Billet invité de Marc Rameaux, qui a publié « Portrait de l’homme moderne », suite de la 1ère partie, de la 2ème partie et de la 3ème
partie
Qui s’est livré à la
démagogie ?
Une notion nous sera utile pour
analyser les démagogies modernes, celle forgée par la philosophe Renée Fregosi
sous le nom de « justicialisme ».
Le justicialisme désigne
l’attitude d’endosser un habit de justicier et de se croire investi à ce titre
de la mission de sauver le monde dont on a la charge, ce qui implique également
de châtier des coupables supposés être à l’origine de tous les maux. Grande
spécialiste de l’Amérique latine, Renée Fregosi a forgé ce terme en référence
au Péronisme Argentin.
Le justicialisme est une attitude démagogique se nourrissant de complots, clamant son admiration pour des régimes autoritaristes censés redresser des régimes corrompus, flattant l’ego de celui qui le pratique en lui donnant l’impression d’être un sauveur.
Ce bref portrait évoque les
propos que l’on voit très souvent charriés sur les réseaux sociaux, par des
dictateurs d’opérette se donnant le frisson de dénoncer de noires
conspirations, de démasquer les méchants et de faire œuvre de justicier.
L’on rencontre assez souvent de
tels discours parmi les populistes, et c’est là un risque admis de leurs
dérapages. L’entre-soi, l’incivisme et la corruption trop présente parmi les
gouvernements mondialistes fait rêver certains de voir un shérif nettoyer la
ville, alimente les fantasmes de complots, aboutit à clouer au pilori tous les
élus officiels, même ceux qui font discrètement et patiemment leur travail.
La réfutation de tels discours
est assez aisée : historiquement, tous les régimes autoritaires ont
atteint des niveaux de corruption et d’arbitraires bien supérieurs aux
« décadents » qu’ils étaient censés nettoyer. Si la demande de
moralisation de la vie publique est parfaitement légitime et la critique
lapidaire d’une classe d’élus se pensant intouchable une nécessité, elles ne
doivent pas nous faire oublier ce que les démocraties libérales ont apporté en
matière de libertés civiques, que nous perdrions définitivement en réagissant
par des coups de sang.
Récemment, Renée Fregosi a
employé avec brio le concept de justicialisme pour s’apercevoir que les
discours multiculturalistes et communautaristes l’employaient également à haute
dose. L’imagerie du vengeur corrigeant les injustices n’est donc pas le seul
apanage des populistes, elle peut être celle des fondamentalistes de tout poil,
religieux ou défenseurs des « minorités opprimées ».
Le concept de justicialisme devient d’autant plus intéressant,
lorsqu’on l’applique aux défenseurs de l’Union Européenne.
Car ce qui apparaît, est que l’imagerie du justicier et du chevalier
blanc sauveur du monde est apparue de ce côté-là, bien avant l’émergence des
populismes.
Dans son chapitre consacré au
portrait en contraste de BHL et Michéa, Alexandre Devecchio rappelle quelques
actions du philosophe aux chemises blanches révélant une forte dose de
justicialisme.
BHL n’est pas le seul : la
quasi-totalité des défenseurs de l’UE ont endossé le costume du justicier, de
gardiens et derniers remparts du monde civilisé face à tous ceux tenant un
discours autre que le leur.
La phraséologie du sauveur du monde, ainsi que son simplisme et sa
démagogie, a été pratiquée par les classes supérieures défenseurs de l’Union
Européenne pendant des années, bien avant qu’elle n’investisse les réseaux
sociaux et une partie du discours populiste.
De sorte que sa propagation dans
toutes les couches de la population nous fait repenser le phénomène :
est-ce un monstre né du populisme, ou n’est-ce qu’une réponse du tac-au-tac
faite aux tenants de l’UE qui l’ont employé jusqu’à l’overdose, menaçant le
monde d’effondrement à chaque élection au lieu de permettre un débat d’idées,
et adoptant la posture du sauveur ultime ?
Avec cet éclairage, le mondialisme apparaît comme une démagogie à
destination des classes supérieures, un discours flattant une population dans
le sens de ce qu’elle a envie d’entendre, méprisant toute confrontation avec le
réel.
Le mondialisme n’est nullement la
réunion pacifique de tous les hommes, il est le maintien pour une toute petite
minorité d’un monde « idéal » entretenu artificiellement, une zone
protégée à l’abri de toute violence, aussi bien économique que sécuritaire. Le
discours appelant à être « risquophile » est tenu par des personnes
qui se sont elles-mêmes protégées de tous les risques et se garderaient bien
d’en affronter un seul.
Ce monde préservé peut être bien
décrit par une analogie avec les sciences physiques : il est comme une
table à coussins d’air, où les frictions ont été éliminées, où tout est fluide,
où les chocs sont élastiques et doux. Le moelleux matelas d’air fait vivre dans
un monde où les conflits sont résolus de façon civilisée, où l’on peut penser à
long terme et sans peur du lendemain. Ce que cette vision idyllique ne précise
pas, est qu’afin de faire vivre 5% de la population dans un tel eden, il faut
sacrifier les 95% d’autres et les faire basculer dans un enfer tout inverse.
