Après
avoir montré comment cette révolution numérique donne un pouvoir exorbitant et
asservit souvent les individus, sur fond de liaisons parfois troubles entre la
Silicon Valley et le pouvoir, Christophe Labbé et Marc Dugain développent
ses conséquences sur les individus, dans une réflexion plus philosophique et
sociologique absolument remarquable : à faire froid dans le dos !
Aplatissement des hommes et Big Brother
Ils évoquent
« une aliénation du branchement »
où l’hyperconnexion coupe du monde réel : « les big data nourrissent ainsi notre état d’impatience (qui peut
toujours être aussitôt satisfait). Dans cette folle contraction du temps, toute
attente devient insupportable. Nous redevenons des adolescents, incapables de
différer nos envies ». Ils notent aussi le fait que cela nous fait
vivre en vase clos, uniquement avec nos semblables, alors que « sans alterité, sans confrontation à l’autre,
impossible de grandir, d’évoluer ». Un monde superficiel où « le mouvement est tout et le but sans
valeur ». « Le lecteur
numérique est le prolongement de l’individu hyperconnecté qui, comme une
abeille devenue folle, se livre à un butinage compulsif (…) la pensée
s’émiette, la réflexion se fait par spasmes ». Ils racontent que dans
l’école fréquentée par les dirigeants des GAFA, les enfants n’ont pas le droit
aux écrans jusqu’en classe de 4ème…
Ils notent
que « la dépolitisation massive que
l’on observe en Occident fait les affaires des big data qui rêvent de
neutraliser le citoyen pour ne garder que le consommateur producteur de données (…) A force de ne discuter qu’avec des personnes
qui nous ressemblent, le brassage d’idées tournent à vide, les esprits se
ferment, les opinions se figent, Internet comme lieu de débats devient une
illusion ». Ils dénoncent un
monde Big Brother, entre les écoutes de la NSA et les GAFA qui savent tant sur
nous. Ils citent Benjamin Franklin : « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne
mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux », dénonçant
ainsi « cette surveillance totale de
l’être humain, une réalité qui se construit à une vitesse vertigineuse »
et le risque de la fin de la vie privée.
Pire, les
tenants du nouvel ordre digital utilisent la menace terroriste pour refuser
toute vie privée, alors que seul le profit les intéresse : « si vous ne payez pas pour quelque chose,
vous n’êtes pas le client, vous êtes le produit ». Ils rapportent le
cas d’une
compagnie d’assurance qui fait gagner de l’argent à ses assurés s’ils
atteignent les objectifs fixés et contrôlés par leur bracelet connecté. Ils
concluent en appellant à « protéger
la sensibilité, l’intuition, l’intelligence chaotique, gage de survie (…) Sinon,
nous vivrons tous irrémédiablement nus, avec ce faux sentiment d’émancipation
que provoque la nudité. Les avantages proposés par les nouveaux maîtres du
monde sont trop attrayants et la perte de liberté trop diffuse pour que
l’individu moderne souhaite s’y opposer, pour autant qu’il en est les moyens.
En revanche, nous pouvons leur faire confiance pour convaincre l’humanité
qu’elle n’est pas essentielle ».
Mes
papiers n’offrent qu’un petit aperçu de la remarquable mise en perspective de
la révolution numérique par les auteurs. Je vous invite vivement à lire ce
livre, qui se dévore, une véritable œuvre de salut public qui gagnerait à être
lue dans les lycées, voir les collèges, pour apporter le recul nécessaire à
cette évolution trop rapide que nos dirigeants et politiques laissent beaucoup
trop faire.
Source :
« L’homme nu – La dictature
invisible du numérique », Marc Dugain et Christophe Labbé, Robert
Laffont et Plon
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