Billet invité de
Marc Rameaux, qui a publié
« Portrait de l’homme moderne »
Quel est le concept le plus scandaleux ? Le
parfait contre-courant du discours « moderne », vous reléguant au sein des
plus réactionnaires, dérangeant le confort douillet du camp du bien, choquant
au point d’être incompréhensible pour l’ « homonculus
economicus » (le véritable nom que celui-ci mérite).
Les discours de haine ou ceux se voulant
« anti-système » n’ont absolument rien de subversif : ils sont
d’excellents idiots utiles et ne font que renforcer par contraste la vulgate
post-moderne dans ses convictions, dans sa suffisance tranquille de détenir la
vérité absolue. Ces discours font d’ailleurs partie intégrante du
post-modernisme. Ils suivent son paradigme commun de vouloir faire parler de
soi à tout prix, de « créer le buzz », de s’adonner au goût du
spectaculaire, des pensées faciles et rapides.
Un concert d’huées se fait déjà entendre, surtout dans le
contexte qui est le nôtre. Car des moins-que-rien n’hésitent pas à faire ce
sacrifice répété pour leur « cause », un intégrisme religieux qu’ils
veulent imposer coûte que coûte par la terreur.
La preuve est donc donnée, dans laquelle
s’engouffre le discours néo-libéral : tout sacrifice est mauvais, et
représente en toute situation un abus inacceptable de la communauté sur
l’individu, une demande de se dessaisir de soi et de remettre sa vie pour le
bien collectif, exigence exorbitante et totalitaire.
Il s’ensuit la litanie de la recherche du
profit individuel comme seul bien et seule valeur, la glorification de la
rapacité et de l’égoïsme, la mise à bas de tout effort collectif compris comme
une emprise totalitaire insupportable.
Les « sacrifices » terroristes sont
ainsi l’alibi utile permettant de barrer la réflexion, de réduire le discours à
des catégories simplistes, d’explorer une notion pourtant bien plus profonde
qu’il n’y paraît.
Car que faut-il penser du sacrifice des
légionnaires de Camerone ? Des défenseurs de Leningrad jurant que la ville
ne serait jamais soumise aux nazis ? De Léonidas aux Thermopyles qui
agissait pour l’ensemble du monde Grec et lançait ce message fort de n’accepter
jamais l’asservissement ? Et
par la suite du devoir de tout citoyen Grec de se convertir en hoplite pour
défendre sa cité et la liberté de tous ? De Jan Patocka ne cédant pas un
pouce de sa liberté de parole, au prix de sa vie ? Ce dernier écrivit
« liberté et sacrifice », restituant le sens véritable aux mots et
dévoilant les conditions amères mais justes de préservation de l’indépendance
d’un homme.
Le sacrifice nous renvoie ce message
extraordinairement dérangeant que le sens ultime de la liberté d’un homme a
quelque chose à voir avec la mort. Que la liberté et la dignité méritent d’être
défendues coûte que coûte, jusqu’à en payer le prix ultime.
Le post-modernisme néo-libéral se voile la
face à l’idée de la mort, en fait un sujet tabou qui participe à la perte de
sens généralisée dans laquelle il dérive. C’est ce qui explique le succès
qu’eût l’excellente série « Six feet under », mettant en scène
l’hypocrisie généralisée de la société américaine et ses mille et une façons
d’éluder le sujet. Les épisodes montrent jusqu’à quels niveaux de bassesse une
société parvient lorsqu’elle ne raisonne plus qu’en termes de succès ou d’échec
et non de valeur.
Le sacrifice affirme avec la plus grande
force le renversement de ceci. Il pose par un acte volontaire la suprématie de
valeurs imprescriptibles, indépendantes de tout calcul, de tout résultat, de
toute notion de réussite. Il est ainsi l’inverse absolu du paradigme
néo-libéral, le refus du fait que tout puisse se négocier, à commencer par la
dignité d’un homme. « Si tu peux rencontrer triomphe après défaite et
recevoir ces deux menteurs d'un même front » nous disait Kipling.
