Un éloignement progressif du projet européen
Dans une synthèse assez lumineuse, elle écrit que
« la succession mécanique des causes
et des effets dans un cadre rigide et inadapté a produit une situation
qu’aucune volonté claire n’a vraiment fomentée (…) elle s’est mise en place par
étapes à partir du milieu des années 80, de façon si insidieuse et si peu
agressive que personne n’y a pris garde, pas même les Allemands ». En
effet, elle rappelle que l’Allemagne ne voulait pas de l’euro et qu’en 1992,
soixante économistes avaient pris position contre Maastricht, dénonçant des
critères de convergence « trop
laxistes », prophétisant qu’« une
monnaie commune soumettra ceux de nos partenaires qui sont économiquement plus
faibles à une pression plus forte de la concurrence, et par là, ils connaîtront
une croissance du chômage ».
C’est bien ce qui est apparu avec la crise de la
zone euro, postérieure à la grande crise financière de 2008. C’est la
construction européenne actuelle qui pousse l’Allemagne à défendre un ordre
austéritaire, sans forcément le vouloir mais juste « en défendant son intérêt propre, comme le font tous les pays du monde,
détruisant au passage les modèles sociaux de ses voisins avec la bonne
conscience que lui confère le sentiment d’offrir aux autres les clés de la
vertu ». Elle note que l’objectif de Berlin est clair depuis le
début : « rendre ses partenaires
solvables à force d’austérité afin de ne pas avoir à payer pour eux. Eviter
toute socialisation des déficits, des dettes, toute union de transfert ».
C’est pour cela que tous les projets d’euro-obligations sont morts-nés, la très diplomatiquement
correcte Angela Merkel osant même dire qu’elles ne se feraient pas de son
vivant mi-2012 pour tuer l’idée dans l’œuf.
Et encore, l’Allemagne n’a pas pu tout empêcher,
sachant qu’en 2011, devant l’évolution de la politique de la BCE pour sauver la
monnaie unique, le patron de la Bundesbank a démissionné, tout comme le chef
économiste allemand de la BCE, exprimant un vrai désaccord de l’Allemagne avec
la politique européenne. Et en 2017, Merkel a repris les analyses du FMI, qui
estimait en 2017 que l’euro est sous-évalué de 18% pour l’Allemagne et
surévalué de 6,8% pour la France : « nous
avons en ce moment, bien sûr, un problème avec la valeur de l’euro (…) Si nous
avions encore le Deutschemark, il aurait certainement une valeur différente de
celle de l’euro ». Elle note également que cette construction a poussé
à une divergence des taux sur la dette publique, au grand bénéfice de
l’Allemagne, qui emprunte le moins cher de la zone euro, jusqu’à gagner de
l’argent sur les fonds prêtés à la Grèce…
Elle dénonce l’idée d’un modèle allemand :
Marcel Fratscher, qui préside le DIW (institut allemand pour la recherche
économique), estime que « les
Allemands sont arrogants et sont convaincus que l’économie va très bien, qu’ils
ont fait les réformes nécessaires, contrairement aux autres, notamment les
Français. Mais cette arrogance n’est pas justifiée (…), il ne faut pas oublier
que beaucoup d’emplois sont précaires et que beaucoup de gens travaillent à
temps partiel. Et le salaire minimum qu’on a introduit entre-temps ne règle pas
tout ». Un autre économiste allemand, Christian Odendahl note que le
rebond de l’économie allemande vient « de
la rencontre fortuite d’éléments favorables (…) reprise dans le secteur de la
construction (…) la forte croissance des émergents avides d’équipements made in
Germany (…) réorganisation des chaines de production, enfin grâce à des
délocalisations massives en Europe centrale et orientale ». Pour lui,
les lois Harz n’ont été que « concomitantes
avec le redressement de l’économie germanique sans en avoir été la cause »,
tout en ayant « généré des effets
pervers à ne pas négliger : explosition des contrats précaires,
augmentation du risque de pauvreté, atonie de la demande intérieure ».
