Par Rodolphe DUMOUCH, enseignant de biologie-géologie
et géographe ruraliste.
Le conservatisme néolibéral : faire une société
plus propre à défaut d’une plus juste
Ce conservatisme éclate en pleine lumière quand, dans
certaines villes de gauche, s’applique avec le moins de discernement les
règlements municipaux, avec un côté «faire la discipline dans la rue »,
qui caractérise habituellement l'idéal médiocre de la droite bête à la Robert
Ménard. Ainsi, à Charleville-Mézières, l’ancienne mairie de gauche a été
renversée par les électeurs notamment à cause du caractère infernal que prenait
la circulation, avec le stationnement payant qui remontait les rues chaque
année comme la gangrène remonte une jambe. Il y avait aussi les verbalisations
faites à la sortie des écoles, au moment où les parents venaient rechercher
leurs enfants Le nouveau maire, Boris Ravignon (LR), a assoupli largement les
conditions de stationnements. Cette dégénérescence de la gauche vers le
formalisme, l’obsession règlementaire et disciplinaire – à laquelle on pourrait
ajouter de nombreux autres exemples – procède d’une perte profonde de ses
idéaux. Ayant renoncé à faire une société plus juste, elle désire désormais en
faire une plus propre. Une société sans crottes de chiens, sans linge aux
fenêtres, sans fumée dans les bars, sans gros mots sur Internet et où les
bagnoles sont bien garées au carré : autant d’idéaux enthousiasmants,
progressistes et capables de mobiliser massivement la jeunesse…
Et Au-delà de la question des transports, ces faits
sont à mettre en parallèle avec les normes de Bruxelles. Des normes obsédées
par la seule sécurité physique ou par la peur du microbe : interdiction
des toboggans anciens au cas où on se ferait une égratignure, interdiction des
fromages au lait cru séchés sur bois, interdiction des escargots au saloir
(obligation d’une chaîne du froid)… Ils vont même jusqu’à mettre des dates de
péremption sur le sel de pharmacie, alors que même un cancre en sciences sait
que le sel ne se périme pas (sinon, imaginez l’état des potasses
d’Alsace !). C’est un hygiénisme maladif, psychotique, qui provient du
cerveau malade des eurocrates de Bruxelles ; mais pendant qu’ils s’occupent
ainsi de notre « sécurité », ils détruisent progressivement toutes les
mesures de sécurité économique et sociale. Les normes édictées par ces
« chieurs d’encre » (Emile Zola) sont inaccessibles sans un certain
niveau de revenus, excluant de fait une partie de la population. Plutôt que de
voir quelqu’un dans un logement qui n’est pas aux normes, les eurocrates
préfèrent le voir à la rue. C’est exactement l’esprit du nouveau contrôle
technique, qui privera de nombreux habitants de la France périphérique de leur
moyen de déplacement.
Dégrader la géographie des populations : le
contrôle social par l’espace
Toutes ces mesures vont compliquer et renchérir les
déplacements des habitants de la France périphérique. L’objectif est de les
entasser encore plus dans les villes, ce qui fait augmenter les prix de
l’immobilier et profite à une caste de « gagnants de la
mondialisation ». Christophe Guilluy a déjà parfaitement analysé ce processus.
Cette évolution aboutira à réserver
les déplacements, la « mobilité » à l'oligarchie, tout en
culpabilisant l'habitant des villages parce qu'il n'est pas assez
« mobile », vulgate macroniste à la mode. Ce « bouge-toi »,
véritable crachat à la figure des classes populaires, chanté il y a quelques
années par les Enfoirés, gavés et
nantis du showbiz qui nous font leur moraline
annuelle doublée de la nullité artistique de leurs navets.
Ceux qui organisent l’enclavement de la France
périphérique ont parfaitement compris l’importance de la dimension spatiale
dans la société et on peut les soupçonner d’en jouer pour asseoir leur
domination. Il faut ajouter à cet enclavement qui résultera de ces mesures des
effets cybernétiques aggravants, qui vont conduire à la complication de la vie quotidienne.
Il faut savoir que lorsque l’on allait à pied, les géographes ont constaté que
les gens habitaient à moins d’une heure de marche de leur lieu de
travail ; quand le vélo est apparu, ils étaient à moins d’une heure de
vélo et quand la voiture est apparue, ils se sont éloignés à une heure de
voiture. Or, actuellement, beaucoup vivent en tension, à la limite des
contraintes possibles : donc ajouter un facteur de quelques pourcents peut
faire basculer les situations. Songeons par exemple à celui qui dépose ses
enfants à l’ouverture de la garderie (mettons 7h30) et arrive juste à 8h00 à
son travail, de justesse. Dans ces conditions, oui, 2 minutes, ça compte… Les
gens vivants souvent de façon de plus en plus serrée dans leur organisation,
les conséquences seront importantes. Cela est une certitude, alors que la
baisse de la mortalité n’en est pas du tout une. Mais c’est trop demander à un
technocrate incompétent que de réfléchir à ce genre de question hors de son
confort mental. Quant à la sécurité routière, plutôt que d’ajouter des contraintes,
elle gagnerait à prendre en considération ce genre de situations et le stress
qui en résulte, générateur d’accidents, plutôt que de tout axer sur le
répressif.
Mettre ainsi les populations sous pression, cela va
aboutir à fabriquer de la chair à managers,
docile et malléable, déracinée de ses territoires (obligée de déménager), qui
ne conteste pas et attribue à lui-même, à sa propre faute, sa pauvreté plutôt
qu'au système économique. Cela procède donc d’une une forme d'ingénierie
sociale et spatiale, pour fabriquer du consentement et aggraver les effets de
la métropolisation. S’y ajoute l’intériorisation de l’acceptation de la répression,
très facilement manipulables à coups de spots-télé montrant des petites filles
en pleurs… Voilà ce qui se cache derrière ces mesures pour entraver les
déplacements quotidiens des populations : l’accélération du mondialisme
néolibéral.
