samedi 6 janvier 2018

La mondialisation heureuse contre l’économie réelle partie I : Trois enseignements des troubles d’Airbus (billet invité)

Billet invité de Marc Rameaux, qui a publié « Portrait de l’homme moderne »

Nous y sommes : le groupe industriel européen le plus florissant des 5 dernières années, exemplaire quant à sa compétitivité économique et sa stratégie industrielle, se trouve en danger de disparition ou de rachat par les USA. Comment un tel paradoxe est-il possible ? Comment un tel découplage entre les résultats économiques objectifs d’un groupe et sa situation de survie devient-il une réalité ? Le scénario n’est malheureusement pas nouveau. Il traduit le fait que jamais l’opposition entre l’économie réelle et les travers de plus en plus malsains de la « mondialisation heureuse », n’a été aussi forte.



I. Un capitaine d’industrie en 2017
                 
Certains contesteront une présentation positive des résultats d’Airbus, sur la base de quelques difficultés rencontrées dans les deux dernières années. Difficultés toutes relatives, l’année 2016 ayant été affectée par des provisions sur l’appareil militaire A400M, programme mal engagé dès sa lancée, mais largement compensées par le succès du secteur de l’aviation civile. Si les provisions de l’A400M ont provoqué un recul de la rentabilité opérationnelle en 2016, le carnet de commandes record établi en fin d’année dernière a donné au groupe une visibilité de près de 16 ans de chiffre d’affaires.

Le premier semestre 2017 a également fait douter certains, du fait de retards sur l’A350 et l’A320 Neo, pour des raisons techniques rencontrées par certains fournisseurs, difficultés classiques dans cette industrie. Ces problèmes ont été redressés de main de maître, avec une remise en trajectoire accomplie en fin 2017, notamment avec de nouvelles commandes exceptionnelles engrangées en Novembre au salon de Dubaï. Sur l’ensemble de la période des cinq dernières années, Airbus a battu tous ses records d’efficacité industrielle et commerciale.

Qu’il s’agisse du chiffre d’affaires, du carnet de commandes, de la pénétration commerciale ou de la stratégie d’innovation, l’activité de l’avionneur est une réussite incontestable depuis 5 ans. Ces résultats n’ont pas été obtenus de façon artificielle par un « cost killing » aveugle, le futur et la vision long terme de la gamme d’appareils ayant été mûrement pensés.

En Novembre 2017, les nouvelles générations d’A320 marquaient un clair avantage compétitif par rapport à Boeing, en termes de motorisation à faible consommation. Si optimisation des coûts il y a, elle est toujours en rapport avec une innovation des processus industriels et non décidée arbitrairement ou obtenue par une dégradation de la qualité des composants.

Cette réussite, Airbus la doit à un homme, ainsi qu’aux équipes d’employés du groupe qu’il a su mobiliser. Fabrice Brégier est l’un des meilleurs capitaines d’industrie que la France ait connu, y compris en comparaison de légendes entrepreneuriales, tous pays confondus. Engagé au cœur du processus industriel de son entreprise, connaisseur de son produit jusque dans ses moindres détails, s’intéressant aux hommes, aux équipes, à leurs compétences, Fabrice Brégier tranche avec la médiocre superficialité d’une trop grande partie du patronat français. En ces temps de renouvellement probable de l’exécutif de la SNCF, le gouvernement serait bien avisé de penser à une telle compétence pour nous remettre sur les rails.

A contrario des stéréotypes défaitistes annoncés par une certaine presse, c’est ici le Français qui est l’homme de technicité et de rigueur, et l’Allemand Tom Enders l’homme des jeux politiques et des manœuvres douteuses, impliqué dans l’obtention de marchés par des intermédiaires qui vaut à Airbus de se trouver sous les feux croisés de la justice anglo-saxonne. Pour les véritables professionnels de l’industrie, automobile, aéronautique, ferroviaire, il est bien connu que la « rigueur allemande » est largement survendue. Nous devons nous en souvenir pour la défense de notre propre industrie et ne souffrir d’aucun complexe d’infériorité. La France a rarement des difficultés à produire de l’excellence. Elle échoue plutôt à en toucher les fruits et à en faire valoir les droits légitimes.

Les difficultés d’Airbus sont parfois présentées comme un gâchis résultant de la guerre d’ego et de succession entre les n°1 et n°2 du groupe, comme un règlement de comptes entre grands patrons sur le dos des salariés, discours conforme au récit misérabiliste d’une partie de la presse. En réalité, mettre sur le même plan un Fabrice Brégier et un Tom Enders est une aberration. A peu près comme si l’on comparait Marcel Schlumberger et Jean-Marie Messier.

Le premier enseignement de la guerre de pouvoir à la tête d’Airbus n’est donc pas qu’il faut mettre dans le même sac les « méchants patrons » opposés à leurs « pauvres salariés », mais qu’il faut au contraire savoir discerner entre deux types de dirigeants, ceux qui en méritent le titre et ceux qui l’usurpent. Dans l’univers merveilleux de la mondialisation heureuse, la compétence et l’engagement font peur et ceux qui font montre de ces qualités passent généralement les premiers à la trappe, parce qu’elles sont perçues comme des menaces. Les imposteurs obtiennent le plus souvent gain de cause et s’ils finissent par être rattrapés par leurs turpitudes, c’est généralement après avoir commis des dégâts irréversibles et sans garantie aucune que leur successeur ne soit du même bois.

II. Il n’y a pas de compréhension de l’économie sans compréhension des jeux d’acteur internes à l’entreprise

Les portraits de Fabrice Brégier et de Tom Enders, du véritable entrepreneur et du prédateur, ne sont pas qu’un épisode de l’histoire d’Airbus. Ils traduisent également une insuffisance récurrente de l’analyse économique, dans le monde universitaire comme celui de la presse. Rien d’étonnant à cela : les véritables acteurs de l’économie communiquent peu, ils se consacrent à leur industrie. Ceux qui se placent constamment sous les feux des médias ne connaissent l’entreprise que de très loin et en ignorent les ressorts essentiels.

Une grande partie du discours économique est envahie par des considérations très générales sur les baisses de charges, les mesures d’incitation à l’emploi, l’action sur la monnaie et sur les taux, la flexibilité du travail, en un mot sur les grands leviers macro-économiques. Ces analyses perçoivent les entreprises comme des boîtes noires, définies par des fonctions de production abstraites, comparables entre elles par les seules grandeurs mathématiques de productivité, élasticité de la production, différenciateurs de qualité pour les modèles les plus perfectionnés.

La macro-économie est sur ce plan d’une grande pauvreté, en regard de la complexité et de la richesse du monde économique. Elle ignore le fonctionnement interne de l’entreprise. A ce titre, une séparation stricte entre micro et macro économie est néfaste. On ne peut juger d’une situation économique globale sans comprendre le fonctionnement interne de ses entreprises clés, sans connaître notamment le type de management et d’organisation qui y est appliqué.

La macro-économie pure est trompeuse, car elle jugera de la même façon deux entreprises à un instant donné, sur la base des seuls facteurs extérieurs que sont ses résultats et le contexte plus ou moins favorable du pays dans lequel elles exercent. Elle ne verra pas que pour des raisons internes, deux entreprises comparables connaîtront des évolutions divergentes si elles obtiennent leurs résultats de manières très différentes par leur style de management. La macro-économie est pour cette raison incapable d’anticiper et se voit souvent réduite à commenter après coup des trajectoires qui ont passé un point de non-retour.

Pour savoir le faire, il faut rentrer dans l’analyse organique du mode de fonctionnement entrepreunarial. Et ceci suppose d’avoir été au sein du monde de l’entreprise pendant plusieurs années, d’avoir été confronté aux services d’ingénierie, de commerce de marketing, d’achats, de logistique, d’après-vente, de comptabilité, de finance, juridique et pas seulement de les avoir « visités » mais d’en avoir été un acteur réel.

Certains « patrons » de grands groupes, lorsqu’ils ont été parachutés et ont conservé trop de liens avec leur milieu politique d’origine, peuvent avoir bénéficié de leur statut pendant plusieurs années mais ne rien connaître à l’entreprise et à son produit. Je ne mentionne même pas certains journalistes économiques n’ayant jamais été au feu de l’expérience réelle.

Le monde économique fourmille ainsi de « commentateurs » qui s’improvisent experts mais sont autant de Diafoirus : ils font penser à un médecin qui n’aurait jamais pratiqué de dissection, qui ne serait jamais rentré dans le cœur de son sujet. Ils manient les grandes variables macro-économiques mais dans un jeu abstrait et sans consistance.

Le monde universitaire a fait quelques progrès dans ce domaine, comme en témoigne la nature des derniers prix Nobel décernés dans la discipline : ils sont de plus en plus liés à des théories de l’agent et à des modélisations des jeux d’acteur dans l’entreprise, en information imparfaite, faisant apparaître tous les paradoxes des théories classiques de l’équilibre. Il compte cependant encore trop peu de membres ayant exercé des responsabilités réelles dans l’entreprise.