La meilleure preuve de l’échec du « modèle allemand » est l’évolution
politique du pays. Les législatives de 2017 ont vu les partis au pouvoir
enregistrer un recul historique et le Bundestag se fragmenter d’une manière
indédite. En réalité, c’est l’Allemagne qui doit changer car les excédents des
uns sont les déficits des autres, et les immenses excédents allemands
contribuent grandement aux déséquilibres économiques de notre monde.
L’austérité allemande est allée trop loin, au point de négliger l’état des
infrastructures, 40% des routes nationales et 46% des points étant à refaire
selon le DIV et d’être critiqué par The
Economist. Le FMI a dénoncé en 2017 une augmentation du « risque de pauvreté ». La crise
politique est encore renforcée par la politique de Trump et la crise migratoire
européenne.
Pour elle, « l’Allemagne assume mal son statut de primus inter pares (…) Il est
possible que les Allemands désirent bientôt se recentrer sur leur pays et sur
les problèmes spécifiques auquel il est confronté ». En outre la
dépendance du pays à l’égard de ses exportations accentue le désalignement avec
les autres pays, comme l’illustrent les négociations en cours avec les
Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, où Berlin adopte une ligne très conciliante pour
protéger ses intérêts et excédents… Pour elle, l’UE est une « sorte d’entité molle et post-politique,
espace liquide aux contours vagues au sein duquel tout circule et à l’intérieur
duquel tout entre comme dans du beurre (…) même si elle vivote encore un
temps, l’UE ne s’en remettra pas » et l’Allemagne pourrait choisir
« de claquer la porte la
première », une analyse que j’avais
également évoquée en 2013, en me concentrant alors sur la question de l’euro.
Bref, entre un modèle de développement à bout de
souffle et dont le bilan apparaît tous les jours comme plus mauvais, ainsi qu’elle l’a développé
dans Marianne, et un inconfort
grandissant dans cette UE dont elle est la principale force, mais qui n’en veut
pas les devoirs, et refuse toute évolution fédéraliste, la situation apparaît
comme explosive, comme je le détaillerai dans une semaine.
Source : Coralie Delaume, « Le couple franco-allemand n’existe pas »,
Michalon
J'ai travaillé en RFA il y a longtemps et à l'époque j'avais ressenti un certain mépris voire de la jalousie de la part d'allemands. Pas de tous certes (et heureusement) mais c'était assez prégnant. Ils ont viscéralement cette volonté de domination. Nos gouvernants, qui se croient "trop intelligents", sont de vrais imbéciles et par voie de conséquence pas à la hauteur de la situation.
RépondreSupprimerL'arrogance est dans tous les pays, France( la grande nation comme disent pour rigoler les allemands ), USA, Israel, Chine, Japon... c'est un phénomène psycho-sociologique.
Supprimer"et refuse toute évolution fédéraliste"
RépondreSupprimerMais vous même refusez toute évolution fédéraliste, comme tout chancre souverainiste bêtement fier de sa bêtise, vous êtes l'hôpital qui se moque de la charité, qui tirez sur l'ambulance et le pianiste.
« la situation apparaît comme explosive » dites-vous.
RépondreSupprimerLa situation est explosive depuis 2010. Mais ça n'explose pas grâce à l'action de la BCE qui déverse des tonnes de liquidités et fixe ses taux d'intérêts très bas. Et ça peut durer longtemps encore. On peut vivoter comme ça avec une croissance faible, une inflation faible, des salaires qui stagnent, une dette qui n'est contenue que par la politique monétaire.
J'ajoute qu'en 2019, il y a eu une nouvelle Commission européenne et un nouveau président de la BCE, et l'Allemagne a revendiqué la tête de la Commission et a laissé à la France la direction de la BCE, puisque c'est madame Lagarde qui a succédé à Draghi. Cela montre bien que l'Allemagne a renoncé au moins temporairement à influencer la politique monétaire qu'elle a souvent contestée et qu'elle conteste encore en interne. Le gouvernement allemand sait très bien qu'une politique monétaire plus restrictive signerait la fin de l'euro, et visiblement ce n'est pas ce qu'elle souhaite.
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