mardi 22 août 2017

La contribution du comité Orwell à la guerre des mots

Après avoir montré comment la globalisation néolibérale affaiblit nos démocraties tout en attaquant notre modèle républicain, Natacha Polony et ses co-auteurs, sensibles aux leçons de Georges Orwell dans 1984, se penchent également sur le rôle des mots dans le débat public, un thème qui m’est cher. Ils apportent une contribution intéressante, qui appelle au débat.



Combat de postures biaisées

Les auteurs citent 1984 : « le but du novlangue était, non seulement de fournir un mode d’expression aux idées générales et aux habitudes mentales des dévots de l’angsoc, mais de rendre impossible toute autre mode de pensée (…) Le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée », et font un parallèle avec les attaques que subissent Zemmour ou Tribalat, quand ils pointent certains faits. Ils citent également Orwell pour parler de « manipulation du langage : si vous n’êtes pas pour l’ouverture, c’est que vous êtes pour la fermeture, le repli sur soi », exactement ce que fait The Economist aujourd’hui, en défendant bien sûr le camp de l’ouverture contre la fermeture.

Les auteurs apportent une distinction particulièrement utile au débat public : « la globalisation, qui rime avec uniformisation (…) (la) vision d’un monde global réuni autour de mêmes normes, de mêmes règles, de mêmes principes (…) La mondialisation, c’est autre chose. Il s’agit (…) de découvrir les autres, de s’enrichir de leurs apports et réciproquement (…) La mondialisation, c’est l’échange dans la diversité ». Ce faisant, ils permettent de sortir du débat artificiel et caricatural entre « fermés » et « ouverts », en montrant que la forme actuelle de la mondialisation n’est qu’une variante parmi bien des possibles. On peut être ouvert à la mondialisation en protégeant ses spécificités tout en refusant une règle unique uniformisante et anti-démocratique, comme le font le Japon, la Corée du Sud et la Chine.

Mais le choix de certains termes est contestable. Pourquoi parler de « paradis fiscal » et non de « parasite », tant le premier accrédite leur recours. Idem sur les notions d’optimisation et d’évasion fiscale, que je préfère remplacer par « désertion fiscale » ou « vol pseudo légal », qui me semblent bien mieux caractériser leur nature. Enfin, je suis de plus en plus circonspect à l’égard du terme « néolibéralisme », auquel je préfère « ultra-libéralisme », qui me semble mieux indiquer ses excès. Enfin en parlant de « la globalisation (…), terreau du populisme, des extrémismes », ils font un lien malheureux entre le terme complexe de populisme et l’extrémisme, auquel il me semble délicat de le réduire.

Sur le FN, ils parlent d’« exaspération d’un corps électoral qui ne raisonne plus », basculant dans le discours de ceux qui en font un vote irréfléchi, alors qu’il n’est probablement pas moins rationnel que les autres. Plus globalement, je reste très circonspect sur le choix du titre et du sous-titre « Bienvenue dans le pire des mondes. Le triomphe du soft totalitarisme ». Parler de « pire des mondes » n’est-il pas un peu excessif et ne pourrait-il pas amoindrir la portée du propos pourtant très intéressant du livre en braquant ceux qui pensent que nous ne sommes pas prêts de vivre dans le pire des mondes ? Il en va de même pour « totalitarisme », qui me semble bien fort à une époque où il y a bien pire.

Cela n’enlève rien au grand intérêt de ce livre très complet, qui montre les connections qui existent entre des sujets si divers, mais le choix du titre pourrait malheureusement en limiter sa portée. Et si le fait d’ouvrir les yeux sur les réalités de notre époque poussait à un pessimisme excessif qui protégeait malgré lui les causes de nos problèmes en ne rendant pas leur critique audible par une majorité ?


Source : Natacha Polony et le comité Orwell, « Bienvenue dans le pire des mondes », Plon

3 commentaires:

  1. J'ai une interprétation qui diffère légèrement. Les "paradis fiscaux" n'ont d'autre but que d'obliger les Etats à emprunter toujours plus sur les "marchés financiers" contrôlés par cette oligarchie, et s'endetter davantage, donc aller plus vite vers la servitude (demandez aux grecs)
    Je pense que "le pire des mondes" est une allusion directe "au meilleur des mondes" d'A Uxley vers lequel nous nous dirigeons à grands pas. Quant au "totalitarisme", c'est bien de celà dont il s'agit lorsque on laisse l'apparence de la démocratie (élections) tout en contrôlant l'opinion publique par les médias, ce qui permet de faire élire le candidat choisi par cette oligarchie (Une petite restriction pour le cas Trump, car je pense qu'ils ont raté leur coup, mais qui sait?)

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  2. @ Cliquet

    Je ne crois pas à une explication a priori. 40% de la dette Japonaise est détenue par la BoJ, environ un quart de celle des USA par la Fed, et de celle de la GB par la BoE...

    Bien sûr, j'avais vu l'allusion, mais je pense que c'est un peu excessif et un peu contreproductif. L'évolution du Dow Jones depuis l'élection de Trump modère ce jugement.

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  3. "Nous payons un chauffeur 50 euros par jour. Si nous devons le payer 80 euros comme en France, nous ferons faillite et nos camionneurs iront travailler ailleurs", renchérit Gueorgui Tsanov, directeur d'une entreprise bulgare de transport routier."

    Tiens tiens...

    Alors comme cela si on met les transporteurs routiers bulgares et roumains sur un pied d'égalité avec leurs concurrents français ils ne pourront pas résister.

    Donc leur modèle économique repose sur une distorsion de concurrence.

    https://fr.yahoo.com/news/travail-d%C3%A9tach%C3%A9-routiers-roumains-bulgares-contre-protectionnisme-fran%C3%A7ais-063143695--finance.html

    Et cela veut dire aussi que ce sont les entreprises françaises qui sont les plus compétitives. Par définition l'entreprise la plus compétitive est celle qui gagne quand la compétition n'est pas truquée et que les règles sont les mêmes pour tous.

    Ivan

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