Billet invité de Marc Rameaux, qui a publié « Portrait de
l’homme moderne », suite de la première
partie publiée hier
Pourquoi « l’idéal famélique »
n’est pas seulement éthiquement condamnable mais économiquement défaillant
Au-delà de sa faiblesse éthique, cette
nouvelle vision est économiquement fausse et inefficace. Elle souffre – comme
tous les raisonnements néo-libéraux – d’une myopie totale et d’une incapacité à
anticiper. Les soubresauts et rechutes des BRICS, dont les résultats ne sont
pas ceux attendus, en témoignent. L’instabilité qu’ils connaissent et les
crises qui s’y succèdent à grande vitesse suggèrent quel est le raisonnement
juste.
Tant qu’à raisonner de façon systémique, nos Diafoirus
ont oublié que trois facteurs et non deux définissent la performance globale
d’un système : la puissance, la légèreté et le troisième qu’ils ont
omis : la robustesse.
Le modèle économique du FMI – et d’ailleurs
celui de l’ensemble des néo-libéraux – est intrinsèquement instable, avec une
fragilité croissante. Cela se vérifie aussi bien dans le domaine financier par
la multiplication des bulles spéculatives que dans la mise en œuvre du
développement économique des BRICS.
Le « lean management » a ainsi
engrangé échec sur échec dans les dernières années. Un exemple saillant est
celui des « call-center », de tous les dispositifs d’assistance au
client dans les sociétés de service. Le lean management a aminci les
dispositifs de relation client jusqu’à en faire le minimum. Il s’en est suivi
non seulement un service client déplorable et déshumanisé mais surtout
incapable de faire face au moindre imprévu.
Après passage au « lean management »,
les équipes faméliques de support au client ne savent traiter que le cas
nominal, celui où tout se passe bien, dans les limites prévues. Toute erreur de
procédure, qui nécessite de revenir quelques étapes en arrière, est rendue
impossible. La mécanisation et l’anonymisation croissantes nécessitent des
efforts colossaux pour de tels retours arrière.
Le pauvre client moyen se retrouve
généralement pris entre les mâchoires de tels dispositifs, prisonnier de
l’anonymat qui dresse un écran à l’avantage des sociétés. Les individus paient
des préjudices parfois très graves, devant finalement supporter les effets du
« lean management », enfonçant les particuliers dans la précarité et
l’inquiétude, selon une dissymétrie de rapport de force qui devient écrasante.
Et le néo-libéralisme parle sans cesse de « CRM », qualité
client », mise en valeur de l’individu …
La réduction des coûts comme seul principe,
sans qu’il soit mis en équilibre avec une qualité de service préservée, aboutit
à ce genre d’absurdité : l’on finit pas laisser des lacunes béantes dans
un processus industriel ou de service, pour économiser quelques centimes. Les
échecs colossaux de l’offshoring dans la plupart des grands projets
informatiques en sont une autre illustration.
L’équilibre à trouver entre
compétitivité-prix et compétitivité-qualité, intrinsèquement contradictoires,
est pourtant un classique de l’économie. Qu’importe, la plupart des cabinets de
conseil grassement payés continueront de ne prôner que des solutions simplistes
de réduction des coûts sans aucune connaissance approfondie des processus
industriels ou de service sur lesquels il faudrait s’appuyer, sacrifiant
cyniquement le simple individu au passage.
Proposition d’un indicateur du PIB non
simpliste
Le troisième terme oublié dans l’indicateur
de calcul du PIB est celui de la capacité potentielle d’innovation.
La richesse immédiate n’est pas tout, il est nécessaire de savoir si un pays va
prendre un temps d’avance sur les secteurs innovants de l’économie, s’il a
préparé ses capacités pour le faire.
Il n’est pas facile de trouver une mesure
quantitative de ce facteur. Mais l’on sait que les efforts d’éducation, de
santé, de transport public, de police, de retraite, de soutien au monde
associatif multiplient les opportunités de chaque individu à prendre des
initiatives.