Les caractéristiques de la métropolisation néolibérale
mondialiste ne sont pas sans rappeler ce que firent les physiocrates puis les
continuateurs de la Révolution Française en obligeant les paysans sans terre à
venir former un prolétariat urbain. Aujourd’hui, le moyen de pression pour
accentuer la métropolisation, ce sont les contraintes contre l’automobile. Sous
le double maquillage de la sécurité et de l’environnement.
La bureaucratisation néolibérale (Béatrice Hibou)
A ce stade de cet argumentaire,
il apparaît clairement qu’on peut établir un lien entre l’idéologie mondialiste
néolibérale et toutes ces mesures qui visent à dégrader, à rendre plus cher,
plus et plus compliqués, à mettre en tension les déplacements des populations
rurales et villageoises.
Il n’y a guère de paradoxe à
constater le caractère bureaucratique, normatif, vétilleux et réactionnaire de
ce néolibéralisme, notamment du néolibéralisme des eurocrates. Un excellent
livre de Béatrice Hibou, La Bureaucratisation
néolibérale (Paris, La Découverte, 2013, 326 p, ISBN 9782707185983) en fait
la brillante démonstration. Elle analyse le fonctionnement des organisations,
les procédures, les « audits », la perte du sens dans les métiers le
fonctionnement pathologique qui aboutit à des aberrations comme le licenciement
d’un maître-nageur qui avait sauvé quelqu’un en dehors du périmètre assigné par
son chefaillon…
Béatrice Hibou a une formation
de politiste et de sociologue. Les mesures concernant les transports relèvent,
de par leurs conséquences, de la géographie sociale. Cet essai est ainsi une
ébauche de prise en compte de la dimension spatiale de la bureaucratie
néolibérale.
D'accord avec presque tout, mais plus pessimiste que vous sur un point :
RépondreSupprimer" L’objectif est de les entasser encore plus dans les villes..."
Cet objectif restera irréaliste tant que les grandes villes maintiendront leurs normes d'urbanisme malthusiennes, on ne pourra pas entasser de nouveaux habitants dans des logements qui n'existent pas et dont la construction est interdite.
Par contre il est exact que cette pression fera encore monter les cours de l'immobilier en ville au seul profit des propriétaires en place, de même que la concurrence de ceux qui ne trouvent pas de travail fait baisser les salaires de ceux qui en trouvent un.
La rente immobilière n'a pas besoin de nouveaux habitants qui réussissent à se loger pour prospérer, il y a beaucoup mieux et plus juteux : ceux qui essaient désespérément et n'y arrivent pas.
Ivan
Je trouve assez cocasse que sur un site défendant l'industrie française on trouve des ahuris qui ne veulent aucun contrôle technique sur les bagnoles, alors que dans une chaîne de production industrielle le contrôle des produits se fait à la milliseconde, fait par des caméras, capteurs et robots.
RépondreSupprimerLes souverainistes gaullistes franchouilles sont à peu près aussi tarés que l'état major français des années 30 infoutu de faire une ligne maginot s'étendant le long de la Belgique ou investissant dans plus de forces mobiles terrestres ou aériennes.
" investissant dans plus de forces mobiles terrestres ou aériennes."
Supprimer...
Merci pour ses excellents articles.
RépondreSupprimerEn lecteur de Philippe Bihouix , j'aimerai beaucoup que l'on relocalise l'économie pour permettre aux citoyens Français de travailler près de leur lieux d'habitation. pour cela il faut refaire une planification , ensuite re-développer le rail et le fluvial puis pour finir mettre des normes sur les voitures , comme pas plus de 500KG comme le préconise Bihouix).
C'est une planification qui serai peut être de 10 voir 20 ans mais c'est le seul moyen selon moi d’abaisser le nombre de mort sur les routes.
H.S. mais intéressant :
RépondreSupprimer"Pourtant il est déjà facile de trouver auprès de sources sérieuses des statistiques montrant un début de régression de l'espérance de vie en France [2], ce qui signifie que celle des français encore jeunes actuellement a déjà drastiquement baissé."
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/retraites-en-russie-et-en-france-206202
Je n'avais jamais compris pourquoi les effets sur l'espérance de vie des français du chômage de masse apparu dés le milieu des années 1970, et des politiques économiques et sociales terribles qui ont suivi, tardaient autant à se voir dans les chiffres officiels.
Ce n'était qu'un biais statistique.
Cela signifie inversement que si nous commençons aujourd'hui à faire machine arrière et à réparer tout le mal qui a déjà été fait, il faudra attendre plusieurs décennies avant de voir l'espérance de vie augmenter à nouveau.
Ivan
Peut-être pas tant H.S. que cela.
RépondreSupprimerEn chassant les classes populaires et moyennes toujours plus loin de leurs lieu de travail, les grandes villes compromettent leur santé, ce qui logiquement doit peser sur leur espérance de vie, et les nouvelles tracasseries contre les automobilistes ne peuvent rien arranger.
http://www.leparisien.fr/laparisienne/sante/sante-les-mefaits-quotidiens-des-transports-en-commun-et-de-la-voiture-04-11-2011-1703874.php
Ivan
Pas du tout HS !
SupprimerVous prenez en compte des paramètres que les baltringues pseudo-intello, avec leurs statistiques foireuses, sont incapables de prendre en compte.
Cette cécité est d'autant plus forte qu'ils se prennent pour l' "élite" de la Nation, taxant de "populiste" quiconque soulève des questions comme les vôtres.
De tels imbéciles, à terme, ne peuvent aller loin.