Airbus est à ce titre un cas d’école des raisons réelles de nos replis économiques : un appareil industriel sain et ultra-performant gâché par des collusions avec le monde politique, atteignant un summum de gabegie et d’absurdité lorsque cette sur-politique qu’est l’UE vient y rajouter son incompétence.

Le cas d’espèce est d’autant plus grave que cette fois, le fonctionnement opérationnel stricto-sensu est irréprochable, sous la main de fer de Fabrice Brégier, mais que précisément l’excellence opérationnelle ne protège plus et peut mener à un destin opposé. Dans des temps où l’UE ne disposait pas de pouvoirs exorbitants pour mettre son nez dans les appareils industriels des pays membres, Airbus serait resté une réussite exemplaire accomplie par la libre association de pays souverains.

III. Les voyous du Department of Justice : la fin du mérite en économie

Un dernier facteur vient se superposer à ceux décrits précédemment, depuis seulement quelques années. Il est de loin le plus grave, le plus criminel vis-à-vis de nos libertés et du fonctionnement sain d’une économie mondialisée.

Le « Department of Justice » de l’état fédéral Américain intervient de plus en plus fréquemment pour attaquer des entreprises non américaines pour faits de corruption, les fragiliser financièrement par des amendes colossales pouvant atteindre plusieurs milliards de dollars, usant de l’intimidation physique et juridique en menaçant d’emprisonner certaines têtes dirigeantes des groupes concernés. Et ceci au mépris de toutes les limites territoriales et juridiques de chaque pays. Alstom est le dernier exemple en date de ce type de manipulation, dont les occurrences ne cessent de se multiplier.

Le profil des entreprises visées est toujours le même. Il s’agit d’entreprises concurrentes sur leur secteur à des compagnies américaines, ayant un avantage compétitif sur celles-ci par un savoir-faire supérieur dans ses processus d’ingénierie, de fabrication ou de commercialisation. En clair, des fleurons industriels et commerciaux tenant la dragée haute à tous leurs concurrents, y compris américains, sur un procédé rare de fabrication, à haute valeur ajoutée.

Ces entreprises emploient par ailleurs des méthodes d’obtention de marchés qui peuvent paraître douteuses sur le plan éthique, par des rémunérations directes auprès d’intermédiaires leur servant de rabatteur ou d’entremetteur. Mais bien entendu elles ne sont pas les seules à le faire, ces pratiques relevant d’habitudes historiques courantes dans leur secteur d’activité. Notamment leurs concurrentes américaines emploient tout aussi largement ces pratiques. Le système des commissions était monnaie courante chez Airbus, mais il serait d’une totale hypocrisie de prétendre qu’il n’en était pas largement de même chez Boeing, sans compter l’espionnage industriel totalement déloyal du programme PRISM au profit des USA, faussant totalement l’équité de la concurrence.

La manipulation du DOJ est toujours la même et se résume en un seul terme : « double standard », deux poids deux mesures, visant à attaquer sur le plan éthique les plus redoutables concurrentes, à les démolir par des moyens purement juridiques quelle que soit leur excellence entrepreneuriale, puis à les accaparer pour en dérober tout le savoir-faire, en laissant bien sûr totalement indemnes les compagnies américaines concurrentes. Comme par hasard, les attaques juridiques les plus virulentes lancées contre Airbus sont intervenues quelques jours après le salon de Dubaï, lorsque la supériorité technologique de l’A320 sur ces concurrents fut clairement démontrée, notamment dans le ratio puissance / consommation de sa motorisation.

Ce schéma a déjà été appliqué maintes fois par les USA. Il sera très difficile de m’accuser d’anti-américanisme, ayant déjà par ailleurs écrit quelle admiration non naïve je vouais à leur société et leur organisation économique : http://le-troisieme-homme.blogspot.fr/2017/02/le-plus-seduisant-de-tous-les-monstres.html

La prédation exercée sur Alstom était déjà extrêmement inquiétante. Si le DOJ parvient à s’emparer des trésors d’Airbus par les mêmes moyens, cela aura une signification gravissime, dépassant largement le cadre économique. Cela signifie que nous avons définitivement basculé dans un monde totalitaire. Que quels que soient les efforts, le mérite, la compétence, l’ingéniosité dont font preuve des entrepreneurs, leur sort est scellé d’avance s’ils ne sont pas américains. Que les USA sont devenus non plus le lieu de l’esprit d’entreprise, mais celui du vol organisé des compétences d’autrui. Que toute ambition et toute vision sont d’avance faussées, dans un jeu de duperies qui ne bougera plus jamais.