L’on gagne peut être une seule bataille
désespérée avec des faméliques en condition de survie, l’on ne déploie pas une
stratégie économique. La plupart des pays de l’Asie de l’Est – Corée et Japon
en tête – maintiennent un coût de la vie assez élevé, corrélatif de structures
publiques importantes.
Selon la nouvelle mesure du FMI ils perdent
ainsi en compétitivité, pourtant ce sont eux qui parviennent à défier les
économies occidentales sur les secteurs de l’innovation. Même la Chine qui
possède encore un niveau de vie assez faible du fait de son ancrage encore
important dans un modèle social ancestral, s’engage sur un modèle
d’infrastructures publiques qui le fera monter.
Voir par exemple l’investissement du
gouvernement chinois dans le Maglev, l’une des premières lignes de train à
sustentation magnétique au monde. La Russie ne s’engage pas non plus sur les
nouveaux standards du FMI et résiste bien mieux que ne le fait l’Europe à
l’hégémonie digitale des USA, en ayant développé Yandex, un moteur de recherche
au moins aussi performant que Google et VKontakte, réseau social bien plus
utilisé que Facebook en Russie.
Ces pays ont compris que des standards élevés
d’éducation, de transport et de santé restaient des clés primordiales de la
compétitivité d’un pays. Ils élèvent globalement le coût de la vie, mais
permettent de garder l’initiative dans la course aux innovations.
Le discours néo-libéral se veut souvent à la
pointe de la modernité. Se rend-il compte que son nouvel idéal famélique est le
fait de mentalités arriérées et dépassées ? Les thuriféraires de la
mondialisation heureuse n’ont généralement en tête qu’une baisse sans limite
des coûts de production, masquant une idée aussi univoque et simpliste derrière
des modèles prétendument savants. Ils en sont restés à des industries
anciennes, dans lesquelles le coût marginal de production était la clef,
débouchant vers des délocalisations de plus en plus sauvages, allant jusqu’à
des violations de flagrantes de la légalité et de l’éthique, telles que le
travail des enfants sur lequel ils ferment les yeux.
La plupart des nouveaux secteurs économiques
basculent sur un modèle dans lequel les coûts marginaux de production et de
distribution sont faibles, voire nuls. Même des industries lourdes telles que
l’automobile changent leurs modes de production à tel point que les coûts se
concentrent de plus en plus en amont, dans l’effort de conception. La guerre
économique est ainsi de plus en plus une guerre de la connaissance.
Dans ces conditions, ce ne sont pas les pays
dont le faible coût de la vie n’est qu’une incidence de la mauvaise qualité de
vie qui tirent leur épingle du jeu. Mais ceux qui articulent intelligemment
puissance publique et privée pour que la première serve de réserve de capacités
à la seconde. Un famélique n’a « plus rien sous le pied ».
L’art économique moderne consiste à
équilibrer finement un triangle de contraintes contradictoires : puissance
de la production instantanée, faibles coûts de structure, importantes capacités
d’innovation permettant de changer de cap rapidement. Les néo-libéraux, parce
qu’ils s’en remettent aux seuls ratios financiers, n’ont qu’une obsession de la
baisse des coûts qui tient de la pathologie mortifère.
Un véritable indicateur corrigé du PIB
intégrerait non seulement la PPA, mais un facteur important de capacité
d’innovation. Les pays de l’Asie de l’Est ainsi que la Russie auraient déjà
gagné de nouvelles places au classement avec ce mode de calcul.
Mais il est dérangeant d’admettre qu’ils
maintiennent un haut niveau d’infrastructures publiques : a contrario des
charlataneries austéritaires du FMI, ils savent que soigner l’éducation, la
bonne santé et la sécurité de leurs citoyens est le premier facteur
d’opportunités économiques, en n’hésitant pas à rester dans des standards très
élevés.
Désolé mais ni la Russie, ni même la Chine n'innovent beaucoup, les ingénieurs chinois sont nombreux mais d'un niveau très discutable, le titre y est usurpé. Et les déraillements des TGV chinois montrent une robustesse discutable...
