Bien sûr, cette
crise a le mérite de rappeler l’importance du service public et du local,
mais outre l’accablant bilan humain des victimes communiqué tous les jours, bien de
ses aspects provoquent des réactions inquiétantes. Par-delà, et du fait du choc économique
le plus violent depuis 1929, elle suscite en effet une lecture et une évolution inquiétante de nos
sociétés dans bien des domaines.
Les libertés individuelles variables
d’ajustement
Bien sûr, cette crise a quelques conséquences
positives, comme le fait de réhabiliter
le service public de la santé, le local par opposition au global concentré à
l’étranger, ou la planification à long terme. Mais bien d’autres aspects posent question.
D’abord, il faut remettre à sa juste place le succès de certains pays
asiatiques et bien veiller à ne pas ériger trop rapidement en modèle des pays
qui n’en sont pas. La Chine est loin d’être exemplaire, à plusieurs titres.
D’abord, l’épidémie en vient, dans des circonstances qui resteront probablement
peu claires pour longtemps. Ensuite, il est de notoriété publique que le régime
à une part de responsabilité dans son développement, les dictatures préférant
souvent cacher la poussière sous le tapis, comme je l’avais indiqué
dans mon premier papier sur le sujet. De plus, les statistiques chinoises restent et
resteront probablement soumises à caution pour longtemps…
Plus globalement, le caractère totalitaire de la
Chine a montré de nombreuses limites trop souvent oubliées par certains
commentateurs. Si les moyens numériques employés pour lutter contre l’épidémie
peuvent impressionner, ils représentent une annihilation totale des libertés
individuelles avec les autres mesures prises. Et cette façon de faire n’est
malheureusement pas nouvelle dans l’Empire du milieu, qui a mis en place depuis
longtemps un arsenal effrayant et totalement incompatible avec notre vision de
la société.
C’est pourquoi il vaut mieux regarder vers Taïwan
ou la Corée du Sud pour des pratiques plus équilibrées, la cité-Etat de
Singapour n’étant pas sans limites démocratiques non plus. A ce titre, il est frappant de constater
que dans la panoplie de sa réponse, l’exécutif français s’est plutôt appuyé sur
des mesures autoritaires, plus rapides à mettre en place, faute
d’avoir su être colbertiste à temps.
Et ce qui est frappant en Europe, c’est de constater
que certains pays qui ont davantage anticipé sur les autres moyens de lutte
(masques, tests), ont mis en place des restrictions moins importantes des
libertés individuelles, pour un meilleur résultat sanitaire, comme
en Allemagne, avec environ cinq fois moins de morts que notre pays. Et avec
les
mensonges répétés de l’exécutif, comment avoir confiance dans la mise en
place d’une application de suivi, sur
laquelle la CNIL a émis des réserves, même en utilisant le Bluetooth plutôt
que de la géolocalisation. Dans
un contexte où Apple et Google disent collaborer pour aider la lutte contre la
pandémie, certains cauchemars numériques totalitaires semblent proches. Il
sera essentiel de rester vigilant, d’autant plus que le chef du
groupe LREM à l’Assemblée « ne
voyait pas comment un vote de l’assemblée apporterait quelque chose »
sur le traçage.
Un système économique qui a failli, mal sauvé
et renforcé ?
Ce
sera l’enjeu des années à venir tant le précédent de 2008 a montré comment un
système qui a failli peut être sauvé à grand frais au dépend de la grande
majorité, sans qu’il ne soit véritablement modifié au regard de la catastrophe
qu’il a produit. Les promesses de changement de Macron en 2020 ont la même
crédibilité que les déclarations à l’emporte-pièce de Sarkozy en 2009. Elles ne
déboucheront sur rien. Point positif, les Etats interviennent massivement pour
éviter un effondrement comparable à 1929 et certains aspects de ces plans sont
bienvenus : je pense ici aux
dispositifs de chômage partiel en France et en Allemagne, malgré leurs
limites, a contrario du laisser-faire étasunien. Ils préservent mieux employés
et employeurs et pourraient favoriser un rebond plus rapide après la fin du
confinement, puisque bien des emplois auront été protégés, limitant ainsi l’effondrement
de la demande.
Mais il ne faut pas croire que les plans de soutien
sont parfaits, loin de là. Il est clair qu’il y aura des effets d’aubaine et
que l’utilisation massive des dispositifs de chômage partiel servira parfois uniquement
à réduire les coûts, sans qu’il n’y ait de véritable besoin. On peut
voir dans le retravail de son plan par SFR une telle manœuvre, d’autant
plus que la téléphonie va très peu souffrir de la crise. Plus globalement, on
peut craindre que les plans ne ciblent pas toujours les bonnes personnes et en
laissent certains sur le bord de la route, notamment parmi les
auto-entrepreneurs, mal protégés et dont la précarité du statut apparaît encore
plus clairement. Il est aussi frappant de constater à quel point l’exécutif
tarde pour donner un cadre clair sur la question des loyers commerciaux pour
les entreprises été contraintes de fermer. Il ne serait pas juste que les
bailleurs ne soient pas mis à contribution, fortement, comme
même Dominique Seux, rédacteur en chef des Echos,
l’admet. Encore une chose qui n’a pas été préparé…
Enfin, se pose la question des conséquences à plus
long terme de cette crise. Comme en 2008-2009, les tenants du système sont déjà
à la manœuvre, demandant toujours plus de déconstruction des droits sociaux et
refusant toute hausse d’impôts, une ligne parfaitement
acceptée par le gouvernement. Autant dire qu’avec
une équation où dette et déficits se sont envolés et où les impôts ne devraient
pas monter, il n’y aura pas de moyens supplémentaires consacrés au service
public, y compris la santé, si ce n’est par de grossiers artifices. Encore
une fois, le choc renforce le rejet du système par les citoyens. Mais nous
pourrions encore une fois passer à côté de sa réforme s’il est sauvé sans être
profondément remis en question. En outre, nous touchions à une fin de cycle
économique et la récession est venue d’un choc externe et non purement interne,
un scénario idéal pour éviter toute remise en cause.