Les rêves et visions entretenus
par les tenants de l’UE sont une sorte d’ode à ce monde préservé et artificiel,
le montrant en exemple tout en flattant ceux qui en bénéficient. En niant et
effaçant la face cachée de l’iceberg, ces visions rejoignent la démagogie du
discours justicialiste. Est présentée comme la sauvegarde du monde civilisé ce
qui n’est en fait que la perpétuation de privilèges arbitraires.
Ce discours est d’autant plus
blessant qu’il est d’une abyssale hypocrisie : la violence au quotidien
que le communautarisme musulman fait vivre à ceux qui en subissent la loi dans
des quartiers désertés par la République est stigmatisée comme « manque
d’ouverture », « racisme », alors que les habitants de ces
enclaves édéniques évitent très soigneusement ces populations pour eux et pour
leurs enfants, tout en appelant à avoir une attitude « ouverte » avec
elles.
« Démagogie » signifie
un discours flattant celui à qui il est destiné, lui disant ce qu’il souhaite
entendre, au prix du déni total de la réalité. La pente mortelle de la
démagogie n’a pas été creusée par les populistes : elle est initiée depuis
longtemps par ceux qui se présentent comme des « élites »,
particulièrement dans la défense de l’UE
qui est devenue une démagogie « haut de gamme ».
Le trait caractéristique du
justicialisme en révèle la vraie nature, la posture des justiciers de l’UE
ayant interdit toute forme de débat démocratique, tout approfondissement réel
de sujets ayant nécessité un traitement complexe, non des parades narcissiques
destinées à se valoriser.
Si certains populistes leur ont
emboîté le pas et sont tombés dans ce travers – Renée Fregosi a raison d’en
relever les dangers – une plus grande majorité encore de populistes sont
simplement des personnes demandant à ce que les discours soient soumis à
l’épreuve des faits, les thèses à la confrontation avec le réel.
« Populiste » désigne
de plus en plus souvent une personne qui ne fait que vérifier ses hypothèses et
s’assurer qu’elles résistent à l’épreuve du terrain. Il n’est guère étonnant de
voir pour cette raison un engouement croissant des électeurs pour le populisme.
Et le terme, péjoratif à sa naissance, devient directement assumé.
Le psychologue de renom Charles Rojzman,
auteur de thérapies sociales fines dans des situations très conflictuelles –
que l’on ne peut donc soupçonner de démagogie – clame ainsi son appartenance au
populisme, dans cette acception de la confrontation au réel [1].
Il n’est pas étonnant que Charles
Rojzman propose une philosophie du conflit assumé et maîtrisé : L’entente
entre les hommes ne provient pas de discours lénifiants et anesthésiants, ces
derniers ne faisant que renvoyer plus tard en boomerang une violence dix fois
supérieure, parce qu’elle a été comprimée.
Le bon sens et l’expérience
apprennent qu’une bonne « engueulade » est largement préférable à des
ressentiments larvés qui finissent en actes meurtriers bien plus graves. C’est
également la leçon des arts martiaux : il existe une violence inhérente à
l’homme. Il est infiniment préférable de la faire sortir et la laisser s’exprimer
dans des confrontations soumises à des règles tant qu’il en est encore temps,
avant que la douceur apparente et hypocrite ne dégénère en meurtres de masse.
Plus que jamais, qui veut faire
l’ange fait la bête, selon la célèbre formule Pascalienne. Les anges du
mondialisme et de l’UE ont produit une démagogie qui flatte leurs plus bas
instincts, ceux d’une domination sans partage sur la parole, d’une avidité au
pouvoir sans limite. La démagogie plus apparente et moins hypocrite que l’on
voit surgir des populismes fait figure d’amateurisme en comparaison. Et bien
plus souvent, les alertes populistes sont un simple rappel de faits que l’on ne
veut pas voir, bien plus que des harangues de justiciers : les sauveurs du
monde auto-déclarés sont issus depuis bien plus longtemps du milieu des
« élites ».
Qui a fait preuve
d’irresponsabilité ?
Jamais ceux qui en appellent sans
cesse à l’éthique de responsabilité ne se sont enferrés eux-mêmes aussi
profondément dans l’éthique de conviction.
Les responsables et soutiens de
l’UE, Troïka et banques centrales en tête, ne cessent d’appeler à un
comportement responsable, mais n’agissent eux-mêmes que selon des dogmes non
démontrés, ou plus exactement démontrés faux de jour en jour.
Il en est de même des politiques
d’immigration, notamment celle de la porte largement ouverte par Angela Merkel en
2015, sans concertation aucune ni débat, imposée à la totalité de l’Europe par
sa seule volonté comme le rappelle Alexandre Devecchio. Difficile dans ces
conditions, de ne pas voir l’UE comme un empire dirigé par l’Allemagne
gouvernant des nations subalternes. Là encore, la pure conviction idéologique
l’a emporté sur l’esprit de responsabilité, qui aurait nécessité un débat
complexe, nuancé, sur les conditions d’une intégration réussie, sur les termes
pesant de façon contradictoire dans la balance.
