samedi 16 mai 2020

Euro : la menace mortelle de Karlsruhe


Les échanges entre la cour de Karlsruhe et les institutions de l’UE peuvent être difficiles à comprendre, et ne pas sembler porter à conséquence. Mais, comme l’ont noté certains, c’est bien l’existence de la monnaie unique qui est en jeu. Parce que l’Allemagne refuse d’être engagée contre sa volonté et qu’elle n’apprécie pas les choix de la BCE, une faille vient de s’ouvrir qui fragilise l’euro.




L’union monétaire désunie


Le jugement de la cour de Karlsruhe du 5 mai restera probablement dans les annales de la construction européenne. L’affaire concerne les mesures de rachat de titres prises par la BCE depuis 2015, portant sur 2000 milliards d’euros. Des allemands contestent le droit de la BCE à le faire. La cour, l’équivalent de notre Conseil Constitutionnel, a donné 3 mois à la BCE pour s’expliquer et affirme que la Bundesbank pourrait « ne plus participer à la mise en œuvre et à l’exécution des décisions de la BCE en cause ». La tension a continué de monter depuis, la Cour de Justice de l’UE ayant déclaré trois jours plus tard qu’elle était la seule compétente pour juger de l’action de la BCE en arguant que « des divergences entre les juridictions des Etats membres quant à la validité de tels actes seraient en effet susceptibles de compromettre l’unité de l’ordre juridique de l’Union et de porter atteinte à la sécurité juridique ».






Le conflit ouvert a pris une tournure assez extravagante dimanche 10 mai, quand la présidente, allemande, de la commission européenne a menacé l’Allemagne d’une possible procédure en justice suite au jugement de la cour de Karlsruhe. Ces débats peuvent sembler très techniques, et avoir une portée finalement limitée, mais, comme le note Philippe Prigent, ces échanges peuvent initier le processus de démantèlement de la zone euro. Les prises de parole de la patronne de la BCE, de la CJUE et de la présidente de la Commission ne doivent pas faire illusion sur le véritable rapport de force et ce qui est en jeu. Bien sûr, les institutions européennes peuvent faire acte d’autorité, ou même tenter un compromis, mais il n’est pas sûr qu’elles aient le dernier mot ici. En effet, la menace de non participation de la Bundesbank aux volets contestés de la politique de la BCE est loin d’être neutre dans cette architecture.



En effet, dans le magma des négociations sur les programmes de rachat d’actifs, il avait été précisé que ce seraient les banques centrales de chaque pays qui procèderaient au rachat, et non directement la BCE. Ce choix, poussé alors par l’Allemagne, était un moyen de plus de résister à la tentation fédéraliste exprimée également par le projet avorté d’euro-obligations. Ce faisant, les Etats peuvent garder une part de contrôle sur ces programmes, ce qui apparaît plus clairement aujourd’hui. Car la Bundesbank pèse près de 30% de la BCE, et si, du jour au lendemain, elle cessait de suivre une partie de sa politique monétaire, nous assisterions alors à la création d’une sorte d’euro-mark, qui divergerait de l’euro standard par le bilan de la Bundesbank. Ce faisant, l’Allemagne ne prendrait plus en créances des titres de dette de l’Italie. L’euro pourrait continuer, mais l’union monétaire serait alors désunie. Pire, elle pourrait vendre les actifs qu’elle a déjà, ce qui ne serait pas neutre sur les marchés financiers…



Le moment de publication de cet arrêt est peut-être trop parfait pour être accidentel, d’autant plus que la saisie date de 2017. En effet, elle survient pile quand reviennent les discussions sur les euro-obligations. Ne faut-il pas y voir une forme d’affirmation supplémentaire de l’Allemagne de son refus catégorique de tout partage des dettes à l’échelle européenne et sa volonté de contrôle de ce que fait la BCE, pas toujours en ligne avec les traités ? Ce faisant, Merkel reçoit un appui interne supplémentaire pour refuser toute avancée significative dans le partage des engagements financiers des pays européens avant un prochain sommet qui devait justement aborder ce sujet. En cédant sur des broutilles, elle pourrait alors jouer au bon flic, quand d’autres jouent le mauvais… Et elle pourra utiliser la menace de la fin de la participation de la Bundesbank aux rachats de titres, un pistolet sur la tempe de ses partenaires...



Parce que ce sont en réalité les banques centrales nationales qui portent les actifs rachetés par la BCE, le jugement de la cour de Karlsruhe est un évènement. Cela ne mènera probablement pas directement à une fin de l’euro, un compromis bancal étant l’issue la plus probable du prochain sommet. Mais cela renforce les différentes tensions du système en limitant la monétisation dont l’Italie a besoin, ouvrant la voie à une autre crise des dettes publiques, dont l’issue  pourrait bien être une sortie de Rome de l’euro. Car l’Allemagne ne veut pas en prendre l’initiative, même si elle fait ce qu’il faut pour que cela arrive.

