90%
de taux marginal sur l’ISF, dépassement du capitalisme et de la propriété
privée : le dernier livre de Thomas Piketty marque une vraie
radicalisation des propositions de l’économiste star par rapport à ce
qu’il proposait dans son livre de 2011, « La révolution fiscale », pas si révolutionnaire
finalement. Que penser de ces choix, qui confirment l’évolution
néomarxiste de l’économiste.
Un cran plus loin dans la lutte des classes
Étonnamment, les média n’ont pas rappelé l’évolution
des propositions de Piketty en matière fiscale. Dans
« La révolution fiscale »,
il proposait avec ses co-auteurs une fusion de la CSG et l’Impôt sur le Revenu,
et l’instauration d’une tranche marginale à 60% accompagnée d’une suppression des
niches fiscales. En 8 ans, l’économiste star est devenu partisan d’une
redistribution beaucoup plus radicale puisqu’il propose des taux marginaux
d’ISF, d’Impôt sur le Revenu et d’Impôt sur les Successions allant jusqu’à 90%.
Il faut préciser ici qu’en matière d’ISF, le taux marginal ne s’applique qu’à
partir de 2 milliards de patrimoine, ce
que l’Opinion qualifie un peu vite de
« liquidation de la propriété privée ».
Reçu
sur France Inter début septembre, il
avait été interpellé vivement par Nicolas Demorand qui avait parlé de confiscation
et de spoliation des ultra-riches. Avec Léa Salamé, ils l’avaient attaqué
en affirmant qu’il fait des ultra-riches des bouc-émissaires. Même s’ils se
sont justifiés en
parlant d’une simple contradiction, cela me confirme dans l’idée que la
ligne idéologique largement dominante de France
Inter est bien celle de Radio Medef… Heureusement, il
a eu plus de temps pour développer sa pensée ce samedi dans On n’arrête pas
l’éco, toujours sur France Inter,
ce qui a donné un aperçu de la richesse de ses analyses et de sa passionnante
mise en perspective historique et géographique.
Il
rappelle que les Etats-Unis ont pratiqué des taux marginaux de 90% dans le
passé, et que la révolution fiscale de Reagan a eu pour résultat une division
par deux de la croissance, une envolée des inégalités et un appauvrissement
d’une partie de la population. Et cela est logique puisque transférer de la
richesse du bas vers le haut pèse sur la croissance, les moins riches épargnant
bien moins que les classes supérieures… Piketty
développe le cas de la Suède, ultra-inégalitaire il y a un siècle, avec un vote
censitaire parfois proportionnel à la richesse des individus, avant de devenir
très égalitaire, puis d’abandonner l’ISF local et l’impôt sur les
successions après la crise bancaire de 1990. Aujourd’hui, le Japon a un impôt
sur les successions allant jusqu’à 55%, quand il n’y en a pas en Chine. Et aux
Etats-Unis, les
principaux candidats démocrates proposent un ISF allant jusqu’à 6 ou 8%.
Les deux principaux ressorts de l’analyse de Piketty
sont assez convaincants. D’une part, l’explosion
des inégalités pénalise la croissance. De l’autre, leur envolée au sommet
n’a aucune utilité. Après tout, à quoi sert-il d’avoir des milliardaires ?
En quoi le fait d’avoir des personnes qui peuvent accumuler des dizaines de
milliards est-il utile à la société ? Etre riche à millions n’est-il pas
suffisant ? Cela, Macron, le président des ultra-riches, ne le saisit pas,
lui
qui vante l’envie d’être milliardaire, et non millionnaire ? Piketty
touche juste également quand il propose une participation des salariés aux
conseils d’administration en citant la Suède et l’Allemagne, qui montrent que
cela ne pénalise pas l’économie. Sa proposition d’héritage citoyen de 120 000
euros à 25 ans, financé par l’ISF et les successions, interroge.
