Les résultats de l’année 2020, après une légère et brève déception, ont finalement conforté le jugement assez extravagant de marchés sur la valeur de Tesla. Mais le pari, à 1,5 milliards de dollars, d’Elon Musk sur le Bitcoin, certaines annonces lors de la présentation des résultats, et l’évolution du marché automobile me font penser que l’heure de l’explosion de la bulle Tesla approche.
Nouvel Apple ou Tulipe du 21ème siècle ?
Et il faut admettre que certains éléments des résultats de 2020 permettent encore de défendre cette théorie. Autant la croissance de seulement 12% en 2019 était inquiétante, et posait des questions sur le potentiel de Tesla, autant la croissance de 31% enregistrée en 2020, alors que le marché mondial s’est effondré, peut rassurer sur le potentiel de croissance à long terme. Mieux, l’entreprise a réussi à aligner quatre trimestres de profits, une première, avec une hausse des marges. Tesla commence même à générer de la trésorerie, 3 milliards de dollars sur l’ensemble de l’année 2020. Une croissance de 50% par an pendant plusieurs années pourrait mener Tesla à 10 millions de véhicules en 2030, Elon Musk ayant même déjà annoncé que l’entreprise produira probablement 20 millions de voitures avant cette date… Et avec un positionnement premium, Tesla pourrait devenir le Apple de l’automobile.
C’est ce raisonnement, défendu par John Plassard, spécialiste en investissement chez Mirabaud, sur le site Boursorama, qui justifie la valorisation extravagante de Tesla. Mais si le cours de l’action indique qu’il reste encore majoritaire parmi ceux qui prennent position sur l’action, beaucoup le jugent irréaliste. Le Figaro rapportait ainsi que JP Morgan juge l’action surcotée, avertit sur la bulle spéculative et recommande à ses clients de sous-pondérer l’action. Dans le FigaroVox, Jacques-Olivier Martin dénonçait il y a deux mois et demi la bulle et l’anomalie spéculative, affirmant que Tesla « finira par revenir sur terre… En douceur ou brutalement, nul ne le sait », en questionnant l’unicité et la différenciation de son offre, ainsi que sa capacité à affronter les constructeurs automobiles premium. Car ce sont autant les questions stratégiques que les résultats à court terme qui poussent à croire à une bulle.
Une demande qui faiblit ?
La demande pour les voitures Tesla semble commencer à s’essoufler. Les chiffres de la Norvège sont très parlants. Dans le seul pays où les voitures électriques dominent le marché, les ventes de la Model 3 ont baissé de 50% en 2020, l’Audi e-tron la détronant de la première place, et la Volkswagen ID3 la repoussant à la troisième place au second semestre de l’année. En outre, en Norvège, Tesla a réussi l’exploit de faire plus de la moitié de de ses ventes annuelles sur le seul mois de décembre, indiquant un gros artifice commercial. D’ailleurs, en Europe, ses ventes ont reculé de 10%, Tesla étant dépassé par le groupe Volkswagen et l’alliance Renault-Nissan sur l’électrique en 2020. Même aux Etats-Unis, les ventes de la Model 3 sont tombées de 154 000 à 90 000 (avec 79 000 Model Y en plus), malgré les promotions et la moindre force des concurrents allemands outre-Atlantique.
En outre, la gamme S/X vieillit et ses ventes reculent. Le prix moyen des voitures Tesla a baissé de 11% en 2020, signe que le premium de la marque n’est pas si solide. Il faut dire que les autres constructeurs sont en train de rattraper Tesla. Même si la firme d’Elon Musk a probablement encore de l’avance sur ses batteries, cela pourra-t-il durer alors que les autres constructeurs vendront probablement plus que Tesla cette année ? Tesla affronte des colosses qui investissent beaucoup et restent très profitables : GM a dégagé plus de 6 milliards de profits, contre 700 millions pour Tesla (avec 1,58 milliards de crédits réglementaires) En outre, l’explosion de l’offre d’Audi, Volkswagen, BMW et Mercedes devrait peser lourd sur les ventes de Tesla, notamment en Chine, le premier marché de ces marques. En 2020, Tesla affrontait encore des gammes très incomplètes. Cette année, ce ne sera plus le cas, et en 2022, la firme d’Elon Musk affrontera une concurrence redoutable qui pourrait lui tailler des croupières.
Les mauvais choix d’Elon Musk
Et cela est d’autant plus probable que l’on peut sérieusement questionner les choix d’Elon Musk. Des experts soulignent notamment qu’il n’a pas assez investi sur sa marque, refusant de faire de la publicité, dans une industrie où elle est pourtant importante. On pourrait également questionner le retard dans l’évolution du style de la marque, qui commence à devenir daté, dans une industrie où les rafraichissements des modèles ont lieu tous les 3 ou 4 ans. Alors que les Tesla S et X commencent à dater (elles ont été lancées en 2012 et 2015), seul le tableau de bord a été rafraîchi. Aucun rafraîchissement ne semble programmé pour la Model 3. Pire pour l’avenir, on peut se demander s’il était pertinent de construire une nouvelle usine à Berlin et une autre au Texas pour la Model Y. Tesla a déjà une capacité de production de 1,05 million de véhicules, pour des ventes de seulement la moitié.
Elon Musk semble avoir cherché à se prémunir du cauchemar opérationnel de 2018 et de la mise en production de la Model 3. Aujourd’hui, Tesla ne veut mettre aucune limite de production à la demande de ses clients. Le constructeur semble pouvoir suivre les prévisions les plus optimistes, une croissance de 50% par an, et plus encore en 2021, comme l’a annoncé son PDG. Mais si la demande ne suit pas rapidement, la crise sera très douloureuse, les frais fixes des deux nouvelles usines n’étant pas amortis par suffisamment de ventes. La mise en production de l’usine de Berlin sera d’autant plus critique que les salariés n’y seront pas payés avec des salaires de pays émergents. Avec une demande anticipée trop optimiste eue égard à l’offre de Tesla et celle du marché, l’effet de ciseau sera très dur.
Autre effet de ciseau probable : le grand écart entre les annonces d’Elon Musk et la réalité. S’il a bien géré l’année 2020, en tenant l’objectif de ventes, les prévisions pour le proche futur semblent irréalistes : 50% de croissance par an, et plus encore en 2021, cela signifie vendre 800 000 voitures en 2021, 1,2 million en 2022 et 1,8 millions en 2023. Si la croissance sera facile au premier semestre par rapport à l’an dernier (Tesla n’avait écoulé que 180 000 voitures), le comparatif deviendra beaucoup plus difficile au dernier trimestre, où Tesla a écoulé autant de véhicules que sur les deux premiers trimestres de l’année. Enfin, placer 1,5 milliard de dollars de trésorerie en Bitcoin est fou alors que cette prétendue crypto-monnaie est au plus haut. Il faut rappeler que son cours avait baissé 80% en 2018. Une telle mésaventure coûterait 1,2 milliard, bien plus que l’ensemble des profits de Tesla en 2020…
En conclusion, il me semble que l’envolée du titre en bourse est un nouvel exemple, particulièrement extrême, de l’exubérance irrationnelle des marchés financiers. Tesla ne devrait pas valoir plus de quelques dizaines de milliards de dollars. Si l’historique 2020 permettra sans doute d’échapper au mur dans les 6 prochains mois, les 18 mois suivants ont de très grandes chances d’ajouter un chapitre à l’histoire des bulles boursières totalement irrationnelles, Tesla devenant alors la tulipe du 21ème siècle.
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