samedi 1 août 2020

L’oligarchie indécente (2/2) : Carlos Ghosn, l’oublieux oublié

« Ils m’ont traité encore moins bien qu’un citoyen français lambda. C’est un point négatif que je retiens à l’encontre de la France » « je n’ai pas fait l’ENA, je n’ai pas les connexions habituelles du patronat français » : voilà ce que l’ancien patron de Renault a osé déclarer il y a quelques jours lors d’une nouvelle offensive médiatique. On aimerait lui demander comment a-t-il traité la France ?




Réclamer des droits quand on refuse les devoirs…



Je m’étais abstenu de commenter l’extravagante évasion du Japon de Carlos Ghosn, mais ses dernières déclarations sont trop provocantes et injustes pour ne pas revenir plus longuement sur la dernière étape de son parcours. L’ancien président de Renault et Nissan mène actuellement une étonnante offensive de communication où il accuse les dirigeants français de l’avoir oublié, soulignant que s’il avait été étasunien, il aurait pu quitter le Japon en 24 heures. On peut voir dans cette offensive un contre-feu à sa non venue pour répondre à l’audition d’un juge d’instruction le 13 juillet, à Nanterre. Il dit ne pas avoir la certitude que sa sécurité sera assurée, du fait du mandat d’arrêt international émis par le Japon, proposant de répondre aux questions du juge à Beyrouth, dans ce Liban qui le soutient.


Difficile d’y voir complètement clair dans cette affaire. Carlos Ghosn a-t-il été victime d’un complot ? Il serait plus qu’aventureux de se prononcer sur la base de ce que les média véhiculent. Il est également possible que la justice japonaise ait été particulièrement sévère à son encontre. Mais il semble aussi que cette justice n’a pas du tout le même fonctionnement que la nôtre. On peut considérer que la justice française est plus équilibrée et respectueuse des droits de la défense, ce qui est probable, mais ce raisonnement n’est pas sans limite. En effet, ce n’est pas parce que l’on vient d’un pays que l’on peut s’attendre à être traité comme dans son pays d’origine dans un autre pays. Vivre ou travailler dans un autre pays impose d’accepter les règles et les façons de faire locales : il n’y a pas un menu où l’on peut prendre ce qui nous arrange là où on le souhaite. Diriger Nissan impose d’accepter les lois du Japon.



C’est la faille de son discours. Ce patron global, à la grande réussite, a sans doute trop pris l’habitude de choisir par le menu ses droits et devoirs, oubliant que tout ne peut pas être toujours à sa guise ou à son avantage. Le coût du travail était trop élevé en France : Carlos Ghosn a délocalisé sans état d’âme, réduisant la part de la production française du groupe Renault de 58 à 18% de 2000 à 2018 (plus radical encore que PSA, passé de 60 à 31% sur la même période). L’alliance Renault-Nissan a élu domicile aux Pays-Bas, une des plaques-tournantes de la désertion fiscale des multinationales en Europe, sans que l’on puisse déceler une quelconque autre raison de l’avoir fait. Et l’ancien grand patron en a aussi profité pour devenir résident fiscal aux Pays-Bas en 2012, pour son plus grand profit.



Bref, l’ancien grand patron a un sacré culot de s’en prendre à cette France qu’il a quand même beaucoup oubliée, pour y produire des voitures, y domicilier son alliance automobile, ce qui nous a probablement coûté. Pire, il est un peu fort de café qu’une personne qui n’est même plus résidente fiscale, après avoir transféré une bonne partie de ses revenus et impôts sous d’autres cieux depuis si longtemps, réclame des droits alors qu’il refusant les devoirs. Ce faisant, Carlos Ghosn en dit long sur cette oligarchie qui veut pouvoir choisir ses droits et ses devoirs là où cela l’arrange. Mais quand on fait des affaires dans un pays, il faut en accepter la justice. Et quand on refuse les devoirs d’un autre, il est assez choquant d’en vouloir les droits. Et s’il avait juste été rattrapé par la réalité ?



Bien sûr, on peut vanter son travail à la tête du constructeur. Mais fût-il parmi les plus payés et les plus puissants, un homme doit malgré tout suivre des règles et il est difficile de réclamer des droits quand on en fuit les devoirs. L’argent fait beaucoup, comme il le souligne lui-même, mais il ne permet pas tout. On peut même penser qu’il lui a probablement permis d’en faire trop dans cette affaire.

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