En conclusion, si nous sommes nombreux à espérer que
cette crise favorise un changement de modèle, qui tirerait les leçons d’une
partie des erreurs du passé, comme en 2009, nous ne devons pas croire que cela
sera facile. Déjà,
les partisans du système actuel fournissent une grille de lecture et des
propositions pour ne rien changer. A nous de développer la meilleure
analyse de cette crise et de nous organiser pour gagner la bataille que nous
avons perdu après la crise financière de 2008.
Au premier trimestre, la récession est plus forte en France (-5,8%) que dans l'ensemble de la zone euro (-3,8%), y compris en Italie (-4,7%) qui a pourtant été touchée avant nous par l'épidémie.
RépondreSupprimerIl est clair aussi que l'Allemagne, qui a été moins touchée, est aussi le pays qui va se redresser le plus rapidement, on le constate déjà.
Va donc se poser, comme après la crise de 2008, la question de la zone euro puisque cette crise va aggraver l'hétérogénéité au sein de l'union monétaire. Et comme la dévaluation monétaire n'est plus possible et que les solutions fédéralistes seront refusées par l'Allemagne, la seule alternative à une sortie de l'euro sera la dévaluation interne comme ce fut le cas dans les pays périphériques après la crise de 2008. Mais on sait à quel point cette réponse est coûteuse.
Dévaluation interne coûteuse et inefficace
Supprimer@Jacques
SupprimerCela dépend. Si l'on considère que l'objectif est de supprimer le déficit extérieur, ces politiques sont efficaces de ce point de vue. Moins qu'une sortie de l'euro suivie d'une vraie dévaluation, nous somme d'accord. Et surtout beaucoup plus coûteuses.
Je fais confiance à ceux qui nous gouvernent, aux "experts" qui les conseillent, aux éditocrates qui les défendent, pour justifier, une fois de plus, des mesures coûteuses et inefficaces. Et il se trouvera une bonne part de l'électorat, des convaincus sectaires ou des moutons apeurés, pour approuver. Il suffit de prendre le petit quart de l'électorat de base de Macron et d'y adjoindre un autre quart de nigauds convaincus que la souveraineté c'est le Mal, que l'Europe c'est le camp du Bien et que la sortie de l'euro nous ruinera. On est déjà en train d'essayer de nous refiler un gouvernement d'union nationale qui n'aura jamais d'autre finalité que de permettre à un pouvoir discrédité de survivre.
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
Supprimer@Anonyme3 mai 2020 à 07:48
SupprimerL'euro aurait dû mourir lors de la dernière crise, mais il a survécu. Comment ? Parce que la BCE, à partir de 2012, a mis les moyens (OMT, baisse des taux, QE) , et parce que les pays du sud de l'Europe (Grèce, Espagne, Portugal...) ont accepté des politiques de super-austérité. Je suis d'accord avec vous sur le constat que ces politiques sont néfastes, mais on ne peut nier qu'elles aient permis de sauver l'euro, et finalement c'était le but. Donc, du point de vue cynique de l'UE, ces politiques sont efficaces. Mais ça ne veut pas dire que l'UE parviendra à réussir une seconde fois avec les mêmes recettes, car cette fois la crise est plus sévère et les peuples plus remontés qu'il y a 10 ans.
@ Moi
SupprimerJ'aimerais bien vous donner raison, mais la sévérité de la crise peut jouer aussi dans le sens de ceux qui veulent figer le système. Que se passe-t-il lorsqu'on a peur ? Comme en 40, on cherche un vieux maréchal de France et on se replie sous son aile protectrice, comme des poussins avec une poule, quitte à oublier que le "recours" fait justement partie de ceux qui ont participé à construire, par son aveuglement, par son conservatisme, la catastrophe. On préfère, au moins pour un temps, par peur de la guerre civile, éviter d'écouter les prophètes de malheur qui appellent à résister...
La dernière sortie d'Alain Duhamel sur la bienfaisante angoisse de l'avenir économique qui devrait pousser les Français à travailler au lieu de contester illustre bien ce calcul de nos dirigeants sur les virtualités pédagogiques de la peur du chômage et de l'appauvrissement (Laurent l'a je crois noté dans son fil Twitter) : il ne faut jamais laisser filer les opportunités d'une bonne crise. Et puis, encore aujourd'hui, il y a des Français qui préfèrent s'accorder, par peur, par égoïsme, par absence de véritable sentiment national, par conscience de classe, ou simplement par ignorance, avec les Prussiens plutôt qu'avec la Commune.
La seule chose à faire est de se débarrasser de Macron et de sa clique de parvenus.
RépondreSupprimer@ Moi & anonyme
RépondreSupprimerJuste. Mais je doute de l’appétit des peuples pour de nouvelles dévaluations internes… Le point de rupture des peuples avec ce monstueux projet européen approche. L’évolution du débat public en Italie est assez stupéfiante en 10 ans.
Vous avez raison sur la sévérité de la crise : elle peut soit pousser au changement, soit au contraire freiner le changement. J’avais noté la phrase d’Alain Duhamel. Mais j’ai l’impression qu’à l’approche du point de rupture, cela pourrait davantage pousser au changement.