Billet invité de Marc Rameaux, qui
a publié « Portrait de l’homme
moderne »
Le FMI a publié récemment son classement
comparatif des puissances mondiales, selon un nouveau mode de calcul : le
PIB en parité de pouvoir d’achat.
La nouvelle a soulevé quelques débats,
notamment parce que selon ce nouveau moyen de mesure la France doit être
considérée comme la 9ème puissance économique mondiale, au lieu du 6ème rang que lui confère
l’ancien calcul en PIB brut.
La discussion est vite retombée, et semble
avoir été bien plus provoquée par le résultat final et le soufflet adressé à la
France, que par l’analyse économique de fond.
La superficialité médiatique est une fois de
plus regrettable, car la publication de ce résultat par le FMI est porteuse
d’informations très importantes.
Ce qui n’a pas été observé est que l’adoption
du nouveau moyen de mesure par le FMI trahit un point au moins aussi critique
que le résultat de la mesure elle-même. Lorsqu’un organisme économique change
de méthode statistique, cela signifie qu’il a décidé de chausser de nouvelles
lunettes pour appréhender la réalité. Et le changement de point de vue trahit
aussi l’évolution d’une mentalité interne.
Une mesure du PIB plus proche des gens, vraiment ?
Le calcul selon la PPA corrigeant cet effet,
il traduit la paupérisation des classes moyennes dans nos pays industrialisés
et montre que la qualité de la vie d’un pays doit tenir compte de l’accès au
pouvoir économique par le plus grand nombre, non de sa seule richesse brute. En
cela, la PPA semble plus proche des préoccupations concrètes des gens, et de
leurs difficultés à constituer le panier mensuel de la ménagère dans la
cotation de la richesse d’un pays.
L’élément ironique de ces nouvelles lunettes
chaussées par le FMI est que le très mondialiste organisme revient à la
considération d’un marché national et de préoccupations économiques propres à
la population de chaque pays. La PPA retourne aux conditions nationales
concrètes de chacun, non à la considération de grandes zones économiques
uniformes et ouvertes au marché, appréhendant les populations comme autant de
masses indistinctes.
Double ironie, ce sont des arguments propres
à la mondialisation – ceux que le FMI emploie habituellement – qui montrent les
limites d’un tel indicateur.
Le judo des rapports de parité entre pays
Une objection à la PPA est que si le coût de
la vie est plus élevé dans un pays que dans un autre, les habitants du premier
seront dotés de fait d’un pouvoir d’achat bien plus important dans le second
pays que dans leur pays d’origine. Cela ne concerne pas seulement le plaisir de
pouvoir se payer de nombreux produits pendant un voyage touristique, mais plus
sérieusement d’avoir des capacités d’investissement supérieures dans le second
pays.
Le différentiel de pouvoir d’achat est ce qui
permet des investissements externes, ou encore la pratique de l’offshoring,
très néo-libérale s’il en est. La puissance de niveau de vie d’une population
est donc plus complexe que son pouvoir d’achat national. Le coût de la vie
élevé est une faiblesse qui devient une force du fait des échanges trans-nationaux
et se traduit en une force de frappe financière et une capacité d’achat
supérieure dans des pays classés comme « plus compétitifs ».
Cette relativité des rapports de force et
faiblesse dans les échanges mondialisés est généralement très mal appréhendée
par les néo-libéraux, capables uniquement de raisonnements simplistes. Il en
est de même des avantages comparatifs de Ricardo : si les néo-libéraux
n’en retiennent que l’ouverture des frontières à tout crin, ils ne remarquent
pas que leur pendant inévitable est le maintien de compétences différenciées
dans chaque pays pour que les mécanismes ricardiens fonctionnent, c’est-à-dire
de nécessaires politiques interventionnistes permettant de conserver
jalousement un cœur de compétences propres à chaque pays.
Dès lors que l’on fonctionne en économie
ouverte, un véritable tao des échanges économiques est
nécessaire à la compréhension des situations, où chaque faiblesse est une force
potentielle et où chaque force peut devenir un point faible, non par les
raisonnements simplistes et univoques des néo-libéraux, ne sachant que prôner
toujours plus de dérégulation et toujours plus d’ouverture. La véritable
économie ressemble aux sciences du vivant, au maintien d’équilibres fragiles et
contradictoires, tandis que les recettes néo-libérales ne savent mettre en
œuvre qu’une radicalité court-termiste.
Une préoccupation pour les gens ou un idéal
famélique ?
En examinant par ailleurs ce à quoi le FMI
exhorte, le sens à donner à ce changement d’indicateur nous apparaît plus
clairement. Les bons élèves ont changé : le modèle économique est
maintenant celui des BRICS : Inde, Brésil, Chine, … c’est-à-dire de pays
dont le faible coût de la vie repose sur une précarité et une légèreté de
l’aide sociale.