Le sacrifice est cette attitude
outrageusement provocante face à ceux qui veulent nous tenir dans leurs petits
chantages, dans leurs sournoises pressions, leur montrant que nous pouvons à
tout moment sortir de leurs jeux pervers. En cela, le néo-libéralisme est
totalement incapable de penser la belle notion de liberté. Il nous conduit à un
modèle d’homme asservi, jouet de toutes les bassesses et de toutes les
compromissions, jusqu’à la capitulation de sa dignité, si les pressions de ceux
qui veulent le dominer passent un certain seuil. Le sacrifice est l’affirmation
qu’une valeur n’est pas dépendante d’un seuil, ne se négocie pas, et donne pour
preuve qu’il est prêt à y laisser la vie plutôt que de céder.
La « morale » dévoyée d’Ayn Rand ne
peut voir ceci. L’homme mu par son seul intérêt égoïste n’a rien de libre, car
il vivra en permanence dans la crainte – précisément – qu’on lui retire ses
intérêts. Le monde de la grande entreprise façonne des hommes qui n’ont rien
d’indépendant, mais des personnalités obséquieuses, fuyantes, à la fois
colériques comme un enfant mal grandi et craintives, en permanence sous la
terreur de la perte de leurs avoirs.
Penser véritablement la liberté nécessite de
faire sien un étonnant paradoxe : l’anéantissement du soi peut - dans des
circonstances critiques - être l’affirmation de soi. La « liberté »
de l’intérêt égoïste n’est que la servilité du courtisan, dépendant des
intrigues humaines, suspendu à leur prévisible bassesse. Pousser la conscience
de la liberté humaine jusqu’au bout nécessite d’atteindre une forme de mépris
de la mort.
Le néo-libéralisme n’est ainsi nullement une
école de la liberté et de l’indépendance mais une école de la lâcheté. Et
partant, une école de la servitude, car toute liberté véritable requiert le courage
comme première condition, et le courage de défendre son intégrité jusqu’à la
mort s’il le faut.
La lâcheté de nos sociétés modernes est
double, car non content de se plier à toutes les bassesses pour la course à ses
intérêts, l’homme néo-libéral envoie d’autres affronter l’épreuve du feu. Il
faut être un esprit simpliste pour penser que la concurrence généralisée forge
des hommes courageux et aguerris, car la meilleure stratégie dans cette
situation sera de se défausser en permanence, de « surfer » sur toute
tendance sans jamais prendre le risque de l’engagement, de récupérer enfin
après la bataille le fruit de l’engagement des autres en faisant mine de
l’avoir toujours défendu.
L’homonculus economicus est un être veule,
fuyant, spécialiste de la défausse, champion des apparences, des dehors
souriants, des changements de discours opportunistes récupérant l’engagement
des hommes de fond. De tels petits hommes ont toujours existé de tous temps,
notre époque est en revanche l’une des seules à leur avoir ouvert les portes du
pouvoir, à être structurée et organisée à leur avantage. Le néo-libéralisme est
une fois encore une trahison du premier libéralisme politique, en ceci qu’il
asservit l’homme à l’une des pires formes d’arbitraire, celle de l’argent et
des positions sociales devenues étrangères à tout mérite. L’homme néo-libéral
pliera et se couchera au moment de défendre sa liberté véritable, parce que
celle-ci n’a – précisément – rien à voir avec l’intérêt.
La liberté ne se conquiert que par deux voies :
la connaissance et l’absence de crainte de la mort. C’est en ceci que le métier
des sciences et le métier des armes sont les deux derniers refuges du sens et
de la noblesse dans notre société moderne, que leur pratique demeure la seule
véritable subversion.
Mais quid des djihadistes dans ce cas, et du
versant noir du sacrifice, de la version dévoyée du mépris de la mort ? Il
ne faut pourtant pas chercher bien loin pour savoir ce qui lui retire toute
prétention à la noblesse. Et cet élément est l’avidité. Les
« sacrifices » des djihadistes sont effectués dans un but de
conquête, de prise de possession, de guerre de territoire. Les islamistes se
présentent comme matériellement désintéressés – ce qui est déjà totalement
mensonger eu égard à l’hypocrisie et à la dépravation de leurs dirigeants –
mais poursuivent de toutes façons une logique de possession morale, une avidité
sur les êtres bien pire d’ailleurs que l’avidité matérielle.
Le sacrifice noble abandonne tout esprit de
possession et n’est accompli uniquement que dans un but de défense. Défense de
sa liberté et de sa propre intégrité morale, ou défense de l’intégrité
d’autres personnes, parce que même s’ils sont autres, l’offense à leur dignité
d’homme nous fait dire que cela ne doit pas être et cela ne sera jamais,
dussions-nous en mourir. L’éthique du sacrifice est simple, les arts martiaux
nous en montrant le chemin : seule la défense est un but légitime de la
confrontation à la mort, et la défense de valeurs imprescriptibles.
