Billet invité de l’œil
de Brutus
« Tu as vu un okoumé à distance, va
jusqu'au pied pour l'examiner ».
Proverbe gabonais
Les lieux communs de la pensée libérale ont, décidément la vie dure.
Dans une récente tribune du Figarovox, Charles Wiplosz vantait les vertus du
libéralisme économique pour lutter contre le chômage[i],
préconisant, disait-il antérieurement, une solution que nul n’avait essayé (du
moins en France) : accroître la flexibilité du marché du travail[ii].
Diantre ! Trente ans que l’on en parle, on l’aurait donc rien fait (ou si
peu) ? On lui rappellera, dans un premier temps, quelques exemples (parmi
d’autres) de mesures prises ces dernières années pour, déjà, accroître la
flexibilité du marché du travail :
- - En 1983, la « gauche » initiait son
« tournant de la rigueur » en supprimant l’indexation automatique des
salaires sur l’inflation (merci Jacques Delors …)[iii].
- - En 1986, dès son arrivée au pouvoir, la droite
supprima l’autorisation administrative de licenciement pour motif économique.
- - la loi du 14 juin 2013 a encore accru la souplesse de l’exécution des licenciements[iv].
- - Et enfin, cerise sur le gâteau, la toute récente
loi Macron qui, entre autres, assouplit les conditions de travail de nuit et du
dimanche, diminue drastiquement les attributions des pouvoirs prudhommaux et de
l’inspection du travail[v], la loi El
Khomri se préparant à en remettre une couche, et non des moindres.
Pour cause, on serait en effet bien en peine de trouver un lien de
causalité dans la bien singulière logique de M. Wiplosz. Sans même évoquer la
difficulté qui existe à comparer des taux de chômage entre des pays qui peuvent
avoir des modes de calculs et/ou des conditions structurelles du marché du
travail fondamentalement différents (ainsi lorsque les Etats-Unis remplissent
allègrement leurs prisons, ils font baisser d’autant leurs chiffres du chômage
…), le principe même de l’indice de liberté économique est fortement sujet à
caution. Cet indice est élaboré par l’heritage foundation, un think tank américain connu pour ses
prises de positions ultralibérales (il a notamment fortement impulsé les
fameuses reagonomics, avec les
résultats que l’on connaît)[vi], ce qui
déjà peut amener à émettre des doutes quant à l’impartialité de la
position.
On relèvera tout d’abord que les Etats faillis (par exemple la Libye
ou la Somalie) sont absents de ce classement. C’est dommage car parmi les dix
critères de classement retenus pas la fondation, ces Etats – ou plutôt
l’absence d’Etat – laissent une
liberté d’entreprendre et d’investir quasi-totale, ne vient nullement perturber
les échanges commerciaux, n’exigent pas de taxes ni d’impôts, ne dépensent rien
ou quasiment rien, ont poussé la dérégulation financière jusqu’au bout du bout,
ne viennent pas entraver la propriété privée ni le marché du travail[vii].
Bref, de vrais paradis libéraux !
De manière plus approfondie, de nombreuses voix se sont élevées pour
contester ce supposé lien entre ouverture économique et croissance (et incidemment
baisse du chômage). On citera en premier lieu l’économiste Jeffrey Sachs qui
dans son livre The End of Poverty[viii]
a démontré l’absence de corrélation entre la liberté économique et la
croissance, en citant notamment d’une part, la Suisse et l’Uruguay qui ont des
croissances relativement faibles avec de bons indices de liberté économique, et
d’autre part la Chine, qui conserve une économie très régulée par l’Etat tout
en ayant des taux de croissance (même aujourd’hui) à faire pâlir d’envie
n’importe quel pays occidental.
Plus précisément, l’indice de liberté économique a été
abondamment critiqué, en particulier par l'Institut Ludwig von Mises, du fait de la subjectivité de ses indicateurs, de
l’absence de pondération entre ces
mêmes indicateurs (toutes les composantes sont évaluées à parts égales )
et de la non prise en compte des actions des gouvernements pour soutenir
l’économie (l’incapacité congénitale de la plupart des économistes libéraux à
appréhender le
multiplicateur des dépenses publiques demeure une constante[ix]).
Cette obsession à la dérégulation n’est ainsi pas sans rappeler des
ambiances de politburo soviétique à la veille de la chute du Mur : si le
marxisme – ou ici l’ultra-libéralisme économique – ne fonctionne pas, c’est que
l’on n’est pas allé assez loin dans le marxisme – l’ultralibéralisme. D’un
extrême à l’autre, le prisme idéologique reste le même.
Nonobstant le fait que nos entreprises, et en particulier les PME,
souffrent effectivement d’un maquis administratif et fiscal imbuvable[x],
le mal principal n’est pas là. On pourra autant que faire se peut donner à la
fiscalité des entreprises la forme d’une asymptote tendant vers zéro (voire
basculant en zone négative – si, si cela existe : par exemple, Ryanair
ou Amazon)
et rapprocher les contrats de travail des conditions de pseudo-esclavage (les
deux mamelles de la « politique de l’offre » tant vantée par la
« gauche » tendance oligarchies multinationale du tandem
Hollande-Valls-Macron), tant que les entreprises conserveront des carnets de
commande faméliques, elles n’investiront pas et n’embaucheront pas plus. Le
logiciel libéral, par son incapacité à comprendre que ce que nous vivons est
une crise de la demande et non une crise de l’offre, est ici en mode de bug système.
A l’extrême opposé de l’austérité stérile, il devrait s’agir pour
l’Etat de prendre une position contra-cyclique en relançant l’investissement et
la consommation pour que dans un second temps le secteur privé puisse prendre
le relais une fois ses carnets de commande enfin rempli. Mais pour pouvoir se
permettre une telle politique économique, l’Etat doit avoir à sa main au moins
trois outils majeurs :
-
La maîtrise de sa politique commerciale
internationale (en particulier les droits de douanes) afin que ses efforts pour
relancer l’investissement et la consommation n’aillent pas, par effet
d’évasion, nourrir d’autres économies ;
-
une politique monétaire accommodante à son égard
(et non à celui de la ploutocratie financière mondiale) afin de lui garantir
l’accès au crédit ;
-
une capacité d’anticipation et de planification
économiques (ce que nous appelions autrefois le Commissariat au Plan et qui,
n’en déplaise aux libéraux, n’avait aucune commune mesure avec le Gosplan soviétique).
Or, ces trois outils ont été allégrement sacrifiés sur l’autel de la
construction européenne et, comme le dénonce à si juste
titre Jacques Lafouge, les oligarques s’acharnent, depuis maintenant plus
de 30 ans, à saccager l’Etat, dans toutes ses composantes. Qu’à cela ne
tienne : le MEDEF de Pierre Gattaz, le PS de MM Hollande et Valls, l’UMP
(les pseudos « républicains ») de MM Sarkozy, Juppé et Fillon, en
veulent encore plus. Et M. Wyplosz, qui sait pourtant parfois tenir d’intéressantes
tribunes[xi],
joint ici sa voie à celle des hyènes.
[i] Charles
Wiplosz, De
quoi l’ultralibéralisme est-il le nom ?, Figarovox, 29/12/2015.
[ii] Charles
Wyplosz, Lutte
contre le chômage : non, on n'a pas tout essayé, Figarovox, 21-déc-16.
[iii] Cf. Gilles
Raveaud, Vive
l’indexation des salaires !, blog Alternatives économiques, 05/12/2013.
[iv] Cf. Analyse
détaillée du projet de loi Macron : En route pour le « régressisme » ?, par
Gérard Filoche, Les Crises, 11-déc-14 .
[v] Id.
[vi] Comme la
plupart des think tanks américain, l’heritage foundation est financé par des dons privés. Malgré
de multiples recherches sur le web en général sur le site de la fondation en
particulier, il ne m’a pas été possible de trouver l’origine de ces dons (si
quelqu’un peut les trouver, je suis preneur !). On peut toutefois
raisonnablement imaginer qu’ils ont pour origine de riches investisseurs
américains. Dis-moi qui te paye, je te dirai qui tu es … et comment tu penses
(ou plutôt comment tu dois penser …).
[vii] Les autres
critères sont la stabilité monétaire et la lutte contre la corruption, domaines
dans lesquels, il faut bien l’admettre, ces Etats seraient juger peu
performants. Mais en étant « au top » sur les huit autres, nul doute
qu’ils trusteraient les premières places au classement général.
[viii] Jeffrey Sachs, The End of Poverty: Economic Possibilities for our Time (Penguin
Books, 2005)
[ix] Même le FMI
a tout de même fini par admettre ses erreurs sur le sujet. Cf. Jacques Sapir, Faut-il croire les
modèles de prévision ?, Russeurope, 12 novembre 2012 ; Laurent
Herblay, Quand le FMI critique les politiques d’austérité, Gaulliste libre,
18 novembre 2012.
[x] Mais il ne
s’agirait pas là tant de payer moins d’impôts et d’accorder davantage de
flexibilité au marché du travail que de faire tout simplement … plus
simple. Les épaisseurs de notre
code fiscal et de notre code du travail proviennent bien davantage de
dérogations particulières (de
« niches » encore une fois …) accordées aux entreprises que de
droits supplémentaires donnés aux salariés. Or, pour bénéficier à plein de
toutes ces dérogations, il faut des bataillons entiers de juristes et de
fiscalités. Ce que, bien évidemment, peuvent se payer les multinationales, mais
pas les PME.
[xi] Par
exemple :
COP21
: le business du réchauffement climatique, Figarovox, 27/11/2015 ;
Volkswagen
et l'envers du miracle allemand, Figarovox, 05/10/2015 ;
Pour
éviter le Grexit, on a détruit l'idéal européen, Figarovox,
13/07/2015 ;
La
livre sterling ou le secret de la baisse du chômage en Angleterre,
Figarovox, 06/05/2015 ;
Allemagne
- Grèce : qui doit de l'argent à qui?, Figarovox, 24/03/2015 ;
Excellent article. Les libéraux c'est comme ça : leur méthode ne marche pas ils veulent la tester encore plus à fond. La crise de 2008 est clairement une crise de la mondialisation et donc une crise de la demande. Mais cependant les libéraux veulent encore plus appuyer sur l'offre ! Et donc leurs solutions aggravants encore plus le problème. Ceci dit une politique de la demande ne peut se réaliser que dans un cadre national, comme le dit l'article avec une maîtrise complète de la politique monétaire et budgétaire. La conclusion est qu'il faut d'abord "démondialiser", ce qui passe par une sortie sans discussion de l'Union européenne
RépondreSupprimerExcellent article. Les libéraux c'est comme ça : leur méthode ne marche pas ils veulent la tester encore plus à fond. La crise de 2008 est clairement une crise de la mondialisation et donc une crise de la demande. Mais cependant les libéraux veulent encore plus appuyer sur l'offre ! Et donc leurs solutions aggravants encore plus le problème. Ceci dit une politique de la demande ne peut se réaliser que dans un cadre national, comme le dit l'article avec une maîtrise complète de la politique monétaire et budgétaire. La conclusion est qu'il faut d'abord "démondialiser", ce qui passe par une sortie sans discussion de l'Union européenne
RépondreSupprimerMerci pour cet article: une preuve de plus que les methodes des libreaux - democrates sont justes inefficaces!
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