Le raisonnement du FMI est celui des sports
mécaniques : pour faire une moto performante, il faut concilier une grande
puissance du moteur avec une légèreté de l’ensemble de l’engin. L’on préfère
ainsi aux grosses et lourdes cylindrées des moteurs légèrement moins puissants
mais des châssis ultra-légers, le rapport poids / puissance étant la clé de la
performance.
Si le raisonnement est incontestable dans les
sports mécaniques, il est simpliste en économie. Avant de montrer pourquoi, il
faut comprendre ce que donne la transposition à l’économie. L’optique du FMI
sous-tend toute la mode du « lean management », l’économie de moyens
à tout prix, l’allègement de toute structure support à commencer par celle de
l’état.
Dans les modèles connus de l’économie
industrielle, le « lean and hungry dog » a remplacé le « top
dog » : la puissance de l’animal en forme est remplacée par la rage
de survie de l’animal famélique, agressif parce qu’il est maigre.
L’on retrouve cet état d’esprit dans les
départements achats de beaucoup de groupes industriels : un bon
fournisseur est un fournisseur qui a faim, ce qui le force à aller au-delà de
ses limites par survie. Les départements achats les plus cyniques considèrent
même qu’un bon contrat avec un fournisseur est celui qui l’étrangle juste assez
pour qu’il survive pendant la durée du projet, puis soit tué faute de
ressources à la fin de celui-ci. Cette « méthode » est d’ailleurs
recommandée de façon explicite dans certains cursus de « management ».
Les nouvelles lunettes du FMI n’ont donc rien
à voir avec un raisonnement sur le pouvoir d’achat des personnes. Elles ne sont
que le prolongement de la thèse néo-libérale du toujours moins d’état, jusqu’à
idéalement faire disparaître celui-ci, et un faible coût de la vie obtenu au
prix d’un désengagement de toute structure sociale : le FMI passe sous
silence que bon nombre de pays obtiennent un coût de la vie limité en
contrepartie d’une forte précarité de leur population.
Le FMI a ainsi remplacé son classique idéal
de puissance économique par un « idéal famélique », un modèle
consistant à placer sciemment le plus grand nombre de personnes en conditions
de précarité et de survie pour en tirer le maximum. Le nouveau modèle
économique est celui de populations toujours plus exsangues (sauf pour une
petite minorité de privilégiés), dont on extorque l’énergie de la survie.
Nous pouvons être rassurés : si nous
avions cru l’espace d’un instant que le FMI avait une quelconque préoccupation
pour la vie quotidienne des personnes, nous voyons que comme à l’habitude il
n’en est rien. L’on se souvient du fameux slogan de Lénine « le communisme
c’est les soviets plus l’électricité ». Sa paraphrase libérale
pourrait-être : « le néo-libéralisme c’est la production maximale par
la rage du désespoir plus les favelas ».
La vision du futur selon le Fonds est de
généraliser à toute la planète le modèle mexicain ou brésilien : une
majorité de crève-la-faim constituant le plus gros de la population, et une
petite minorité de privilégiés obligés de vivre barricadés.
Les chiffres globaux montreront quant à eux
que nous avons un excellent ratio de PIB en PPA, que ce mode de vie rend tout
le monde heureux et a accru la richesse globale de la planète, argument
classique - et faux - des néo-libéraux.
Suite demain
Vous caricaturez un peu beaucoup l'avis du FMI qui dit ceci aussi :
RépondreSupprimerhttp://www.lemonde.fr/economie/article/2015/06/15/les-inegalites-de-revenus-nuisent-a-la-croissance_4654546_3234.html
Le FMI blâme les conséquence des causes qu'il chérie...
SupprimerEt si le FMi dénonce les inégalités, c'est au mieux pour ne rien faire. Au mieux.
Mais c'est plutôt le pire qui s'applique : dénoncer les inégalités est pour les libéraux (dont le FMI) un moyen de nous presser de choisir des "solutions" libérales !
C'est une tactique habituelle désormais... les libéraux clament : voyez tel problème ! il nous faut toujours plus de libéralisme pour y remédier.
"un moyen de nous presser de choisir des "solutions" libérales"
RépondreSupprimerPas du tout, le FMI a même revu le coef multiplicateur budgétaire. Il révise ses conceptions, pas comme vous qui déblatérez de sujets dont vous ne comprenez rien.
Dommage que le FMI ne change pas de doctrine au sujet de la Grèce...
SupprimerLes actes démontrent que le FMI chérie les causes dont il blâme les effets.