Billet invité de Marc Rameaux, qui a publié « Portrait
de l’homme moderne », suite de la 1ère
partie et de la 2ème
partie
Simplistes ?
Démagogues ? Irresponsables ? : de qui parle-t-on ?
Je vais maintenant aborder les
cinq derniers chapitres de « Recomposition » non en les examinant un
par un, mais en développant un fil directeur qui paraît les relier. Il ne
s’agit pas d’expédier rapidement cette partie : elle est au contraire
essentielle. Si elle fait l’objet d’un traitement montrant la cohérence des ces
chapitres entre eux, c’est parce qu’elle semble marquer une césure dans
l’ouvrage, la phase observationnelle cédant le pas au diagnostic et au
jugement.
Une symbiose existe entre les
deux camps, beaucoup plus profonde qu’il n’y paraît. L’un n’existe que par
l’autre, et les reproches faits aux populismes se retrouvent des années
auparavant et bien plus puissamment chez les mondialistes, qui se trouvent sans
s’en rendre compte en train de condamner des défauts qu’ils portent en
eux-mêmes bien plus fortement.
Alexandre Devecchio a
parfaitement vu ces étranges effets de miroir.
Trump est-il l’inverse de Macron
ou est-il son portrait de Dorian Gray, l’inconscient refoulé du soft power, qui n’assume pas ses propres
démons intérieurs ? Ceci expliquerait la fascination réciproque qui semble
établie entre les présidents Français et Américains.
Lors de l’étalage des frasques extra-conjugales
de Donald Trump pendant sa campagne contre Hillary Clinton, au plus bas des
sondages, le leader républicain finit par avouer : « Je ne suis pas
un ange ». Rétrospectivement, cette sincérité le fait passer pour un
collégien turbulent et un bad boy
amateur, attirant presque la sympathie, face à des adversaires ayant fait dix
fois pire mais se drapant dans un impeccable costume de respectabilité.
Le populisme apparaît non pas
seulement comme une révolte contre les élites, mais également comme le retour à
l’envoyeur mondialiste de ses propres pratiques.
Je formulerai à cette occasion
une critique sur « Recomposition », qui n’obère en rien la grande
qualité de son analyse.
Dans sa tentative finale de
réconciliation, Alexandre Devecchio peut paraître encore trop gentil avec les
« élites » ayant mené à l’effondrement de la démocratie qui nous
menace, qu’ils dénoncent mais dont ils sont les principaux responsables.
C’est un simple bémol, car ceci
Alexandre Devecchio l’a parfaitement vu et ne ménage nullement les mondialistes
et européistes dans leur part écrasante de responsabilité.
Ma seule divergence vient du fait
que je suis plus pessimiste : nous avons franchi un point de
non-retour : les « élites » mondialisées sont irrécupérables
dans leur aveuglement, leur arrogance et leur narcissisme. Elles ne pourront
jamais admettre leurs torts : il leur faudrait pour cela des qualités dont
elles ont montré la totale absence depuis des décennies.
L’intention d’Alexandre Devecchio
est évidemment louable de tenter de recoller les morceaux et de sauver ce qui
est sauvable : un chaos total ne laisse aucune garantie de récupérer nos
libertés civiques à la sortie.
Mais je pense qu’il faut souligner que la montée des populismes a été
précédée d’un autre phénomène d’égale ampleur : l’abaissement des
« élites » décisionnaires à un niveau de médiocrité, de bassesse
intellectuelle et morale rarement atteint dans l’histoire.
Si ce jugement paraît exagéré à
certains, l’excellent blog de Maxime Tandonnet en tient une chronique d’une
merveilleuse pertinence et impertinence[1].
Alexandre Devecchio est conscient
de ce point et ne ménage pas ses attaques. Notamment dans le chapitre consacré
aux similarités avec les années 1930 brandies par « l’élite », il
leur renvoie le compliment : Si similarité il y a, elle est entre
eux-mêmes et les dirigeants de la débandade de Munich 1936, face à une violence
des nazislamistes factuellement beaucoup plus inquiétante que celle de quelques
débordements populistes. Les européistes devraient prendre garde à ne pas
abuser de la comparaison avec l’entre-deux guerres : l’on s’apercevra
qu’elle est très pertinente mais pas dans le sens qu’ils souhaitent, le
principal point de rapprochement étant leur veulerie munichoise, ainsi que des
pratiques d’impunité totale contre une corruption croissante, comme l’actualité
immédiate le démontre.
