Coralie
Delaume avait écrit un très bon livre en 2017 avec David Cayla, « La fin de l’Union Européenne », qui
pointaint tous les vices de forme de cette construction, toujours aussi
intéressant à lire aujourd’hui. « Le couple franco-allemand n’existe pas » offre une forme de suite,
en se focalisant sur la question franco-allemande, centrale pour l’UE. Et
l’analyse de nos relations avec notre voisin ne fait que confirmer l’impasse
dans laquelle nous enferme l’Union Européenne.
L’UE : un échec économique, comme démocratique
Dans un résumé saisissant, un conseiller de Carter
avait affirmé qu’« à travers la
construction européenne, la France vise la réincarnation, l’Allemagne la
rédemption ». Elle rappelle que « les gaullistes envisageaient au contraire une Europe intergouvernementale
qui préserve la souveraineté des pays membres », et reprend une
citation du Général de Gaulle d’Alain Peyrefitte : « Notre politique, c’est de réaliser l’union
de l’Europe. Mais quelle Europe ? Il faut qu’elle soit véritablement
européenne. Si elle n’est pas l’Europe des peuples, si elle est confiée à
quelques organismes technocratiques plus ou moins intégrés, elle sera une
histoire pour professionnels, limitée et sans avenir. Et ce sont les Américains
qui en profiteront pour imposer leur hégémonie. L’Europe doit être
in-dé-pen-dante ». Pour elle, aujourd’hui, « notre Europe est une Europe de l’argent et de l’ordre » placée
sous la coupe des USA, via l’OTAN.
Elle rappelle que « les inventeurs de la monnaie unique anticipaient des crises
inévitables, mais espéraient justement que pour y faire face, l’Europe finirait
par n’avoir d’autre choix que de passer à l’étape fédérale. C’est le contraire
qui s’est produit. Nos vieux pays ont divergé, des animosités sont nées, les
peuples ont décroché depuis longtemps et l’on n’a jamais été si près de la
dislocation ». Macron, en dernier des mohicans fédéralistes, en déduit
paradoxalement « qu’il faut défendre
avec la dernière énergie des idées cacochymes et des solutions d’avant-hier »,
mais il est seul parmi les dirigeants européens. Pour elle, « les nations réémergent intactes et
recommencent à défendre leurs intérêts, parfois avec âpreté (…) En mars 2018 par exemple, et à l’initiative
des Pays-Bas, huit pays du Nord ont signé un document conjoint pour s’opposer
au projet de réformes porté par le président français ».
Elle rappelle que beaucoup d’économistes majeurs,
comme Paul Krugman ou Joseph Stiglitz sont très critiques à l’égard de la
monnaie unique, le premier parlant de « l’une des grandes catastrophes de l’histoire économique », le
second y ayant consacré un livre « Comment
la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe », plaidant pour son
démontage. Elle dénonce le rôle de la libre-circulation des capitaux, y compris
avec les pays tiers, qui a permis l’importation de la crise des subprimes en
2008, et son association à la libre-circulation des personnes qui a créé un
immense dumping social, le coût horaire de la main d’œuvre variant de 4,9 euros
en Bulgarie à 42,5 au Danemark. Enfin, cela a provoqué une polarisation
industrielle autour de l’Allemagne, qui a utilisé les pays proches comme
sous-traitants à bas coûts, grâce à l’élargissement, et une
désindustrialisation accélérée des périphéries.
Plus globalement, l’Union Européenne a soutenu
« la modification d’un rapport de
force entre le capital et le travail devenu excessivement favorable au premier
et obligeant le second à céder », tout en notant « qu’entre le fort et le faible, c’est la
liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Pour elle, aujourd’hui,
« l’Europe, c’est l’ordre. Un ordre
conservateur, correspondant aux intérêts d’une certaine classe et dont on
confie bien volontiers au monde allemand le soin d’aider à le maintenir ou à le
rétablir ». Pire, elle voit dans l’UE, pour ses promoteurs, « une solution ingénieuse pour réduire la
portée de la démocratie. (…) La possibilité de débattre de certaines questions leur
a simplement été ôtée. Le traitement des questions économiques, notamment, a
été expédié au niveau communautaire ».
Evoquant Christopher Lasch, elle dénonce « la coupure de plus ne plus prononcée entre
le peuple et les élites. Une coupure tant économique et matérielle qu’éducative
et intellectuelle, et dont résulte le repli sur eux-même des privilégiés (…)
Ils ne servent plus l’intérêt général, dont ils ne conçoivent même plus qu’il
pût exister, et qu’ils confondent souvent avec la poursuite pour chacun de son
intérêt bien compris ». Elle dénonce la « jacquerie élitaire » post 2005, et le vote du traité de
Lisbonne par des « élites nationales
sécessionnistes » dont le but est de « bâtir un cadre dans lequel plus personne ne sait vraiment qui décide
quoi, et où les citoyens ne savent plus à qui demander raison. On ne
congédierait donc pas la démocratie au nom de l’Europe, mais on bâtirait
l’Europe pour mieux abolir la démocratie ».
Elle conclut sur l’Europe actuelle : « en règle générale, un promeneur ayant choisi
une route sans issue et arrivant au bout d’une impasse murée évite de se
frapper la tête contre la paroi en espérant forcer le passage. Il rebrousse
chemin pour emprunter l’autre voie. Et si « l’autre voie », pour
l’Europe, n’était autre que celle imaginée au début des années 60 et dont les
potentialités restent à explorer ? ». Par cela, elle entend le plan
Fouchet, proposé par le Général de Gaulle. Mais pour elle, il faut « se libérer au préalable de la chape de plomb
économico-juridique qui pèse sur les Etats membres, ne cesse de favoriser leur
divergence et leur mise en concurrence, attise la méfiance réciproque des
peuples plus qu’elle ne les rapproche et nuit à toute perspective sérieuse
d’action commune ».
Merci donc à Coralie Delaume pour ce livre
remarquable, que je vous recommande chaleureusement, une pièce majeure pour
comprendre l’impasse dans laquelle l’UE est et nous met. Ce qui est effarant,
c’est que cette construction monstrueuse et dysfonctionnelle, par des choix
poussés par des français, est en train, à la fois, d’affaiblir la place de
notre pays, mais aussi de distendre la réconciliation avec notre voisin, pour
des chimères dont il est clair aujourd’hui qu’elles ne se réaliseront jamais.
Source : Coralie Delaume, « Le couple franco-allemand n’existe pas »,
Michalon
"« les gaullistes envisageaient au contraire une Europe intergouvernementale qui préserve la souveraineté des pays membres »"
RépondreSupprimerC'est exactement le problème de l'UE, c'est qu'elle est intergouvernementale et pas fédérale, grâce en partie à ces ahuris de gaullistes.
Seule une UE fédérale peut être plus fonctionnelle, ce que ne veulent pas les souverainistes.
"« la coupure de plus ne plus prononcée entre le peuple et les élites. Une coupure tant économique et matérielle qu’éducative et intellectuelle, et dont résulte le repli sur eux-même des privilégiés (…) Ils ne servent plus l’intérêt général, dont ils ne conçoivent même plus qu’il pût exister, et qu’ils confondent souvent avec la poursuite pour chacun de son intérêt bien compris »"
Ce genre de constat est tout autant applicable aux USA, GB, Chine, Russie... donc quelle est la valeur ajoutée d'un constat qui est applicable à quasiment tous les pays ?
Les Usa, la GB, la Russie ainsi que la Chine sont des nations. L'Europe ne sera jamais une nation. C'est là toute la différence...
SupprimerSi le projet, c'est d'en revenir au plan Fouchet, c'est oublier que ce plan fut un échec que le général de Gaulle lui-même avait acté. Force est de constater que la France et l'Allemagne n'ont pas la même conception de l'Europe. Le tort du général de Gaulle, après l'échec du plan Fouchet, fut de ne pas prendre ses distances en sortant la France de la CEE.
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