Papier publié sur le site de Marianne
« Cette fois, c’est la fin (des parasites fiscaux) » pour Pascal Saint-Amans, le négociateur de l’OCDE. Pour Bruno Le Maire, « nous mettons fin à l’optimisation fiscale (…) C’est la plus grande révolution fiscale depuis un siècle ». Problème : en 2009, Sarkozy affirmait déjà la même chose. Et en 2015, un directeur de l’OCDE parlait déjà d’un « accord auquel personne ne croyait il y a deux ans. Un vrai accord ! ». Bref, tous les 6 ans, c’est le même cirque autour d’un accord qui ne changera presque rien…
Une réforme pas plus convaincante que les précédentes
En 2009, les mesures prises étaient déjà totalement dérisoires : une liste noire des parasites fiscaux avait été déterminée, pour imposer aux pays visés de mettre fin aux pratiques les plus extrêmes de la désertion fiscale. Mais la liste était largement inoffensive : il suffisait alors de suivre quelques timides recommandations de l’OCDE pour sortir de la liste noire, et les principaux parasites avaient pu le faire dès le début… Chose oubliée depuis, l’OCDE et le G20 avaient aussi annoncé une grande réforme six ans après, en 2015, après deux ans de négociations. Pas moins de quinze mesures avaient été annoncées, une « boîte à outils anti-abus » selon Le Monde, un « vrai accord » pour un directeur de l’OCDE… Très technique, cet accord était sensé encadrer les prix de transfert, assurer une plus grande transparence des accords fiscaux ou des niveaux d’activité réels des multinationales dans les pays où elles ont une activité.
Malheureusement, pour qui met en parallèle les annonces des précédents accords et la réalité, la situation semble s’être fortement déteriorée. En 2015, l’OCDE estimait que la désertion fiscale coûtait 100 à 240 milliards de dollars en recettes détournées aux Etats. L’accord du G20 de 2015 ne semble pas avoir améliorée la situation puisque les pertes fiscales ont été estimées cinq ans après à 330 milliards d’euros (soit 400 milliards de dollars), alors même que les taux d’IS ont baissé ! Une étude de l’OCDE et du Tax Justice Network chiffre ainsi à 1150 milliards d’euros le montant des bénéfices transitant par les parasites fiscaux. Pour l’ONG, c’est « le plus grand et long hold up d’argent public de notre époque ». Cette étude démontre aussi que les listes noires de l’OCDE sont totalement illusoires puisque seule 7% de la désertion fiscale y passe, la Suisse, le Luxembourg ou les Pays-Bas y échappant miraculeusement.
Capital rapportait récemment que Facebook avait trouvé le moyen de ne payer que 4 millions d’euros d’impôts en France, alors que, s’il avait déclaré l’intégralité de son chiffre d’affaires, le montant aurait approché 200 millions d’euros ! Les règles actuelles, dont certaines sont celles des précédents accords « historiques » de 2009 et 2015 permettent à une entreprise richissime d’éviter de payer 98% de l’impôt qu’elle devrait payer ! Malheureusement, le cas de Facebook n’est pas isolé, et tous les GAFAM et bien d’autres multinationales font de la désertion fiscale une priorité qu’aucun accord n’a pu freiner. En 2013, Marianne rapportait déjà qu’Apple réduisait de 98% son impôt sur les sociétés en France… Gabriel Zucman, auteur du livre de référence « La richesse cachée des nations », pointe dans son dernier livre, écrit avec Emmanuel Saez, que les accords internationaux n’ont, jusqu’à présent, absolument mené à rien.
Ce lourd passif amène donc à fortement relativiser les propos triomphants de Bruno Le Maire ou de Pascal Saint-Amans, de l’OCDE. L’emphase du ministre, si elle est assez habituelle, rappelle trop les propos de celui qui l’a fait ministre, Nicolas Sarkozy, pour qu’on y accorde le moindre crédit. Le technocrate français qui a négocié l’accord n’est pas plus crédible. Dire « cette fois, c’est fini », cela revient à admettre que les annonces faites lors des deux précédents accords étaient donc fausses. En outre, soutenir « qu’en 2012, on s’est attaqué à la sous-taxation des multinationales » est infirmé par les études de son organisation, qui rapportent que le montant de la désertion fiscale des multinationales aurait doublé entre 2015 et 2020 ! En outre, les pays se sont engagés depuis 10 ans dans une course sans fin au moins-disant fiscal, baissant les uns après les autres leur IS, dont on peut rappeler qu’il approchait 50% il y a 40 ans.
Enfin, il faut remettre à sa place la portée de cet accord. D’abord, il faut rappeler qu’il y a des exemptions, pour la finance ou les industries minières. Ensuite, le taux plancher choisi, à 15%, est extrêmement bas, 40% sous la moyenne de l’OCDE. Cela risque de continuer à pousser à la baisse le taux d’IS, comme le pointait Franck Dedieu dans Marianne. D’ailleurs, Joe Biden a renoncé peu après à son projet de remonter le taux d’IS des Etats-Unis de 21 à 28%, qui était à 35% avant l’arrivée de Trump. Gabriel Zucman a dénoncé un taux « ridiculement bas ». Troisième faille, majeure mais trop ignorée, le taux plancher ne porte que sur un profit dit résiduel, celui qui excède une marge de 10% et n’évoque la répartition de seulement 20% de ce « résidu » en fonction du lieu où sont réellement réalisés recettes et profits.
Pour mieux comprendre l’impact de cette « révolution », il suffit d’étudier l’impact que cet accord aurait sur une entreprise comme Alphabet, maison-mère de Google, au premier rang des cibles visées par nos dirigeants. En 2020, Alphabet a fait 182 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 40 milliards de profits (22% du chiffre d’affaires). Les profits résiduels ne commençant qu’à 10%, ils ne représentent plus que 22 milliards de dollars, sur lesquels seulement 20% peuvent être répartis différents. Au final, ce ne sont que 4,4 milliards des 40 milliards de profits d’Alphabet qui pourraient être visés, à peine 11% de ses profits totaux. Et parce que le taux plancher est très faible, à 15%, la taxe supplementaire sur la taxation Irlandaise (12,5%), ne représenterait que 110 millions, 0,3% des profits totaux d’Alphabet ! Au mieux, par rapport à un taux nul, la facture ne grimperait qu’à 660 millions, 1,6% des profits totaux…
Bref, derrière les grandes déclarations, ce troisième grand accord international en douze ans, toujours pas finalisé et soumis à un processus extrêmement complexe, ne changera pas grand-chose. D’ailleurs, les marchés financiers n’ont guère réagi, ce qui indique bien que les actionnaires ne craignent pas de devoir céder une part significative des profits des multinationales qu’ils contrôlent… Et puis, dans 6 ans, un autre accord historique pourra être conclu pour tenter de donner le change…
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