Il faudrait expliquer comment des
stratégies vulgaires de jeu sur les apparences, de démagogie, de bassesses
tactiques sont devenues le plus sûr chemin et presque le seul pour atteindre
les niveaux les plus élevés de la décision politique. Le philosophe Alain Deneault
en livre quelques clés dans son excellent ouvrage « La Médiocratie » [2].
Le populisme apparaît comme une réaction de survie contre des
« élites » qui ne méritent plus leur titre.
Je pense donc que la sortie de
crise proviendra d’un retour à une élite digne de ce nom aux commandes, non
d’une main tendue à celle qui en usurpe tous les attributs et qui ne peut plus
être réformée.
Cela ne retire rien à la finesse
d’analyse de « Recomposition » sur les chapitres qui vont être
commentés. Si j’en ai un peu remanié l’ordre de présentation, ces points sont
analysés en profondeur par Alexandre Devecchio. Notre seule divergence porte
sur le caractère définitif du départ de ceux qui doivent céder la place.
Ennemis mais miroir inverse l’un
de l’autre, mondialistes et populistes luttent sur le jeu des apparences et sur
leur rapport à l’exercice du pouvoir.
Passons à travers le miroir, et
voyons comment Alexandre Devecchio nous révèle d’où proviennent les véritables
dangers démagogiques. J’ai pris la liberté de rajouter quelques exemples
illustratifs, qui complètent son propos.
Qui a tenu des discours
simplistes ?
L’on reproche souvent aux
populistes de tenir des discours simplificateurs pour s’adresser directement au
peuple, de réduire des situations complexes à quelques mots d’ordre.
Mais dans le domaine de
l’économie, territoire considéré comme une chasse gardée par les mondialistes,
discipline nécessitant finesse et réflexion complexe, où se trouve le simplisme
et où se trouve la profondeur ?
Lors d’opérations d’offshoring, il est tentant de
bénéficier de coûts salariaux diminués de moitié voire plus, en délocalisant
certaines activités dans des pays faiblement développés. De même, la directive
Bolkestein a introduit la possibilité aux travailleurs détachés de travailler
dans toute l’Europe, en conservant les coûts salariaux de leur pays d’origine.
La plupart des opérations d’offshoring
ou d’usage des travailleurs détachés font l’objet de dossiers de décision
complexes présentés par des consultants au costume et à la mine austère. En
réalité, quel que soit l’apparat avec lequel on enrobe ces décisions, elles
sont prises sur la base d’un raisonnement qui ne nécessite que quelques
secondes de réflexion : une règle de trois sur les coûts salariaux. La
première chose à savoir lorsque l’on fréquente les sphères décisionnelles de
haut niveau, institutionnelles ou entrepreneuriales, est de ne pas se laisser
bluffer par un décorum faisant croire qu’une réflexion élevée les guide. Ces
milieux sont extrêmement entrainés à jouer la comédie de la complexité et la
comédie du sérieux, bien plus que de faire preuve de ces qualités réelles.
Les décisions concernant l’offshoring
ne dépassent généralement pas le premier stade d’une analyse véritablement
profonde, à savoir connaître les qualifications exactes des personnes à qui
l’on sous-traite, ce qu’il est possible de leur demander et ce qu’il faut
toujours laisser en compétences internes à la maison-mère. Mais pour ceci, il
faut dépasser une simple vue externe et rentrer dans le fonctionnement
organique de l’entreprise, connaître les hommes, les métiers et le détail
technique des moyens de production. Beaucoup de sphères décisionnelles,
européistes, économiques ou gouvernementales, semblent ne surtout pas vouloir
rentrer dans ces niveaux, tiennent à les contrôler à distance par des
indicateurs chiffrés, comme si la réalité organique leur faisait peur.
Il est vrai que lorsque l’on
analyse au-delà des ratios salariaux, l’on s’aperçoit que des professionnels
d’élite existent effectivement en Inde, en Roumanie ou ailleurs, … mais qu’il
n’y a pas de miracle, la compétence se paie. Particulièrement dans le domaine
du numérique, les très bons ingénieurs indiens ou roumains sont parfaitement au
courant des grilles salariales pratiquées dans nos pays, et ont tôt fait
d’aligner leurs exigences sur celles-ci. D’autant que le coût de la vie dans les
enclaves technologiques créées dans ces pays rejoint le nôtre : la Silicon
Valley indienne de Bangalore offre tout le confort moderne de pays développés,
ce qui a nécessairement un coût.