RépondreSupprimerhttp://blogs.lesechos.fr/paristech-review/qui-seront-les-ingenieurs-de-demain-a13937.html
La Suisse réputée libérale est en tête de peloton des pays innovants.
Evitons de simplifier... innovation ne signifie pas "absence d'accidents" et d'autres problèmes.
SupprimerLes Chinois sont en plein dans une révolution pour faire avancer leur pays... vous ne voulez voir que la moitié du tableau : les lacunes, les errements, et tout ce qu'il faut encore changer !
Une bonne parti des ingénieurs chinois sont formés dans les meilleurs universités françaises, etats-uniennes, britanniques, etc.
Les Chinois partent de très loin et ils vont dans la bonne direction.
Faudrait que certains arrêtent de vouloir prendre des détails pour contredire l'ensemble afin de mieux refuser les opinions qui les dérangent.
"... ni la Russie, ni même la Chine n'innovent beaucoup ... " : désolé mais c'est vraiment une énormité. Renseignez-vous sur les productions de la Russie dans le domaine du digital, sur la qualité des développeurs russes et sur la floraison de SSII là-bas. La sous-traitance russe est chassée à prix d'or, car l'on sait que leurs capacités des développement informatiques sont d'excellent niveau, comme la plupart des pays de l'ex bloc de l'est d'ailleurs. Je suis du secteur et ai eu à travailler fréquemment avec les Russes dans ce domaine : il fallait beaucoup d'énergie pour les suivre, leur sens de l'initiative et la pertinence de leurs suggestions était un défi de tous les instants.
SupprimerConcernant la Chine, je vous renvoie à cet article qui va dans le sens de la réponse d'Abd_Salam : Rome ne s'est pas faite en un jour : http://le-troisieme-homme.blogspot.fr/2016/01/lasie-de-lest-dominera-le-monde-de.html
Il n'y a qu'Alain Minc pour minimiser et dénigrer le développement chinois, car pour lui il faut un monde ouvert et mondialisé, ... à condition que ce soient toujours les USA qui dominent, incohérence supplémentaire des néo-libéraux.
"puissance de la production instantanée, faibles coûts de structure, importantes capacités d’innovation permettant de changer de cap rapidement"
RépondreSupprimerDonc rien du modèle francais depuis 50 ans où l'innovation s'affaiblit constamment, un modèle énergétique nucléarisé étatique qui est un fiasco et dans lequel persiste l'administration française, alors que le coût du MWH solaire est déjà en dessous de celui du nucléaire.
L'EPR francais est une pure Berezina que va devoir payer le con tribuable francais.
J'aime bien comment le mot "étatique" est devenu en soi un grave défaut, qui est censé faire comprendre qu'un projet est forcément mauvais parce que "étatique".
SupprimerLe modèle français s'affaiblit au fur et à mesure que les libéraux imposent leur doctrine à l'échelon des entreprises ou des réglementations nationales.
Vous citez une phrase qui décrit un modèle parfait qui n'existe qu'en théorie... et qui n'a pour but que de servir les intérêts particuliers des (grandes) entreprises ;
pour l'opposer à un un modèle français "imaginaire" qui est la caricature qu'en font les libéraux.
Bravo le degré zéro de la réflexion. Tout est dans la manipulation, tout est dans l'opposition binaire entre un exemple qui aurait toutes les vertus opposé à un un modèle qui aurait toutes les tares ! ben voyons.
Ce que le modèle français est devenu n'est effectivement pas à copier, ce que je ne nie d'ailleurs pas dans ce texte.
SupprimerEn l'occurrence sur le nucléaire, les filières étatiques initiales ont été au contraire très efficaces jusqu'à la fin des années 1970, la France disposant d'un savoir-faire mondialement reconnu dans le nucléaire civil.
Ce qui a précipité sa perte n'est pas l'interventionnisme étatique initial, au contraire très pertinent, mais la manie du capitalisme de connivence de certains hauts fonctionnaires français. Anne Lauvergeon a démoli une filière et un fleuron essentiel de notre industrie.
Sophie Coignard a très bien montré que ce capitalisme de connivence très français s'accommodait très bien de la loi de la jungle néo-libérale. Cf par exemple les agissements de JL Haberer à la tête du Crédit Lyonnais, mariant la folie des hauts fonctionnaires français à celle de la finance spéculative.
L'interventionnisme vigoureux mariant intelligemment public et privé, ainsi que la préservation de coeurs de métier forts ont au contraire très bien fonctionné, a contrario des potions miracles du FMI.
On a bien compris que les sales néo-libéraux étaient des moins que rien et que ce qu'ils proposent et font est à chier.
RépondreSupprimerEt vous, que proposez-vous ?
Personne ne dit que ce que font les libéraux est à nul... au contraire. Les libéraux font preuve d'excellence (sans ironie) dans la poursuite de leur seul intérêt et déploient des trésors d'ingéniosité pour réaliser la société idéalement favorable aux nantis.
SupprimerEt pour répondre à la question rhétorique «Et vous, que proposez-vous ?» :
Mettre fin au délire libéral.
(qui consiste entre autre chose mais pas seulement à faire passer "l'intérêt particulier" des très riches pour "l'intérêt général")
«un grand renversement, toujours à l’œuvre, a fait de l’Etat, non plus la chose mesurante et planificatrice de l’économie, (…), mais bien la chose mesurée par les organisations du marché financier»
SupprimerBenjamin Lemoine
«L’ordre de la dette» ;
http://ecodemystificateur.blog.free.fr/index.php?post/Comprendre-l-origine-de-la-dette
- Interventionnisme articulant intelligemment puissances publiques et privées, pour le rétablissement de filières d'excellence et de coeurs de métier où la France reviendra parmi les meilleurs.
Supprimer- Protection de notre propriété intellectuelle, notamment vis-à-vis des USA.
- Association avec d'autres pays européens pour de grands projets industriels, faite selon de libres choix de ces pays et en respect de leur souveraineté, comme cela a toujours été le cas des succès européens (Airbus, Ariane, ..) qui n'ont jamais été ceux de l'UE. L'Europe a cessé de produire de grandes réussites depuis que l'UE lui a passé son carcan néo-libéral. Comme le note David Graeber, les néo-libéraux produisent paradoxalement une bureaucratie endémique contraire à leur discours apparent, l'UE réalisant le tour de force d'associer politique ultra-libérale et lourdeur administrative stalinienne. Sur ce sujet, cf mon article dans "Causeur" : http://www.causeur.fr/ue-etats-unis-protectionnisme-35103.html
- Création de communautés auto-gérées en complément de l'économie classique, permettant à chacun d'organiser sa reconversion et de choisir son mode de vie. "Toute démarche qui construit de l’autonomie est insurrectionnelle" (Pierre Rabhi).
en passant : endémique ne signifie pas "pléthorique"...
Supprimerendémique qui a le radical "endo" signifie spécifique à un territoire comme une espéce endémique de La Réunion ; par ex)
Et en français, on dit pas "digital" mais "numérique".
(si si, c'est important de préserver notre langue)
@ Marc Rameaux
SupprimerOkay ... retour à la monnaie unique aussi ?
D'autre part : comment évitez-vous de tomber dans les travers de l'Argentine ?
Déjà faut arrêter d'associer les problèmes à "nation" et les "solution" à fédéralisme (qui ne s'assume même pas dans le cas de l'U.E)...
SupprimerEnsuite, les problèmes de l'Argentine sont largement liés à des pratiques libérales... le gouvernement donne de bien drôles de coup de volants pour manoeuvrer un engin vicié par le libéralisme.
Une économie saine consécutive à l'articulation intelligente des puissances publiques et privées n'entrainera pas le besoin de zigzaguer entre des aléas produits par le libéralisme lui-même.
Good luck!!!!
RépondreSupprimerGood luck!!!!
RépondreSupprimerGood artilce
RépondreSupprimerserrurier paris 20