Islamistes et arrivistes néo-libéraux se
ressemblent comme deux gouttes d’eau sur un point majeur : ils sont les
hordes de l’avidité, les deux formes de la barbarie déferlante, qu’il revient
aux hommes d’honneur de repousser.
Islamistes et néo-libéraux sont tous deux des
pervers narcissiques. Ils jouissent d’asservir l’autre et se nourrissent de ce
plaisir. Ils préfèrent d’ailleurs humilier avant de tuer. Ils ne conçoivent
leur liberté que dans la privation de celle des autres, dans la jouissance
perverse de les voir asservis.
Ils ressentent également une forme de
souffrance pathologique à voir le bonheur des autres. Il ne leur suffit pas
eux-mêmes d’atteindre la félicité, il faut que les autres soient abaissés et
détruits pour qu’ils puissent en jouir. Une étude psychologique des traders en
bourse avait ainsi montré que posséder une belle voiture ne leur suffisait
pas : si d’autres en possédaient une, même moins belle d’ailleurs mais
qu’ils en étaient heureux, ils en ressentaient une souffrance insupportable.
Leur satisfaction ne pouvait être complète que lorsqu’ils auraient détruit les
autres voitures au maillet, pouvant jouir non seulement de leur possession mais
surtout du spectacle de l’écrasement des autres. Cliniquement, de telles
personnes sont bien évidemment des psychopathes profonds. Ce sont pourtant de
tels hommes qui tiennent les leviers du pouvoir politique et économique de nos
sociétés modernes.
Les rapports au sein du monde de l’entreprise
suivent fréquemment ce schéma. L’on voit ainsi des directeurs de haut niveau
possédant un énorme pouvoir et des possessions matérielles considérables,
jalouser maladivement des personnes simples, situées pourtant à plusieurs
niveaux hiérarchiques en dessous d’eux, ne possédant qu’un quand eux possèdent
mille.
Mais ce peu est encore trop pour eux, si
l’homme qui le possède manifeste un bonheur simple de ce qu’il a. Ils ne seront
satisfaits que lorsqu’ils verront l’homme simple humilié et détruit, lui ayant
retiré le peu qu’il possède. Ils souffriront d’ailleurs d’une authentique
douleur tant que ce ne sera pas le cas, allant jusqu’à accuser l’homme simple
d’une ambition trop forte bien que la dissymétrie de leur propre position soit
outrageusement ridicule : leur narcissisme immense est blessé à la moindre
occasion.
Comment de telles pathologies mentales
deviennent-elles possibles ? La clé d’explication réside dans la
légitimité, l’authenticité des choses. Le peu que possède l’homme simple a été
acquis au prix d’efforts mérités et véritables. Les pléthores du dirigeant
pathologique n’ont été extorquées que par la triche, la récupération du travail
d’autrui, l’opportunisme du manipulateur. Il le sait au plus profond de
lui-même, les mille qu’il possède ne traduisent aucune valeur personnelle, ils
sont une richesse d’usurpateur, un trésor d’imposteur.
La joie simple et tranquille de l’homme
méritant, même s’il possède bien moins que lui, lui rappelle sans cesse son
propre néant personnel. Dès lors, la « common decency » des êtres
authentiques lui sera insupportable et blessera mortellement son narcissisme.
Il n’aura alors de cesse que de piller les maigres avoirs restants, en voulant
au passage détruire et humilier l’homme à la joie simple, pour atteindre une
jouissance qui restera pourtant toujours insatisfaite. Il perdra tout contrôle
et toute dignité pour atteindre ce but, comme un enfant capricieux, étant prêt
à se rouler par terre pour déposséder encore un peu plus ceux qui ont déjà peu.
Ils n’auront par ailleurs aucun courage pour opérer ce vol, n’employant que les
manœuvres cachées, les intrigues de couloir, la courtisanerie, le dénigrement.
Le monde moderne est ainsi organisé et fait pour de tels hommes. L’appétit sans
limite, le pillage organisé de ceux qui ont déjà peu au profit de mégalomanes
boursoufflés et sans valeur est devenu le spectacle commun de notre monde, en y
ajoutant le ridicule d’appeler cela une société de libertés.