Les décisions d’offshoring ou de
travailleurs détachés ne rentrent presque jamais dans ce niveau élémentaire. Au
lecteur sceptique qui ne peut croire que les « élites » puissent
faire preuve d’une telle superficialité, nous conseillons de lire ce qui est
arrivé à la Royal Bank of Scotland en 2012 [3].
L’article pré-cité de Computer Weekly
fait d’ailleurs état d’erreurs similaires dans tout le secteur bancaire, pas
uniquement chez RBS. L’erreur est toujours la même : le niveau exécutif
tient quelques réunions prestigieuses fort coûteuses, assorties de dossiers
donnant l’apparence du sérieux et délayés sur quelques heures de présentation,
pour n’expliquer finalement qu’une règle de trois. L’actualité économique
récente fourmille d’exemples d’offshoring
exécutés de façon superficielle, ayant tourné à la catastrophe. Si
« l’élite » semble avoir très peur de rentrer dans une véritable
analyse, c’est à la fois parce que celle-ci démentirait ce qu’ils ont envie
d’entendre et également parce qu’elle révèlerait que la véritable compétence se
trouve dans l’encadrement opérationnel situé en dessous d’eux.
Un second exemple de la frivolité
des « élites » nous a été donné très récemment avec la crise des
gilets jaunes. Un an avant l’éclatement des premières manifestations, une note
de conjoncture de l’INSEE [4]
avait alerté Bercy sur les conséquences désastreuses des nouvelles taxes,
notamment sur le diesel.
Le ministère des finances a
choisi délibérément d’ignorer cette alerte, sur la base d’un raisonnement
faux : le relèvement des prix du diesel devait inciter les ménages à
changer de moyen de transport ou à acheter des véhicules équipés d’autres
moyens de propulsion. Bercy contesta ainsi le calcul de l’INSEE selon
l’argument que le calcul d’imposition devait être fait sur une assiette
beaucoup plus réduite, la partie de la population qui n’aurait pas opérée de
substitution de ses moyens de transport.
Nul besoin d’une maîtrise
d’économie pour relever les failles évidentes de ce raisonnement : les
ménages en question n’ont nullement les moyens de renouveler leur voiture et
habitent dans ces déserts français décrits par Christophe Guilluy, qui se
voient dépossédés de la plupart des services élémentaires, dont les moyens de
transport.
Le « raisonnement » de
Bercy n’intègre aucune échelle de temps et « d’élasticité » pour
reprendre un vocabulaire économique, calculant rigoureusement en combien de
temps la population concernée pouvait raisonnablement renouveler son parc de
véhicules.
A ce calcul sérieux, il semble
que les décisionnaires du ministère des finances ont préféré de vagues
généralités sur l’avenir de la planète, arguant que la disparition des énergies
fossiles s’inscrivait dans le sens de l’histoire : posture valorisante, se
gorgeant du prestige de la réflexion « stratégique » et parfaitement
creuse et simpliste. Il va de soi qu’en économie, ce ne sont jamais les cibles
finales qui posent question mais le moyen d’y arriver dans les phases
intermédiaires.
Le contraste entre l’INSEE et
Bercy est emblématique de la différence entre le vrai et le faux sérieux, entre
la rigueur d’analyse et ceux qui s’en donnent toutes les apparences extérieures
mais ne cultivent dans le fond que narcissisme et pensées gadget. Le haut
fonctionnaire austère et vêtu de gris du ministère des finances ne doit pas
faire illusion : il ne cache qu’une sorte d’être frivole n’ayant aucune
compétence véritable. L’article pré-cité du Figaro résume parfaitement cette
imposture dans une conclusion lapidaire et méritée :
L'exécutif français a fait preuve d'un manque stupéfiant de finesse
politique et plus encore d'expertise technique. Mais y a-t-il des économistes
dignes de ce nom dans les cabinets ministériels peuplés quasi exclusivement
d'énarques calibrés comme des petits pois et n'ayant d'autre culture économique
que le vernis acquis à Sciences Po?
Troisième exemple montrant la
confrontation entre une pseudo-élite et une élite véritable, la passe d’armes qui
a eu lieu récemment entre la commission Européenne et Carlos Tavares, le patron
de PSA, sur la promulgation forcée des véhicules électriques [5].
Sans rentrer dans les détails
techniques du bilan écologique de la propulsion électrique, l’opposition entre
un véritable capitaine d’industrie tel que Tavares et les armées de juristes et
écologistes en gants blancs est révélatrice de notre époque. Les arguments
écologiques du patron de PSA sont d’une précision et d’une pertinence sans
comparaison possible avec ceux des instances européennes [6].