16 commentaires:

  1. Le droit allemand VS le tordu européen !

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  2. "Le jugement de la cour de Karlsruhe du 5 mai restera probablement dans les annales de la construction européenne"

    Ce jugement est du gros bullshit.

    "Le gouvernement et le parlement n'ayant pas démontré que ces dommages ne l'emportaient pas sur les efforts pour maintenir le frein à l'endettement, le gouvernement et le Bundestag auraient violé la constitution en raison d'un manque d'examen vérifiable de la proportionnalité de leurs politiques. Cette conclusion absurde, qui pourrait résulter de l'arrêt, montre, par exemple, à quel point les arguments des juges sont déficients d'un point de vue économique. Sur le plan économique, la question est claire: les juges avaient tort."

    https://m.faz.net/aktuell/finanzen/holger-schmieding-irrtum-der-richter-beim-ezb-urteil-16768370.amp.html?GEPC=s33&__twitter_impression=true

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    1. Bon argumentaire de Holger Schmielding. Mais d'autres économistes défendront un autre point de vue. Jürgen Starck n'aurait pas signé le même papier.

      La question économique n'est en fait pas le cœur du conflit actuel, qui est d'ordre politique, comme Schmielding l'avoue assez clairement en fixant les limites de sa critique ("Sur le plan économique..."). La réponse de la CJUE est assez éclairante à cet égard. Ce qui est en jeu, et de manière explicite depuis l'arrêt du 30 juin 2009, c'est la question de l'articulation entre le droit allemand et le droit européen supranational. La réponse de Merkel est d'annoncer plus d'intégration européenne de façon à mettre fin aux conflits. Mais un tel choix ne fera jamais l'objet d'un consensus en Allemagne.

      Pour ce qui est du "bullshit économique", le discours de justification de l'euro tenu depuis trois décennies ne vaut pas mieux.

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    2. Corrections : Jürgen Starck aurait d'autant moins signé le même papier que son nom s'écrit Stark ; et c'est Schmieding l'auteur.

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    3. En attendant, c'est la BCE qui a fait le job. Manifestement les souverainistes se réjouissent de cet épisode insignifiant de juristes tarés, ils n'ont plus que ça comme os ridicule à ronger.

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    4. @ Troll et anonyme

      Un peu court comme argument, d’autant plus que la plupart des analystes rapportent que le jugement est d’abord politique, ce qui est cohérent avec l’historique de la Cour.

      Merkel qui parle de plus d’intégration européenne, il faut prendre du recul sur une telle déclaration qui peut prendre des sens très différents en fonction de qui en parle. Pour elle, jusqu’à présent, plus d’intégration, c’est plus de tutelle des pays débiteurs à l’égard des créditeurs, pas vraiment des euro-obligations, dont elle avait dit qu’elles ne se feraient pas de son vivant…

      La BCE a fait quoi, à part sauver sa peau en évitant l’explosion de l’euro ? Ces gens-là sont juges et parties. La zone euro est probablement la zone qui a eu le plus de difficultés après la précédente crise financière…

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  3. Les non-souverainistes pourtant ne considèrent pas du tout cet épisode comme insignifiant. La virulence de la réaction de la CJUE l'illustre, comme la réponse empressée de Merkel. Manifestement, certain(e)s ont compris qu'il y avait là infiniment plus qu'un os ridicule à ronger pour les souverainistes. La réponse de Schmieding ne répond d'ailleurs qu'à des aspects bien particuliers des objections de la cour constitutionnelle, comme si les aspects économiques n'étaient pas surdéterminés par les aspects politico-juridiques. C'est assez typique des européistes.

    Il suffit de lire d'autres interventions de Schmieding, comme celle-ci : https://www.cityam.com/as-mervyn-king-warns-that-the-project-is-doomed-is-it-time-for-the-eurozone-to-be-broken-up/. Il affecte d'y placer sur le même plan les disparités régionales au sein du Royaume-Uni et les divergences au sein de l'Union monétaire européenne, en contournant la question de l'existence d'un "démos" doté d'une conscience historique nationale apte à lui faire accepter les solidarités nécessaires entre territoires hétérogènes. Cela lui permet de postuler que ces divergence sont sans effet.

    Dès lors que l'on s'est persuadé qu'il n'existe pas plus de différences entre un Anglais et un Gallois qu'entre un Allemand et un Grec, que le Danemark, la France ou l'Italie ne sont que des provinces d'un vaste empire européen unifié politiquement et culturellement, ou ayant tout naturellement vocation à le faire à marche forcée, tout devient possible. Sauf que nous constatons au jour le jour que c'est absolument faux.

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  4. Les Allemands savent bien que si l'on avait laissé des faucons comme Jens Weidmann décider de la politique monétaire, l'euro serait mort depuis longtemps. C'est la raison pour laquelle Merkel a préféré obtenir la présidence de la Commission et a laissé celle de la BCE à la France.

    C'est le choix de l'Allemagne, à la fois d'avoir une BCE indépendante, et ensuite de ne pas mettre à sa tête un faucon ordo-libéral.

    C'est donc à l'Allemagne de clarifier ses positions, pas à la BCE. Car critiquer juridiquement le QE alors qu'il s'agit en réalité d'un choix politique avec des enjeux politiques, est un contresens voué à l'échec mais qui peut faire des dégâts en provoquant la remontée des taux italiens et espagnols.

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  5. Je suis contre l'euro. J'ai voté « non » à Maastricht et « non » au TCE.
    Mais il s'agit d'un combat politique, pas d'un combat juridique.
    Les Allemands qui sont contre l'euro doivent l'assumer franchement sur le terrain politique et non saper l'action de la banque centrale au pire moment. C'est irresponsable, égoïste et lâche.

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  6. "les allemands demandent simplement le respect des traités signés": très juste, ils ont raison. Mais ces traités interdisent à la banque centrale européenne de faire ce qui est nécessaire pour sauver l'euro, monétiser la dette de l'Etat, ce que font les banques centrales de pays normaux comme le Japon et les USA. Or, il n'y a pas un Etat européen, mais 19 partenaires de l'euro, tous différents. Cette affaire ne fait que révéler crûment le défaut de cette construction baroque. Pour autant, elle ne va pas s'écrouler d'elle-même ; une fuite en avant vers "plus d'Europe" est à craindre; un "plus d'Europe" qui sera aux conditions de l'Allemagne, et encore plus mauvais pour la France, puisque nos dirigeants ne nous défendront pas.

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    1. Ces traités sont devenus inapplicables et même l'Allemagne ne les respectent pas (avec des excédents commerciaux supérieurs aux 6% prévus dans le TSCG). Ce respect de traités inapplicables et qu'on ne peut pas changer est tout bonnement ridicule.

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  7. "Mais ces traités interdisent à la banque centrale européenne de faire ce qui est nécessaire pour sauver l'euro, monétiser la dette de l'Etat"

    Ah bon ? Et les rachats massifs de la BCE sur les marchés seconds c'est pas de la monétisation ?

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  8. Pourquoi l'Allemagne ferait-elle "ce qu'il faut" pour une fin de l'euro, alors que l'euro l'avantage ?

    Si vous croyez à une volonté concerté entre juristes et politiques allemands, cela n'aurait donc pas de sens.

    Elle pousserait plutôt son avantage : elle sait en tout cas que les autres pays seront enclins à lui céder... puisque vous avez appelé à laisser accéder au pouvoir, en France, un obsédé du renforcement de l'UE (entre autres).

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  9. @ Anonyme

    Bien d’accord.

    @ Moi

    Mais la mort de l’euro poserait-elle tellement problème à l’Allemagne. Ma conviction est que l’euro n’est plus vraiment populaire, mais que Berlin et les Allemands ne veulent pas être à l’initiative de son démontage. En attendant, ils défendent seulement leurs intérêts dans le cadre donné, qu’ils n’avaient pas souhaité à l’origine, il faut le rappeler

    @ Jacques

    Heureusement, il y a un verrou, solide, à « plus d’Europe », c’est que le Nord ne veut pas engager un euro de plus pour les autres pays.

    Et les traités ont été tordus pour sauver l’euro avec de la monétisation et le fameux « quoiqu’il faille » de Draghi

    @ Anonyme 12h08

    L’euro l’avantage en partie, mais elle a aussi été poussée à sacrifier son modèle social en passant à un modèle plus anglo-saxon et inégalitaire. Je ne crois pas qu’il y ait un attachement à l’euro en Allemagne.

    Je n’ai laissé personne accéder au pouvoir. En outre, ce n’est pas comme si l’écart avait été serré. Même si ceux qui avaient voté blanc ou nul avait fait un autre choix, Macron gagnait largement. J’ai refusé de choisir entre deux mauvaises solutions. On a vu ce que font les gens de la tremps de Tsipras en Grèce. Et Marine Le Pen me semble potentiellement pire que lui, alors…

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    1. « l’euro n’est plus vraiment populaire, mais Berlin et les Allemands ne veulent pas être à l’initiative de son démontage. » C'est bien pour ça que je dis que c'est à eux de clarifier leurs positions.

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