Le DOJ est-il conscient qu’il donne raison aux plus abjects des complotistes par ses agissements ? Qu’il fait de la libre entreprise une puante mascarade ? Le règne des « lawyers » aux Etats-Unis a été maintes fois dénoncé comme corrompant au dernier degré l’activité économique. Nous dénonçons avec raison en France l’oligarchie de la haute fonction publique, mais en termes de capacité de nuisance et d’hypocrisie, la caste des lawyers formés à Harvard n'a rien à envier à celle des énarques de la promotion Voltaire. Des forces internes aux USA en sont venues à dénoncer elles aussi cet état de fait, mais auront-elles le pouvoir suffisant pour casser ce milieu verrouillé ?

Les conséquences seront cataclysmiques quant à la montée d’une agressivité sans merci entre les peuples, mais elles seront cette fois pleinement justifiées. Ce cynisme, cette hypocrisie et cette malhonnêteté poussés au point le plus extrême qu’il puisse être n’appellent qu’une réponse d’absolue fermeté, par l’alliance avec les autres grandes puissances, par l’emploi si nécessaire de la dissuasion au sens premier du terme : tout homme libre a le devoir de s’opposer de toutes ses forces à cette imposture suprême. L’ironie est que cette combinaison malodorante est perpétrée par un organisme se dénommant « Department of Justice ». Jamais l’inversion Orwelienne du sens n’aura été aussi parfaite.

Une véritable force européenne, c’est-à-dire l’inverse de l’actuelle UE, se serait donnée pour mission de nous protéger contre de telles forfaitures. Elle aurait monté une machine de guerre juridique équivalente à celle du DOJ, sans hésiter une seule seconde à lui renvoyer en pleine face son hypocrisie et sa malhonnêteté, dans les termes les plus crûs. Mais pour ceci il faut un véritable courage, une absence de vassalisation et de corruption à l’égard d’officines telles que Goldman Sachs, c’est à dire l’image en négatif des responsables de la Commission.


L’avenir proche nous dira quel sera le dénouement. Le cas d’Airbus n’est pas un épisode de la guerre économique que se livrent les grandes compagnies. Il est un point nodal de l’histoire, un révélateur de la défense de nos libertés ou de notre entrée dans la servitude.

4 commentaires:

  1. "La France a rarement des difficultés à produire de l’excellence. Elle échoue plutôt à en toucher les fruits et à en faire valoir les droits légitimes."

    On se demande bien pourquoi, selon cette affirmation assez péremptoire, la balance commerciale française est à ce point déficitaire.

    Le patronat et l'encadrement français sont des havres d'abrutis arriérés, voilà le problème...

    Syndicalisme anémié par rapport à l'Allemagne, 2ème problème.

    Crétins énarques de Bercy comme J6M parachutés dans des boites dont ils ne connaissent rien, 3ème problème.

    La plupart des patrons allemands ont des décennies d'expérience concernant les boites qu'ils dirigent, le résultat est au RDV.

    Les français sont incapables d'écouter une phrase entière sans interrompre leur interlocuteur, pas comme en Allemagne où les gens sont polis et écoutent avant d'interrompre leur interlocuteur.

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    1. Votre description de la majeure partie du patronat français est juste, ce qui est l'un des objets de l'article, Fabrice Brégier tranchant exceptionnellement avec cette tendance.

      Ceci n'a cependant jamais empêché l'industrie française de produire de l'excellence : elle a appris à le faire en se passant de ses patrons, et elle est le fait d'hommes de terrain souvent issus des premiers échelons de la hiérarchie, qui eux évitent de s'écouter parler. Ils sont rarement récompensés pour cela, mais c'est parce qu'ils sont là que notre industrie engrange encore des succès.

      En revanche, la valeur ajoutée produite par ces personnalités n'est pas défendue et relayée par le haut management, qui n'en comprend ni l'enjeu ni l'importance. Nous produisons donc bien de l'excellence, même si c'est selon une organisation assez inique et bien peu méritocratique, mais nous ne savons pas la conserver, la cession d'un savoir-faire rare étant pour nombre de patrons français une simple opération financière. Je crois que les difficultés de l'industrie française sont plus dues à cette raison qu'aux facteurs culturels que vous évoquez.

      Marc

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  2. EURO : Pendant que les grands médias et tous les partis politiques (sauf l’UPR) gardent le silence, la situation continue d’empirer.

    En atteignant + 906.941.417.444,22 euros au 31 décembre 2017, le solde Target 2 de l’Allemagne dépasse les 900 milliards d’euros pour la première fois depuis la création de l’euro.

    C’est la Bundesbank allemande qui vient de le révéler.

    Au même moment, le solde négatif de l’Italie avoisine les - 450 milliards d’euros et celui de l’Espagne les - 400 milliards d'euros.

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