Là encore, c’est la construction
du chemin intermédiaire et opérationnel qui pêche chez les tenants de la
mondialisation heureuse. Il s’ensuit un véritable dialogue de sourds où
commission et parlement européens ne parlent que de cibles à 10 ou 15 ans en se
contentant de marteler leur importance sur fond de culpabilisation et où un
véritable professionnel bâtit les scénarios pratiques permettant ou non
d’atteindre ces objectifs. Le sérieux de l’analyse des professionnels de
l’industrie tranche avec les quelques mots d’ordre de la commission, appuyés
par des rapports ne contenant que du vent.
Les fréquentes passes d’armes
entre instances européennes et capitaines d’industrie nous indiquent ce qui est
en jeu : le clivage entre une vraie et une fausse élite, la préemption des
leviers des décisions par des imposteurs et usurpateurs, théâtralisant à
merveille le sérieux et la responsabilité, n’ayant aucune de ces qualités dès
qu’une personne connaissant authentiquement son sujet leur porte la
contradiction.
Le simplisme est également de
mise concernant le sujet très politique de l’immigration. Résumé à un
affrontement entre gentils ouverts et méchants fermés, toute réflexion de fond
sur les conditions d’intégration est interdite. De même, la réalité de
territoires dans lesquels le droit français ne s’applique plus, la police n’ose
pénétrer et les enfants juifs et chrétiens désertent les écoles ou sont brimés
s’ils y restent, est purement et simplement niée.
Même la future présidente de la
commission européenne, Ursula von der Leyen, doit faire face en ce moment à une
levée de boucliers en suggérant de renommer la commission en charge de la
migration, « protection de notre mode de vie européen ». Pour une
fois que la commission de l’UE faisait un effort de réalisme, il est ahurissant
de voir avec quelle vitesse une véritable police de la pensée s’est ruée contre
sa future présidente, jusqu’à l’ancien président Jean-Claude Juncker, se disant
préoccupé du lien fait entre immigration et menace sur le mode de vie
occidental.
L’immigration pose la difficile
question de la tension entre identité et ouverture. Cette problématique ne se
résout pas en coupant brutalement l’un des deux termes pour dire que l’un est
le bien l’autre le mal : il est aussi stupide de défendre l’ouverture dans
l’absolu que l’identité dans l’absolu. Si ce sujet est aussi sensible, c’est
qu’il touche à la réalité des rapports humains : l’ouverture aux autres ne
se fait jamais sans conflits et résolutions de ceux-ci, qui passent par le
marquage de part et d’autre des limites du respect. L’ouverture aux autres
n’est pas une qualité béate consistant à être indéfiniment accommodant.
Beaucoup de politiques, par un
mélange de lâcheté et d’opportunisme, tolèrent sans limite des comportements de
prédation de la part des communautés islamistes, et ce depuis au moins quarante
ans. Nul mystère à ce qu’un engrenage mortel se soit déclenché dans nos
sociétés, entraînant dans son sillage les musulmans également : face aux
extrémistes, ils doivent se soumettre ou se démettre, ce qui signifie dans le
dernier cas une vie de persécutions que très peu de personnes auront le courage
d’affronter. L’absence totale de soutien du gouvernement français auprès de
musulmans modérés pour les aider à ce que ce ne soient pas les franges Fréristes
qui l’emportent sonne comme une trahison, faisant grossir encore un peu plus
les mauvais rangs.
Aborder de telles questions vaut
une stigmatisation médiatique immédiate à l’extrême droite, voire même par le
simple fait de soulever la question. Le simplisme avec lequel les succès
électoraux du Rassemblement National sont traités est atterrant. Si ce parti
représentait moins de 5% de l’électorat, il pourrait être encore possible de
les assimiler à ses franges dures d’origine. Mais à partir de scores au-dessus
de 20%, faisant de lui le parti en tête lors de la plupart des élections, il
faut admettre que la grande majorité de ses électeurs est maintenant constituée
de républicains sincères demandant seulement que leur quartier ne soit pas régi
par la charia ou par la loi des caïds. Si l’on suit le
« raisonnement » de la social-démocratie mondialiste, il faudrait
penser que d’honnêtes républicains se sont soudainement transformés en monstres
pustuleux à l’instant où ils glissaient un bulletin RN dans l’urne. Cet
infantilisme atteint des niveaux insupportables et dangereux à tous points de
vue, le déni de parole engendrant l’apparition cette fois de véritables
extrémismes beaucoup plus virulents.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire