Réclamer des droits quand on refuse les devoirs…
Je m’étais abstenu de commenter l’extravagante
évasion du Japon de Carlos Ghosn, mais ses dernières déclarations sont trop provocantes et
injustes pour ne pas revenir plus longuement sur la dernière étape de son
parcours. L’ancien président de Renault et Nissan mène actuellement une
étonnante offensive de communication où il accuse les dirigeants français de
l’avoir oublié, soulignant que s’il avait
été étasunien, il aurait pu quitter le Japon en 24 heures. On peut voir dans cette
offensive un contre-feu à sa
non venue pour répondre à l’audition d’un juge d’instruction le 13 juillet, à
Nanterre. Il dit ne pas avoir la certitude que sa sécurité sera assurée, du
fait du mandat d’arrêt international émis par le Japon, proposant de répondre
aux questions du juge à Beyrouth, dans ce Liban qui le soutient.
Difficile d’y voir complètement clair dans cette
affaire. Carlos Ghosn a-t-il été victime d’un complot ? Il serait plus
qu’aventureux de se prononcer sur la base de ce que les média véhiculent. Il
est également possible que la justice japonaise ait été particulièrement sévère
à son encontre. Mais il
semble aussi que cette justice n’a pas du tout le même fonctionnement que la
nôtre. On peut considérer que la justice française est plus équilibrée et
respectueuse des droits de la défense, ce qui est probable, mais ce
raisonnement n’est pas sans limite. En effet, ce n’est pas parce que l’on vient
d’un pays que l’on peut s’attendre à être traité comme dans son pays d’origine
dans un autre pays. Vivre ou travailler dans un autre pays impose d’accepter
les règles et les façons de faire locales : il n’y a pas un menu où l’on
peut prendre ce qui nous arrange là où on le souhaite. Diriger Nissan impose
d’accepter les lois du Japon.
C’est la faille de son discours. Ce patron global, à
la grande réussite, a sans doute trop pris l’habitude de choisir par le menu
ses droits et devoirs, oubliant que tout ne peut pas être toujours à sa guise
ou à son avantage. Le coût du travail était trop élevé en France : Carlos
Ghosn a délocalisé sans état d’âme, réduisant la part de la production
française du groupe Renault de 58 à 18% de 2000 à 2018 (plus radical encore
que PSA, passé de 60 à 31% sur la même période). L’alliance Renault-Nissan a
élu domicile aux Pays-Bas, une
des plaques-tournantes de la désertion fiscale des multinationales en Europe,
sans que l’on puisse déceler une quelconque autre raison de l’avoir fait. Et l’ancien grand patron en a
aussi profité pour devenir résident fiscal aux Pays-Bas en 2012, pour son plus
grand profit.
Bref, l’ancien grand patron a un sacré culot de s’en
prendre à cette France qu’il a quand même beaucoup oubliée, pour y produire des
voitures, y domicilier son alliance automobile, ce qui nous a probablement coûté.
Pire, il est un peu fort de café qu’une personne qui n’est même plus résidente
fiscale, après avoir transféré une bonne partie de ses revenus et impôts sous
d’autres cieux depuis si longtemps, réclame des droits alors qu’il refusant les
devoirs. Ce faisant, Carlos Ghosn en dit long sur cette oligarchie qui veut
pouvoir choisir ses droits et ses devoirs là où cela l’arrange. Mais quand on
fait des affaires dans un pays, il faut en accepter la justice. Et quand on
refuse les devoirs d’un autre, il est assez choquant d’en vouloir les droits.
Et s’il avait juste été rattrapé par la réalité ?
Bien sûr, on peut vanter son travail à la tête du
constructeur. Mais fût-il parmi les plus payés et les plus puissants, un homme
doit malgré tout suivre des règles et il est difficile de réclamer des droits
quand on en fuit les devoirs. L’argent fait beaucoup, comme il le souligne
lui-même, mais il ne permet pas tout. On peut même penser qu’il lui a
probablement permis d’en faire trop dans cette affaire.
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