« Souveraineté, démocratie, laïcité »
est un livre majeur de Jacques Sapir, qu’il faut absolument avoir lu quand
on s’intéresse à ce sujet. Après
avoir souligné le rôle majeur de la souveraineté dans la constitution de nos
sociétés et à quel point elle représente le ciment qui les unit mais aussi leur
permet d’agir, il revient sur les trop nombreuses remises en question
contemporaines.
Le droit et les traités comme acides de la
démocratie
Pour lui, « cette
volonté farouche de faire disparaître du champ politique le principe de la
souveraineté ne peut que se justifier par une volonté de faire également
disparaître le principe de démocratie. Mais ce faisant, un lien social de la
plus haute importance est détruit. (…) Le lien politique tient une place
centrale dans les communautés humaines. Les sociétés (…) sont avant tout des
constructions politiques, en partie consciente et en partie inconsciente. Le
fait de savoir qui peut prendre les décisions en leur sein, ou si ces décisions
seront imposées de l’extérieur, est un problème crucial ». Or, « l’histoire a structuré des peuples en
Europe, et ce avec des cultures politiques différentes ». Il rappelle
justement que « nul traité n’est
rédigé pour durer jusqu’à la fin des temps (…) mais dire qu’il est
souhaitable qu’un traité ne soit pas immédiatement contesté n’implique pas
qu’il ne puisse jamais l’être ».
Il rappelle ainsi que « c’est pourquoi, d’ailleurs, le droit international est nécessairement
un droit de coordination et non un droit de subordination ». Il
dénonce la dépossession des Etats de leur pouvoir de juger au profit des
dits tribunaux d’arbitrage dans le Traité Transatlantique, et souligne que
« si le peuple souverain veut
prendre le risque d’une instabilité des règles, ceci reste son droit
inaliénable ». Prolongeant son raisonnement, il note que l’indépendance
donnée à une banque centrale est un acte de tyrannie, une forme de coup d’Etat
au sens littéral du terme : « des
agences indépendantes ne sont en réalité pas compatibles avec les principes de
l’ordre démocratique. En ce sens, elels sont donc bien emblématiques des
dérives que fait subir l’ordre libéral à nos sociétés (…) toute légalité
ne peut exister que dans la mesure où elle peut être contestée, non pas dans sa
forme, mais dans son fond »
Mais dans l’UE, « la souveraineté nationale est de moins en moins pertinente, mais sans
être toutefois remplacée par une autre souveraineté (…) Nous vivons en fait
dans un contexte qui s’apparente, au sens légal du terme, à une tyrannie,
c’est-à-dire un système politique où la légalité et la légitimité sont disjointes
et où des dirigeants font un usage de plus en plus injuste de leur pouvoir sous
couvert de légalité ». Pour lui, « on a opéré un pivotement fondamental de l’UE, et l’on est sorti des
limites strictes de ce que l’on appelle la démocratie », le « constitutionnalisme économique » et
« la réduction au légal » étant
une « tyrannie ». En somme,
la prédétermination du jeu politique revient à vicier la démocratie : « toute tentative pour limiter au préalable le
conflit politique ou lui assigner un déroulement comme l’on voudrait canaliser
un cours d’eau, aboutit à restreindre les choix et à tuer la
démocratie (…) nulle génération n’a le droit d’enchaîner par ses choix les
suivantes. Etre souverain, c’est avoir la capacité de décider ».
Pour lui, les règles posent un double problème. Outre
le problème démocratique fondamental, elles posent un problème pratique tant l’évolution
des circonstances peut les rendre absurdes et inadaptées au nouveaucontexte. Il
prend exemple sur l’Autriche des années 20, qui, après un épisode
hyperinflationniste, interdit tout déficit, compliquant toute intervention,
jouant un rôle clé dans la crise de la CreditAnstalt. Il fallait « laisser au pouvoir sa liberté d’action
discrétionnaire ». Il note le paradoxe de ce monde qui s’impose des
règles de plus en plus strictes, tout en produisant un environnement de plus en
plus sur instable. Il rappelle aussi qu’une « partie de la protection sociale étendue à l’échelle de l’Etat dut
d’ailleurs démantelée sous les gouvernements du chancelier Brünning de 1930 à
1932 (…) au nom de la nécessité de sauver les banques allemandes et de contenir
le budget de l’Etat en période de crise »…
Ironique, il note qu’« Il est ainsi piquant, et assez drôle, de voir des économistes
néoclassiques se réclamer désormais du constitutionnalisme économique, eux qui,
par construction, réfutent le rôle des règles car ils ne croient qu’à la
maximisation des choix individuels et rejettent par là même le principe de
l’incertitude ». Evoquant Hayek, il dénoue ce paradoxe en soulignant
que « la revendication de normes
immanentes, dont on perçoit bien que le seul fondement est en réalité de
l’ordre du religieux ». Le néolibéralisme est totalitaire. Il dénonce
la prétendue expertise économique, qui « masque une volonté profondément politique (…) L’idée que les choix politiques peuvent être
réduits à des choix techniques est partagée par tous ceux qui se défient de
l’Etat comme institution ».
A contrario, pour lui « l’ordre démocratique se veut la reconnaissance de la nature politique
de toute société et cherche donc à organiser le fonctionnement de cette
dernière afin que tous puissent y participer sans vouloir préjuger de son
résultat final ». Il souligne joliment que « certaines nations souveraines ne sont pas démocratiques, mais aucune
démocratie n’a pu naître là où l’on est privé de souveraineté ».
Source : « Souveraineté, démocratie, laïcité », Jacques Sapir, Michalon
Suite et fin
dans une semaine
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire