Billet invité de l’œil de Brutus
Cet article initie une série de recensions sur La Crise de la
culture d’Hannah Arendt. La lecture de cet ouvrage n’est pas des plus
accessibles. La pensée d’Arendt ne fait en effet pas système. Quand on constate
comment les systèmes de pensée uniformisée et se voulant une cohérence
d’ensemble ont pu dégénérer en totalitarismes de part une lecture réductrice du
monde, on ne saurait faire grief à celle qui fut l’une des plus grandes
critiques de tous les totalitarismes de ne pas s’être laissée enfermer dans une
case philosophique. Si Hannah Arendt entame son ouvrage par une allégorie de la
caverne de Platon, ce n’est pas pour rien : rien ne serait plus vain et
dangereux que de se laisser cloîtrer au fond d’une caverne avec quelques
schémas réducteurs (la lutte des classes, l’inégalité des races, la concurrence
« libre et non faussée », l’ « ordre spontané », la main
invisible, etc.) en guise de représentations du réel.
Le second intérêt de l’ouvrage réside dans son extraordinaire
actualité. Dès les années 1960, Hannah Ardent pressent que la modernité est en
train de se faire dépasser en engendrant un monstre qui la dévorera. Le mot
n’est pas prononcé mais l’idée est là : le postmodernisme ravagera la
modernité et initiera une terrible régression de l’Homme. Le chapitre consacré
à la crise de l’éducation (que nous verrons plus tard) en est criant de vérité.
Je livre donc ici mes analyses personnelles de cette lecture, sachant
que, comme précisé dans cette introduction, la pensée d’Hannah Arendt est d’une
telle complexité que d’autres lecteurs y trouveront certainement d’autres
angles d’approches. Pour davantage de clarté, les réflexions personnelles qui
vont au-delà de l’ouvrage lui-même sont placées en notes de fin.
Hannah Arendt fait remonter notre
tradition de la pensée politique à la caverne de Platon, qui décrit le domaine des affaires humaines, fait de
déceptions et de confusion et duquel ceux qui aspirent à l’ « être vrai » doivent s’extraire pour découvrir
« le ciel clair des idées éternelles ».
Cette tradition fut une première fois rompue par Marx lorsqu’il se détourna de
la politique puis y revint afin d’imposer ses normes aux affaires humaines[i].
En liant fondamentalement la politique et le travail, Marx va encore plus loin
en prenant l’exact contre-pied de la citoyenneté antique puisque « non seulement à Athènes, mais pendant toute
l’antiquité et jusqu’à l’âge moderne, ceux qui travaillaient n’étaient pas des
citoyens et ceux qui étaient des citoyens étaient avant tout ceux qui ne
travaillaient pas ou qui possédaient plus que leur force de travail ».
Dans le même ordre d’idée,
Aristote définissait ainsi le loisir, non seulement comme l’émancipation du
travail courant, mais aussi comme l’affranchissement de l’activité politique et
des affaires de l’Etat (et donc le chemin de sortie de la caverne). Or, Marx,
avec sa société sans classes et sans Etat, s’inscrit d’une part dans cette
optique mais, paradoxalement, en prend également le chemin inverse en clamant
avec Engels que « le travail crée
l’homme »[ii]. Si, parallèlement,
« la violence est la sage-femme de
toute vieille société grosse d’une nouvelle » (Karl Marx et Friedrich
Engels, Le Capital), c’est donc bien que la violence est la maïeutique
de l’histoire, elle-même se voyant sous le prisme de l’organisation du travail.
Ainsi, pour Marx, ce qui différence l’homme de l’animal, ce n’est pas la Raison
mais le travail.
D’une manière similaire, si
Aristote fondait la distinction civilisé/barbare par l’usage de la parole, Marx
prend l’exact opposé en glorifiant la violence par rapport à la parole[iii].
In fine, la philosophie marxiste a bien pour objectif une rupture totale et
radicale avec toute la tradition philosophique héritée de la Grèce antique.
C’est pourquoi, Hannah Arendt le
place avec Kierkegaard et Nietzsche, dans des registres certes différents, dans
la triangle philosophique qui a initié la révolte contre la tradition :
« Kierkegaard veut promouvoir les
hommes concrets, ceux qui souffrent ; Marx confirme que l’humanité de
l’homme consiste en sa force productive et active qu’il appelle, dans son
aspect le plus élémentaire, force de travail ; et Nietzsche insiste sur la
productivité de la vie, sur la volonté de l’homme, la volonté-pour-la-puissance ».
Contrairement à certains
raccourcis, Nietzsche n’était pas nihiliste, mais, au contraire, essayait de
surmonter le nihilisme. De son côté, Kierkegaard cherchait à affirmer la
dignité de la foi contre la raison et le raisonnement moderne. Il avait compris
que l’incompatibilité des sciences modernes et des croyances traditionnelles ne
résultait pas de quelconques avancées scientifiques – toutes peuvent être
assimilées dans un système religieux – mais de l’esprit de doute et de défiance
qu’induisent les sciences modernes en refusant la confiance aveugle dans ce qui
est présenté par les religions comme vrai à la fois aux sens et à la raison de
l’Homme.
