Papier publié sur le site de Marianne
Tout ce qui se passe autour de Tesla a un côté surnaturel. Comment un constructeur qui a écoulé à peine un demi-million de voitures l’an dernier peut-il valoir autant que tous les géants (VW, Toyota, Ford, GM, Renault, Stellantis, Mercedes et BMW) de l’automobile réunis ? Les résultats du premier trimestre ajoutent au brouillard puisque les bons résultats apparents ont déçu la bourse. Pourquoi ?
Des voitures qui ne rapportent toujours pas d’argent
Le raisonnement des fans de Tesla est assez simple : le constructeur ferait à l’automobile ce qu’Apple a fait au téléphone, justifiant ainsi une valorisation stratosphérique, étant donné qu’Apple est devenue une poule aux œufs d’or avec l’iPhone, générant des profits de 57 milliards en 2020 ! Avec une croissance de 50% par an sur la décennie, l’entreprise d’Elon Musk pourrait devenir la marque dominante de la nouvelle technologie automobile et ainsi justifier sa valeur extravagante par anticipation. Certains analystes évoquent 10 millions de voitures vendues en 2030, Elon Musk ayant déjà dit que Tesla en vendrait probablement 20 millions avant la fin de la décennie. Un tel raisonnement a une logique, à condition que Tesla s’impose comme la marque premium de référence, loin devant toutes les autres.
Et c’est sans doute là que le bât blesse au regard des résultats du premier trimestre. Bien sûr, les Tesla fans pourront souligner la croissance de 74% du chiffre d’affaire, le nouveau record de livraisons, les marges en hausse, ainsi que le nouveau record de profits sur un trimestre : 438 millions de dollars. Mais le recul du titre de 5% à l’annonce des résultats indique bien que tous les indicateurs ne sont pas au vert. D’abord, il faut rappeler que Tesla n’est profitable que grâce à la vente de crédits réglementaires européens et de 11 Etats outre-Atlantique. En effet, les constructeurs ont des objectifs d’émissions de CO2, qui, s’ils ne sont pas atteints, génèrent des amendes. Ils peuvent néanmoins racheter des crédits à un constructeur plus vertueux, ce qui génère un commerce très profitable pour Tesla.
Sur ce seul trimestre, le constructeur étatsunien a engrangé pas moins de 518 millions de dollars de la sorte : en clair, la seule vente de ses voitures n’est toujours pas profitable, et si ses concurrents se mettent dans la position de pouvoir se passer de ses crédits, Tesla sera dans le rouge. En 2020, ils ont rapporté près d’1,2 milliard de dollars ! Mieux, au premier trimestre, le commerce de Bitcoins a rapporté 101 millions au constructeur. Mais il s’agit d’un jeu dangereux pour qui considère l’historique de cet actif virtuel, qui pourrait coûter très cher, d’autant plus qu’Elon Musk a acheté au plus haut... Mais ceci n’est pas la seule inquiétude que l’on peut avoir sur le potentiel du constructeur automobile.
Plus Blackberry qu’Apple ?
D’abord, les dépenses opérationnelles augmentent de 70%, au même rythme que les ventes, ce qui indique une croissance assez coûteuse, qui ne permet pas d’améliorer significativement la marge, et la met sous pression. Pire, le prix moyen des véhicules vendus s’effondre, du fait du retard dans la production des nouvelles Model S et X, dont les livraisons ont baissé de près de 90%. Il est tombé de 54 à 46 mille dollars par véhicule, en excluant la vente de crédits, un chiffre qui questionne la réalité du positionnement premium de Tesla, alors que les marques allemandes sont à l’offensive sur l’électrique. Tesla est-il un nouvel Apple, qui peut vendre plus cher que tous les autres, ou une marque innovante, mais pas si premium ? D’ailleurs, Porsche a écoulé plus de 9000 Taycan en un trimestre, faisant mieux que la Model S a jamais fait, alors que ses prix sont bien plus élevés que ceux de sa concurrente.
Pire, pour Tesla, l’offensive allemande se renforce dangereusement. La Model S, insuffisamment retouchée, va ainsi devoir affronter la Mercedes EQS et l’Audi e-tron GT dans les prochains mois. Quand à la Model Y, qu’Elon Musk annonce potentiellement devenir la voiture la plus vendue au monde l’an prochain, l’année 2021 marque un renforcement colossal de la concurrence, avec l’arrivée en quelques mois de l’ID4 de Volkswagen, l’eQ4 d’Audi, le EQA de Mercredes, l’iX3 de BMW et le Ioniq 5 de Hyundai. En un sens, Elon Musk a raison de souligner l’importance de la Model Y, qui va probablement être le baromètre de la force de Tesla dans les prochains mois. Elle a un peu d’avance, mais sa performance commerciale permettra de mesurer très clairement la force du constructeur étatsunien.
Le second trimestre, et probablement le suivant, seront des épreuves faciles à passer : les ventes étaient faibles en 2020, et la concurrence ne sera pas encore complètement déployée. Mais dès la fin d’année, une autre histoire va commencer. La concurrence sera installée et il sera possible de mesurer la compétitivité de Tesla : la marque parviendra-t-elle à conserver son leadership, à quel prix vendra-t-elle ses voitures par rapport aux marques allemandes ? L’équilibre sera d’autant plus difficile à trouver qu’Elon Musk prévoit deux ouvertures d’usines, une à Berlin, une au Texas, pour être en position de livrer une demande en forte hausse. Mais si les clients ne suivent pas ses capacités de production, les coûts progresseront plus vite que les recettes, d’autant plus que Tesla sera tentée de casser les prix…
En somme, si les résultats du premier trimestre ne sont pas suffisants pour accréditer un avenir à la Apple, ils ne sont pas encore suffisamment inquiétants pour permettre le réveil de marchés trop peu regardants dans cette période de bulle. Tesla a sans doute encore deux trimestres de répit, mais après, Elon Musk ne pourra pas éviter le mur de la réalité. Il pourrait bien être extrêmement brutal.
Stellantis n'a plus besoin des crédits...
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Sans oublier les constructeurs chinois dont on commence à importer certains modèles électriques
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