise. Ainsi, j'entendais aujourd'hui à la radio Hervé Mariton protester avec véhémence et faire preuve de lucidité - une fois n'est pas coutume - en déclarant contre ceux de son camp que la réforme constitutionnelle proposée par Hollande était inutile et qu'il voterait contre le texte. Même si son choix n'aura aucun effet sur la suite des événements, c'est un des rares moments où l'on peut goûter le fait qu'une voix discordante se fait entendre dans un environnement aussi manipulateur qu'anti-démocratique, alors que nous n'aurions jamais accepter de tels errements il n'y a pas si longtemps.
RépondreSupprimerPréférez-vous la poudre aux yeux ou la controverse ?
DemOs