Malgré tout, le discours de Piketty souffre de deux
limites, possiblement traitées dans le livre. La capacité de mise en place
semble un gros angle mort de ce défenseur de l’UE. Comment il pourrait-il être
possible de mettre en place ses idées dans une telle organisation, qui pousse
depuis des décennies à moins de progressivité fiscale ? Enfin, le choix de
taux aussi élevés tout en haut, malgré un raisonnement intéressant, prend des
accents néo-marxistes si forts que cela questionne la capacité à rassembler une
majorité sur un tel projet. On peut s’interroger également sur le fait de dire
vouloir dépasser le capitalisme et la propriété privée. En outre, il me
semble que les
90% aux Etats-Unis étaient en place pendant la Seconde Guerre Mondiale, mais
qu’en temps de paix, l’Oncle Sam se « contentait » de 70%.
Mais malgré ces limites, il semble bien que Piketty
ait à
nouveau fait une contribution majeure au débat politique et économique, ce
qui me donne très envie de dévorer son nouvel opus, aussi long soit-il. Merci
de pousser l’analyse et la recherche de solutions à nos problèmes, rendant
encore plus insupportable la
direction politique suivie par ce président des ultra-riches…
Pour un tel niveau de taxation, il faudrait changer la constitution car le Conseil Constitutionnel, dans le passé, s’est opposé à des mesures jugées confiscatoires.
RépondreSupprimerEnsuite, comme vous le dites si bien, il faudrait sortir de l’UE et de l’euro car un seul pays ne peut pas prendre des mesures unilatérales au sein d’un marché unique et d’une union monétaire.
Mais l’autre reproche que l’on peut faire à Piketty, c’est de ne voir les inégalités que par le biais de la fiscalité, sans regarder les rapports de force entre le travail et le capital. Ce en quoi il n’est pas si marxiste que vous le dites.
Piketty en est encore à rêver de l'"autre Europe", regroupée autour de l’idée fédérale et internationaliste, mais réduite à quelques États-clefs: https://www.liberation.fr/planete/2019/05/05/thomas-piketty-l-europe-peut-etre-synonyme-de-justice-sociale_1725166
RépondreSupprimerIl ne veut pas comprendre que ce n'est pas le trop grand nombre de membres de l'Union qui la met dans l'impasse, mais l'exigence de souveraineté. À quatre ou cinq partenaires, elle ne sera pas moins grande. Les Allemands resteront des Allemands. Rien n'invite à penser que, dans une Union réduite, le raisonnement qu'il attribue à la CDU, pour le condamner fermement (« vous n’avez qu’à tous devenir allemands et avoir des excédents commerciaux »), pèserait moins dans la vie politique d'outre-Rhin. Ce qui serait supposer que les économistes, les patrons et les responsables politiques allemands changent pour une large part de paradigme et que les oligarchies de leurs partenaires en fassent autant. On est dans l'utopie.
Les souverainistes ne sont que des réactionnaires :
RépondreSupprimer"Aujourd’hui, la preuve est fait que la question de la souveraineté populaire n’a jamais été à l’ordre du jour. Johnson est devenu premier ministre, non après avoir après remporté une élection, mais après avoir été choisi par des membres du Parti conservateur, majoritairement masculins, vieux, racistes et réactionnaires. "
https://blogs.mediapart.fr/philippe-marliere/blog/060919/le-brexit-un-projet-autoritaire-de-destruction-des-droits-sociaux
« Johnson est devenu premier ministre, non après avoir après remporté une élection, mais après avoir été choisi par des membres du Parti conservateur »
SupprimerComme tous les premiers ministres du RU… Johnson n’est ni plus ni moins légitime que ses prédécesseurs nommés selon la même règle.
Le Brexit a été décidé par la majorité du peuple britannique, par référendum.
« un projet de destruction des droits sociaux » ? Non, le Brexit est simplement la reprise, par le peuple britannique, de sa souveraineté. Une fois l’indépendance retrouvée, il peut soit appliquer une politique de droite, soit une autre politique. Rien n’empêche les électeurs britanniques de voter à gauche. Peut-être qu’ils le feraient si Corbyn n’avait pas manigancé pour empêcher ou retarder le Brexit désiré par la majorité.
Laurent, vous vous étiez engagé à supprimer les commentaires injurieux. Supprimez donc ceux du troll habituel. La crédibilité de votre blog a beaucoup souffert de la licence accordée à ses interventions.
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