Cette rupture avec la tradition
se répercute fort logiquement sur les valeurs, qui, selon Arendt, sont « des articles de société qui n’ont aucune
signification en eux-mêmes mais qui, comme d’autres articles, n’existent que
dans la relativité en perpétuel changement des relations et du commerce sociaux ».
Or, ces valeurs sans cesse changeantes embarrassent les « philosophies des valeurs » puisqu’elles sont
alors privées de repères. Marx cru trouver la solution en fixant le temps de
travail comme valeur-repère pour toutes les autres. La rupture du marxisme avec
la tradition ne s’arrête cependant pas là. En effet, pour combler l’abîme que
Descartes avait mis entre l’homme, res
cogitans, et le monde, res extensa
(et du coup, entre la connaissance et la réalité, la pensée et l’être), Hegel
pensa trouver la solution, qui fit sa thèse fondamentale, par le
mouvement : le mouvement dialectique de la pensée étant, dans cette thèse,
identique au mouvement dialectique de la matière. Cependant, Marx n’évacue pas la
tradition par ce matérialisme mais par son refus de l’idée selon laquelle
l’homme est un animal doué de raison. Pour Marx, l’homme est un être
essentiellement doué de la faculté d’action, et cette action est le travail.
En sus de la conception marxiste
(et probablement dans son prolongement), la modernité a modifié profondément la
conception même de ce qu’est la théorie. De système de vérités raisonnablement
réunies, non faites en tant que telles mais données à la raison et aux sens, la
théorie devint une hypothèse de travail scientifique changeante au gré des
avancées de la science, sa validité résidant non dans ce qu’elle révèle mais
dans ce qu’elle fonctionne[iv].
Ainsi, Hannah Arendt émet ce
diagnostic cruel de l’approche moderne rompant avec la tradition : « les hommes ont décidé ne jamais quitter ce
qui pour Platon était la « caverne » des affaires humaines
quotidiennes, et de ne jamais s’aventurer d’eux-mêmes dans un monde et une vie
que, peut-être, la fonctionnalisation intégrale de la société moderne a privé
de l’une de ses caractéristiques les plus élémentaires : saisir d’émerveillement en face de ce qui
est tel qu’il est ».
[i]
Le matérialisme « total » de Marx rend en effet caduque toute approche via
l’allégorie de la caverne.
[ii]
On remarquera que de ce fait, glorifier la « valeur travail » est une approche
très marxiste. Ce n’est pas la seule convergence entre le marxisme et le
libéralisme postmoderne (les deux sont, par exemple, totalement matérialistes).
Quelque part, le marxisme n’est en fait qu’un libéralisme postmoderne d’Etat
(celui-ci prenant la place des multinationales, et réciproquement). D’où
l’aisance, qui peut sembler extraordinaire à première vue, avec laquelle
certains idéologues passent sans coup férir d’un marxisme de jeunesse à un
libéralisme pur et dur une fois aux affaires.
[iii]
De fait, l’eschatologie marxiste est un complet paradoxe puisqu’elle consiste à
sortir l’homme de l’humanité (plus de travail), de l’histoire (plus de
violence) et de la raison (plus de pensée philosophique, plus de parole).
[iv]
Cette approche de la théorie scientifique ne pose pas problème en elle-même. Ce
qui pose problème, c’est l’extension indéfinie de la science à toute la société
au point d’en devenir totale. C’est alors que le scientisme intégral (qui n’a
plus rien de scientifique) s’impose et devient totalitaire. Ceci est
particulièrement évident dans le domaine de l’économie : d’une approche
essentiellement sociale au départ, sous la férule des économistes dits orthodoxes
(en pratique les néoclassiques et les néolibéraux), l’économie a acquis la
prétention à la science exacte, notamment lorsqu’elle prétend décrire et
anticiper les comportements des agents. C’est cette logique qui aboutit à une
constitutionnalisation de l’économie (comme au travers des traités européens ou
des différents traités internationaux – ou projets de traités (TTIP) – dits de
« libre-échange ») et à un gouvernement (pardon une gouvernance …)
par les règles qui n’est rien d’autre qu’une tyrannie qui avance masquée.
MArianne dénonce la manipulation publique actuelle qui est anti-constitutionnelle, sur des emprunts de guerre et de civilisation terribles qui ne tiennent pas qu'au massacre des Européens et des autres. Ce téléguidage contraire à nos droits, nos vies prélevées sans cesse, nos droits bafoués, nos souverainetés en danger, nos économies défaites, le monde qui tremble devant un Occident incompétent en matière de politique européenne et mondiale, dont on suppute que des infractions lourdes aux droits ont été faites pour que l'Europe se retrouve encore à la veille d'un massacre et de se pencher sur la carte pour trouver le lieu du prochain massacre à faire dans des pays pauvres, mis sous la coupelle des pays riches. Marianne en appelle à l'exemplarité en matière de justice, à pourchasser l'errement politique, afin que cessent les menaces en matière de survie globale, et de droit, puisqu'on a peur que l'esclavage redouble dans le monde, d'une ouverture de phénomènes concentrationnaires à nouveau, même en Europe.
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