La prégnance de l’éthique de
conviction se manifeste dans l’appauvrissement considérable du débat d’idées
dans les media. A part quelques brillantes exceptions dont Devecchio fait
partie, la plupart des articles de presse mainstream
commencent par un jugement moral sur ce qu’il convient de penser ou non et sur
la séparation des camps du bien et du mal, avant toute analyse. La vie
intellectuelle occidentale part maintenant dans la plupart des cas des
conclusions qu’elle entend démontrer.
Nous avons perdu la capacité de
considérer qu'il existe deux ou trois visions du monde radicalement différentes
mais également respectables, sur la façon de conduire la vie de la Cité.
La politique au sens noble du
terme provient de l'affrontement sans concession de ces deux ou trois visions
du monde, de leur délibération et des compromis qui en résulteront. La grande
presse, à l'époque où elle était respectable, était capable d'accueillir et de
vivifier de tels débats.
Au lieu de cela, l'alliance des
"cercles de la raison", en France comme en Allemagne, détruit toute
possibilité de débat alternatif et remplace cette délibération par une vision
manichéenne et grossière de tout débat public en affrontement entre les forces
du bien et les forces du mal.
Il est de nos jours aisé de
cocher toutes les inversions orwelliennes du discours. L’une des plus
révélatrices est que ceux qui se prévalent sans arrêt de l’éthique de
responsabilité pratiquent une éthique de conviction à l’état pur.
Ceux qui prétendent incarner la
réflexion de fond et l’analyse complexe ne fonctionnent qu’à coups de
généralités superficielles et de croyances scandées.
Le charme discret de la
bourgeoisie mondialisée n’est en rien celui de la société ouverte. Celle que
Karl Popper appelait de ses vœux consistait en des discours admettant à leur
naissance la contradiction, l’appelant même. Nous sommes a contrario dans une
société d’anathèmes, de simplismes, au service du seul opportunisme. Et ceci
n’est pas le fait des populistes, qui essaient dans leur grande majorité de
réintroduire comme ils le peuvent des rappels aux faits.
Ce mouvement de débilité de la
pensée a été échafaudé et longuement cultivé par ceux qui se dénomment
d’eux-mêmes « élite » : les autres démagogies n’ont fait que
leur répondre par mimétisme, faibles copies de démagogues professionnels qui
n’ont eu cesse de cultiver leur flatterie de caste.
Aujourd’hui, cette fausse élite
rencontre deux obstacles, choc salutaire : celui de la common decency du peuple et celui de la
véritable élite – celle que l’on n’entend que trop rarement – constituée de
penseurs et hommes d’action à la fois profonds et ayant l’humilité de la
confrontation au réel. Il n’y a rien de surprenant à ce que les seconds ne
manifestent aucun mépris vis-à-vis des premiers : ils leurs sont
redevables d’apprendre d’eux chaque jour.
Le retour d’Ulysse
Alexandre Devecchio le rappelle
au début de son livre, contre l’injonction typiquement justicialiste du retour
aux années 1930 clamée par les mondialistes : les totalitarismes n’ont
jamais été le fait de patriotes, mais d’hégémonistes.
Toutes les emprises totalitaires ont
été historiquement un « pan-isme » : pan-germanisme,
pan-soviétisme, pan-américanisme, pan-européisme, pan-islamisme.
Les totalitarismes se caractérisent
par le débordement, par l’absence de limites ou de frontières, par une volonté
d’imposition d’une vision unifiée à tous. Ils rappellent l’Hubris grecque, la
démesure et l’orgueil, par opposition au culte d’un juste milieu, d’un temple
aux dimensions humaines, condition de la civilisation.
La patrie dans le sens de la
Grèce antique est le lieu de cette juste mesure. Elle n’est nullement synonyme
de haine ou d’affrontement, ni de repli sur soi, mais de retour à l’essentiel
de ce qui nous différencie et nous caractérise. La patrie grecque est l’Ithaque
d’Ulysse, la douceur et la tempérance du foyer, après les folies guerrières de
l’Iliade.
Elle n’est nullement incompatible
avec la découverte et l’ouverture aux autres : l’Odyssée est cet équilibre
entre le voyage initiatique, la découverte d’autres mondes, et l’attachement au
lait qui nous a nourri. Il n’y a aucune opposition entre ces deux termes, mais
une complémentarité qui les rend indispensables l’un à l’autre.
En
renouant avec cet héritage légué par le berceau de notre démocratie, Alexandre Devecchio
rappelle dans « Recomposition » cette réalité que nos dirigeants
devraient enfin admettre :
le patriotisme est un humanisme.
Conclusion : c'est celui qui l'dit qui y est.
RépondreSupprimer4 posts de 100 000 mots pour en arriver là ...
(Je blaaaaaague !)
;-)
Article inachevé qui se termine au milieu d'une phrase ?
RépondreSupprimerMerci pour votre vigilance. Corrigé par Laurent. Il ne manquait que la dernière phrase mais elle en vaut la peine.
SupprimerMarc
Vous devriez le mettre en plus petits caractères pour améliorer la lisibilité de l'article !
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