Déjà, lors de la première crise de la zone euro, l’idée d’euro obligations
avait agité les cercles européens les plus extrémistes, français en tête, bien
évidemment. Puis, Angela Merkel avait sifflé
la fin de la récréation en mettant un terme fermement aux discussions sur ce
sujet. Si
on peut comprendre le besoin de solidarité des pays du Sud de l’Europe, une
telle idée semble tout aussi irréaliste que mal venue.
Tout aussi infaisables que peu souhaitables
C’est le sujet qui continue à agiter l’agenda
européen depuis le mois de mars. Dans une crise sanitaire et économique
extraordinairement violente, et alors que l’Union Européenne ne se décide pas à
les aider, tout en continuant parfois à leur savonner la planche, Rome
et Madrid brandissent les coronabonds comme un juste retour des choses après
tant d’années passées sous les fourches caudines austéritaires du machin
européen. Mais, malgré l’effort mis par les deux capitales, on peut aussi
penser qu’il s’agit d’une idée qui est agitée, sans forcément être leur
véritable objectif, de manière à pousser leurs partenaires européens à enfin
les aider dans cette crise. Les
coronabonds ont sans doute davantage une utilité comme tactique de négociation
plutôt que comme une véritable fin en soi.
En effet, l’historique des euro-obligations il y a
dix ans n’augure pas d’une grande probabilité de réalisation. L’institut
Bruegel s’était fendu d’une étude en bonne et due forme en 2011 qui avait
suscité l’horreur de l’Allemagne (et d’une très grande partie des pays du Nord
de l’Europe) en proposant de mettre en
commun 60% de PIB de dette publique, soit 5600 milliards d’euros à l’époque
(dont 1600 milliards de dette allemande). L’idée d’être caution solidaire de 4000 milliards
de dettes des autres pays n’était alors guère populaire outre-Rhin, 14% seulement des Allemands
la soutenant et 79% s’y opposant. En 2012, Angela Merkel était
pour une fois sortie de sa prudence diplomatique traditionnelle pour dire qu’il
n’y aurait « pas d’euros obligations
de son vivant », mettant fin au débat.
Tout mécanisme un peu significatif par rapport aux
dettes publiques de la zone euro, qui
vont fortement augmenter dans les prochaines années, est invendable à des
pays du Nord qui vont également affronter une augmentation de leur endettement
et de leurs déficits, d’autant plus que ceux des autres pays leur sembleront
abyssaux. Il faut rappeler également qu’à
peine la moitié des pays de la zone euro soutenaient les coronabonds. En
clair, les Pays-Bas ne sont pas les seuls à y être opposés, Berlin ayant été
très clair à nouveau. Aucun mécanisme d’une envergure significative ne pourra
passer. Au mieux, Madrid et Rome obtiendront quelques aides supplémentaires
outrageusement maquillées pour sembler à la hauteur, comme
lors du dernier conseil des ministres de l’économie de mi-avril.
Mais sur le fond même, ces
euros obligations sont une usine à gaz impraticable, déresponsabilisante et aux
multiples effets pervers pour qui en étudie un peu le fonctionnement, du
moment qu’il ne s’agit pas seulement de financer quelques projets à un moment
donné, pour une durée limitée. Toute véritable mise en commun, portant sur plusieurs
centaines de milliards est une autre chose, sans même aller jusqu’à la mise en commun de la dette
publique des pays de la zone euro à hauteur de 60% du PIB, comme l’imaginait
l’institut Bruegel en 2011. Un projet important poserait de gros problèmes car les investisseurs
pratiqueraient la « fuite vers la qualité », finançant à bon compte
les euro obligations, mais poussant à la hausse le coût de la dette qui
resterait nationale pour les pays les plus endettés…
En outre, un tel mécanisme a logiquement des chances
d’avoir pour
contre-partie une augmentation de la tutelle économique de l’UE sur les pays
qui en profiteraient. En effet, il est tout de même un peu naïf de penser
que l’UE pourrait emprunter des centaines de milliards à distribuer à tous les
pays avec la caution finale de l’Allemagne et des pays du Nord, sans qu’il y
ait le moindre mécanisme de contrôle strict des budgets nationaux. Et le moins
que l’on puisse dire, c’est
que l’expérience Grecque montre que cette tutelle peut être particulièrement
violente et anti-sociale. En outre, avec l’euro et une Banque Centrale
Européenne qui a des pouvoirs de contrainte non négligeables, les pays qui en
profiteraient pourraient bien faire un pacte avec un diable austéritaire qu’aucun
recul social n’effraie…
Même si des gestes de solidarité avec les pays les
plus touchés me sembleraient normaux, par-delà
le fait que les euro-obligations ne me semblent avoir aucune chance de voir le
jour, je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Par-delà même les
conditions qui y seraient probablement attachées, les effets pervers induits
seraient trop forts, et cela représenterait aussi une fracture préoccupante de
la responsabilité politique dans un système qui risquerait de promouvoir l’irresponsabilité.
Infaisables et non souhaitables, vous avez bien raison de le rappeler. Ce qui est étonnant et plutôt désolant, c'est que cette fausse solution revienne encore à la surface.
RépondreSupprimerUne analyse de l'arrêt de la cour constitutionnelle de Karlsruhe du 5 mai est attendue avec impatience.
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