La civilisation est menacée par ces hordes de
l’avidité, de la destruction et du pillage d’autrui. A ce titre, rien n’est
plus ressemblant dans le déferlement anarchique et la soif inextinguible de
pouvoir que la puissance lourde et malsaine des néo-libéraux et de Daesh. Seule
la discipline et la maîtrise des hommes d’honneur, prêts au sacrifice suprême,
les repoussera et les renverra à ce qu’ils sont : des porcs décadents,
incapables de maîtrise d’eux-mêmes, des dépravés ivres de puissance mais dépourvus
de la moindre force intérieure.
Il ne faut pas s’imaginer que l’islamisme
sera repoussé en brandissant nos valeurs seulement par le verbe. Il sera
repoussé en lui montrant que notre détermination à mourir pour nos valeurs est
aussi forte que la leur, et que par surcroît, parce qu’elle n’est pas pervertie
par le souffle de l’avidité, elle les vaincra et les écrasera.
Le post-modernisme aime à s’enfoncer dans un
discours doucereux et simpliste, fait du mélange si caractéristique de la
candeur et du cynisme, candeur pour ceux qui seront assez bêtes pour y croire,
cynisme pour ceux qui en mimeront tous les dehors extérieurs sans y croire une
seule seconde.
Ainsi entendons-nous à l’encontre de la
barbarie islamiste l’opposition niaise entre ceux qui défendent les
« valeurs de la vie » contre la « valorisation de la
mort », des gentils contre les méchants. Un tel discours abolit toute
réflexion sur l’usage légitime ou illégitime de la violence. Il se voile la
face sur le rapport entre affrontement de la mort et liberté, tabou de nos
sociétés de l’évitement, de la fuite, de la mise à distance. L’emploi des
forces armées dans la société néo-libérale est révélateur : le sacrifice
de soi pour préserver la liberté de l’ensemble de la société étant considéré
comme une exigence inadmissible vis-à-vis de ma « liberté » assimilée
à mon intérêt égoïste, ce sacrifice est lâchement sous-traité. L’on envoie
l’autre au feu à sa place, et l’on considère tout à la fois les forces armées
comme des mercenaires à qui l’on fait faire le sale travail, dont on exige
l’entorse que l’on juge inadmissible à notre petit individualisme, tout en ne
voulant pas voir la noblesse qu’implique un tel sacrifice.
Outre l’évacuation de cette tension entre
usage de la force et préservation de la liberté, l’on efface également toute
réflexion sur l’équilibre entre sens collectif et liberté individuelle pour
préserver la liberté en tant que telle. Il ne vient pas à l’idée d’un
néo-libéral que tous peuvent se regrouper pour défendre la liberté d’un seul si
celle-ci est menacée, et que cette cohésion est garante de la liberté complète
d’un individu.
Lors des récents attentats, l’abnégation et
le sens du sacrifice de nos forces de police et de gendarmerie sont revenus
frapper le visage veule de nos sociétés néo-libérales qui n’assument plus les
conditions de la liberté véritable. Le retour du sens est violent, lorsque l’on
a passé son temps à s’y dérober et à fuir, à se complaire dans
l’auto-satisfaction des bons sentiments, à faire faire à d’autres ce que l’on
considérait comme une insupportable entorse à sa liberté égoïste.
L’on se rend brutalement compte que les
hommes que l’on considère ainsi comme moindres parce qu’on leur délègue le
sacrifice, sont ceux qui affirment au contraire la liberté des hommes
véritables. Comme le disait Michel de Saint-Pierre, servir est une vertu
aristocratique : cette phrase n’est pas même scandaleuse pour un
néo-libéral, elle est tout simplement incompréhensible, inaccessible à son
pauvre entendement.
Le thème du vent est toujours associé à la
notion de sacrifice, et à la proximité que celui-ci entretient avec la liberté.
Dans « Les sept mercenaires », adaptation au grand ouest des
« Sept samouraïs » de Kurosawa, le vieux du village remercie les mercenaires
survivants en les comparant au vent, qui balaie les sauterelles, libère les
paysans, et repart au loin. Dans les deux films, les sept font le sacrifice de
leur vie pas même pour leur propre liberté, mais pour celle du village des
paysans, simplement pour affirmer que face à la servitude des pillards ceci ne
sera pas, ceci ne doit pas être. Et par ce sacrifice pour la seule liberté des
autres, ils affirment ultimement leur liberté d’homme, leur libre arbitre
absolu de refuser la loi des pillards, pour l’honneur, pour l’exemple, pour la
beauté du geste, notions inconcevables pour l’égoïsme étroit d’une Ayn Rand.
La thématique du vent est bien évidemment
présente dans les Kami Kaze, littéralement « vent divin » ou
« vent des esprits », ces Kamis japonais présents en toute chose et
dont la notion est difficilement traduisible. L’on pourra objecter que les
kamikaze de la fin de la deuxième guerre mondiale étaient des jeunes gens
fanatisés et conditionnés. Au-delà de ce qu’était la réalité du Japon
militariste de cette période – qu’il ne faut pas nier et qui était contraire au
véritable esprit des samouraïs de l’ère Edo – je maintiens que le sacrifice de
ces jeunes pilotes avait quelque chose de beau, que le geste ultime qu’ils
accomplissaient n’était pas que le produit d’un conditionnement mais un acte
libre visant à sauvegarder coûte que coûte leur honneur et leur indépendance.
L’on peut de même voir dans le sacrifice des
300 spartiates un acte ultime de liberté, sans entretenir d’illusion sur la
réalité de l’antique Sparte qui était une société totalitaire. Le sacrifice à
l’encontre de ceux qui jouissent d’imposer la servitude est ainsi un thème qui
peut surgir à tout moment, même dans des sociétés qui n’ont rien de libre, pour
affirmer l’essence de la liberté humaine, son lien non contradictoire avec la
solidarité. Je dénie tout droit aux djihadistes – pour cette raison – de porter
le beau nom de kamikaze, réservé à des guerriers d’honneur, non à des tueurs
d’enfants.
Enfin, le thème du sacrifice et de l’acte
libre est sans doute traité de la plus belle des façons dans le « Kaze no
Shō », le livre du vent, magnifique manga de Taniguchi et Furuyama. Ce
manga traite de la lutte de pouvoir entre le shogunat et des partisans de
l’Empereur, car le Japon vivait ce moment crucial de son histoire où le pouvoir
impérial devait être relégué à des fonctions honorifiques, contre l’exercice du
shogunat.
Comme dans beaucoup de mangas japonais,
il n’y a pas de camp des bons ou des mauvais, seulement des forces qui
s’affrontent : nous ne sommes pas chez Disney ou à Hollywood. Les notions
morales sont plutôt incarnées par les personnages individuels, dans leur état
d’esprit et dans leurs actes.
Ainsi le « Kaze no Shō »
oppose-t-il le légendaire samouraï Yagyû Jûbei qui défend le shogunat à
Yashamaro, partisan de l’Empereur. Tous deux grands guerriers, fins samouraïs,
courageux et hommes d’honneur, l’affrontement n’a rien de manichéen. L’on sent
seulement percer une impatience chez Yashamaro, un brin d’avidité et de goût du
sang, tandis que Jûbei essaie de limiter les dégâts humains. Les termes de
l’éthique du sacrifice sont ainsi posés.
Lors de leur affrontement final, Jûbei
emploie une technique qu’il a mis des années à mettre au point, représentant le
summum de son art : il se place dos-à-dos à son adversaire, et suit ses
mouvements de façon circulaire. Cet art lui permet de neutraliser Yashamaro
sans le tuer : Jûbei cherche à épargner les vies humaines sans se départir
d’un grand courage et d’un risque important d’être tué. Il veut convaincre
Yashamaro de cesser le combat. Celui-ci, furieux de se voir ainsi neutralisé
emploie un ultime expédient, après avoir essayé toutes les formes
d’attaque : Il s’éventre lui-même largement, en un geste de seppuku, et
transperce du même coup Jûbei dans le prolongement de son sabre, le dos de son
adversaire étant accolé au sien. La lame de Yashamaro ressort de l’abdomen de
Jûbei, les deux hommes étant reliés malgré leur opposition en étant tous deux
éventrés par la même lame. Jûbei a le temps de dire à Yashamaro « pourquoi
fallait-il aller jusque-là ? ».
Première leçon : il n’y a aucune
idéalisation du combat ou de morale manichéenne. Nous ne sommes pas à
Hollywood : Jûbei meurt avec Yashamaro, il n’y a pas de happy end et
il serait simpliste de présenter leur lutte comme celle du bien contre le mal,
bien que leurs deux caractères nous questionnent sur l’éthique du combat. Il
faut également être dans un esprit de détermination à mourir lorsque l’on
combat pour des valeurs auxquelles l’on croit.
Deuxième leçon : Jûbei finit par
vaincre, mais d’une singulière façon. Il parvient à rester en vie seulement
quelques minutes de plus que Yashamaro, et à s’extraire du sabre. Dans le peu
de temps qui lui reste à vivre, il voit son jeune frère accourir vers lui. Il
lui remet alors le « Kaze no Shō », le livre du vent, dans lequel il
a codifié tout son art du sabre, jusqu’à sa technique de neutralisation. La
victoire de Jûbei réside donc dans les quelques minutes pendant lesquelles il a
pu tenir, pour accomplir un ultime geste : la transmission à la jeune
génération. Le sacrifice pour que la descendance puisse vivre, héritant de sa
connaissance.
La victoire n’a rien de triomphal, elle n’est
due qu’à une différence infime, mais lui permettant ce dernier acte décisif. La
thématique de l’autre légendaire samouraï est ainsi amenée, celle de Miyamoto
Musashi, qui indiquait dans le « Go Rin no Shō », le traité des cinq
roues, que ce qui différenciait la victoire de la défaite dans un duel au sabre
tenait à des différences à peine perceptibles. Dans le traité de Musashi, le
dernier élément, le plus abouti, est celui du quatrième chapitre, celui du
vent. Il débouche sur le cinquième et dernier : le chapitre du vide, thème
qui n’a rien de péjoratif dans la culture asiatique, mais qui représente
l’équivalent de notre libre arbitre. Le sacrifice, la solidarité entre
générations, enfin la liberté humaine sont éternellement unis, tout comme les
corps de Yashamaro et Jûbei reliés par l’unique lame des braves.
Sacrifice, solidarité, liberté, connaissance.
Quatre thématiques indissociables. Puissions-nous à notre tour rouvrir le
« Kaze no Shō », y retrouver l’inspiration et le sens, goûter à son
amer enseignement qu’il faut être prêt au sacrifice suprême pour balayer ceux
qui jouissent d’asservir les autres, islamistes comme manipulateurs
néo-libéraux, les premiers n’étant que l’incarnation de l’inconscient inavoué
des seconds, unis dans une même structure mentale de prédation et
d’ultra-violence.
Le futur passera par une épopée militaire et
scientifique, l’alliance du courage et de la connaissance dans le but de la
transmission. L’imposture du néo-libéralisme qui a prostitué et travesti le
beau thème de la liberté humaine doit être combattue, et le véritable sens de
la liberté rétabli, en retrouvant l’esprit du sacrifice. Contre les barbaries
modernes, la ballade des guerriers libres doit renaître, portée par le souffle
du vent.
Merci pour ce bel exercice qui intéresse autant qu'il intrigue allant du symbolique à ce qu'il y a de plus concret, de la noblesse et de la grandeur des uns à la vilénie des autres.
RépondreSupprimerPour ce qui me concerne, je veux juste confirmer qu'effectivement, j'ai pu constater auprès de dirigeants nombreux que, comme vous l'écrivez, "la meilleure stratégie (pour eux) dans cette situation sera de se défausser en permanence, de surfer sur toute tendance sans jamais prendre le risque de l’engagement." L'important est de ne prendre de risques, de se servir des autres pour s'en servir comme de fusibles. Nous sommes nombreux à être utilisés, exploités tant que nous pouvons servir leurs intérêts, puis jetés sans le moindre scrupule.
Quand vous expliquez également qu'"il revient aux hommes d’honneur de repousser ceux-là pour les renvoyer à ce qu'ils sont", je vous pose une question que je me pose souvent et qui me semble essentielle : pourquoi et comment tant d'hommes et de femmes sont-ils si soumis et acceptent-ils quotidiennement l'avilissement, la souffrance et de voir, parfois, tomber l'un des leurs sans la moindre réaction ? La puissance de uns est bien l'avers de la faiblesse des autres, non ?
Quant à votre conclusion sur "la ballade des guerriers libres, qui doit renaître", je ne sais pas à quoi elle renvoie aujourd'hui pour lutter contre cette "barbarie moderne".
DemOs
La "violence" est par définition illégitime (et illégale).
SupprimerCe sont nos amis gauchistes qui ont réussi à créer un amalgame entre emploi de la "force légitime" et usage de la "force illégitime = violence".
Pour les gauchistes, tout usage de la force, légitime ou non, est violence.
@ Demos,
SupprimerIl y a un peu du fait que la force des uns est la faiblesse des autres, mais surtout...
Les dominants créent des normes à leur avantage qu'ils présentent comme des "principes neutres"...
Et c'est comme ça que nous voyons le monde à travers le regard des dominants, qui ont forgé les outils conceptuels qui nous permettent de penser le monde.
Pour être libre, il faut déjà penser avec des outils non viciés.
Il faut se méfier de la rhétorique qui nous conditionne, et nous place dans des situations de faux dilemmes par exemple (le fameux : le libéralisme à tout crin ou la Corée du Nord).
Le discours des dominants visent à nous faire voir le monde tel que les dominants ont besoin qu'il soit.
C'est cela qui produit la fameuse "servitude volontaire"... penser avec les outils du Maître.
@Demos : Merci pour votre témoignage, mes descriptions du monde du travail reçoivent très souvent une confirmation de ceux qui y sont plongés. Tous jouent le jeu d'un système qu'intérieurement chacun déteste.
RépondreSupprimerLa question de la non-révolte est effectivement très curieuse. Je traite de ce sujet in extenso dans mon livre "L'orque".
En résumé, deux arguments l'expliquent. Le premier est celui de la dépendance économique, devenue presque vitale dans une situation de fort chômage.
Le second est que les castes qui accaparent le travail et le mérite d'autrui fonctionnent en réseau de connivences, assimilables à la formation de mafias (la lecture de Roberto Saviano est vivement conseillée à celui qui veut comprendre le monde de l'entreprise moderne).
Dès lors, même si quelqu'un tente de se révolter il est "intercepté" rapidement par un collectif très coordonné, réagissant comme les différentes cellules d'un organisme vivant, presque par activité réflexe.
La préservation de classe (et de caste) est devenu un mécanisme de défense du système qui se met en branle automatiquement contre quiconque aurait des velléités de révolte.
Il n'y a pas absence de révolte, mais quelques révoltes individuelles qui sont vite étouffées dans l'oeuf. Une minorité parvient ainsi à maintenir son oppression sur une majorité si les mouvements de révolte demeurent individuels.
Pour répondre à votre deuxième question, c'est la raison pour laquelle les hommes épris d'indépendance doivent se regrouper en communautés libres. C'est le second thème que je développe dans "L'orque", faisant resurgir l'autogestion comme mode d'organisation.
"Toute démarche qui construit de l'autonomie est insurrectionnelle" (Pierre Rabhi). Montrer à la caste oligarchique par l'exemple - et non par la vaine protestation - qu'ils sont des parasites et que l'on peut se passer d'eux est la subversion par excellence.
Ceci exclut bien entendu toute violence. En revanche ces sociétés indépendantes deviendraient tellement gênantes par l'exemple qu'elles constituent qu'elles devraient être prêtes à assurer leur défense. Car il serait très probablement tenté de les éliminer, même si elles ne nuisent à personne.
Dans cette défense, ses membres devraient être prêts à retrouver l'esprit de sacrifice décrit dans l'article, tout comme chaque citoyen des cités grecques était prêt à revêtir l'uniforme du hoplite pour assurer la défense de la communauté. C'est en cela que solidarité et liberté ne sont pas des valeurs opposables, mais conditions l'une de l'autre.
@Abd_Salam : Oui, une société qui évacue toute réflexion sur l'usage légitime ou illégitime de la force parvient à des dérives graves. Les sociétés néo-libérales refusent de voir cette question (pas seulement le gauchisme), et passent soudainement d'un discours lénifiant à une violence policière qui n'a plus rien de légitime.
Au fond on en revient toujours au même. Il y a les méchants, et les gentils. Les privilégiés, le tiers état. Les oppresseurs, les oppressés.
RépondreSupprimerAujourd'hui ce sont les néo-libéraux, et les autres.
You’ll have 3 weeks to satisfy their playthrough and money out a most of 30x your authentic deposit. If you intend to go big or go house, Red Dog places serious money on the table. They’re always including extra video games to their betting library, so you’ll discover something new 바카라 사이트 to discover every time you log in. Red Dog prioritizes quality over amount with 120+ cutting-edge free slots reels from Realtime Gaming . Another thrilling slot experience that includes the player-favorite Fu Babies™.
RépondreSupprimer